Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

FONDS DE GARANTIE

2e Civ., 27 octobre 2022, n° 21-13.134, (B), FS

Rejet

Actes de terrorisme et autres infractions – Indemnisation – Actes de terrorisme – Qualité à agir – Victime – Définition – Exposition directe à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 janvier 2021), Mme [L] et M. [T], qui étaient présents à proximité du site de l'attentat perpétré le 14 juillet 2016, à Nice, au moyen d'un camion qui s'était engouffré dans la foule, ont adressé au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) une demande d'indemnisation de leurs préjudices, en faisant valoir qu'ils avaient subi des répercussions psychologiques à la suite de cet événement.

2. Le FGTI ayant refusé de les indemniser, au motif qu'ils ne se trouvaient pas sur le lieu même de l'attentat, Mme [L] et M. [T] l'ont assigné devant un tribunal de grande instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [L] et M. [T] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ne peuvent prétendre à la qualité de victimes d'acte de terrorisme au sens de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, et à une indemnisation par le FGTI, et de les débouter de l'intégralité de leurs demandes, alors :

« 1°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que les exposants n'avaient pas le statut de victimes, que le camion s'était arrêté à 400 mètres de là où ils se trouvaient, sans rechercher, comme elle y était invitée, si avant l'arrêt du camion les exposants avaient été exposés au risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal ;

2°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en affirmant, pour refuser le statut de victimes à M. [T] et Mme [L], qu'ils se trouvaient à 400 mètres du camion au moment de la fin de sa course, la cour d'appel qui a soumis la reconnaissance de la qualité de victime à la réalisation du risque, a violé les articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

4. L'article 421-1 du code pénal prévoit que certaines infractions constituent des actes de terrorisme lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

5. Selon l'article L. 126-1 du code des assurances, qui a codifié, en substance, l'article 9 de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 et L. 422-3.

6. S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, sont des victimes, au sens de l'article L.126-1 précité, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.

7. Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.

8. L'arrêt relève que le Palais de la Méditerranée devant lequel la course du camion avait pris fin était éloigné de 400 mètres du théâtre de Verdure où se trouvaient Mme [L] et M. [T] et constate qu'ils ne s'étaient pas trouvés sur la trajectoire de ce véhicule.

9. En l'état de ces constatations et énonciations mettant en évidence que Mme [L] et M. [T] n'avaient, à aucun moment, été directement exposés à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument délaissée, a pu décider qu'ils n'avaient pas la qualité de victimes au sens des textes susmentionnés.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Gouz-Fitoussi ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 126-1 du code des assurances.

2e Civ., 27 octobre 2022, n° 21-24.425, (B), FS

Cassation partielle

Actes de terrorisme et autres infractions – Indemnisation – Actes de terrorisme – Qualité à agir – Victime par ricochet – Cas – Proche d'une victime directe ayant survécu

Les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances n'excluent pas l'indemnisation, selon les règles du droit commun, du préjudice personnel des proches de la victime directe d'actes de terrorisme, en cas de survie de celle-ci.

Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions formées par les proches d'une victime directe d'un acte de terrorisme au motif que leur qualité d'ayants droit fait défaut.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.

2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [P] et Mme [X], sa fille, l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [P] et Mme [X] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de M. [P] et Mme [X], respectivement époux et fille de Mme [P], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (...) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :

4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.

5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.

7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.

8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.

9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.

10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.

11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.

12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072, publié au bulletin), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.

13. Pour dire M. [P] et Mme [X] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.

14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [D] [P] et Mme [F] [X] irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bull. 1998, II, n° 14 (rejet) ; 2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-24.424, Bull. (cassation partielle) ; 2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-24.426, Bull. (cassation partielle).

2e Civ., 27 octobre 2022, n° 21-24.424, (B), FS

Cassation partielle

Actes de terrorisme et autres infractions – Indemnisation – Actes de terrorisme – Qualité à agir – Victime par ricochet – Cas – Proche d'une victime directe ayant survécu

Les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances n'excluent pas l'indemnisation, selon les règles du droit commun, du préjudice personnel des proches de la victime directe d'actes de terrorisme, en cas de survie de celle-ci.

Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions formées par les proches d'une victime directe d'un acte de terrorisme au motif que leur qualité d'ayants droit fait défaut.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, M. [C] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Il s'est réfugié au sous-sol de l'établissement, dans l'une des chambres froides, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.

2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), M. [C], son épouse Mme [Z], et leur fille, Mme [N] [C], l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [Z] et Mme [N] [C] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de Mme [Z] et de Mme [N] [C], respectivement épouse et fille de M. [C], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (...) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :

4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.

5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.

7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.

8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.

9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.

10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.

11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.

12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072, publié au bulletin), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.

13. Pour dire Mmes [Z] et [C] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.

14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit Mme [Z] et Mme [N] [C] irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bull. 1998, II, n° 14 (rejet) ; 2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-24.425, Bull. (cassation partielle) ; 2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-24.426, Bull. (cassation partielle).

2e Civ., 27 octobre 2022, n° 21-24.426, (B), FS

Cassation partielle

Actes de terrorisme et autres infractions – Indemnisation – Actes de terrorisme – Qualité à agir – Victime par ricochet – Cas – Proche d'une victime directe ayant survécu

Les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances n'excluent pas l'indemnisation, selon les règles du droit commun, du préjudice personnel des proches de la victime directe d'actes de terrorisme, en cas de survie de celle-ci.

Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions formées par les proches d'une victime directe d'un acte de terrorisme au motif que leur qualité d'ayants droit fait défaut.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.

2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [K] et leurs filles, Mmes [T] et [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux, M. [K] et Mme [P], (les consorts [K] [P]) l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les consorts [K] [P] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de l'époux et des filles de Mme [K] que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (...) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :

4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.

5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.

7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.

8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.

9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.

10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.

11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.

12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072, publié au bulletin), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.

13. Pour dire les consorts [K] [P] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.

14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K] représentée par Mme [E] [K] et M. [U] [O] [K], irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bull. 1998, II, n° 14 (rejet) ; 2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-24.424, Bull. (cassation partielle) ; 2e Civ., 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-24.425, Bull. (cassation partielle).

2e Civ., 13 octobre 2022, n° 20-21.276, (B), FRH

Cassation partielle

Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) – Demande d'indemnisation – Action subrogatoire – Exercice – Demande de fixation des préjudices indemnisables au titre de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale (CSS) – Recevabilité

Il résulte de l'article 53, VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage, ainsi que contre les personnes ou organismes tenus, à un titre quelconque, d'en assurer la réparation totale ou partielle, dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes, est en droit de demander la fixation des préjudices indemnisables visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et la condamnation, en tant que de besoin, de l'organisme social à lui rembourser, dans la limite des sommes qu'il a versées, celles correspondant à cette évaluation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 25 août 2020), la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Flandres (la caisse) a reconnu le caractère professionnel, le 15 janvier 2015, de la maladie de [F] [L], salarié de la société [7] (l'employeur), puis, le 25 février 2015, de son décès.

2. Ses ayants droits ayant saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA), subrogé dans leurs droits suite à l'indemnisation qu'il leur a versée, est intervenu à l'instance.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le FIVA fait grief à l'arrêt de dire que les sommes par lui versées ou à verser aux ayants droit seront récupérées auprès de l'employeur, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices allouée en cas de faute inexcusable à la victime ou à ses ayants droit est versée directement aux bénéficiaires par la caisse primaire qui en récupère le montant auprès de l'employeur ; que le FIVA est subrogé dans les droits de la victime et de ses ayants droit qu'il a indemnisés, en application de l'article 53, VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ; que la cour d'appel a fixé à la somme totale de 176 715, 20 euros l'indemnisation des préjudices personnels de la victime et des préjudices moraux de ses ayants droit, a dit que le FIVA pourrait récupérer les sommes versées non pas sur la caisse mais sur l'employeur, auteur de la faute inexcusable, et que si le FIVA dirigeait sa demande à l'égard de la caisse, manifestement en raison du fait que la société était en liquidation judiciaire, seule la fixation de la créance du FIVA au passif de la liquidation judiciaire de la société pouvait être ordonnée par la cour ; que la cour d'appel qui, en conséquence, a fixé la créance du FIVA sur la société [7] et a dit que cette créance serait inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société à la diligence de son mandataire judicaire, a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 53, VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 452-3 du code de la sécurité sociale et 53,VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 :

4. Il résulte du second de ces textes que le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes, est en droit de demander la fixation des préjudices indemnisables visés au premier de ces textes, et la condamnation, en tant que de besoin, de l'organisme social à lui rembourser, dans la limite des sommes qu'il a versées, celles correspondant à cette évaluation.

5. Pour dire que le FIVA peut récupérer sur l'employeur, auteur de la faute inexcusable, et non sur la caisse, les sommes versées ou à verser au titre des préjudices personnels de la victime et des préjudices moraux des ayants droit, l'arrêt retient que si le Fonds dirige sa demande à l'égard de la caisse, manifestement en raison du fait que l'employeur est en liquidation judiciaire, seule la fixation de sa créance au passif de cette procédure peut être ordonnée.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que les sommes versées ou à verser par le Fonds à hauteur de 176 715, 20 euros aux consorts [L] peuvent être récupérées sur la société [7], fixé la créance du Fonds sur la société à cette somme et dit que cette créance sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société à la diligence de son mandataire judiciaire, l'arrêt rendu le 25 août 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Cassignard - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article 53, VI, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ; article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 10 février 2022, pourvoi n° 20-13.779, Bull. (cassation partielle).

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