Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

EXPERT JUDICIAIRE

1re Civ., 5 octobre 2022, n° 21-12.542, (B), FS

Rejet

Mesure d'expertise – Obligations – Restitution de pièces communiquées par les parties – Limite – Détermination – Portée

Il résulte des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil, et 243 du code de procédure civile que l'expert se fait communiquer par les parties les pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission et qu'au terme de ses opérations, il lui incombe, sauf dispense des parties, de leur restituer les pièces non dématérialisées.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 décembre 2020), M. [R] [D], agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de sa fille, Mme [N] [D], qui a présenté, lors de sa naissance, le 10 avril 1992, une dystocie des épaules et conservé des lésions d'un plexus brachial, a saisi la juridiction administrative pour voir reconnaître la responsabilité de l'établissement de santé public où avait eu lieu l'accouchement.

2. M. [S] (l'expert) a été désigné en qualité de médecin expert par la juridiction administrative et a déposé son rapport.

3. Après avoir vainement sollicité la restitution des pièces qu'ils avaient communiquées à l'expert lors des opérations d'expertise, M. [R] [D] et Mme [N] [D] l'ont assigné en responsabilité et indemnisation de leur préjudice moral.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'expert fait grief à l'arrêt de dire qu'il a commis une faute et de le condamner à payer des dommages-intérêts à M. [R] [D] et à Mme [N] [D], alors « que l'expert judiciaire auquel ont été remis des copies de pièces composant le dossier médical d'un patient, n'est pas tenu de les conserver et de les restituer ; que, pour retenir la responsabilité de M. [S], médecin, en sa qualité d'expert désigné par la cour administrative d'appel de Marseille, la cour d'appel a énoncé qu'il ne conteste pas avoir reçu des consorts [D], pour l'exécution de sa mission, des documents médicaux afférents au suivi de [N] [D], victime d'une lésion du plexus brachial droit à sa naissance ni ne pas être en mesure de démontrer qu'il leur a restitués, à l'issue de sa mission, de sorte que le fait de s'en être dessaisi, sans s'assurer de l'accord des consorts [D] consacre une négligence fautive ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que « les textes qui réglementent la mission de l'expert sont muets quant au devenir des documents que les justiciables confient à l'expert pour l'exécution de sa mission » et tout en constatant que seules des copies avaient été remises à l'expert judiciaire, ce dont il résultait qu'il n'avait pu commettre de faute en ne les conservant pas, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil, et 243 du code de procédure civile que l'expert se fait communiquer par les parties les pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission et qu'au terme de ses opérations, il lui incombe, sauf dispense des parties, de leur restituer les pièces non dématérialisées.

7. Après avoir relevé que l'expert ne contestait pas avoir reçu les pièces nécessaires à la réalisation de la mesure, et ne pas avoir été en mesure de les restituer, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'en se dessaisissant des pièces médicales remises par M. [R] [D] et Mme [N] [D] sans s'assurer de leur accord, l'expert avait commis une faute.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SARL Le Prado-Gilbert ; SCP Richard -

Textes visés :

Articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil ; article 243 du code de procédure civile.

Soc., 26 octobre 2022, n° 20-17.105, (B), FS

Cassation partielle

Rémunération – Rétrocession des rémunérations à l'employeur – Salarié ayant une mission d'expertise – Clause – Nullité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 mars 2020), M. [V], inscrit sur la liste des experts judiciaires de la cour d'appel de Lyon dans la rubrique incendies, a été engagé en qualité de chargé de mission à compter du 5 novembre 2012 par la société Oxyria.

2. Aux termes de l'article 4 bis du contrat de travail, il était stipulé que la rémunération directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui serait versée devrait être intégralement reversée à l'employeur.

3. Les parties ont signé une convention de rupture conventionnelle le 7 mai 2014.

4. L'employeur a assigné le salarié afin d'obtenir, en application de l'article 4 bis du contrat de travail, le paiement des sommes correspondant aux expertises en cours au moment de la rupture du contrat.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que l'article 4 bis du contrat de travail n'est entaché d'aucune illégalité et de le débouter de sa demande de nullité de cette clause et de sa demande subséquente en paiement, par l'employeur, d'une somme à titre de remboursement des honoraires d'expertises judiciaires, alors « que l'expert judiciaire doit accomplir, en toute indépendance et impartialité, la mission qui lui a été personnellement confiée par le juge, ce qui implique nécessairement qu'il perçoive une rémunération propre, laquelle ne peut être reversée, s'il est salarié, à la société qui l'emploie ; qu'en jugeant que l'article 4 bis du contrat de travail de Monsieur [V] n'était pas nul, après avoir pourtant relevé qu'il prévoyait que les rémunérations directes ou indirectes des expertises judiciaires qui seraient versées à [K] [V] devraient être intégralement reversées à la société Oxyria, la cour d'appel a violé les articles 233 du code de procédure civile et 1 de la loi du 29 juin 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 232 et 233 du code de procédure civile :

6. Selon le premier de ces textes, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.

7. Selon le second, le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée. Si le technicien désigné est une personne morale, son représentant légal soumet à l'agrément du juge le nom de la ou des personnes physiques qui assureront, au sein de celle-ci et en son nom l'exécution de la mesure.

8. Il résulte de la combinaison de ces textes que, pour qu'une personne morale puisse percevoir la rémunération afférente à l'expertise, il faut qu'elle ait été elle-même désignée.

9. Pour débouter le salarié de sa demande de nullité de l'article 4 bis du contrat de travail, l'arrêt retient que le salarié étant inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel dans la rubrique incendies, il était stipulé à l'article 4 bis du contrat de travail que la rémunérations directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui serait versée devra être intégralement reversée à l'employeur, que cette clause n'apparaît pas contraire aux dispositions de l'article 233 du code de procédure civile dès lors qu'il résulte du contrat de travail que le salarié a accompli les missions d'expertises judiciaires confiées, pendant le temps de son travail et avec les outils mis à disposition par l'employeur, et que cette clause a été librement consentie entre lui et son employeur.

10. En statuant ainsi, alors qu'est nulle la clause d'un contrat de travail par laquelle un salarié s'engage à reverser à son employeur les rémunérations qui lui ont été versées pour des missions pour lesquelles il a été désigné expert personnellement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le protocole d'accord signé le 30 juin 2014 engage les deux parties qui se doivent de le respecter et de l'appliquer, de le condamner à payer à la société Oxyria une somme au titre du remboursement de frais et honoraires qu'il a perçus pour ses missions d'expertise judiciaire dans les quatre dossiers visés au protocole du 30 juin 2014 et au paiement à la société Oxyria d'une somme en remboursement des frais réglés à la société IC2000, sapiteur choisi par lui dans ses missions d'expertise, alors « que la cassation à intervenir du chef du dispositif critiqué par le deuxième moyen du pourvoi entraînera nécessairement par voie de conséquence, la cassation des chefs du dispositif critiqués par le troisième moyen, qui en sont indivisibles, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

12. La cassation prononcée sur le deuxième moyen emporte la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif critiqués par le troisième moyen, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation prononcée sur les deuxième et troisième moyens entraîne, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif condamnant le salarié à payer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Oxyria de ses demandes en dommages-intérêts concernant les expertises [R] et Robinettrie Industrielle et pour résistance abusive et en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande en dommages-intérêts de 500 euros pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 12 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Pion - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 233 du code de procédure civile ; article 1 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004.

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