Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 10 octobre 2022, n° 22-04.250, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Contentieux général de la sécurité sociale – Accident du travail – Agents publics – Cas – Etudiant en médecine

Le critère de la compétence des juridictions du contentieux de la sécurité sociale est, s'agissant des agents publics, lié, non à la qualité des personnes en cause, mais à la nature même du différend. Dès lors, les litiges relatifs à l'application à ces agents du régime de sécurité sociale, qu'il s'agisse du régime général ou d'un régime spécial, échappent à la juridiction administrative, celle-ci ne pouvant connaître que des litiges portant sur des prestations ou avantages inhérents à leur statut.

Il en résulte que le contentieux de l'indemnisation des accidents de travail imputable au service des étudiants en médecine, soumis au régime général de la sécurité sociale, relève de la compétence du juge judiciaire.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 17 juin 2022, la requête présentée pour Mme [E] [G], tendant à ce que le Tribunal, en application de l'article 37 du décret du 27 février 2015, détermine l'ordre de juridiction compétent pour statuer sur sa demande tendant à la prise en charge des soins consécutifs à la rechute d’un accident du travail, à la suite du conflit négatif résultant de ce que :

1) par un jugement du 19 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a déclaré la juridiction administrative incompétente pour connaître de sa demande ;

2) par un jugement du 25 avril 2022, le tribunal judiciaire d’Arras a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de sa demande ;

Vu les jugements précités ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le décret n° 70-931 du 8 octobre 1970 ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 août 2022, présenté par Mme [G], qui conclut à la compétence de la juridiction judiciaire au motif qu’elle dépendait du régime général de la sécurité sociale lorsqu’elle a été victime, en sa qualité d’étudiante hospitalière, d’un accident de service le 13 septembre 1986 et que le litige relatif à sa rechute du 28 septembre 2018 suit le même régime ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 septembre 2022, présenté par l’Assistance Publique-Hôpitaux de [Localité 2], qui conclut à la compétence de la juridiction judiciaire au motif qu’à la date de son accident, Mme [G] était salariée et assujettie aux dispositions du code de la sécurité sociale ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 1] et au ministre des solidarités et de la santé, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme [G], alors étudiante hospitalière au sein de l’Assistance Publique-Hôpitaux de [Localité 2] (AP-HP), a été victime, le 13 septembre 1986, d’un accident pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par le régime général de la sécurité sociale.

Le 15 octobre 2018, elle a été victime d’une rechute reconnue imputable à cet accident du travail par la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 1] suivant la décision notifiée le 17 décembre 2018.

Par courrier du 10 janvier 2019 réceptionné le 15 suivant, elle a demandé à l’AP-HP la prise en charge des soins consécutifs à cette rechute.

Par jugement du 19 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête en annulation de la décision implicite de rejet de sa demande au motif qu’elle ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative mais de celle de la juridiction judiciaire chargée du contentieux de la sécurité sociale. Saisi de la même demande, le tribunal judiciaire d’Arras, par jugement du 25 avril 2022, s’est déclaré incompétent.

2. Aux termes de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale, « Le contentieux de la sécurité sociale comprend les litiges relatifs : / 1° A l'application des législations et réglementations de sécurité sociale (...) ». L’article L. 142-8 énonce quant à lui : « Le juge judiciaire connaît des contestations relatives : / 1° Au contentieux de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1 (...) ».

3. Le critère de la compétence des juridictions du contentieux de la sécurité sociale est, s’agissant des agents publics, lié, non à la qualité des personnes en cause, mais à la nature même du différend. Dès lors, les litiges relatifs à l'application à ces agents du régime de sécurité sociale, qu'il s'agisse du régime général ou d'un régime spécial, échappent à la juridiction administrative, celle-ci ne pouvant connaître que des litiges portant sur des prestations ou avantages inhérents à leur statut.

4. Il résulte du décret n° 70-931 du 8 octobre 1970 relatif aux fonctions hospitalières des étudiants en médecine, en vigueur à la date de l’accident dont Mme [G] a été victime, que celle-ci n'était pas soumise à un régime administratif d'indemnisation lié à son statut mais se trouvait assujettie à la législation sur les accidents du travail.

5. Il s’ensuit que le litige relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant Mme [G] à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 1] et à l’Assistance Publique-Hôpitaux de [Localité 2].

Article 2 :

Le jugement du tribunal judiciaire d’Arras du 25 avril 2022 est déclaré nul et non avenu.

La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Taillandier-Thomas - Avocat général : M. Victor (rapporteur public) - Avocat(s) : SARL Rousseau et Tapie ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 142-1 et L. 142-8 du code de la sécurité sociale ; code de la santé publique ; décret n° 70-931 du 8 octobre 1970.

Tribunal des conflits, 10 octobre 2022, n° 22-04.249, (B)

Elections – Comité des activités sociales et culturelles interentreprises – Organisation des élections – Décisions administratives – Contestation – Compétence judiciaire

Le juge judiciaire qui est compétent pour connaître des recours contre les décisions administratives relatives à l'organisation des élections des membres du comité social et économique et du comité social et économique central et à la reconnaissance du caractère d'établissement distinct pour l'élection au comité social et économique au niveau de l'entreprise, de l'établissement ou de l'unité économique et sociale, prévues aux articles L. 2313-5, L. 2313-8, L. 2314-13, L. 2314-25 et L. 2316-8 du code du travail, l'est également, en vertu du bloc de compétence que le législateur a entendu instituer, pour statuer sur les décisions de l'inspecteur du travail, prises en application de l'article R. 2312-46 du code du travail, comme sur les décisions du ministre du travail en cas de recours hiérarchique formé devant lui, relatives à l'organisation de la représentation des salariés au sein du comité des activités sociales et culturelles interentreprises, qui est assimilé par la loi au comité social et économique.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 20 mai 2022, l’expédition du jugement du 18 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Besançon, saisi par la société CE Energy products France et d’autres sociétés d’une demande tendant à l’annulation de la décision du 29 avril 2021 par laquelle l’inspecteur du travail de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de Bourgogne Franche-Comté a déterminé les modalités de l’élection des délégués du comité des activités sociales et culturelles interentreprises (CASCI) « CIE 3 Chênes » ainsi que la décision par laquelle la ministre chargée du travail a implicitement rejeté son recours gracieux, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu, enregistré à son secrétariat le 29 juin 2022, le mémoire produit par la société Alstom Transport SA tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par le motif qu’aucune disposition législative ne prévoit la compétence du juge judiciaire pour connaître des décisions prévues à l’article R. 2312-46 du code du travail ;

Vu, enregistré à son secrétariat le 29 juin 2022, le mémoire présenté par la SCP Célice, Texidor, Périer pour les sociétés SNC GE Energy Products France, GE Steam Power Systems, GE Steam Power Service France, GE IS&T et GE Hydro France tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par le motif qu’aucune disposition législative ne prévoit la compétence du juge judiciaire pour connaître des décisions prévues à l’article R. 2312-46 du code du travail ;

Vu, enregistré le 30 juin 2022, le mémoire produit par le CASCI « CIE 3 Chênes » tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par le motif de l’existence d’un bloc de compétences relevant du juge judiciaire, symétrique à celui prévu pour les comités sociaux et économiques ;

Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la société Logistique globale européenne, à la DREETS de Bourgogne Franche-Comté et au ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

Vu la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Vu l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ;

Considérant ce qui suit :

1. Les comités d’entreprise des sociétés GE Electric energy products France, GE Steam power systems, GE Steam power service France, GE Hydro France, GE IST&T, Alstom transport SA, SAS Logistique globale européenne étaient adhérents du comité interentreprises « CIE 3 Chênes ».

Par une résolution du 26 octobre 2018, le « CIE 3 Chênes » a décidé de prendre la forme d’un comité des activités sociales et culturelles interentreprises (CASCI), ce qu’ont contesté les sociétés requérantes.

Le CASCI a saisi l’inspecteur du travail d’une demande de répartition des sièges à son assemblée plénière.

Par décision du 29 avril 2021, l’inspecteur du travail a réparti les sièges du CASCI en fonction de l’effectif des entreprises et a décidé que l’élection des délégués se fera au scrutin uninominal majoritaire à un tour.

Le recours formé devant la ministre du travail a été implicitement rejeté.

Les sociétés requérantes ont saisi le tribunal administratif de Besançon d’un recours en annulation contre la décision de l’inspecteur du travail.

Par jugement du 18 mai 2022, le tribunal administratif de Besançon, estimant que ce litige posait une difficulté sérieuse, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

2. D’une part, aux termes de l’article L. 2312-78 du code du travail : « Le comité social et économique assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires, quel qu'en soit le mode de financement, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. / Ce décret détermine notamment les conditions dans lesquelles les pouvoirs du comité peuvent être délégués à des organismes créés par lui et soumis à son contrôle, ainsi que les règles d'octroi et d'étendue de la personnalité civile des comités sociaux et économiques et des organismes créés par eux. Il fixe les conditions de financement des activités sociales et culturelles. » Selon l’article R. 2312-43 du même code, institué par le décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017 relatif au comité social et économique, les comités sociaux et économiques d’entreprises possédant ou envisageant de créer certaines institutions sociales communes constituent un comité des activités sociales et culturelles interentreprises (CASCI).

Selon l’article R. 2312-44 du même code, les représentants des salariés du CASCI sont désignés parmi les représentants des salariés de chaque comité social et économique. Ils sont choisis autant que possible de façon à assurer la représentation des diverses catégories de salariés, à raison de deux délégués par comité et sans que leur nombre puisse dépasser douze, sauf accord collectif contraire avec les organisations syndicales ou, à défaut d'accord, sauf dérogation accordée expressément par l'inspecteur du travail.

Selon l’article R. 2312-45 du même code, lorsque le nombre des entreprises ne permet pas d'assurer aux salariés de chacune d'elles une représentation distincte, un seul délégué peut représenter les salariés de l'une ou de plusieurs d'entre elles et l'attribution des sièges est faite par les comités sociaux et économiques et les organisations syndicales intéressées. Enfin, aux termes de l’article R. 2312-46 : « Dans les cas prévus aux articles R. 2312-44 et R. 2312-45, si l'accord est impossible, l'inspecteur du travail décide de la répartition des sièges entre les représentants des salariés des entreprises intéressées.

Le silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre saisi d'un recours hiérarchique sur une décision prise par l'inspecteur du travail vaut décision de rejet. »

3. Il résulte de ces dispositions que l’inspecteur du travail est compétent, en l’absence d’accord collectif ou d’accord entre les comités sociaux et économiques membres du CASCI, pour déterminer le nombre de sièges de représentants des salariés au CASCI et leur répartition entre les représentants des salariés des entreprises intéressées et que sa décision peut faire l’objet d’un recours hiérarchique devant le ministre du travail.

4. D’autre part, l’article 267 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a prévu que relèvent du juge judiciaire les recours contre les décisions de l’autorité administrative visées aux articles L. 2314-11, L. 2314-20, L. 2314-31, L. 2324-13, L. 2324-18 et L. 2327-7 du code du travail, alors en vigueur, se rapportant à l’organisation des élections des délégués du personnel et du comité d’entreprise ainsi que du comité central d’entreprise et à la reconnaissance du caractère d’établissement distinct pour l’élection des délégués du personnel. L’article 18 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a étendu cette compétence du juge judiciaire à la décision de l’autorité administrative relative à la reconnaissance du caractère d’établissement distinct pour l’élection du comité d’entreprise prévue à l’article L. 2322-5 du code du travail, alors en vigueur. L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales a modifié l’organisation des institutions représentatives du personnel et transposé aux nouvelles instances l’attribution de compétence conférée au juge judiciaire par l’article 267 de la loi du 6 août 2015 et l’article 18 de la loi du 8 août 2016. Depuis l’entrée en vigueur de cette ordonnance, le juge judiciaire est ainsi compétent pour connaître des recours contre les décisions administratives relatives à l’organisation des élections des membres du comité social et économique et du comité social et économique central et à la reconnaissance du caractère d’établissement distinct pour l’élection au comité social et économique au niveau de l’entreprise, de l’établissement ou de l’unité économique et sociale, prévues aux articles L. 2313-5, L. 2313-8, L. 2314-13, L. 2314-25 et L. 2316-8 du code du travail.

5. Par ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires préparatoires à leur adoption, le législateur a entendu que l’ensemble des décisions de l'autorité administrative se rapportant à l’organisation des élections des comités sociaux et économiques relève du juge judiciaire. Il doit en aller de même des décisions de l’inspecteur du travail, prises en application de l’article R. 2312-46 du code du travail, comme des décisions du ministre du travail en cas de recours hiérarchique formé devant lui, relatives à l’organisation de la représentation des salariés au sein du comité des activités sociales et culturelles interentreprises, qui est assimilé par la loi au comité social et économique.

6. Il résulte de ce qui précède qu’il appartient à la juridiction judiciaire de connaître de la demande tendant à l’annulation de la décision du 29 avril 2021 par laquelle l’inspecteur du travail a déterminé les modalités de l’élection des délégués du CASCI « CIE 3 Chênes ».

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître de la demande des sociétés GE Electric energy products France, GE Steam power systems, GE Steam power service France, GE Hydro France, GE IST&T, Alstom transport SA, SAS Logistique globale européenne, tendant à l’annulation de la décision du 29 avril 2021 par laquelle l’inspecteur du travail de la DREETS de Bourgogne Franche-Comté a déterminé les modalités de l’élection des délégués du comité des activités sociales et culturelles interentreprises (CASCI) « CIE 3 Chênes ».

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : M. Victor - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; loi du 24 mai 1872 ; loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ; loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; décret du 16 fructidor an III ; décret du 26 octobre 1849 modifié ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code du travail ; ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.