Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

INDEMNISATION DES VICTIMES D'ATTENTAT TERRORISTE

2e Civ., 27 octobre 2022, n° 21-13.134, (B), FS

Rejet

Bénéficiaires – Victime – Définition – Critères – Exposition directe à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle

S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, sont des victimes, au sens de l'article L.126-1 du code des assurances, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.

Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.

Une cour d'appel, qui relève que des personnes étaient éloignés de 400 mètres du lieu où avait pris fin l'attentat, et qui met ainsi en évidence qu'elles n'avaient, à aucun moment, été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle, a pu décider qu'elles n'avaient pas la qualité de victimes au sens de ce texte et ne pouvaient ainsi être indemnisées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI).

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 janvier 2021), Mme [L] et M. [T], qui étaient présents à proximité du site de l'attentat perpétré le 14 juillet 2016, à Nice, au moyen d'un camion qui s'était engouffré dans la foule, ont adressé au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) une demande d'indemnisation de leurs préjudices, en faisant valoir qu'ils avaient subi des répercussions psychologiques à la suite de cet événement.

2. Le FGTI ayant refusé de les indemniser, au motif qu'ils ne se trouvaient pas sur le lieu même de l'attentat, Mme [L] et M. [T] l'ont assigné devant un tribunal de grande instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [L] et M. [T] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ne peuvent prétendre à la qualité de victimes d'acte de terrorisme au sens de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, et à une indemnisation par le FGTI, et de les débouter de l'intégralité de leurs demandes, alors :

« 1°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que les exposants n'avaient pas le statut de victimes, que le camion s'était arrêté à 400 mètres de là où ils se trouvaient, sans rechercher, comme elle y était invitée, si avant l'arrêt du camion les exposants avaient été exposés au risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal ;

2°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en affirmant, pour refuser le statut de victimes à M. [T] et Mme [L], qu'ils se trouvaient à 400 mètres du camion au moment de la fin de sa course, la cour d'appel qui a soumis la reconnaissance de la qualité de victime à la réalisation du risque, a violé les articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

4. L'article 421-1 du code pénal prévoit que certaines infractions constituent des actes de terrorisme lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

5. Selon l'article L. 126-1 du code des assurances, qui a codifié, en substance, l'article 9 de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 et L. 422-3.

6. S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, sont des victimes, au sens de l'article L.126-1 précité, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.

7. Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.

8. L'arrêt relève que le Palais de la Méditerranée devant lequel la course du camion avait pris fin était éloigné de 400 mètres du théâtre de Verdure où se trouvaient Mme [L] et M. [T] et constate qu'ils ne s'étaient pas trouvés sur la trajectoire de ce véhicule.

9. En l'état de ces constatations et énonciations mettant en évidence que Mme [L] et M. [T] n'avaient, à aucun moment, été directement exposés à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument délaissée, a pu décider qu'ils n'avaient pas la qualité de victimes au sens des textes susmentionnés.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Gouz-Fitoussi ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 126-1 du code des assurances.

2e Civ., 27 octobre 2022, n° 21-12.881, (B), FS

Rejet

Préjudice – Victime directe – Préjudice situationnel d'angoisse – Réparation – Souffrances endurées – Inclusion

Ne modifie pas les termes du litige la cour d'appel qui, saisie par une victime directe d'un acte de terrorisme, de demandes d'indemnisation, d'une part, d'un préjudice situationnel d'angoisse autonome, d'autre part, des souffrances endurées, après avoir énoncé que le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées regroupe toutes les souffrances de la victime, qu'elles soient physiques ou psychiques, rejette la demande formée au titre du préjudice situationnel d'angoisse et alloue, au titre des souffrances endurées, une indemnité dont le montant n'excède pas la somme des demandes présentées de ces deux chefs.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), le 24 novembre 2011, MM. [P] et [E] [T] ont été victimes d'un enlèvement revendiqué par un groupe terroriste. [E] [T] a été exécuté le 10 mars 2013 par ses ravisseurs. M. [P] a été libéré le 29 novembre 2014.

2. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a versé plusieurs provisions à M. [P] et, après expertise, lui a présenté une offre d'indemnisation qu'il a refusée.

3. M. [P] a saisi un tribunal de grande instance pour obtenir l'indemnisation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le FGTI fait grief à l'arrêt de fixer à la somme de 262 918, 30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs, alors « que le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour la victime une perte ou un profit ; qu'en jugeant, pour fixer à la somme de 262 918, 30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs subie par M. [P], que celui-ci subirait une « perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable » cependant qu'il résultait de ses propres constatations que M. [P] était sans emploi à la date du fait dommageable, de sorte qu'il ne pouvait prétendre, avant comme après la consolidation, qu'à l'indemnisation d'une perte de chance d'exercer une activité professionnelle, la cour d'appel, qui a indemnisé M. [P] sur la base de revenus hypothétiques, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté que l'année de son enlèvement, M. [P] avait travaillé jusqu'au 18 mars, puis bénéficié jusqu'au 31 octobre 2011 d'un contrat à durée déterminée, l'arrêt relève que ses revenus n'étaient pas réguliers de sorte qu'il convenait de se référer à la moyenne de ses salaires des quatre dernières années précédant son enlèvement pour déterminer le montant à prendre en considération pour le calcul de ses pertes de gains.

6. Il ajoute que M. [P] n'a pu travailler pendant plusieurs années en raison des faits eux-mêmes, sa détention ayant duré plus de trois ans, puis des troubles qu'il a présentés, en lien avec son enlèvement et sa détention, qui l'empêchent de pouvoir retravailler après la consolidation de son état de santé.

7. En l'état de ses constatations et énonciations, dont elle a déduit que M. [P] subissait une perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'existence et de l'étendue de ce préjudice, peu important que M. [P] ait été sans emploi depuis quelques semaines au moment de son enlèvement, que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. Le FGTI fait grief à l'arrêt d'allouer à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que le déficit fonctionnel permanent indemnise les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales ; qu'en allouant à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre d'une incidence professionnelle réparant « l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale », tout en lui allouant par ailleurs une somme de 82 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, dont elle constatait elle-même qu'elle avait le même objet, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

10. L'arrêt, pour allouer à M. [P] une certaine somme au titre du poste de l'incidence professionnelle, énonce qu'il invoque à juste titre l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale.

11. Pour lui allouer une autre somme au titre du déficit fonctionnel permanent, l'arrêt retient que les séquelles conservées par M. [P] après la consolidation de son état entraînent, non seulement des atteintes aux fonctions physiologiques, mais également une perte de la qualité de vie et des troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.

12. Il résulte de ce qui précède que, malgré la référence commune à l'existence sociale de M. [P], la cour d'appel, qui a évalué les conséquences des séquelles qu'il présentait, d'une part, dans la sphère professionnelle liées à son exclusion définitive du monde du travail, d'autre part, en dehors de celle-ci, n'a pas réparé deux fois le même préjudice.

13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Énoncé du moyen

14. Le FGTI fait grief à l'arrêt d'allouer à M. [P] une somme de 500 000 euros au titre des souffrances, alors « que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [P] sollicitait l'octroi d'une somme de 80 000 euros au titre des souffrances endurées ; qu'en allouant à M. [P] la somme de 500 000 euros au titre de ce chef de préjudice, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

15. Après avoir rappelé que M. [P] demande, au titre du préjudice de souffrances endurées, la somme de 80 000 euros et considère avoir subi un préjudice spécifique situationnel d'angoisse autonome qui justifie l'octroi de la somme de 10 100 000 euros, l'arrêt énonce que le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées regroupe toutes les souffrances de la victime, qu'elles soient physiques ou psychiques, et les troubles qui y sont associés, subies à compter de la survenance de l'événement à l'origine de ces souffrances et ce, quel que soit l'acte y ayant conduit.

16. L'arrêt retient ensuite que le préjudice de souffrances de M. [P] est constitué, notamment, par le traumatisme subi lors de son enlèvement sous la menace de l'arme des djihadistes, dont le canon était pointé sur sa tempe, les souffrances physiques subies pendant ses trois années de détention et l'angoisse dans laquelle il a vécu, confronté à de multiples reprises à la réalité de la mort par des simulacres d'exécution.

17. Il résulte de ce qui précède qu'en rejetant la demande de M. [P] au titre du préjudice situationnel d'angoisse et en lui allouant la somme de 500 000 euros au titre des souffrances endurées, la cour d'appel, qui n'a pas réparé deux fois le même préjudice ni accordé à la victime une indemnisation excédant la somme des demandes présentées de ces chefs, n'a pas modifié les termes du litige.

18. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le pourvoi incident éventuel

19. Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel de M. [P], devenu sans objet par suite du rejet du pourvoi principal.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Rapprochement(s) :

Ch. mixte., 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072, Bull., (rejet).

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