Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

UNION EUROPEENNE

Soc., 13 octobre 2021, n° 20-13.317, (B)

Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union européenne – Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 – Articles 4, § 1 et 20, § 1 – Application – Détermination

Il y a lieu de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions suivantes :

« - Les articles 4, § 1, et 20, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cas où est alléguée, à l'égard d'une société domiciliée sur le territoire d'un Etat membre et attraite par un travailleur devant les juridictions de cet Etat, une situation de coemploi du même travailleur engagé par une autre société, ladite juridiction n'est pas tenue, pour déterminer sa compétence pour statuer sur les demandes formées contre les deux sociétés, d'apprécier préalablement l'existence d'une situation de coemploi ?

- Les mêmes articles doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans un tel cas, l'autonomie des règles spéciales de compétence en matière de contrats individuels de travail ne fait pas obstacle à l'application de la règle générale de compétence des juridictions de l'Etat membre du domicile du défendeur énoncée à l'article 4, § 1, du règlement n° 1215/2012 ? ».

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 décembre 2019), M. [H] a été engagé par la société Geos International Consulting Limited en qualité d'administrateur réseau, le 1er octobre 2016.

2. Cette société, établie au Royaume-Uni, est la filiale de la société de droit français Geos.

3. Le salarié a effectué différentes missions à Kaboul (Afghanistan) au cours de la relation de travail.

4. Après avoir reçu un avertissement le 2 octobre 2017, le salarié a été licencié le 11 janvier 2018 par la société britannique.

5. Par requête du 9 mai 2018, alléguant une situation de coemploi, il a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier afin d'obtenir la condamnation solidaire des sociétés Geos International Consulting Limited et Geos à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité de préavis et de droits à congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et exécution déloyale du contrat de travail, ainsi qu'à lui remettre, à peine d'astreinte, des documents de fin de contrat.

6. Par jugement du 17 mai 2019, cette juridiction a écarté l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés au profit des juridictions britanniques après avoir déclaré recevables les demandes formées par le salarié contre la société Geos. Elle a également renvoyé l'affaire afin qu'il soit statué au fond.

7. Par arrêt du 18 décembre 2019, la cour d'appel de Montpellier a réformé ce jugement en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau, elle a dit que les juridictions françaises sont territorialement incompétentes pour connaître du litige et renvoyé le salarié à mieux se pourvoir.

8. Pour statuer ainsi, la cour d'appel a d'abord constaté que le salarié a été engagé à compter du 1er octobre 2016 par la société Geos International Consulting Limited, établie à Londres (Royaume-Uni), que la société Geos est la société mère de cette dernière et que le salarié a effectué différentes missions exclusivement à Kaboul. Elle a retenu, ensuite, que le salarié n'accomplissait pas habituellement son travail en France ou à partir de la France, que le dernier lieu où il a accompli son travail était l'Afghanistan et que l'établissement qui l'a embauché ne se situait pas sur le territoire français.

9. Le salarié a formé un pourvoi contre cet arrêt.

10. Les sociétés ont sollicité le rejet du pourvoi et, à titre subsidiaire, que soient posées à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

« L'article 4 du Règlement UE n° 1215-2012 du 12 décembre 2012 doit-il être interprété en ce sens qu'il permet à un salarié français, lié par un contrat de travail à une société établie dans un autre Etat membre, qui exécute son travail hors de France sous la subordination de cette société, d'attraire devant les juridictions françaises la société mère établie en France dans un litige relatif au contrat de travail en se bornant à invoquer la qualité de co-employeur de cette société mère, sans avoir d'autre preuve à rapporter ?

Ou le Règlement UE n° 1215-2012 du 12 décembre 2012 doit-il être interprété en ce sens que, dans une telle hypothèse, le salarié doit rapporter la preuve de la qualité d'employeur, laquelle est une notion autonome de droit de l'Union, de la société qu'il attrait devant les juridictions françaises ? »

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises sont territorialement incompétentes pour connaître du litige et de le renvoyer à se pourvoir comme il appartiendra, alors « qu'aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre ; qu'en l'espèce, l'instance ayant été engagée à l'encontre de la SAS Geos dont le siège social est en France, les juridictions françaises étaient dès lors compétentes pour connaître du litige ; qu'en jugeant cependant que les juridictions françaises étaient territorialement incompétentes, la cour d'appel a violé l'article 4 du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

12. Les sociétés contestent la recevabilité du moyen. Elles soutiennent que celui-ci est contraire aux conclusions d'appel du salarié.

13. Cependant les écritures déposées devant les juges du fond, qui soutenaient que tant le demandeur que le défendeur au procès sont français de sorte que le litige doit être porté devant la juridiction française et que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur sont compatibles avec le moyen.

14. Le moyen est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Le droit de l'Union

15. L'article 2, §1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale disposait que, sous réserve des dispositions de ce règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

16. En vertu de l'article 6, point 1, de ce règlement, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre pouvait être attraite, s'il y avait plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes fussent liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y avait intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui auraient pu être inconciliables si les causes avaient été jugées séparément.

17. L'article 18, § 1, de ce règlement prévoyait que, en matière de contrats individuels de travail, la compétence était déterminée par la section 5 du chapitre II dudit règlement, sans préjudice de l'article 4 et de l'article 5, point 5.

18. Le règlement n° 44/2001 a été abrogé par le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

19. En vertu de son article 81, ce dernier règlement est applicable à partir du 10 janvier 2015 à l'exception de ses articles 75 et 76.

20. Inséré dans la section 1 du chapitre II du règlement n° 1215/2012, l'article 4, § 1, de ce dernier prévoit que, sous réserve du même règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.

21. Aux termes de l'article 20, § 1, de ce règlement, qui figure dans la section 5 du chapitre II de ce dernier, en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par cette section, sans préjudice de l'article 6, de l'article 7, point 5), et, dans le cas d'une action intentée à l'encontre d'un employeur, de l'article 8, point 1).

22. En vertu de l'article 8, point 1), dudit règlement, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Questions nécessaires à la solution du litige

23. Les dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement n° 1215/2012 présentent un caractère non seulement spécial, mais encore exhaustif (CJUE, arrêts du 14 septembre 2017, [N] e.a., C-168/16 et C-169/16, point 51, ainsi que du 21 juin 2018, Petronas Lubricants Italy, C-1/17, point 25).

24. La notion de ‘‘contrat individuel de travail'' au sens de ce règlement suppose un lien de subordination du travailleur à l'égard de l'employeur, la caractéristique essentielle du rapport de travail étant la circonstance qu'une personne est obligée d'accomplir, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle a le droit de percevoir une rémunération (CJUE, arrêt du 25 février 2021, Markt24, C-804/19, point 27).

25. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une société faisant partie d'un groupe est qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre s'il existe un lien de subordination ou s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-13.769, publié).

26. À la suite de l'arrêt Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline (CJCE, 22 mai 2008, C-462/06), la Cour de cassation a exclu que, dans une situation alléguée de coemploi d'un travailleur par une société mère établie en France et par la société filiale, établie dans un autre État membre, qui a engagé ce travailleur, soit retenue la compétence des juridictions françaises pour statuer sur les demandes formées par ledit travailleur contre la société filiale sur le fondement de la règle de conflit prévue à l'article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, en considérant que cette compétence devait être appréciée au regard des dispositions de l'article 19 de ce règlement (Soc., 16 décembre 2008, pourvoi n° 04-44.713, Bull. 2008, V, n° 248).

27. Dans le contexte du règlement n° 44/2001 et alors qu'était alléguée par un travailleur une situation de coemploi à l'égard d'une société mère domiciliée en France et de la société filiale, domiciliée dans un autre État, qui a engagé ce travailleur, la Cour de cassation a également jugé que les juridictions françaises étaient compétentes, sur le fondement de l'article 2, § 1, de ce règlement, pour connaître de l'action formée par ledit travailleur contre ces sociétés en raison du lieu du domicile de la société mère, sans que ces juridictions aient à apprécier préalablement l'existence d'un lien de subordination direct avec la société mère (Soc., 28 janvier 2015, pourvoi n° 13-23.006, Bull. 2015, V, n° 17).

28. Elle a considéré que, dans un tel cas, l'autonomie des règles spéciales de compétence en matière de contrats individuels de travail, énoncées à la section 5 du chapitre II dudit règlement, ne faisait pas obstacle à l'application de la règle générale de compétence des juridictions de l'État membre du lieu du domicile du défendeur prévue par l'article 2, § 1, du règlement n° 44/2001.

29. Il résultait en effet de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline, précité), rendue à propos du règlement n° 44/2001, que la juridiction compétente à l'encontre de la société filiale employeur ne pouvait être saisie d'une demande au titre du coemploi à l'encontre de la société mère ayant son siège social dans un autre Etat membre, la règle de compétence spéciale prévue à l'article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 ne pouvant pas trouver à s'appliquer à un litige relevant de la section 5 du chapitre II dudit règlement, relative aux règles de compétence applicables en matière de contrats individuels de travail.

30. Dès lors que la jurisprudence française retient une notion du coemploi qui ne se limite pas à l'existence d'un lien de subordination direct entre le salarié de la société filiale et la société mère, mais vise aussi les situations décrites au paragraphe 25 du présent arrêt, le recours à la règle de compétence générale de l'article 2, § 1, du règlement n° 44/2001 était le seul moyen, en l'absence d'application de la règle de connexité prévue à l'article 6, point 1, de ce règlement, de déterminer un juge compétent pour apprécier le bien fondé de la demande du salarié au titre d'un coemploi structurel ou collectif.

31. Le règlement n° 1215/2012 prévoit, désormais, en vertu de ses articles 20, § 1, et 8, point 1), que, dans le cas d'une action intentée à l'encontre d'un employeur, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

32. En l'état de ces dispositions nouvelles qui permettent au travailleur, dans une situation alléguée de coemploi répondant à ces critères de connexité, de saisir les juridictions de l'État membre du domicile de la société qui l'a engagé ou celles de l'État membre du domicile du coemployeur, la Cour de cassation s'interroge sur l'articulation de la règle de compétence générale énoncée à l'article 4, § 1, du règlement n° 1215/2012 avec la section 5 du chapitre II de ce règlement.

33. Se pose, dès lors, la question de savoir si l'article 4, § 1, et l'article 20, § 1, dudit règlement doivent être interprétés en ce sens que dans le cas où est alléguée, à l'égard d'une société domiciliée sur le territoire d'un État membre et attraite par un travailleur devant les juridictions de cet État, une situation de coemploi du même travailleur engagé par une autre société, ladite juridiction n'est pas tenue, pour déterminer sa compétence pour statuer sur les demandes formées contre les deux sociétés, d'apprécier préalablement l'existence d'une situation de coemploi.

34. Se pose également la question de savoir si, dans un tel cas, l'autonomie des règles spéciales de compétence en matière de contrats individuels de travail ne fait pas obstacle à l'application de l'article 4, § 1, dudit règlement.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

 - Les articles 4, § 1, et 20, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cas où est alléguée, à l'égard d'une société domiciliée sur le territoire d'un État membre et attraite par un travailleur devant les juridictions de cet État, une situation de coemploi du même travailleur engagé par une autre société, ladite juridiction n'est pas tenue, pour déterminer sa compétence pour statuer sur les demandes formées contre les deux sociétés, d'apprécier préalablement l'existence d'une situation de coemploi ?

 - Les mêmes articles doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans un tel cas, l'autonomie des règles spéciales de compétence en matière de contrats individuels de travail ne fait pas obstacle à l'application de la règle générale de compétence des juridictions de l'État membre du domicile du défendeur énoncée à l'article 4, § 1, du règlement n° 1215/2012 ?

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles 4, § 1, et 20, §1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

2e Civ., 14 octobre 2021, n° 19-11.758, (B) (R)

Cassation

Protection des consommateurs – CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08 – Clauses abusives – Caractère abusif – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mars 2018), M. [O] a adhéré, le 7 octobre 2003, pour une durée de 10 années minimum, au contrat collectif d'assurance sur la vie « la Mondiale Stratégie TNS », souscrit par l'association Amphitea (le souscripteur) auprès de la société Mondiale partenaire (l'assureur).

2. Constatant une baisse du montant de la rente annuelle susceptible de lui être versée à compter du 1er janvier 2014 et estimant que l'application par l'assureur d'une table « unisexe » de conversion du capital en rente, née de l'application en droit interne des dispositions de la directive 2004/113/CE mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes, particulièrement en matière d'assurances, ne lui était pas opposable, M. [O] a assigné l'assureur et le souscripteur devant un tribunal aux fins d'exécution de leurs engagements contractuels et, subsidiairement, d' indemnisation.

Sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

4.Il est statué sur ce moyen après avis de la première chambre civile du 26 mai 2021, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.

Vu l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation :

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, [V], C-243/08).

6. Selon le texte susvisé, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

7. Pour rejeter les demandes de M. [O], l'arrêt, après avoir relevé que la clause litigieuse porte sur le paragraphe X intitulé « Transformation en rente » des conditions générales qui stipule que « l'épargne constituée à la date de la transformation en rente détermine le capital constitutif de la rente, le montant de la rente est alors calculé selon le tarif en vigueur à la date de transformation en rente et les options choisies au titre des garanties proposées », énonce, par motifs propres et adoptés, que le contrat souscrit ne vise aucune table de mortalité, que M. [O] n'établit nullement que cette clause emporterait l'obligation d'appliquer la table de rente différenciée TGH05 et que sa modification, ou celle de toute autre clause, aurait mis fin à cette obligation en cours de contrat de sorte que l'application de la table de mortalité unisexe en vigueur au moment où M. [O] a demandé le calcul de la rente était la parfaite application des dispositions contractuelles.

8. La décision ajoute qu'à supposer qu'elle puisse constituer une modification du contrat, celle-ci ne résulterait pas de la volonté unilatérale de l'assureur mais de l'application combinée de l'article L. 111-7 du code des assurances résultant de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 et de la volonté des parties puisque, si le texte de la loi autorise le maintien de tables de rente distinctes, selon le sexe de l'adhérent, pour les contrats et les adhésions respectivement conclus ou effectuées antérieurement au 20 décembre 2012 ou reconduits tacitement après cette date, il n'interdit pas, en revanche, l'application immédiate des nouvelles dispositions aux contrats en cours, conformément aux dispositions contractuelles acceptées par l'assureur et le souscripteur.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle, d'une part, que la clause X définissait l'objet principal du contrat, en ce qu'elle prévoyait les modalités de la transformation en rente de l'épargne constituée par l'adhérent, d'autre part, qu'elle renvoyait, sans autre précision, au « tarif en vigueur », de sorte qu'il lui incombait d'examiner d'office la conformité de cette clause aux dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives en recherchant si elle était rédigée de façon claire et compréhensible et permettait à l'adhérent d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlaient pour lui, et, dans le cas contraire, si elle n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 1er octobre 2014, pourvoi n° 13-21.801, Bull. 2014, I, n° 158 (cassation partielle) ; 1re Civ., 12 mai 2016, pourvoi n° 14-24.698, Bull. 2016, I, n° 111 (cassation partielle) ; 1re Civ., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-20.621, Bull. 2016, I, n° 205 (cassation partielle sans renvoi) ; 1re Civ., 29 mars 2017, pourvoi n° 16-13.050, Bull. 2017, I, n° 78 (cassation partielle) ; 1re Civ., 29 mars 2017, pourvoi n° 15-27.231, Bull. 2017, I, n° 77 (cassation partielle).

Com., 20 octobre 2021, n° 20-14.275, (B)

Cassation partielle

Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 – Article 25 – Clause attributive de juridiction – Lettre de transport maritime – Inopposabilité – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 6 février 2020), la société chilienne ST Andrews Smoky Delicacies (la société Andrews) a confié à la société Damco Chile, commissionnaire de transport, l'organisation du transport, de Coronel (Chili) au Havre (France), d'un lot de moules congelées vendues à la société française Miti, selon un connaissement du 17 avril 2014, à ordre de la société Crédit agricole, mentionnant la société Andrews en qualité de chargeur et la société Miti en qualité de « notify ».

Par un « sea waybill » de la même date, mentionnant la société Damco Chile en qualité de chargeur, cette dernière s'est substituée la société Mediterranean Shipping Company - MSC (la société MSC) pour effectuer le transport maritime de la marchandise, la société Damco France apparaissant en qualité de « notify » et destinataire.

Sur les instructions de la société Miti, la société Crédit agricole a obtenu la remise de la marchandise par la société MSC à la société Seafrigo, transitaire, qui a fait assurer la marchandise auprès de la société Helvetia assurances (la société Helvetia). Des avaries ayant été constatées à la livraison, la société Helvetia a indemnisé la société Seafrigo et, par un acte du 18 juin 2015, saisi le tribunal de commerce du Havre d'une action dirigée contre les sociétés Damco Chile et Damco France ainsi que la société MSC, laquelle a décliné la compétence de la juridiction saisie en opposant une clause de son « sea waybill » attribuant compétence à la High Court de Londres.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Helvetia fait grief à l'arrêt de dire que le tribunal de commerce du Havre est incompétent pour connaître de son action principale engagée à l'encontre de la société MSC, alors « que le destinataire réel de la marchandise ou son mandataire qui ne figure en aucune qualité sur une lettre de transport maritime ne peut être considéré comme tiers porteur de cette lettre, de sorte que la clause attributive de juridiction y figurant ne lui est pas opposable ; qu'ayant constaté que la société Seafrigo n'était pas partie à la lettre de transport maritime (sea waybill) la cour d'appel ne pouvait pas lui opposer la clause attributive de juridiction figurant dans cette lettre, sauf à relever, ce qu'elle n'a pas fait, que la société Seafrigo s'était vu céder cette lettre ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :

3. Il résulte de ce texte qu'une clause attributive de juridiction convenue entre un transporteur et un chargeur et insérée dans une lettre de transport maritime, produit ses effets à l'égard du tiers porteur de la lettre de transport maritime pour autant que, en l'acquérant, il ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable. Dans le cas contraire, il convient de vérifier son consentement à la clause, au regard des exigences de ce texte.

4. Pour déclarer le tribunal de commerce du Havre incompétent pour connaître de l'action principale engagée par la société Helvetia contre la société MSC, l'arrêt retient que la société Seafrigo n'était pas initialement partie au « sea waybill » émis par la société MSC. Puis il relève que la société Crédit agricole, agissant sur les instructions de la société Miti, a autorisé la société Damco Chile à relâcher la marchandise en faveur de la société Seafrigo, transitaire de la société Miti, et que la société Damco France a demandé à la société MSC de relâcher le conteneur en faveur de la société Seafrigo. Il en déduit que celle-ci s'est ainsi trouvée substituée dans les droits et obligations de la société Damco France, en qualité de destinataire, et que l'action de la société Helvetia, subrogée dans les droits de la société Seafrigo, relève de la compétence de la High Court de Londres.

5. En statuant ainsi, alors que le destinataire réel de la marchandise ou son mandataire, qui ne figure en aucune qualité sur une lettre de transport maritime, ne peut être considéré comme un tiers porteur de ce document, de sorte que la clause attributive de juridiction y figurant ne lui est pas opposable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen du chef de la déclaration d'incompétence pour connaître de l'action principale de la société Helvetia contre la société MSC entraîne la cassation de la disposition critiquée par le second qui, constatant le lien de connexité entre cette action et celle dirigée par la société Helvetia contre les sociétés Damco France et Damco Chile et renvoyant les parties à mieux se pourvoir, s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le tribunal de commerce du Havre est incompétent pour connaître de l'action principale de la société Helvetia assurances engagée à l'encontre de la société Mediterranean Shipping Company - MSC, constate le lien de connexité entre cette action et l'action dirigée par la société Helvetia assurances à l'encontre des sociétés Damco France et Damco Chile et renvoie en conséquence les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; Me Balat ; SCP Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Rapprochement(s) :

Sur la question de la qualification de tiers porteur du destinataire réel de la marchandise ne figurant en aucune qualité sur un connaissement, à rapprocher : Com., 27 septembre 2017, pourvoi n° 15-25.927, Bull. 2017, IV, n° 132 (rejet).

Soc., 13 octobre 2021, n° 19-20.561, (B)

Cassation partielle

Travail – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 – Articles 17, §1, et 19 – Dérogations – Conditions – Détermination – Cas – Forfait en jours sur l'année – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 5 juin 2019), M. [R] a été engagé le 13 mars 1992, par la caisse régionale de Crédit agricole de la Touraine et du Poitou en qualité d'agent administratif. Il a été promu directeur d'agence et a signé une convention de forfait en jours prévoyant 206 jours de travail annuel le 29 juin 2006.

La relation de travail était soumise à la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987.

2. Le salarié a démissionné par lettre recommandée le 11 avril 2016.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale le 9 décembre 2016 aux fins, notamment, d'obtenir la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec toutes conséquences de droit, ainsi que le paiement d'une somme au titre des congés payés et le prononcé de la nullité de la convention de forfait en jours.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 ancien du code du travail, dans sa rédaction applicable, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

6. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

7. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

8. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

9. Pour débouter le salarié de sa demande en nullité de la convention individuelle de forfait en jours, l'arrêt retient qu'il est établi que la convention collective du Crédit agricole et son annexe 2 autorisent la signature d'une convention de forfait pour un cadre du niveau de responsabilité et d'autonomie du salarié, qu'il a été prévu par la convention de forfait en jours signée que la durée quotidienne de travail devait rester en moyenne inférieure à la durée maximale prévue pour les personnes dont le décompte du temps de travail s'effectue en heures, soit alors dix heures, qu'en cas de situation durable d'amplitude journalière forte de travail, un point serait fait avec la hiérarchie pour rechercher des moyens d'y remédier et que le salarié bénéficiait, au-delà des deux jours de repos hebdomadaires consécutifs dont le dimanche, de cinquante-six jours de congés dans l'année, compte tenu d'un droit à congé payé complet.

10. En statuant ainsi, alors que les dispositions de l'annexe 2 - durée et organisation du temps de travail - à la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987, issue de l'accord sur le temps de travail au Crédit agricole du 13 janvier 2000, qui se bornent à prévoir que le nombre de jours travaillés dans l'année est au plus de 205 jours, compte tenu d'un droit à congé payé complet, que le contrôle des jours travaillés et des jours de repos est effectué dans le cadre d'un bilan annuel, défini dans le présent accord et qu'un suivi hebdomadaire vérifie le respect des règles légales et conventionnelles les concernant en matière de temps de travail, notamment les onze heures de repos quotidien, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande de nullité de la convention de forfait en jours, et en ce qu'il condamne M. [R] aux dépens et le déboute de sa demande au titre des frais irrépétibles, l'arrêt rendu le 5 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 11 ; article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ; article L. 212-15-3 ancien du code du travail, dans sa rédaction applicable, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ; article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; annexe 2 de la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987, issue de l'accord sur le temps de travail du Crédit agricole du 13 janvier 2000.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité des conventions de forfait en jours au regard de la durée du travail et des repos, journaliers et hebdomadaires, à rapprocher : Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-12.208, Bull. 2021, (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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