Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE

1re Civ., 5 octobre 2022, n° 21-16.307, (B), FS

Rejet

Droit des producteurs de bases de données – Producteur de base de données – Qualité – Conditions – Investissement substantiel pour la constitution, la vérification ou la présentation du contenu de la base – Définition – Nouveaux investissements financiers, matériels et humains substantiels par leur nature et leur montant – Protection d'une base de données – Bénéficiaire de la protection – Acheteur d'une base de données

Est fondée à invoquer la protection d'une base de données de petites annonces en ligne qu'elle a acquise la société qui procède, pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données, à de nouveaux investissements financiers, matériels et humains substantiels au sens des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, du fait de leur nature et de leur montant.

Droit des producteurs de bases de données – Producteur de base de données – Qualité – Conditions – Investissement substantiel pour l'obtention, la vérification ou la présentation du contenu de la base – Investissements retenus – Applications diverses

C'est à bon droit qu'une cour d'appel a retenu, pour l'attribution de la protection sui generis à une base de données de petites annonces en ligne : - au titre d'un investissement lié à l'obtention du contenu de la base de données, les investissements de communication comme ayant pour but de rechercher et de collecter un grand nombre d'annonces auprès d'internautes, ainsi que les dépenses de stockage comme étant nécessaires au regard des flux d'annonces entrants, du volume des informations à enregistrer et des exigences de temps de consultation imposant des infrastructures informatiques de stockage sophistiquées et coûteuses, du stockage des annonces selon une organisation rigoureuse constituée de seize tables de stockage, et de l'enregistrement et du stockage de toutes les modifications dont la traçabilité de 100 % est assurée, les données étant indexées de façon à ce que les résultats de recherche puissent s'afficher dans des temps très courts ; - au titre d'un investissement lié à la vérification du contenu de la base de données, les dépenses afférentes à un logiciel de filtrage après le dépôt des annonces par les annonceurs et celles afférentes à l'équipe chargée de la modération ; - au titre d'un investissement lié à la présentation du contenu de la base de données, les dépenses liées à la classification des annonces selon une arborescence détaillée qui rassemble et organise près de vingt-huit millions d'annonces avec une moyenne de huit cent mille nouvelles annonces quotidiennes, la base étant mise à jour et en conformité par une équipe dédiée.

Droit des producteurs de bases de données – Producteur de base de données – Protection d'une base de données – Atteinte – Cas – Extraction et réutilisation – Critères essentiels du contenu de la sous-base de données

Procède à l'extraction et la réutilisation d'une partie qualitativement substantielle du contenu d'une sous-base de données de petites annonces immobilières la société qui reprend, sur son site internet, toutes les informations relatives au bien immobilier, s'agissant de la localisation, la surface, le prix, la description et la photographie du bien, qui sont les critères essentiels des annonces de la sous-base de données.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 2021), la société LBC France exploite le site français de petites annonces en ligne « www.leboncoin.fr », à la suite d'un traité d'apport partiel d'actifs conclu le 28 juin 2011 avec la société SCM France, devenue Schibsted France, laquelle a créé ce site en 2006 et l'a exploité jusqu'en 2011.

2. La société Entreparticuliers.com exploite le site internet « www.entreparticuliers.com » qu'elle a créé au cours de l'année 2000 et qui propose aux particuliers un service payant d'hébergement d'annonces essentiellement immobilières. Pour les besoins de son activité, elle est abonnée à un « service de pige immobilière » commercialisé par la société Directannonces qui collecte et transmet quotidiennement à ses abonnés, professionnels de l'immobilier, toutes les nouvelles annonces immobilières publiées par les particuliers sur différents supports, notamment internet.

3. Estimant que ce procédé constitue la mise en place par la société Entreparticuliers.com, aidée de son cocontractant, d'un système d'extraction total, répété et systématique de la base de données immobilière du site « leboncoin.fr », et exposant que, depuis le mois de juin 2011, de nombreux utilisateurs de son site se plaignent de la reprise de leurs annonces sur le site « entreparticuliers.com » sans leur autorisation, la société LBC France a fait procéder, les 5, 6 et 7 octobre 2016, à un constat d'huissier de justice portant sur deux cent quarante-six annonces du site « entreparticuliers.com. », puis a assigné, le 25 avril 2017, la société Entreparticuliers.com afin d'obtenir des mesures indemnitaires et d'interdiction, au visa des articles L. 112-3, L. 341-1 et L. 342-2 du code de la propriété intellectuelle et, subsidiairement, sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La société Entreparticuliers.com fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'irrecevabilité des demandes de la société LBC France formées sur le fondement de la sous-base « immobilier », de dire que le site leboncoin.fr constitue une base de données dont la société LBC France est le producteur, de dire que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, de dire qu'elle a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site leboncoin.fr, d'ordonner, sous astreinte, la cessation de ces agissements, de la condamner à verser à la société LBC France la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'image, d'ordonner une mesure de publication et de rejeter ses autres demandes, alors :

« 1°/ que, si les prétentions présentées pour la première fois en cause d'appel ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les prétentions portant sur des droits de propriété intellectuelle distincts, qui n'ont pas le même objet, ne peuvent tendre aux mêmes fins ; que la demande présentée par la société LBC France aux premiers juges tendait à se voir reconnaître un droit sui generis sur la base de données envisagée dans son entier et à en faire sanctionner la violation, tandis que la demande présentée devant la cour d'appel tendait à se voir reconnaître un droit sui generis sur la sous-base de données « immobilier » et à en faire sanctionner la violation ; qu'en affirmant néanmoins, pour rejeter l'exception d'irrecevabilité, que les demandes relatives à la sous-base tendaient aux mêmes fins que celles formulées devant le premier juge, à savoir démontrer le caractère substantiel de l'extraction opérée par la société Entreparticuliers.com, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en toute hypothèse, les parties doivent, en cause d'appel, présenter, dès leurs premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; qu'il n'est fait exception que pour les demandes reconventionnelles et les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; que les demandes de la société LBC France relatives à la sous-base « immobilier » ne figuraient pas dans ses premières conclusions d'appel ; qu'en retenant, pour rejeter néanmoins l'exception d'irrecevabilité, qu'elles tendaient aux mêmes fins que les demandes formulées devant le premier juge, portant sur l'ensemble de la base de données, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article 910-4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Dès lors que les demandes initiales portaient sur l'ensemble de la base de données et incluaient ainsi la sous-base de données « immobilier », c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les demandes limitées à cette sous-base n'étaient pas nouvelles et étaient donc recevables en appel.

6. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Entreparticuliers.com fait grief à l'arrêt de dire que le site leboncoin.fr constitue une base de données dont la société LBC France est le producteur, de dire que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, de dire qu'elle a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site leboncoin.fr, d'ordonner, sous astreinte, la cessation de ces agissements, de la condamner à verser à la société LBC France la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'image, d'ordonner une mesure de publication et de rejeter ses autres demandes, alors :

« 1°/ que l'article 8-1 du traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 stipulait que « SCM France est régulièrement propriétaire ou bénéficiaire du droit d'usage des droits de propriété intellectuelle se rapportant à la branche d'activité et s'engage à consentir à LBC France une licence d'exploitation des droits de propriété intellectuelle incluant en particulier la marque « leboncoin.fr », « vendez achetez près de chez vous » et les noms de domaine « leboncoin.fr », « leboncoin.com » moyennant une contrepartie financière faisant l'objet d'un contrat distinct » ; qu'il s'en déduisait que la société SCM France s'était réservé l'ensemble des droits de propriété intellectuelle afférents à la branche d'activité apportée ; qu'en affirmant, au contraire, que cette clause ne pouvait s'analyser comme réservant à la société SCM France le bénéfice des droits sui generis du producteur de base de données, la cour d'appel en a dénaturé les stipulations claires et précises, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;

2°/ que, dans le cas où une base de données protégée fait l'objet d'un nouvel investissement substantiel, sa protection expire quinze ans après le 1er janvier de l'année civile suivant celle de ce nouvel investissement ; que la personne qui, sans être le producteur initial d'une base de données, consent des investissements pour l'entretenir et la renouveler, n'est pas admise à invoquer la prorogation d'une protection dont elle n'est pas investie, n'ayant pas pris l'initiative et le risque de la création ; qu'en se fondant sur l'article L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle pour affirmer le droit sui generis de la société LBC sur une base de données qu'elle n'a pas créée, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;

3°/ que la personne qui réalise des investissements sur une base de données dont il n'est pas le producteur initial ne peut invoquer la protection du droit sui generis qu'en démontrant qu'il en est résulté une nouvelle base de données éligible à la protection du droit sui generis sur les bases de données ; qu'en reconnaissant à la société LBC France la qualité de producteur de la base de données litigieuse, sans rechercher si les investissements qu'elle avait consentis depuis le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 avaient abouti à la constitution d'une nouvelle base de données éligible, en elle-même, à la protection légale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

4°/ qu'en toute hypothèse, la personne qui réalise des investissements sur une base de données existante ne peut invoquer une durée de protection propre qu'en démontrant que ces investissements sont substantiels et qu'il en est résulté une modification substantielle de la base de données initiale ; qu'en reconnaissant à la société LBC France la qualité de producteur de la base de données litigieuse, sans rechercher si les investissements qu'elle avait consentis depuis le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 avaient conduit à une modification substantielle de la base de données initiale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir retenu que la société LBC France avait acquis, par le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011, la propriété des éléments d'actifs constituant la branche d'activité d'exploitation du site internet « leboncoin.fr » et qu'elle avait procédé pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données à de nouveaux investissements financiers, matériels et humains substantiels au sens des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, du fait de leur nature et de leur montant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée par la troisième branche et qui a procédé à celle invoquée par la quatrième, en a exactement déduit que la société LBC France était fondée à invoquer la protection de cette base de données.

9. Le moyen, irrecevable en sa première branche en l'absence de production du contrat d'apport partiel d'actifs consenti par la société SCM France à la société LBC France, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. La société Entreparticuliers.com fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la base de données, des dépenses de communication consenties par la société LBC France pour inciter les consommateurs à créer leurs annonces, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

2°/ que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la base de données, des dépenses de stockage consenties par la société LBC France, la cour d'appel a de nouveau violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

3°/ que la notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d'assurer la fiabilité de l'information contenue dans ladite base, au contrôle de l'exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci ; que les moyens consacrés à des opérations de vérification au cours de la phase de création de données ou d'autres éléments par la suite rassemblés dans une base constituent, en revanche, des moyens relatifs à cette création et ne peuvent dès lors être pris en compte aux fins d'apprécier l'existence d'un investissement substantiel ; qu'en retenant, au titre des dépenses engagées par la société LBC France pour la vérification des données, les coûts salariaux afférents à l'équipe « serenity », bien que la vérification opérée par le logiciel « serenity » intervienne au stade de la création des données, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

4°/ que la notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés au contrôle de l'exactitude des données ; qu'acceptant de prendre en considération les coûts salariaux des équipes « serenity » et « fraude et modération » sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le contrôle qu'elles opéraient sur les annonces des internautes n'était pas limité à la détection des fraudes et illégalités, à l'exclusion de l'exactitude des informations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

5°/ que la notion d'investissement dans la présentation du contenu de la base de données comprend les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l'information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu'à l'organisation de leur accessibilité individuelle, en dehors de la création des données ; qu'en acceptant de prendre en considération les dépenses liées à la classification des annonces des internautes et à l'organisation du site internet www.leboncoin.fr en arborescence, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si une telle présentation n'était pas étroitement liée à la création même des annonces des internautes, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »

Réponse de la Cour

11. Par quatre arrêts du 9 novembre 2004 (C-203/02, C-46/02, C-338/02, C-444/02), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu de la base de données doit s'entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, à l'exclusion des moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs d'une base de données, le titulaire d'une base de données devant dès lors justifier d'un investissement autonome par rapport à celui que requiert la création des données contenues dans la base dont il demande la protection.

12. C'est à bon droit et après avoir procédé aux recherches prétendument omises que la cour d'appel a retenu pour l'attribution de la protection sui generis :

 - au titre d'un investissement lié à l'obtention du contenu de la base de données, les investissements de communication comme ayant pour but de rechercher et de collecter un grand nombre d'annonces auprès d'internautes, ainsi que les dépenses de stockage comme étant nécessaires au regard des flux d'annonces entrants, du volume des informations à enregistrer et des exigences de temps de consultation imposant des infrastructures informatiques de stockage sophistiquées et coûteuses, du stockage des annonces selon une organisation rigoureuse constituée de seize tables de stockage, et de l'enregistrement et du stockage de toutes les modifications dont la traçabilité de 100 % est assurée, les données étant indexées de façon à ce que les résultats de recherche puissent s'afficher dans des temps très courts ;

 - au titre d'un investissement lié à la vérification du contenu de la base de données, les dépenses afférentes au logiciel serenity, les opérations de vérification des annonces du site leboncoin.fr étant effectuées, d'une part, une fois que l'annonce est déposée par l'annonceur, par l'intermédiaire de ce logiciel de filtrage, d'autre part, a posteriori, par une équipe chargée de la modération ;

 - au titre d'un investissement lié à la présentation du contenu de la base de données, les dépenses liées à la classification des annonces, laquelle est opérée selon dix catégories qui sont ensuite divisées en sous-catégories, puis en critères de recherche spécifiques pour chaque sous-catégorie, selon une arborescence détaillée qui rassemble et organise près de vingt-huit millions d'annonces avec une moyenne de huit cent mille nouvelles annonces quotidiennes, la base étant mise à jour et en conformité par l'équipe « produits ».

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

14. La société Entreparticuliers.com fait encore le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la sous-base de données « immobilier », des dépenses de communication consenties par la société LBC France pour inciter les consommateurs à créer leurs annonces immobilières, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumières des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

2°/ que l'objectif du droit sui generis est de garantir une protection contre l'appropriation des résultats obtenus de l'investissement financier et professionnel consenti par la personne qui a recherché et rassemblé le contenu d'une base de données ; qu'il s'en déduit que l'acquisition d'une base de données existante ne peut s'analyser en un investissement de constitution ; qu'en tenant compte, au titre des dépenses de constitution de la sous-base de données « immobilier », de l'acquisition par la société LBC France du site de la société A vendre à louer exploitant un site d'annonce immobilières, la cour d'appel a de nouveau violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

3°/ qu'une sous-base de données n'est éligible à la protection du droit sui generis qu'autant qu'elle résulte, en elle-même d'investissements financiers, matériels et humains substantiels au sens de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle ; qu'en se bornant à affirmer que les annonces immobilières constituent 10 % des annonces de la base de données de la société LBC France, de sorte qu'une partie peut être évaluée à 10 % des investissements substantiels engagés par la société LBC France pour la constitution, la vérification et la présentation du contenu de sa base de données se rapportent au contenu de la sous-base de données « immobilier », sans démontrer que la sous-base de données « immobilier » avait donné lieu à des investissements substantiels propres et autonomes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 à 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »

Réponse de la Cour

15. Ayant examiné les investissements réalisés au titre de la sous-base de données « immobilier » et retenu que la société LBC France justifiait avoir investi, de 2014 à 2016, une somme de plus de 4,9 millions d'euros dans les campagnes de publicité ciblées en matière immobilière, ce qui avait permis de collecter un grand nombre d'annonces immobilières créées par des internautes, avoir acquis pour un montant de 19,8 millions d'euros une société exploitant un site d'annonces immobilières en ligne, ce qui avait permis d'enrichir sa sous-base de données « immobilier », et qu'une part pouvant être évaluée à 10 % des investissements substantiels engagés pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données se rapportait au contenu de la sous-base de données « immobilier », la cour d'appel en a déduit à bon droit que celle-ci devait bénéficier de la protection au titre de la sous-base.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

17. La société Entreparticuliers.com fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site leboncoin.fr, d'ordonner, sous astreinte, la cessation de ces agissements, de la condamner à verser à la société LBC France la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'image, d'ordonner une mesure de publication et de rejeter ses autres demandes, alors :

« 1°/ qu'à défaut de transfert permanent ou temporaire de données, le renvoi à une base de données par la mention d'un lien hypertexte n'excède pas la simple prestation technique d'indexation de contenus et ne saurait constituer un acte d'extraction ; qu'en décidant, au contraire, que les onglets renvoyant vers le site leboncoin.fr pour les coordonnées de l'annonceur constituaient une indexation procédant d'une extraction prohibée, la cour d'appel a violé l'article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

2°/ que constitue une partie qualitativement substantielle d'une base de données les éléments extraits ou réutilisés qui, en eux-mêmes représentent, en termes d'obtention, de vérification ou de présentation, un important investissement humain, technique ou financier ; qu'en se bornant à relever, pour affirmer l'existence d'une réutilisation d'une partie qualitativement substantielle de la sous-base de données « immobilier », que cette dernière avait nécessité des investissements substantiels, sans rechercher les éléments réutilisés représentaient en eux-mêmes un investissement important, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »

Réponse de la Cour

18. La cour d'appel a retenu que les annonces immobilières du site « entreparticuliers.com » reprenaient toutes les informations relatives au bien immobilier, s'agissant de la localisation, la surface, le prix, la description et la photographie du bien, qui sont les critères essentiels des annonces du site leboncoin.fr, et qu'en exécution du contrat de pige immobilière conclu avec la société Directannonces, la société Entreparticuliers.com s'était vu transférer toutes les annonces immobilières de vente du site leboncoin.fr.

19. Sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, elle en a justement déduit que la société Entreparticuliers.com avait procédé à l'extraction et la réutilisation d'une partie qualitativement substantielle du contenu de la sous-base de données « immobilier » de la société LBC France.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle.

1re Civ., 5 octobre 2022, n° 21-15.386, (B), FS

Cassation partielle

Droits d'auteur – Contrefaçon – Action en contrefaçon – Recevabilité – Conditions – Détermination – Portée

Dans le cas d'une atteinte portée à ses droits d'auteur, le titulaire, ne bénéficiant pas des garanties prévues aux articles 7 et 13 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 s'il agit sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, est recevable à agir en contrefaçon.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2021), la société Entr'Ouvert a conçu un logiciel dénommé « Lasso » et permettant la mise en place d'un système d'authentification unique, qu'elle diffuse sous licence libre ou sous licence commerciale en contrepartie du paiement de redevances à son profit.

2. A la suite d'un appel d'offres de l'Etat pour la réalisation du portail dénommé « Mon service public », la société Orange a fourni une solution informatique de gestion d'identités et des moyens d'interface à destination des fournisseurs de service (IDMP), au moyen d'une plate-forme logicielle dénommée « Identité Management Platform » et intégrant le logiciel Lasso.

3. Le 29 avril 2011, estimant que cette mise à disposition de son logiciel n'était pas conforme aux clauses de la licence libre et qu'elle constituait un acte de concurrence déloyale, la société Entr'Ouvert, après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon au siège de la société Orange, a assigné celle-ci en contrefaçon de droits d'auteur et parasitisme.

4. La société Orange Application for Business, aux droits de laquelle se trouve la société Orange Business Services, est intervenue volontairement à l'instance.

5. Une expertise judiciaire de la plate-forme IDMP fournie par la société Orange a été ordonnée.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. La société Orange fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Entr'Ouvert la somme de 150 000 euros pour parasitisme, alors :

« 1°/ que, dans ses conclusions d'appel, la société Entr'Ouvert faisait valoir, dans un premier temps, que les sociétés Orange avaient violé les articles 4 et 10 de la licence GNU GPL V2 dès lors qu'elles avaient incorporé une partie du programme dans d'autres programmes et sans écrire à l'auteur pour lui en demander l'autorisation, tout en précisant que selon le rapport d'expertise du 23 octobre 2017 le logiciel Lasso avait été encapsulé dans IDMP ; que la société Entr'Ouvert faisait encore valoir, dans un deuxième temps au titre des prétendus agissements parasitaires imputés aux sociétés Orange, se fondant en cela une nouvelle fois sur le rapport d'expertise du 23 octobre 2017, que ces dernières avaient modifié Lasso en quantité afin de le rendre compatible avec les demandes de la DGME et de construire le périmètre la distribution IDMP/MSP ; qu'en jugeant que les reproches articulés par la société Entr'Ouvert au titre des actes de parasitisme n'étaient pas tirés de violation des clauses du contrat et qu'ils ne se heurtaient dès lors pas à la règle du non-cumul des responsabilités, la cour d'appel a dénaturé les conclusions susvisées et ainsi méconnu le principe interdisant au juge de dénaturer les éléments qui lui sont soumis ;

2°/ qu'au surplus le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements, indépendamment de tout risque de confusion ; qu'en se bornant, pour allouer à la société Entr'Ouvert la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour parasitisme, à relever que la société Orange avait, sans bourse délier, utilisé le savoir-faire, le travail et les investissements de la société Entr'Ouvert en modifiant et incorporant le logiciel Lasso dans la solution qu'elle avait proposée en réponse à l'appel d'offre de l'Etat, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le fait que la volonté de l'éditeur d'un logiciel libre, comme Lasso, était précisément de permettre à tout utilisateur d'exploiter et de modifier librement les logiciels qu'il édite n'était pas de nature à exclure les actes de parasitisme imputés à la société Orange, tirés de ce qu'elle aurait utilisé le logiciel en le modifiant et en l'incorporant dans la solution IDMP, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ;

3°/ qu'en tout état de cause le parasitisme économique se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ; qu'en se bornant, pour allouer à la société Entr'Ouvert la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour parasitisme, à relever que la société Orange avait, sans bourse délier, utilisé le savoir-faire, le travail et les investissements de la société Entr'Ouvert en modifiant et incorporant le logiciel Lasso dans la solution qu'elle avait proposée en réponse à l'appel d'offre de l'Etat, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le fait que la société Orange ait réglé les prestations de service exécutées par la société Entr'Ouvert dans le cadre de contrats qu'elles avaient conclus entre elles ayant précisément pour objet la formation et le support au titre du logiciel Lasso n'excluait pas, de la part de la société Orange, un détournement indu et sans dépense du savoir-faire qui lui avait été régulièrement transmis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ;

4°/ qu'en tout état de cause, les juges qui doivent motiver leur décision doivent analyser même sommairement au besoin pour les écarter les pièces qui leur sont soumises ; qu'en omettant d'analyser les pièces 7-1 à 7-5 produites en appel par la société Entr'Ouvert dont il résultait pourtant que les parties avaient conclu entre elles un contrat de prestations de services à titre onéreux, impliquant que la société Entr'Ouvert forme une partie de l'équipe de la société Orange (anciennement France Telecom) à l'utilisation du logiciel Lasso, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'il appartient à la partie qui prétend être parasitée de justifier de la notoriété du savoir-faire invoqué, des investissements réalisés pour conférer à celui-ci une valeur économique et de ses efforts tant commerciaux que financiers ; qu'en se fondant, pour la condamner pour parasitisme, sur la circonstance que la société Orange avait, sans bourse délier, utilisé le savoir-faire, le travail et les investissements de la société Entr'Ouvert, après avoir pourtant constaté que cette dernière ne produisait aucune pièces comptable ou financière pour quantifier les moyens qu'elle avait consentis au développement de la bibliothèque Lasso, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait l'absence de justification des investissements réalisés et, partant, l'absence de faits de parasitisme, violant ainsi l'article 1240 du code civil ;

6°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour qui, après avoir constaté que la société Entr'Ouvert ne produisait aucune pièce comptable ou financière pour chiffrer son préjudice économique, a néanmoins alloué, au vu des éléments dont elle dispose, la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'entier préjudice, aussi bien économique que moral, de cette dernière, s'est contredite, privant ainsi sa décision de tout motif en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. D'abord, après avoir constaté que le parasitisme invoqué était distinct des violations alléguées des clauses du contrat de licence, la cour d'appel, se fondant sur le rapport d'expertise, a relevé que, dès 2004, les parties avaient entretenu des relations d'affaires, à l'occasion desquelles la société Orange avait très vite montré son intérêt pour le logiciel Lasso en sollicitant divers renseignements, formations et prestations sur ce logiciel, que, pour répondre à l'appel d'offres, celle-ci l'avait identifié comme « permettant d'apporter la brique technique et fonctionnelle à la version IDMP », que la solution IDMP présentée alors était totalement dépendante de la présence du logiciel, qu'il était impossible, sauf au prix d'une refonte conséquente des codes sources d'IDMP, d'intégrer un autre composant logiciel qui rendrait le même service que Lasso, que la solution proposée par la société Orange avait permis de rendre IDMP conforme au protocole informatique de sécurité, que le logiciel Lasso, tel que modifié et incorporé dans la solution proposée par la société Orange, avait procuré à celle-ci l'avantage de pouvoir répondre à l'appel d'offres de l'Etat en respectant les pré-requis demandés et que celle-ci avait, sans bourse délier, utilisé le savoir-faire, le travail et les investissements de la société Entr'Ouvert.

8. Elle a pu en déduire, en l'absence de dénaturation des conclusions et sans être tenue ni de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la société Orange avait commis des actes de parasitisme.

9. Ensuite, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et sans se contredire, qu'elle a retenu que, si la société Entr'Ouvert, sollicitant la somme de 500 000 euros, ne produisait aucune pièce comptable ou financière pour quantifier les moyens qu'elle avait consentis au développement du logiciel Lasso, le parasitisme opéré par la société Orange, pour remporter un marché conséquent avec l'Etat sans aucune reconnaissance ni financière, ni morale du travail et des investissements de la société Entr'Ouvert, lui avait causé un préjudice économique et moral qu'elle a évalué à 150 000 euros.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal, ci-après annexé

11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

12. La société Entr'Ouvert fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable à agir sur le fondement de la contrefaçon, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (CJUE, 18 décembre 2009, IT Development c. Free Mobile, aff. C-666/18) que la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, doivent être interprétées en ce sens que la violation d'une clause d'un contrat de licence d'un programme d'ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d'auteur de ce programme, relève de la notion d'« atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ; qu'en droit français, seule l'action en contrefaçon prévue par le code de la propriété intellectuelle offre au titulaire de droits d'auteur sur un programme d'ordinateur les garanties prévues par ladite directive ; qu'il est donc recevable à agir en contrefaçon même si l'atteinte à son droit d'auteur résulte de la violation d'une clause d'un contrat de licence ; qu'en énonçant néanmoins, pour déclarer l'action de la société Entr'ouvert irrecevable, que, lorsque le fait générateur d'une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d'un acte de contrefaçon, l'action doit être engagée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle prévue à l'article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle et qu'en revanche, lorsque le fait générateur d'une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d'un manquement contractuel, le titulaire du droit ayant consenti par contrat à son utilisation sous certaines réserves, seule une action en responsabilité contractuelle est recevable par application du principe de non-cumul des responsabilités, la cour d'appel a violé l'article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle par refus d'application, ensemble les directives 2004/48 et 2009/24 par fausse interprétation et le principe de non-cumul des responsabilités par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 335-3, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle, les articles 7 et 13 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle et l'article 1er de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur :

13. Selon le premier de ces textes, constitue un délit de contrefaçon la violation de l'un des droits de l'auteur d'un logiciel définis à l'article L. 122-6 du code de la propriété intellectuelle.

14. Conformément au deuxième, les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes, avant l'engagement d'une action au fond, puissent, sur requête d'une partie qui a présenté des éléments de preuve raisonnablement accessibles pour étayer ses allégations selon lesquelles il a été porté atteinte à son droit de propriété intellectuelle ou qu'une telle atteinte est imminente, ordonner des mesures provisoires rapides et efficaces pour conserver les éléments de preuve pertinents, de telles mesures pouvant inclure la description détaillée avec ou sans prélèvement d'échantillons, ou la saisie réelle des marchandises litigieuses et, dans les cas appropriés, des matériels et instruments utilisés pour produire et/ou distribuer ces marchandises ainsi que des documents s'y rapportant.

15. En application du troisième, les Etats membres veillent à ce que les autorités judiciaires, lorsqu'elles fixent les dommages-intérêts, prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l'atteinte, ou, à titre d'alternative, puissent fixer, dans des cas appropriés, un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d'éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.

16. En vertu du quatrième, les Etats membres doivent protéger les programmes d'ordinateur par le droit d'auteur.

17. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « la directive [2004/48] et la directive [2009/24] doivent être interprétées en ce sens que la violation d'une clause d'un contrat de licence d'un programme d'ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d'auteur de ce programme, relève de la notion d' « atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national (CJUE, arrêt du 18 décembre 2019, IT Development, C-666/18).

18. Si, selon l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, en cas d'inexécution de ses obligations nées du contrat, le débiteur peut être condamné à des dommages-intérêts, ceux-ci ne peuvent, en principe, excéder ce qui était prévisible ou ce que les parties ont prévu conventionnellement.

Par ailleurs, il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que les mesures d'instruction légalement admissibles ne permettent pas la saisie réelle des marchandises arguées de contrefaçon ni celle des matériels et instruments utilisés pour les produire ou les distribuer.

19. Il s'en déduit que, dans le cas d'une d'atteinte portée à ses droits d'auteur, le titulaire, ne bénéficiant pas des garanties prévues aux articles 7 et 13 de la directive 2004/48 s'il agit sur le fondement de la responsabilité contractuelle, est recevable à agir en contrefaçon.

20. Pour déclarer irrecevables les demandes en contrefaçon de droits d'auteur formées par la société Entr'Ouvert au titre de la violation du contrat de licence liant les parties, l'arrêt retient que la CJUE ne met pas en cause le principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et il en déduit que, lorsque le fait générateur d'une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d'un manquement contractuel, seule une action en responsabilité contractuelle est recevable.

21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la société Entr'Ouvert irrecevable à agir en contrefaçon, l'arrêt rendu le 19 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article L. 335-3, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle ; articles 7 et 13 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle ; article 1 de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur.

Rapprochement(s) :

Sur le champ d'application de l'action en contrefaçon dans la propriété littéraire et artistique, cf : CJUE, arrêt du 18 décembre 2019, IT Development, C-666/18.

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