Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

3e Civ., 26 octobre 2022, n° 21-19.053, (B), FS

Cassation

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à l'annulation d'un contrat entre une personne publique et une personne privée – Nature du contrat – Caractérisation

L'ordre juridictionnel compétent pour connaître d'une action en annulation d'un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée dépend de la nature, administrative ou de droit privé, de ce contrat, laquelle s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu.

A moins que la loi n'en dispose autrement, celui-ci ne sera regardé comme administratif que s'il fait participer la personne privée à l'exécution même du service public ou s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à l'annulation d'un contrat entre une personne publique et une personne privée – Nature du contrat – Appréciation – Date – Date de conclusion du contrat

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 mai 2021), le 15 décembre 1992, l'Association Beauséjour, aux droits de laquelle vient la fondation [I] [T] (la fondation) et le département du Val-d'Oise (le département) ont conclu, pour la réalisation d'un projet de développement d'écoles d'enseignement supérieur, un acte portant dévolution à titre gratuit au département d'un terrain situé sur le site dit « [Adresse 3] » à [Localité 1].

2. Le 15 janvier 1996, le département a consenti à la fondation une promesse unilatérale de vente portant sur les terrains et les bâtiments construits ou à construire sur le site, la levée de la promesse devant intervenir « au plus tôt dès la 11ème année à compter de la plus tardive des déclarations d'achèvement des travaux de constructions et au plus tard 34 ans à compter de la même date ».

3. Suivant délibération adoptée le 25 septembre 2015, le conseil départemental du Val-d'Oise a dénoncé la promesse.

4. La fondation a assigné le département aux fins, principalement, de voir déclarer nul l'acte de dévolution, à titre subsidiaire, de voir prononcer l'exécution forcée de la promesse unilatérale de vente et, à titre infiniment subsidiaire, d'obtenir le paiement de dommages et intérêts.

5. Le département a soulevé l'incompétence de la juridiction judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. La fondation fait grief à l'arrêt de confirmer la déclaration d'incompétence du tribunal judiciaire de Pontoise, alors « que le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur la validité d'un titre de propriété comme sur celle des actes portant transfert de propriété ; qu'en jugeant que le juge judiciaire n'est pas compétent pour connaître de conclusions tendant à l'annulation de l'acte authentique emportant dévolution de la propriété de biens immobiliers par une personne privée au profit d'un département au motif inopérant que ces biens, après être entrés dans le patrimoine du département, ont été incorporés à son domaine public, la cour d'appel a violé, par fausse application, la loi des 16-24 août 1790 et le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire et le décret du 16 fructidor an III :

7. En application de ces textes, l'ordre juridictionnel compétent pour connaître d'une action en annulation d'un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée dépend de la nature, administrative ou de droit privé, de ce contrat, laquelle s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu.

8. A moins que la loi n'en dispose autrement, celui-ci ne sera regardé comme administratif que s'il fait participer la personne privée à l'exécution même du service public ou s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

9. Pour dire la juridiction judiciaire incompétente, l'arrêt retient que la qualification de droit privé de l'acte de dévolution n'a pas en elle-même d'incidence sur la solution du litige et que, si la demande d'annulation de cet acte peut avoir pour conséquence de remettre les parties dans la situation initiale, en l'état actuel du droit, le département est propriétaire du site, l'acte litigieux de dévolution ayant eu un effet translatif de propriété.

10. L'arrêt ajoute que la question de l'appartenance du site au domaine public, dont dépend la solution de l'exception d'incompétence, ne présente pas de difficulté sérieuse, et que le juge administratif est compétent pour statuer sur l'ensemble des litiges relatifs à des biens appartenant au domaine public, de sorte que la demande de nullité de l'acte de dévolution ressort de la compétence du tribunal administratif.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'acte de dévolution dont l'annulation était demandée était un contrat de droit privé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire ; décret du 16 fructidor an III.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 16 octobre 2006, n° 06-03.506, Bull. 2006,T. conflits, n° 29 ; Tribunal des conflits, 4 juillet 2016, n° 16-04.055, Bull. 2016, T. conflits, n° 16.

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