Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

DROIT MARITIME

Com., 5 octobre 2022, n° 20-21.441, (B), FRH

Rejet

Navire – Propriété – Responsabilité du propriétaire – Limitation – Convention de Londres du 19 novembre 1976 – Indemnisation forfaitaire – Seuil – Modification – Portée

La Convention de Londres du 19 novembre 1976 fixe les limites de responsabilité pour les créances maritimes, l'indemnisation étant forfaitaire jusqu'à un certain tonnage. La France, comme le permet la Convention, a choisi de réduire de moitié ces limitations pour les navires de moins de 300 tonneaux (unités). Ce seuil a été porté de 500 à 2 000 tonneaux par le Protocole modificatif du 2 mai 1996, entré en vigueur le 23 juillet 2007, date figurant dans le décret n° 2007-1379 du 22 septembre 2007.

Ce seuil incluant toujours les navires d'une jauge inférieure à 500 tonneaux, la modification est sans incidence sur le calcul de la limitation de responsabilité, de sorte que la France n'avait aucune notification à adresser à l'Organisation maritime internationale, dépositaire de la Convention.

Dès lors c'est à bon droit que la cour d'appel, faisant application des articles 58 et suivants de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, devenus les articles L. 5121-1 et suivants du code des transports, à un accident survenu le 22 juin 2009 sur un navire de moins de 300 tonneaux, en a exactement déduit que les montants de la limitation de responsabilité étaient de 1 000 000 droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international pour les créances pour mort et lésions corporelles et de 500 000 DTS pour les autres créances.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 2 septembre 2020), le 22 juin 2009, au cours d'une croisière sur le navire « Nine Moons », [H] [A] est décédé et Mme [X] [L] [W], son épouse, a été blessée.

2. Mme [X] [L] [W], M. [C] [A] [L], M. [U] [A] [Z] et M. [R] [A] [L], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de son enfant mineur, [B] [A] [Z] (les consorts [A]-[L]) ont recherché la responsabilité de la société de droit britannique Balanca Investments Limited (la société Balanca) en qualité de propriétaire du voilier.

3. Par ordonnance du 26 janvier 2011, la société Balanca a été autorisée à constituer un fonds de limitation de responsabilité d'un montant initialement fixé à 166 500 droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (DTS), dont la constitution a été constatée par ordonnance du 8 février 2012 pour le même montant en application de l'article 64 du décret du 27 octobre 1967, devenu L. 5121-10 du code des transports.

4. Le 24 juillet 2018, les consorts [A]-[L] ont assigné la société Balanca notamment en rétractation de ces ordonnances et en fixation du montant global de la limitation à 1 500 000 DTS.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Balanca fait grief à l'arrêt de rétracter les ordonnances sur requête rendues par le président du tribunal de commerce d'Ajaccio les 26 janvier 2011 et 8 février 2012 et de décider que le montant global de la limitation de responsabilité opposable à la société Balanca est fixé à 1 500 000 DTS, alors « que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter l'ordonnance sur requête qu'il a rendue ; que, lorsqu'il fait droit à la demande de rétractation, les mesures prises sur le fondement de l'ordonnance rétractée perdent leur fondement juridique, de sorte qu'elles sont entachées de nullité ; qu'en décidant néanmoins de rétracter les ordonnances sur requête des 26 janvier 2011 et 8 février 2012 ayant institué un fonds de limitation de garantie, puis de porter le montant du fonds à hauteur de 1 500 000 DTS, la cour d'appel a violé l'article 497 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir rétracté les ordonnances sur requête des 26 janvier 2011 et 8 février 2012, la cour d'appel a dit que le montant global de la limitation de la responsabilité opposable par la société Balanca est de 1 500 000 DTS.

8. Le moyen qui fait grief à l'arrêt, non de statuer sur le montant de la limitation de responsabilité elle-même, comme a fait la cour d'appel, mais sur celui du fonds de limitation, le bénéfice de la limitation n'étant pas subordonné à la constitution du fonds et la cour d'appel ne se prononçant pas sur le montant de celui-ci, manque en fait.

Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

9. La société Balanca fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ qu'aux termes de l'article 15-2 b) de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, un État Partie peut stipuler, aux termes de dispositions expresses de sa législation nationale, devant être notifiées au dépositaire, que son régime de limitation de la responsabilité s'applique à ses navires d'une jauge inférieure à 300 tonneaux, à condition de notifier au dépositaire les limites de la responsabilité adoptées dans sa législation nationale ; qu'il en résulte que l'Etat partie qui décide de modifier le régime de responsabilité dérogatoire qu'il a instauré dans sa législation nationale doit préalablement notifier cette modification au dépositaire ; que si le décret du 22 septembre 2007, portant publication du Protocole modifiant la Convention de 1976, a été notifié au dépositaire, il ne comporte pour autant aucune disposition relative au régime de responsabilité des navires d'une jauge inférieure à 300 tonneaux, de sorte qu'aucune notification n'a été réalisée concernant ce régime adopté sur le fondement de l'article 15.2 b) de la Convention de Londres ; qu'en décidant néanmoins que le décret du 22 septembre 2007, entré en vigueur le 23 juillet 2007, avait eu pour effet de porter à 1,5 million DTS le plafond de limitation de la responsabilité de la société Balanca, pour en déduire que le fonds de limitation institué par les ordonnances des 26 janvier 2011 et 8 février 2012 devait être fixé à hauteur d'un tel montant, bien que la modification du régime de responsabilité relative aux navires d'une jauge inférieure à 300 tonneaux n'ait pas été notifiée au dépositaire, de sorte que, prise en méconnaissance de l'article 15-2 b) de la Convention de Londres, elle ne pouvait être appliquée en raison de sa contrariété avec ladite disposition conventionnelle, la cour d'appel a violé l'article 15-2 b) de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes dans sa rédaction issue du Protocole modificatif du 2 mai 1996 ;

3°/ que, subsidiairement, aux termes de l'article 15-2 b) de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, un État Partie peut stipuler, aux termes de dispositions expresses de sa législation nationale, que le régime de la limitation de la responsabilité s'applique aux navires d'une jauge inférieure à 300 tonneaux, à condition de notifier au dépositaire les limites de la responsabilité adoptées dans sa législation nationale ; qu'il en résulte que l'Etat partie qui décide de modifier le régime de responsabilité dérogatoire qu'il a instauré dans sa législation nationale doit également notifier cette modification au dépositaire, de sorte que la disposition de droit national modifiant le régime de responsabilité dérogatoire précédemment instauré ne peut entrer en vigueur qu'à compter de sa notification au dépositaire ; que si le décret du 22 septembre 2007, portant publication du Protocole modifiant la Convention de 1976, a été notifié au dépositaire, il ne comporte pour autant aucune disposition relative au régime de responsabilité des navires d'une jauge inférieure à 300 tonneaux, de sorte qu'aucune notification n'a été réalisée concernant ce régime adopté sur le fondement de l'article 15.2 b) de la Convention de Londres ; qu'il en résulte qu'aucune modification du régime de responsabilité dérogatoire n'a pu entrer en vigueur ; qu'en décidant néanmoins que le décret du 22 septembre 2007 avait eu pour effet de porter à 1,5 million DTS le plafond de limitation de la responsabilité de la société Balanca dès son entrée en vigueur le 23 juillet 2007, pour en déduire que le fonds de limitation institué par les ordonnances des 26 janvier 2011 et 8 février 2012 devait être fixé à hauteur d'un tel montant, bien que cette modification du régime de responsabilité dérogatoire n'ait pas été notifiée au dépositaire, de sorte qu'elle n'était pas entrée en vigueur, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 15-2 b) de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes dans sa rédaction issue du Protocole modificatif du 2 mai 1996, et par fausse application, le décret n° 2007-1379 du 22 septembre 2007 portant publication du Protocole. »

Réponse de la Cour

10. Faisant application des dispositions des articles 58 et suivants de la loi du 3 janvier 1967, devenus les articles L. 5121-1 et suivants du code des transports, qui fixent les limites de la responsabilité en matière de créances maritimes en application de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 (la Convention), l'arrêt énonce que le montant des plafonds prévus dans la version originelle de cette Convention pour les navires ne dépassant pas 500 unités de jauge est fixé par l'article 6 à 333 000 DTS pour les créances pour mort ou lésions corporelles et 167 000 DTS pour les autres créances et que la France, comme le permet la Convention, a choisi de réduire de moitié ces limitations pour les navires de moins de 300 unités.

Il énonce ensuite que le protocole du 2 mai 1996 a modifié les limites de responsabilité selon les tonnages des navires, portant celles-ci à 2 000 000 de DTS pour les navires dont la jauge ne dépasse pas 2 000 tonneaux, s'agissant des créances pour mort et lésions corporelles, et à 1 000 000 de DTS s'agissant des autres créances, et que la France, ayant déposé les instruments de ratification du protocole le 24 avril 2007, celui-ci est entré en vigueur le 23 juillet 2007, date figurant dans le décret n° 2007-1379 du 22 septembre 2007 portant publication du protocole, rendant les nouvelles dispositions applicables sur le territoire national.

11. De ces énonciations, et dès lors que la modification du seuil, porté à 2 000 tonneaux par le protocole modificatif, qui inclut toujours les navires d'une jauge inférieure à 500, était sans incidence sur le calcul de la limitation de responsabilité, de sorte que la France n'avait aucune notification à adresser à l'Organisation maritime internationale, dépositaire de la Convention, la cour d'appel en a exactement déduit que, conformément à l'article L. 5121-5, alinéa 2, du code des transports, les montants de la limitation de responsabilité sont, en l'espèce, de 1 000 000 DTS pour les créances pour mort et lésions corporelles et de 500 000 DTS pour les autres créances.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat(s) : SCP Richard ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles L. 5121-1 et suivants du code des transports.

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