Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 26 octobre 2022, n° 20-17.501, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Appréciation – Office du juge – Applications diverses

Ne donne pas de base légale à sa décision, la cour d'appel qui déclare nul le licenciement au motif que celui-ci est lié à l'état de santé du salarié, sans rechercher si la cessation d'activité de l'entreprise invoquée à l'appui du licenciement ne constitue pas la véritable cause du licenciement.

Licenciement – Nullité – Appréciation – Office du juge – Recherche de la cause véritable de la rupture – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), M. [H], salarié de M. [V] et exerçant les fonctions de peintre, a été placé en arrêt de travail pour maladie le 30 mai 2017.

2. Le 6 décembre 2017, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif économique.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement et de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement, alors « que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si la circonstance que dès le 13 novembre 2017, l'employeur avait convoqué le salarié à un entretien préalable à un licenciement économique fixé au 21 novembre suivant, qu'à la suite d'une erreur de distribution de La Poste, le courrier avait été reçu moins de cinq [jours] ouvrables avant l'entretien, de sorte que l'employeur avait convoqué, par lettre du 20 novembre, le salarié à un nouvel entretien préalable à un licenciement économique le 27, avant de lui notifier, le 6 décembre, son licenciement économique pour cessation totale d'activité de l'entreprise au 31 décembre 2017, n'établissait pas que cette cessation d'activité constituait la cause du licenciement, d'autant qu'il résultait de ses propres constatations que c'était seulement postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement pour motif économique que, le 24 novembre 2017, le salarié avait adressé à l'employeur un arrêt de travail pour maladie professionnelle, l'avait informé le 28 novembre d'une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l'assurance maladie et qu'il avait pris l'attache de la médecine du travail pour une visite de reprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1233-3 et L. 1235-3-1 du code du travail ».

Réponse de la Cour

4. Vu les articles L. 1233-3 et L. 1235-1 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le second dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

5. Selon le premier de ces textes, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi consécutive notamment à la cessation d'activité de l'entreprise.

Selon le second de ces textes, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur.

6. Pour prononcer la nullité du licenciement, l'arrêt retient qu'au moment de la notification du licenciement le 6 décembre 2017, l'employeur était informé de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle par le salarié et de ce que le médecin du travail était saisi par celui-ci en vue d'une reprise, et que, dès lors, au moment de la notification du licenciement pour motif économique, l'employeur disposait d'éléments suffisants lui permettant de retenir que l'état de santé du salarié pourrait faire l'objet d'une inaptitude en lien avec l'activité professionnelle, et que le véritable motif du licenciement était lié à l'état de santé du salarié.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la cessation d'activité de l'entreprise invoquée à l'appui du licenciement ne constituait pas la véritable cause du licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la nullité du licenciement et condamne M. [H] à payer à M. [V] à la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Valéry - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 1233-3, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, et L. 1235-1, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, du code du travail.

Soc., 19 octobre 2022, n° 21-15.533, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Licenciement – Indemnités – Montant – Détermination – Licenciement – Pluralité de motifs – Liberté fondamentale du salarié – Violation par l'employeur – Examen par le juge – Demande de l'employeur – Portée

Les dispositions de l'article L. 1235-2-1 du code du travail offrent à l'employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l'indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire. Ce n'est que lorsque l'employeur le lui demande que le juge examine si les autres motifs de licenciement invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l'indemnité versée au salarié qui n'est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l'article L. 1235-3-1.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 25 mars 2021), Mme [U], engagée, le 23 octobre 2007, en qualité d'assistante dentaire qualifiée, par la société Husson-Mourot, a fait l'objet d'un avertissement le 12 octobre 2018 pour une absence injustifiée.

2. Le 30 novembre 2018, elle a saisi la juridiction prud'homale afin de voir prononcer la résiliation de son contrat de travail et l'annulation de l'avertissement.

Le 28 décembre 2018, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse. Elle a contesté le bien-fondé de son licenciement.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement était nul, de le condamner au paiement de 38 110 euros à ce titre, d'ordonner la remise à la salariée d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt, d'ordonner le remboursement de la somme correspondant à six mois d'indemnités chômage, et de le condamner au paiement d'une certaine somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés pour en tenir compte dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié ; que pour condamner l'employeur à payer à la salariée 38 110 euros (16 mois de salaire) pour licenciement nul, la cour d'appel a retenu que les barèmes de l'article L. 1235-3 du code du travail n'étaient pas applicables en cas de violation d'une liberté fondamentale et qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les autres griefs visés par la lettre de licenciement pour apprécier l'existence d'une cause réelle et sérieuse ; qu'en statuant ainsi, quand il revenait à la cour d'étudier ces éléments pour évaluer l'indemnité allouée à la salariée, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-2-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 1235-2-1 du code du travail, en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l'article L. 1235-3-1.

6. Ces dispositions offrent ainsi à l'employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l'indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire.

7. Il en résulte que, lorsque l'employeur le lui demande, le juge examine si les autres motifs invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l'indemnité versée au salarié qui n'est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l'article L. 1235-3-1.

8. Après avoir retenu que l'un des griefs invoqués par l'employeur portait atteinte à la liberté fondamentale de la salariée d'agir en justice et constaté que l'employeur ne critiquait pas à titre subsidiaire la somme réclamée par cette dernière en conséquence de la nullité du licenciement, la cour d'appel a apprécié souverainement le montant du préjudice.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que lorsque le licenciement est nul, le juge ordonne le remboursement par l'employeur de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié dans les seuls cas de nullité visés aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, et L. 1235-11 par le code du travail, lesquels incluent le cas où le licenciement a pour cause une action en justice engagée par le salarié ou en sa faveur sur le fondement du principe de non-discrimination ou de l'égalité professionnelle ; qu'en ordonnant le remboursement par l'employeur de la somme correspondant à six mois d'indemnités chômage, quand elle constatait que l'action en résiliation judiciaire intentée par la salariée reposait sur un avertissement illégal, des actes qui n'étaient pas de sa compétence, des heures complémentaires non réglées, et une absence de suivi médical, ce dont il s'inférait que l'action en justice de la salariée, engagée sur des fondements autres que les principes de non-discrimination ou de l'égalité professionnelle, n'ouvrait pas droit à l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail, la cour d'appel a violé ce texte. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. Aux termes de ce texte, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

12. Après avoir déclaré nul le licenciement en ce que l'employeur avait reproché à la salariée d'avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail, ce grief étant constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale, l'arrêt ordonne le remboursement par l'employeur des allocations de chômage versées à la salariée à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois.

13. En statuant ainsi, alors que le remboursement des indemnités de chômage ne pouvait être ordonné que dans les cas de nullité du licenciement visés à l'article L. 1235-4 du code du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond. Il convient de retrancher de l'arrêt attaqué le seul chef de dispositif par lequel l'employeur a été condamné au remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il ordonne le remboursement par la société Husson-Mourot à Pôle emploi de la somme correspondant au maximum à six mois d'indemnités chômage dès lors que des indemnités ont été effectivement versées à Mme [U], l'arrêt rendu le 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1235-2-1, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et L. 1235-3-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur faisant suite à une action en justice du salarié, à rapprocher : Soc., 3 février 2016, pourvoi n° 14-18.600, Bull. 2016, V, n° 18 (rejet). Sur la nullité du licenciement intervenant à la suite d'une action en justice engagée par le salarié, à rapprocher : Soc., 28 novembre 2000, pourvoi n° 97-43.715, Bull. 2000, V, n° 395 (cassation partielle). Sur la reconnaissance de la liberté fondamentale du droit d'agir en justice, à rapprocher : Soc., 16 mars 2016, pourvoi n° 14-23.589, Bull. 2016, V, n° 50 (cassation partielle).

Soc., 19 octobre 2022, n° 21-18.248, (B), FS

Rejet

Licenciement – Nullité – Cas – Enquête administrative – Fondement de l'article L. 114-2, alinéa 1, du code de la sécurité intérieure – Avis d'incompatibilité émis par l'autorité administrative – Portée

L'avis d'incompatibilité émis par l'autorité administrative sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure a pour seul effet de faire obstacle à l'affectation de la personne concernée sur le poste envisagé mais ne peut justifier un licenciement. Une telle mesure n'est autorisée que sur le fondement d'un avis d'incompatibilité délivré en application du deuxième alinéa de l'article L. 114-2, à l'issue du recours spécifique, prévu par le neuvième alinéa de cet article, exercé le cas échéant par l'intéressé.

Ainsi, la saisine de l'administration par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2, alors que le salarié occupe déjà un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes et relève à ce titre du deuxième alinéa de ce texte, constitue un détournement de procédure privant l'intéressé du recours suspensif prévu par cet article et rend le licenciement, prononcé au visa de l'avis d'incompatibilité émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, nul pour violation de la liberté fondamentale d'agir en justice.

Licenciement – Nullité – Cas – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale – Applications diverses – Droit d'agir en justice – Privation – Effets – Emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens – Enquête administrative – Fondement de l'article L. 114-2, alinéa 1, du code de la sécurité intérieure – Avis d'incompatibilité émis par l'autorité administrative – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 mai 2021), rendu en référé, M. [V], engagé le 20 août 2007 en qualité de machiniste receveur stagiaire par la Régie autonome des transports parisiens (RATP), exerçait depuis le 23 décembre 2013 les fonctions d'agent de sécurité au sein du groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR).

2. Par décision du 8 août 2018, le préfet de police de Paris a abrogé la décision d'autorisation de port d'arme précédemment accordée au salarié.

3. Le salarié a postulé à un poste de machiniste-receveur et la RATP a demandé au ministère de l'intérieur une enquête sur la compatibilité du comportement du salarié avec cette fonction, sur le fondement de l'article L. 114-2, alinéa 1, du code de la sécurité intérieure.

Le 30 octobre 2018, le ministre de l'intérieur a rendu un avis d'incompatibilité.

4. Le 12 décembre 2018, le salarié a été licencié, avec dispense de préavis, au visa de cet avis.

5. Sur recours du salarié, le tribunal administratif a, par jugements du 9 mai 2019, annulé la décision d'abrogation de l'autorisation de port d'arme et l'avis d'incompatibilité.

6. Le 13 décembre 2019, le salarié a saisi la formation des référés de la juridiction prud'homale pour obtenir l'annulation du licenciement et sa réintégration.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration du salarié au sein de la RATP dans son dernier poste occupé d'agent de sécurité, ou dans un poste équivalent, dans les quinze jours de la signification de l'arrêt, d'ordonner à défaut de réintégration dans ce délai une astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard pendant six mois, de le condamner à payer par provision au salarié les salaires qu'il n'a pas perçus entre son licenciement et sa réintégration, alors « que le droit au recours effectif devant une juridiction n'a ni pour objet, ni pour effet d'interdire à l'employeur de procéder au licenciement d'un salarié sur le fondement d'une décision administrative rendant impossible l'exercice par le salarié de ses fonctions, dans l'attente d'un éventuel recours exercé par le salarié à l'encontre de cette décision administrative et de l'obtention d'une décision de justice définitive ; que dans une telle hypothèse, si un tel licenciement peut ultérieurement être privé de cause réelle et sérieuse en cas d'annulation de la décision administrative sur laquelle il est appuyé, il ne fait aucunement obstacle à ce que le salarié fasse valoir ses droits, postérieurement au licenciement, devant les juridictions compétentes ; que le droit au recours effectif est alors préservé par la possibilité pour le salarié d'obtenir réparation du préjudice résultant de son licenciement devenu injustifié ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt que le salarié a exercé un recours, d'une part, devant la juridiction administrative pour contester l'avis d'incompatibilité émis par le SNEAS sur le fondement de l'alinéa 1 de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, ayant servi de base à son licenciement, qui a donné lieu au jugement du 9 mai 2019 et, d'autre part, devant la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de son licenciement par la RATP ; que la cour d'appel a néanmoins ordonné la réintégration du salarié au sein de la RATP et lui a alloué une provision au titre des salaires non perçus entre son licenciement et sa réintégration, au motif que la RATP avait prononcé son licenciement au visa de l'avis d'incompatibilité émis par le SNEAS avant que le salarié n'ait pu former un recours administratif à l'encontre de cette décision administrative, dont il n'avait pu prendre connaissance qu'au moment de son licenciement, ce dont elle a déduit que « l'ordonnance rendue le 10 mars 2020 par le juge départiteur qui a dit n'y avoir lieu à référé sera donc infirmée, dès lors que le juge s'est limité à affirmer que le salarié avait bénéficié du droit au recours effectif pour contester la décision administrative, alors que ce recours n'a pu intervenir que postérieurement au licenciement » ; qu'en statuant ainsi, cependant que le droit au recours effectif n'implique pas que le salarié puisse contester en justice le bien-fondé de la cause de son licenciement avant que ledit licenciement ne soit prononcé par l'employeur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constations et a de plus fort violé les articles L. 1235-1, L. 1235-2 et L. 1235-3 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1 du code du travail et 6, §§ 1 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. Il résulte de l'article R. 1455-6 du code du travail que le juge des référés peut, même en l'absence de disposition l'y autorisant, ordonner la poursuite des relations contractuelles en cas de violation d'une liberté fondamentale par l'employeur.

10. Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail, est nul le licenciement intervenu en violation de la liberté fondamentale d'agir en justice.

11. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées.

12. Aux termes du deuxième alinéa de cet article, si le comportement d'une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l'employeur ou à l'initiative de l'autorité administrative.

13. Le septième alinéa de cet article dispose que, lorsque le résultat d'une enquête réalisée en application du deuxième alinéa fait apparaître que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications et, en cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement, l'incompatibilité constituant la cause réelle et sérieuse du licenciement.

14. Selon le neuvième alinéa de cet article, dans le cas d'un avis d'incompatibilité émis par l'autorité administrative à la suite d'une enquête administrative menée sur le fondement du deuxième alinéa de cet article, le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai.

Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de deux mois.

La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige.

15. Il en résulte, d'une part, que l'avis d'incompatibilité émis sur le fondement du premier alinéa de ce texte a pour seul effet de faire obstacle à l'affectation de la personne concernée sur le poste envisagé mais ne peut justifier un licenciement, une telle mesure n'étant autorisée que sur le fondement d'un avis d'incompatibilité délivré en application du deuxième alinéa, à l'issue du recours spécifique exercé le cas échéant par l'intéressé et, d'autre part, que la saisine de l'administration par l'employeur sur un fondement qui ne correspond pas au statut du salarié, constitutive d'un détournement de procédure privant ce dernier du recours suspensif prévu par le texte susvisé, rend le licenciement nul.

16. L'arrêt a constaté que le salarié était affecté depuis le 23 décembre 2013 à un poste d'agent de sécurité au sein du GPSR de la RATP, ce dont il résulte que ce dernier occupait, lors de la demande d'avis, un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes et que l'enquête administrative le concernant relevait du deuxième alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure.

17. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié en ce qu'il a retenu que le licenciement, intervenu alors que l'intéressé n'avait pas eu connaissance des résultats de l'enquête administrative et n'avait pas été en mesure d'exercer le recours suspensif prévu par ce texte, constituait un trouble manifestement illicite et a ordonné sa réintégration.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; Me Ridoux -

Textes visés :

Article L. 114-2, alinéas 1, 2 et 9, du code de la sécurité intérieure.

Soc., 19 octobre 2022, n° 21-12.370, (B), FS

Cassation

Licenciement – Nullité – Exclusion – Cas – Obligation de réserve – Manquement – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 décembre 2020), M. [Z] a été engagé par l'association Mission locale du pays salonais (la mission locale) en qualité de conseiller en insertion sociale et professionnelle, d'abord par contrats à durée déterminée des 2 février 2009 et 1er mars 2010, puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, suivant avenant à effet du 1er mars 2011, avec reprise d'ancienneté au 2 février 2009.

2. Le 1er mai 2015, le salarié a été mis à disposition de la commune de [Localité 3] pour exercer ses fonctions dans le cadre du dispositif intitulé « seconde chance », issu d'une convention de partenariat entre la ville de [Localité 3] et la mission locale. Ce dispositif vise à accompagner les jeunes en difficulté en leur proposant un accompagnement individualisé et personnalisé leur permettant de s'inscrire dans un parcours d'insertion professionnelle.

3. Par lettre du 15 décembre 2015, la mission locale a licencié le salarié pour faute grave, en lui reprochant d'avoir publié sur son compte Facebook, accessible au public, « des propos incompatibles avec l'exercice de [ses] missions et notamment, une critique importante et tendancieuse du parti politique Les Républicains et [du] Front National, ainsi que des appels à la diffusion du Coran, accompagnés de citations de sourates appelant à la violence », ces faits caractérisant des « manifestations politiques et religieuses qui débordent, d'une part de [sa] vie personnelle et, d'autre part, qui comportent des excès remettant en cause la loyauté minimale requise par la qualité juridique de [sa] mission de service public » et constituant une atteinte à l'obligation de neutralité du salarié, laquelle « englobe un devoir de réserve ainsi qu'une obligation de respect de la laïcité », et un abus de sa liberté d'expression.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

4. La mission locale fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a discriminé le salarié en raison de l'expression de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses en procédant à son licenciement, de dire nul le licenciement, de lui ordonner de réintégrer le salarié dans un emploi équivalent à celui qu'il occupait et de la condamner au paiement de diverses sommes, alors :

« 2°/ que le salarié qui participe à une mission de service public est tenu, même en dehors du service, d'un devoir de réserve qui lui impose de s'abstenir de toute manifestation d'opinion de nature à jeter le discrédit sur l'autorité chargée de la mission de service public à laquelle il participe ; qu'il en va ainsi, notamment, d'un salarié appelé à intervenir auprès du jeune public ; qu'en l'espèce, la Mission locale du pays salonais faisait valoir qu'elle avait licencié M. [Z] pour avoir, sur son compte Facebook accessible à tous, violemment critiqué l'action du gouvernement et n'avoir pas respecté les emblèmes de la République comme le drapeau français, ce qui était incompatible avec le devoir de réserve auquel était tenu le salarié en sa qualité d'agent d'une Mission locale investie d'une mission de service public ; qu'en retenant qu'à supposer même que M. [Z] ait participé à une mission de service public, cela ne lui interdisait pas de pouvoir « librement critiquer l'Etat en dehors de son travail », la cour d'appel a violé le devoir de réserve et les articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 5314-2 du code du travail ;

4°/ que le salarié qui participe à une mission de service public est tenu par une obligation de laïcité qui lui interdit de faire du prosélytisme religieux ; qu'il en va ainsi, notamment, d'un salarié appelé à intervenir auprès du jeune public ; qu'en l'espèce, la Mission locale du pays salonais faisait valoir qu'elle avait licencié M. [Z] pour avoir, sur son compte Facebook accessible à tous, fait du prosélytisme religieux agressif en, notamment, diffusant des sourates du Coran appelant au combat et en invitant à diffuser massivement le Coran ; qu'en retenant que « l'employeur ne pouvait (...) faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail » et que « le devoir de réserve qui s'impose [au salarié] en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux », la cour d'appel a violé le principe de laïcité du service public, ensemble les articles L. 5314-2, L. 1121-1 et L. 1132-1 du code du travail ;

5°/ que les salariés de droit privé mis à disposition d'une collectivité territoriale sont soumis aux mêmes obligations que les fonctionnaires, dont les obligations de neutralité et de laïcité ; qu'en l'espèce, en retenant qu'un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perdait nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et qu'il pouvait librement critiquer l'Etat et se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail, la cour d'appel a violé l'article 61-2 de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 et l'article 11 du décret d'application du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen, pris en sa cinquième branche

5. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est nouveau en ce que la mission locale n'a pas invoqué devant les juges du fond l'application des articles 61-2 de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 et 11 du décret d'application du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux.

6. Cependant, devant les juges du fond, l'employeur invoquait la violation par le salarié de son obligation de neutralité en sa qualité de salarié de la mission locale mis à disposition de la commune de [Localité 3].

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les principes de laïcité et de neutralité du service public, les articles L. 1133-1, L. 5314-1 et L. 5314-2 du code du travail, l'article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007, et l'article 11 du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux :

8. En premier lieu, les principes de laïcité et de neutralité du service public qui résultent de l'article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 sont applicables à l'ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé.

9. L'article L. 5314-1 du code du travail prévoit que des missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes peuvent être constituées entre l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des organisations professionnelles et syndicales et des associations. Elles prennent la forme d'une association ou d'un groupement d'intérêt public.

10. Selon l'article L. 5314-2 du même code, les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, dans le cadre de leur mission de service public pour l'emploi, ont pour objet d'aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement à l'accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi. Elles favorisent la concertation entre les différents partenaires en vue de renforcer ou compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion professionnelle et sociale.

Elles contribuent à l'élaboration et à la mise en oeuvre, dans leur zone de compétence, d'une politique locale concertée d'insertion professionnelle et sociale des jeunes.

Les résultats obtenus par les missions locales en termes d'insertion professionnelle et sociale, ainsi que la qualité de l'accueil, de l'information, de l'orientation et de l'accompagnement qu'elles procurent aux jeunes sont évalués dans des conditions qui sont fixées par convention avec l'Etat, la région et les autres collectivités territoriales qui les financent.

Les financements accordés tiennent compte de ces résultats.

11. Il résulte de ces dispositions que les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes constituées sous forme d'association sont des personnes de droit privé gérant un service public.

12. Il s'ensuit que le salarié de droit privé employé par une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, constituée sous forme d'association, est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l'exercice de ses fonctions.

13. En second lieu, l'article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable, prévoit que les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs peuvent, lorsque des fonctions exercées en leur sein nécessitent une qualification technique spécialisée, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé, dans les cas et conditions définis par décret en Conseil d'Etat et que les personnels ainsi mis à disposition sont soumis aux règles d'organisation et de fonctionnement du service où ils servent et aux obligations s'imposant aux fonctionnaires.

14. Selon l'article 11, I, du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008, les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés à l'article 2 de la loi du 26 janvier 1984 peuvent, lorsque les besoins du service le justifient, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé pour la réalisation d'une mission ou d'un projet déterminé qui ne pourrait être mené à bien sans les qualifications techniques spécialisées détenues par un salarié de droit privé.

15. Au termes de l'article 11, III, du même décret, les règles déontologiques qui s'imposent aux fonctionnaires sont opposables aux personnels mis à disposition en application du I.

16. Il en résulte que le salarié de droit privé mis à disposition d'une collectivité publique territoriale est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l'exercice de ses fonctions.

17. Pour dire que la mission locale a discriminé le salarié en raison de l'expression de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses en procédant à son licenciement et annuler en conséquence le licenciement, l'arrêt retient qu'un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perd nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et peut librement critiquer l'Etat en dehors de son travail.

18. L'arrêt retient encore que la mission locale ne peut imposer au salarié le respect de la laïcité en dehors de son activité professionnelle lui interdisant tout prosélytisme religieux dans l'espace public hors le cadre de son service, qu'en effet l'employeur ne constitue nullement une organisation confessionnelle et la laïcité ne s'impose pas aux citoyens dans l'espace public en dehors du service public, puisqu'au contraire la laïcité garantit à chacun l'exercice public de sa foi, qu'ainsi l'employeur ne pouvait faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail, le devoir de réserve qui s'impose à lui en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux, indépendamment d'éventuels rapports entre foi et activité professionnelle, lesquels rapports ne sont nullement caractérisés en l'espèce.

19. L'arrêt en déduit qu'en reprochant au salarié, au soutien de la mesure de licenciement, de n'avoir pas obtempéré à l'injonction illégitime visant à restreindre sa liberté politique et sa liberté religieuse, l'employeur a commis une discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail, laquelle commande la nullité du licenciement aux termes de l'article L. 1132-4 du même code.

20. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié, conseiller en insertion sociale et professionnelle, référent au sein de la commune de [Localité 3] pour les missions d'insertion auprès d'un public de jeunes en difficulté scolaire et professionnelle, en grande fragilité sociale, avait publié sur son compte Facebook ouvert à tous, sous son propre nom, fin novembre et début décembre 2015, des commentaires mentionnant « Je refuse de mettre le drapeau... Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu'il soit », « Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat », la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme il lui était demandé, si la consultation du compte Facebook du salarié permettait son identification en qualité de conseiller d'insertion sociale et professionnelle affecté au sein de la commune de [Localité 3], notamment par les jeunes en difficulté auprès desquels le salarié exerçait ses fonctions, et si, au regard de la virulence des propos litigieux ainsi que de la publicité qui leur était donnée, lesdits propos étaient susceptibles de caractériser un manquement à l'obligation de réserve du salarié en dehors de l'exercice de ses fonctions en tant qu'agent du service public de l'emploi mis à la disposition d'une collectivité territoriale, en sorte que son licenciement était justifié par une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article L. 1133-1 du code du travail, tenant au manquement à son obligation de réserve, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; articles L. 5314-1, L. 5314-2 et L. 1133-1 du code du travail ; article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique ; article 11 du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux.

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