Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

TRAVAIL REGLEMENTATION, CONTROLE DE L'APPLICATION DE LA LEGISLATION

Soc., 26 octobre 2022, n° 21-19.075, (B), FS

Rejet

Inspection du travail – Prérogatives et moyens d'intervention – Procédure de référé de l'inspecteur du travail – Législation relative au repos hebdomadaire – Domaine d'application – Salarié n'appartenant pas à l'établissement – Salariés d'une entreprise de prestation de services – Cas – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 8 juin 2021), rendu en référé, des contrôles ont été effectués par l'inspection du travail le dimanche 6 octobre 2019 dans trois supermarchés de la société Distribution Casino France (la société) situés à [10], [7] et [9], où il a été constaté, après 13 heures, la présence de salariés de la société ETIC, chargée d'aider les clients du supermarché lors du paiement aux caisses automatiques ainsi que des salariés d'une société de sécurité, la société Lynx.

2. Les inspecteurs du travail de l'unité régionale de lutte contre le travail illégal et des unités de contrôle n° 1, 3 et 5 de [Localité 8], ont saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire d'une demande à l'encontre de la société Distribution Casino France pour obtenir la fermeture des magasins le dimanche à 13 heures.

3. Les syndicats CFDT services Ariège Gascogne Midi Toulousain et Fédération de l'équipement environnement transport et services Force Ouvrière sont intervenus à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de dire recevable l'action en référé formée par les inspecteurs du travail, alors :

« 1° / que les dispositions relatives à la durée du travail aux repos et aux congés, sont « applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés », de sorte que seul l'emploi illicite par l'employeur de ses propres salariés, en méconnaissance des dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13, relatifs au repos dominical, rend recevable la demande en référé, formée par l'inspecteur du travail, à l'encontre de cet employeur ; que la cour d'appel a constaté qu'aucun salarié de la société Distribution Casino France n'était présent sur les lieux le dimanche après-midi ; qu'en affirmant cependant, pour déclarer recevable l'action des inspecteurs du travail, tendant à voir imposer la fermeture de l'établissement le dimanche après-midi, à raison de la présence sur les lieux d'agents de sécurité, salariés d'une société de surveillance et gardiennage sous-traitante, que l'article L 3132-31 du code du travail « vise tout salarié qui serait employé en infraction à la réglementation sur le travail le dimanche dans les commerces de vente au détail » et que « d'interprétation stricte, ce texte ne permet pas d'ajouter une condition qu'il ne prévoit pas telle que la restriction de son champ d'application aux seuls salariés du commerce de vente au détail donneur d'ordre à l'exclusion de tout salarié d'une entreprise tierce présente dans les lieux exerçant la même activité que celle des salariés du commerce de détail concerné », quand il ressortait, au contraire, de l'interprétation stricte du texte que l'action n'était recevable qu'à l'encontre d'un employeur faisant travailler ses salariés en méconnaissance des règles régissant le repos dominical, la cour d'appel a violé, par fausse application les articles L. 3111-1 et L. 3132-31 du code du travail, les articles 31 et 32 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'autonomie de la personne morale ;

2° / que la recevabilité de la saisine en référé du juge judiciaire, par l'inspecteur du travail, en application des dispositions de l'article L. 3132-31 du code du travail, est subordonnée à la double condition d'un emploi illicite des salariés et de ce que l'illicéité résulte de la méconnaissance par leur employeur des dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13, relatifs au repos dominical ; qu'il résulte de l'article R. 3132-5 du code du travail que les entreprises de surveillance et de gardiennage font partie des catégories d'établissement admis à donner le repos hebdomadaire par roulement à leurs salariés effectuant des services de surveillance, de gardiennage et de lutte contre l'incendie ; qu'en affirmant, pour dire recevable l'action exercée par les inspecteurs du travail, que « la société prestataire qui héberge des salariés sur son site le dimanche en infraction à la législation, (...), commet une violation de la règle du repos dominical protectrice des salariés qui autorise l'inspection du travail à saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L. 3132-31 du code du travail, qui, organisant un régime spécial de référé, suffit à la recevabilité de l'action », quand la recevabilité de l'action est subordonnée au constat préalable d'un emploi illicite de salariés en méconnaissance de la règle du repos dominical, la cour d'appel, qui n'a pas constaté préalablement un tel emploi, a violé les articles L. 3132-31 et R. 3132-5 du code du travail, ensemble les articles 31 et 32 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 3132-31 du code du travail, l'inspecteur du travail peut, nonobstant toutes poursuites pénales, saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail. Il en résulte que ce pouvoir peut s'exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche, peu important qu'il s'agisse de salariés de l'établissement concerné ou d'entreprises de prestations de services.

6. Ayant constaté que les inspecteurs du travail soutenaient que les magasins de la société étaient ouverts le dimanche après-midi grâce à la présence d'agents de sécurité, la cour d'appel, après avoir exactement énoncé que le caractère illicite de l'emploi salarié relevait de l'examen du bien-fondé de la demande et non de sa recevabilité, a décidé à bon droit, que l'action en référé, qui s'inscrivait dans le cadre de la dénonciation d'une violation des règles relatives au repos dominical, était recevable.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé du moyen

8. Par son deuxième moyen, la société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de fermer trois supermarchés le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte, de la condamner à payer aux syndicats une somme à titre de dommages-intérêts et d'interdire, sous astreinte, à la société Lynx sécurité d'employer des salariés le dimanche après 13 heures dans ces magasins, alors « que l'emploi illicite de salariés, en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail, s'apprécie exclusivement au regard de la fonction et des missions confiées par l'employeur à ces salariés ; qu'est inopérante, pour apprécier l'existence d'un tel emploi illicite, la circonstance que certains agents de surveillance aient excédé les termes de leur mission, dès lors que leur comportement ne résultait ni des ordres, ni de la demande de leur employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il ressortait tant de la convention conclue entre la société Distribution Casino France avec la société Lynx Sécurité que des fiches de poste des salariés en cause, que la fonction des agents était limitée à la seule surveillance et sécurité et ne pouvait « en aucun cas s'étendre à des fonctions normalement dévolues aux salariés de l'entreprise cliente » ; qu'en retenant cependant l'existence d'un « emploi illicite » des agents de sécurité, au motif inopérant que les inspecteurs du travail avaient constaté que certains d'entre eux avaient empiété sur les activités normalement dévolues aux salariés de la SA Distribution Casino France, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, a encore violé, par fausse application, l'article L. 3132-31 du code du travail, ensemble et par refus d'application, les articles L. 3132-12 et R. 3132-5 du même code. »

9. Par son troisième moyen, la société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de fermer trois supermarchés le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte, de la condamner à payer aux syndicats une somme à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1° / qu'il résulte de l'article L 3132-31 du code du travail que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du même code ; qu'il s'en déduit que seules des mesures prononcées à l'encontre de l'employeur, responsable de l'emploi illicite, peuvent être prononcées ; qu'en ordonnant la fermeture des supermarchés Casino [10], Casino [7] et Casino [9] le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte provisoire de 20 000 euros par ouverture constatée, quand elle avait constaté que les agents de sécurité présents sur les lieux étaient employés de la société Lynx Sécurité, la cour d'appel a violé l'article L. 3132-31 précité ;

2°/ que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du même code ; qu'en affirmant cependant, pour dire que la mesure de fermeture des trois magasins le dimanche à partir de 13 h était légitime et proportionnelle à l'objectif poursuivi, qu'« il est constant que la présence d'agents de sécurité dans un magasin de vente alimentaire en libre-service mais en mode de paiement automatique est source de confusion tant pour les clients que pour les agents de sécurité sur qui repose exclusivement le soin de dire au cas par cas ce qui relève ou pas de leur mission de surveillance alors qu'ils sont confrontés à de nombreux dysfonctionnements des caisses ou sollicitations des clients », quand aucun texte n'interdit l'ouverture d'un commerce alimentaire le dimanche après-midi recourant à des modalités de fonctionnement et de paiement automatisés ainsi qu'à la présence, obligatoire, d'agents de surveillance et de sécurité, la cour d'appel a violé, par fausse application l'article L 3132-31 du code du travail, ensemble le principe de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise ;

3°/ que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures nécessaires et proportionnées pour faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du même code ; que la circonstance qu'une infraction par l'employeur des salariés peut être réitérée n'est pas de nature à justifier la fermeture des commerces, appartenant à une société tierce, dans lesquels ces salariés travaillent ; que dans ses conclusions la société Distribution Casino France faisait valoir qu'une injonction sous astreinte à l'employeur des agents de sécurité, de faire respecter par ses salariés la législation et les termes de leur emploi, suffisait à écarter tout emploi illicite ; qu'en ordonnant la fermeture des magasins, aux motifs inopérants que les faits avaient été réitérés, que cette solution nécessiterait de mettre en place de nouveaux contrôles de l'inspection du travail et que si cette sanction permettrait de mettre un terme à une infraction éventuellement constatée, elle ne permettrait pas suffisamment d'en prévenir la réitération, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au principe de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article L. 3132-31 du code du travail, l'inspecteur du travail peut, nonobstant toutes poursuites pénales, saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail. Il en résulte que ce pouvoir peut s'exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche, peu important qu'il s'agisse de salariés de l'établissement ou d'entreprises de prestation de services.

11. Examinant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a relevé que les agents de sécurité de la société Lynx empiétaient sur les activités normalement dévolues aux salariés des magasins en orientant les clients vers la hotline en cas de dysfonctionnement, aidaient les clients en difficulté avec la caisse automatique, par exemple en utilisant la « scanette » ou lors des paiements, rappelaient que les achats ne pouvaient se faire que par carte bancaire et sans vente d'alcool, renseignaient les clients sur les rayons ouverts ou non, procédaient au retrait des produits interdits à la vente, procédaient à l'ouverture des barrières en sortie de caisse si le ticket du client était inopérant, avaient en charge la fermeture du magasin de [7], rangeaient les paniers, scanaient parfois les produits ou le ticket de parking à la place des clients, intervenaient directement auprès de l'assistance, procédaient au retrait d'un produit non acheté, renseignaient les clients dans le magasin ou appelaient un responsable en raison d'anomalies au niveau des caisses automatiques.

12. En l'état de ces constatations, dont il résultait que, du fait de la participation des agents de sécurité aux activités du magasin, les modalités de fonctionnement et de paiement n'étaient pas automatisées, la cour d'appel a décidé à bon droit que des salariés étaient employés en violation des règles sur le repos dominical.

13. Ayant constaté que, malgré des engagements de la société qui, à la suite des premiers contrôles, avait reconnu des manquements au respect des activités des agents de sécurité et affirmait y avoir remédié, de nouveaux manquements avaient été relevés par l'inspection du travail, la cour d'appel a, sans encourir le grief de la troisième branche du troisième moyen, estimé qu'une simple mesure d'injonction de respecter la législation était insuffisante pour assurer le respect du repos dominical et que la fermeture des magasins devait être ordonnée.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; Me Haas ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 3132-3, L. 3132-13 et L. 3132-31 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'application, aux agents de surveillance, des règles relatives au repos hebdomadaires, à rapprocher : Soc., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.142, Bull., (rejet).

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