Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

URBANISME

3e Civ., 26 octobre 2022, n° 21-12.674, (B), FS

Rejet

Bâtiments menaçant ruine ou insalubres – Immeuble déclaré irrémédiablement insalubre – Démolition – Exécution d'office des travaux – Coût à la charge du propriétaire – Exclusion – Cas – Annulation de l'arrêté de péril imminent – Effets – Action de la commune fondée sur l'enrichissement sans cause – Possibilité

L'impossibilité pour le maire de délivrer un titre exécutoire afin de mettre à la charge du propriétaire, sur le fondement de l'article L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation, le coût des travaux exécutés d'office par la commune sur le fondement d'un arrêté de péril imminent, annulé par la juridiction administrative, ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action de la commune fondée sur l'enrichissement sans cause.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 28 mars 2019 et 19 novembre 2020), Mmes [X] et [B] et MM. [H], [V] et [Y] sont copropriétaires d'un immeuble situé [Adresse 3], à [Localité 4].

2. Au vu d'un rapport d'expertise préconisant la réalisation de travaux, le maire de la commune de [Localité 4] (la commune) a pris, le 15 janvier 2008, sur le fondement de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, un arrêté de péril imminent ordonnant aux copropriétaires de démolir une extension en façade Est du bâtiment, de démolir la toiture et de la reconstruire, de chaîner la partie supérieure de la structure de l'immeuble et de poser des témoins de contrôle de mouvement des fissures dans l'escalier, en confortant le plancher des combles en cas d'aggravation des fissures.

3. Au cours de l'été 2009, la commune a fait réaliser d'office les travaux.

4. Par un jugement rendu le 28 février 2012, la juridiction administrative a annulé l'arrêté de péril imminent, sauf en ce qui concerne les travaux sur l'extension de la façade Est.

5. La commune a assigné le syndicat des copropriétaires [Adresse 3] (le syndicat des copropriétaires), qui avait été constitué, en paiement du coût des travaux réalisés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le syndicat des copropriétaires fait grief aux arrêts de dire que la commune est fondée à lui réclamer le remboursement des sommes qu'elle avait engagées au titre des travaux qui n'avaient pas fait l'objet d'un arrêté de péril et de le condamner à payer à la commune une certaine somme, alors :

« 1°/ que l'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il procède de l'accomplissement, par l'appauvri, d'une obligation légale ; qu'en condamnant les copropriétaires à rembourser la commune de [Localité 4], sur le fondement de l'enrichissement sans cause, du montant des travaux réalisés à l'initiative de son maire en application d'un arrêté de péril imminent faisant obligation au maire de faire exécuter d'office les travaux non réalisés par les propriétaires, et à la commune, d'en supporter le coût, d'où il suit que l'appauvrissement de celle-ci, qui procédait d'obligations légales, n'était donc pas sans cause, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et les principes applicables à l'enrichissement sans cause ;

2°/ que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise pour suppléer à une autre action que l'appauvri ne peut intenter par suite d'un obstacle de droit ; qu'ayant justement relevé que la commune n'était plus en droit d'émettre de titre exécutoire pour recouvrer le coût des travaux réalisés en exécution des dispositions annulées de l'arrêté de péril imminent, la cour d'appel, en la déclarant néanmoins fondée en son action dès lors que les travaux dont elle avait supporté le coût avaient enrichi le patrimoine des copropriétaires, l'a ainsi admise à contourner les conséquences de l'annulation contentieuse de l'arrêté de péril imminent et à tenir en échec les règles impératives sanctionnées par cette annulation, en méconnaissance du principe de subsidiarité de l'action fondée sur l'enrichissement injustifié, et de l'article 1371 dans sa rédaction en vigueur à la date des faits. »

Réponse de la Cour

7. D'une part, ayant relevé que l'arrêté de péril imminent, sur le fondement duquel le maire avait prescrit les travaux, avait été annulé par la juridiction administrative, sauf en ce qu'il prescrivait des travaux d'extension de la façade Est, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que, du fait de l'effet rétroactif de l'annulation de cet acte, qui était censé n'avoir jamais existé, l'appauvrissement de la commune ne trouvait pas sa cause dans l'accomplissement, par celle-ci, d'une obligation légale.

8. D'autre part, la cour d'appel a retenu à bon droit que le fait, pour le maire, de ne pas pouvoir délivrer un titre exécutoire afin de mettre à la charge du propriétaire, sur le fondement de l'article L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation, le coût des travaux exécutés d'office par la commune en exécution de l'arrêté de péril annulé ne faisait pas obstacle à l'exercice de l'action de la commune fondée sur l'enrichissement sans cause.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Le syndicat des copropriétaires fait grief aux arrêts de le condamner à payer à la commune la somme de 72 785 euros, alors « que celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit à celui qui s'en trouve appauvri une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ; que le syndicat de copropriété faisait valoir dans ses conclusions qu'il avait du exposer une somme de 9 840 € HT pour assurer la conformité aux normes des Bâtiments de France des travaux réalisés à l'initiative du maire de [Localité 4] ; qu'en n'apportant aucune réponse à ce moyen de nature à établir que l'enrichissement des copropriétaires du fait de ces travaux était moindre que l'appauvrissement de la commune, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.»

Réponse de la Cour

11. La cour d'appel a retenu qu'il résultait de l'attestation de l'architecte que les travaux effectués pour le compte de la commune s'élevaient, déduction faite de la somme correspondant à ceux relatifs à la façade Est, à la somme de 59 649,70 euros TTC, tandis qu'il ressortait de la facture du bureau d'études technique que les frais d'études techniques s'élevaient à la somme de 5 079,89 euros TTC et les honoraires d'architecte à celle de 8 055,74 euros selon les factures de M. [U].

12. La cour d'appel a ainsi apprécié souverainement, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, le montant de l'enrichissement des copropriétaires du fait des travaux accomplis par la commune.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 5 juillet 2018, pourvoi n° 12-27.823, Bull. 2018, III, n° 83 (cassation partielle sans renvoi) ; 1re Civ., 4 mai 2017, pourvoi n° 16-15.563, Bull. 2017, I, n° 103 (cassation partielle).

3e Civ., 12 octobre 2022, n° 21-17.040, (B), FS

Rejet

Permis de construire – Construction non conforme – Immeuble – Refus de raccordement au réseau d'électricité – Décision de l'autorité administrative compétente – Nécessité

En application de l'article L. 111-12 du code l'urbanisme, le refus de raccorder un immeuble au réseau électrique, mesure de police de l'urbanisme destinée à assurer le respect des règles d'utilisation du sol, ne peut résulter que d'une décision de l'autorité administrative compétente.

En conséquence, l'injonction du maire d'une commune de supprimer le branchement au réseau électrique d'une construction ayant été annulée par la juridiction administrative, la cour d'appel a pu retenir que le refus du gestionnaire du réseau de raccorder celle-ci et la privation d'électricité en résultant constituaient un trouble manifestement illicite.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 mars 2021), rendu en référé, en 2013, M. [H] et Mme [V] ont acquis deux parcelles, sur lesquelles sont édifiés deux logements à usage d'habitation.

2. Au cours du premier semestre 2016, la société Enedis a procédé, sur injonction du maire de la commune, à la suppression du branchement au réseau électrique de ces parcelles, branchement rétabli le 4 août 2016 après une instance en référé initiée par M. [H] et Mme [V].

3. Le 27 octobre 2016, la société Enedis a supprimé une seconde fois le branchement à la suite d'une nouvelle injonction du maire.

4. Le 9 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'injonction du maire et enjoint à la commune de prendre auprès d'Enedis les mesures destinées au raccordement des logements sous astreinte.

5. Le 25 octobre 2018, le tribunal administratif a annulé l'injonction du maire.

6. Se plaignant du refus d'Enedis de procéder au rétablissement du branchement au réseau électrique de leurs parcelles, M. [H] et Mme [V] ont assigné en référé la société Enedis aux fins d'obtenir principalement la remise en état sous astreinte de ce raccordement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième et sixième branches, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches

Enoncé du moyen

8. La société Enedis fait grief à l'arrêt de lui ordonner de raccorder à ses frais au réseau d'électricité les parcelles appartenant à M. [H] et Mme [V] sous astreinte, alors :

« 1°/ qu'il n'existe aucune disposition particulière faisant obligation au gestionnaire du réseau public de distribution de l'électricité de raccorder tout logement à l'électricité ; qu'en retenant que la société Enedis était tenue de garantir à Mme [V] et M. [H] un logement bénéficiant d'un branchement électrique, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 121-1 du code de l'énergie ;

2°/ que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'en déduisant de l'acte notarié d'acquisition, qui prévoit que l'immeuble est à usage d'habitation, que la société Enedis était tenue de garantir à Mme [V] et à M. [H] un logement bénéficiant d'un branchement électrique, cependant que cette société n'était pas partie à cet acte, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que les constructions, qui n'ont pas été précédées d'un permis de construire, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone, quelle que soit la date à laquelle elles ont été édifiées ; que la cour d'appel relève que l'absence de permis de construire des logements litigieux est un fait constant qui ressort de l'acte de notoriété d'acquisition ; qu'en ordonnant néanmoins à la société Enedis le raccordement au réseau d'électricité des parcelles litigieuses au motif inopérant que cette dernière ne démontre pas que « le classement en zone naturelle de [ces] parcelles ou la législation dont elle se prévaut résultant notamment de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme pré-existent à la construction des logements en 1960 », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de l'irrégularité qu'elle a constatée, a violé les articles L. 111-12 et L. 421-1 du code de l'urbanisme ;

5°/ que la charge de la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite pèse sur celui qui s'en prévaut ; qu'en reprochant à la société Enedis de ne pas avoir démontré que « le classement en zone naturelle des parcelles litigieuses ou la législation dont elle se préva[lait] résultant notamment de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme pré-exist[aient] à la construction des logements en 1960 », la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1353 du code civil, ensemble l'article 835 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. En application de l'article L. 111-12 du code l'urbanisme, le refus de raccorder un immeuble, mesure de police de l'urbanisme destinée à assurer le respect des règles d'utilisation du sol, ne peut résulter que d'une décision de l'autorité administrative compétente (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-16.838, Bull. 2017, III, n° 74).

10. La cour d'appel a, par motif adopté, retenu que la société Enedis avait procédé, le 27 octobre 2016, à la suppression du raccordement au réseau électrique des parcelles appartenant à M. [H] et Mme [V] en exécution de l'injonction du maire de la commune par décision du 23 septembre 2016, laquelle avait été annulée par la juridiction administrative, de sorte que la suppression n'avait plus de fondement juridique.

11. Elle a pu déduire, de ces seuls motifs, que le refus de procéder au raccordement au réseau opposé par la société Enedis et la privation d'électricité qui en résultait constituaient un trouble manifestement illicite.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Brun - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; Me Balat -

Textes visés :

Article L. 111-12 du code de l'urbanisme.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-16.838, Bull. 2017, III, n° 74 (cassation).

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