Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

VENTE

3e Civ., 12 octobre 2022, n° 20-22.911, (B), FS

Cassation partielle

Nullité – Effets – Restitutions – Restitution du prix des travaux de conservation du bien – Préjudice indemnisable (non)

En cas d'annulation de la vente d'un immeuble, la restitution du prix des travaux de conservation du bien réalisés par l'acquéreur, à laquelle le vendeur est condamné en contrepartie de la restitution de l'immeuble, ne constitue pas un préjudice indemnisable susceptible de donner lieu à garantie du notaire.

En revanche, les condamnations prononcées au titre du remboursement des charges de copropriété, du coût de l'assurance et des taxes foncières acquittés par l'acquéreur présentent un caractère indemnitaire donnant lieu à garantie du notaire.

Nullité – Effets – Restitutions – Garantie du notaire – Etendue – Détermination

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société civile immobilière Le 101 du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [F].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 septembre 2020), par acte authentique reçu le 5 février 2014 par M. [M], notaire associé de la société civile professionnelle Pierre Olivier Prudhon-[K] [M] (la SCP), la société civile immobilière Le 101 (le vendeur) a vendu à M. [F] (l'acquéreur) plusieurs lots d'un bien immobilier.

3. Le 20 mai 2015, un procès-verbal d'infractions au code de l'urbanisme et au plan local d'urbanisme relatif au changement de destination du bien a été dressé à l'encontre de l'acquéreur et de la SCP.

4. L'acquéreur a assigné le vendeur et la SCP en annulation de la vente et en indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le vendeur fait grief à l'arrêt, après avoir prononcé la nullité de la vente, de rejeter sa demande de condamnation de la SCP à le garantir de toutes les condamnations sur les demandes formées à son encontre, alors « que les restitutions des impenses par le vendeur après l'annulation de la vente sont susceptibles d'être qualifiées de préjudices indemnisables dès lors qu'est prise en compte la valeur du bien au jour du prononcé de la nullité ; que le notaire est tenu de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes reçus par lui ; qu'il est également tenu à un devoir de conseil ; que le notaire qui a causé par sa faute l'annulation de la vente doit indemniser le vendeur des impenses que ce dernier doit rembourser à l'acquéreur ; que le préjudice est évalué en prenant en compte la valeur du bien au jour du prononcé de la nullité afin que le vendeur ne s'enrichisse pas sans cause ; qu'en jugeant pour débouter la société civile immobilière Le 101 de sa demande de garantie à l'encontre de la société civile professionnelle Pierre Olivier Prudhon-[K] [M], la cour d'appel, qui a jugé qu'elle « ne peut demander la garantie des notaires pour ces condamnations qui ne correspondent non à un préjudice indemnisable, mais des restitutions » a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen en ce qu'il vise les travaux de mise en conformité

6. La cour d'appel a relevé que les travaux réalisés par l'acquéreur au titre de la mise en conformité de l'électricité, de la réfection de la toiture, des parquets, des plafonds et de la peinture des murs étaient des dépenses nécessaires et utiles donnant lieu à restitution du vendeur.

7. Ces travaux devant s'analyser en des dépenses de conservation du bien, elle en a exactement déduit que cette restitution ne pouvait donner lieu à garantie du notaire, cette condamnation ne correspondant pas à un préjudice indemnisable.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen en ce qu'il vise les charges de copropriété, le coût de l'assurance et les taxes foncières

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

9. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

10. La cour d'appel a retenu que les condamnations prononcées au titre des charges de copropriété, du coût de l'assurance et des taxes foncières ne constituaient pas des préjudices indemnisables.

11. En statuant ainsi, alors que les condamnations prononcées au titre du remboursement des charges de copropriété, du coût de l'assurance et des taxes foncières acquittés par l'acquéreur, ne constituaient pas des restitutions consécutives à l'annulation du contrat de vente, mais présentaient un caractère indemnitaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en garantie formée par la société civile immobilière Le 101 à l'encontre de la société civile professionnelle Pierre Olivier Prudhon-[K] [M] concernant les charges de copropriété, le coût de l'assurance et les taxes foncières acquittés par l'acquéreur, l'arrêt rendu le 11 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Greff-Bohnert - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 3 mai 2018, pourvoi n° 17-11.132, Bull. 2018, III, n° 48 (cassation partielle).

3e Civ., 26 octobre 2022, n° 21-19.898, (B), FS

Cassation partielle

Vendeur – Responsabilité – Obligation d'information ou de conseil – Manquement – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination

Le délai de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance.

Dès lors, viole l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la cour d'appel qui, pour déclarer prescrite l'action en responsabilité exercée par l'acquéreur d'un bien contre le vendeur et son mandataire pour manquement à l'obligation d'information ou de conseil, retient que le point de départ de la prescription se situe à la date de conclusion du contrat de vente, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne pouvait résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 26 mai 2021), par l'intermédiaire de la société IFB France (le mandataire), M. [G] (l'acquéreur) a acquis de la société Prestigium, aux droits de laquelle vient la société Edelis (le vendeur), par acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement du 13 octobre 2005, un appartement dans une résidence à titre d'investissement immobilier locatif bénéficiant d'une défiscalisation.

2. Il a financé son acquisition à l'aide d'un prêt immobilier souscrit auprès de la société BNP Paribas Personal Finance (la société BNP Paribas) et assuré auprès de la société AXA France vie.

3. Il a donné le bien à bail commercial à la société Goelia gestion pour une durée de neuf ans à compter de la livraison intervenue le 23 juin 2006, moyennant un loyer annuel de 3 416 euros.

4. Le 16 octobre 2014, l'exploitant a notifié à l'acquéreur son intention de résilier le bail aux conditions initiales en raison de la baisse de rentabilité de l'appartement.

5. Un nouveau bail a été conclu le 11 septembre 2015 pour un loyer fixé à 1 800 euros.

6. En mai et juillet 2016, l'acquéreur, se plaignant d'une baisse de rentabilité et d'une surévaluation de la valeur de son bien, a assigné le vendeur, le mandataire et les sociétés BNP Paribas et AXA France vie en nullité pour dol de la vente et du prêt, subsidiairement en indemnisation des préjudices résultant du manquement du vendeur et de son mandataire à leur devoir de conseil.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité du contrat fondée sur le dol, alors « que la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que, pour écarter le dol, l'arrêt attaqué s'est borné à retenir que l'opération avait accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'était enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers, et que le passif de son patrimoine avait également été diminué du fait des avantages fiscaux dont il avait bénéficié, de sorte que, à défaut de produire les justificatifs permettant de déterminer le montant effectif de ces avantages, il ne démontrait pas le dol allégué ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le vendeur avait commis des manoeuvres dolosives en surévaluant le prix d'achat du bien et des loyers par la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant, en induisant en erreur l'acquéreur sur la rentabilité du bien, auquel il avait fait croire que la valeur de celui-ci allait augmenter pendant toute la durée de l'opération pour atteindre un prix à la revente très favorable, en dissimulant la cession à l'exploitant des locaux destinés à l'accueil et à la réception, réduisant par la même le potention locatif et vénal du lot acquis, et en occultant les risques réels de l'opération en l'absence d'une analyse pertinente des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. Selon ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé.

9. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que l'opération a accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'est enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers perçus durant neuf années et que le passif a été diminué, puisque le dispositif lui ouvrait droit à la récupération de la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix de vente, de sorte que l'acquéreur, qui ne produit aucun justificatif permettant de déterminer le montant effectif des avantages fiscaux dont il a bénéficié, ne démontre pas le dol allégué.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, lors de la conclusion du contrat, l'acquéreur n'avait pas été induit en erreur sur la rentabilité et la valeur du bien par des manoeuvres dolosives consistant en la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant et la cession à celui-ci des locaux destinés à l'accueil et à la réception de la résidence, dissimulés à l'acquéreur, ainsi qu'en l'absence d'analyse des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen relevé d'office

11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

12. Selon ce texte, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

13. Il est jugé que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance (1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102).

14. Pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité exercée par l'acquéreur contre le vendeur et son mandataire au jour de la signature de l'acte authentique de la vente en l'état futur d'achèvement, soit le 13 octobre 2005, l'arrêt retient que, s'agissant d'un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'établissement de l'acte critiqué.

15. En statuant ainsi, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause les sociétés BNP Paribas Personal Finance et AXA France vie, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'irrecevabilité de l'assignation pour défaut de publicité foncière, l'arrêt rendu le 26 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés BNP Paribas Personal Finance et AXA France vie.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Maunand - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 (cassation) ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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