Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE

Soc., 13 octobre 2021, n° 20-16.584, n° 20-16.598, n° 20-16.599, (B)

Cassation

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Préjudice spécifique d'anxiété – Préjudice personnellement subi par le salarié – Caractérisation – Conditions – Risque élevé de développer une pathologie grave – Portée

En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition au benzène ou à une autre substance toxique ou nocive, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi.

Ne donne pas de base légale à sa décision, la cour d'appel qui, pour allouer aux salariés une indemnité en réparation de leur préjudice d'anxiété, se détermine par des motifs généraux, insuffisants à caractériser le préjudice personnellement subi par les salariés, résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-16.584, 20-16.598 et 20-16.599 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société Essex du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Nexans France et Nexans Wires.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Douai, 28 février 2020), rendus sur renvoi après cassation (Soc.,17 février 2016, pourvois n° 14-23.973, 14-24.000, 14-24.001) MM. [K], [D] et [Y] ont été licenciés pour motif économique le 25 août 2008 par la société Essex qui a décidé la fermeture de son établissement de [Localité 1] et se sont vus remettre une attestation d'exposition au benzène.

4. Ils ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société fait grief aux arrêts de la condamner à verser aux salariés une somme en réparation de leur préjudice d'anxiété, alors « que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'exposition à un agent nocif ; qu'il appartient donc au salarié, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés établissant la réalité de son anxiété, qui ne peuvent se déduire de la seule exposition à un agent nocif et de l'existence d'un suivi médical post-exposition ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que les défendeurs au pourvoi n'établissaient pas la réalité du préjudice d'anxiété dont ils demandaient la réparation ; qu'en se bornant à déduire le préjudice de la connaissance de l'exposition à un risque révélé par l'attestation remise par l'employeur au moment de la rupture des contrats de travail, la cour d'appel, qui n'a relevé aucun élément personnel et circonstancié de nature à établir l'anxiété de chacun des défendeurs aux pourvois, a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave et a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen contestée par la défense

6. Les fins de non-recevoir ont été soulevées par les défendeurs dans un mémoire complémentaire remis au greffe de la Cour de cassation le 8 mars 2021, soit après l'expiration du délai de deux mois prévu à l'article 982 du code de procédure civile, qui expirait le 22 décembre 2020.

7. Elles ne peuvent en conséquence être examinées.

Bien fondé du moyen

Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, et l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante ou à une autre substance toxique ou nocive, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

9. Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'un tel risque.

10. Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés.

11. Pour condamner la société à payer aux salariés une indemnité en réparation de leur préjudice d'anxiété, les arrêts retiennent que la réalité de ce préjudice résulte de l'établissement d'une attestation d'exposition à destination des salariés, lesquels ont été informés à cette occasion de la possibilité de la mise en oeuvre d'un suivi post-professionnel, que l'anxiété des salariés est la conséquence directe de l'appréciation de la situation par les autorités médicales et sanitaires, qui se traduit compte tenu des conséquences potentielles au niveau de l'état de santé d'une exposition à une substance nocive et dangereuse par la mise en oeuvre d'un suivi particulier si les salariés le souhaitent, que les salariés justifient à ce titre d'une inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée au benzène, avec le risque d'une pathologie particulièrement grave pouvant être la cause de leur décès, qu'ils justifient ainsi de l'existence d'un préjudice d'anxiété en lien avec un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

12. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser le préjudice d'anxiété personnellement subi par les salariés et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, les arrêts rendus le 28 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité d'établir un préjudice personnellement subi par le salarié résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, dans le même sens que : Ass. plén., 9 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442, Bull. 2019, (cassation partielle).

Soc., 13 octobre 2021, n° 20-16.585, n° 20-16.586, n° 20-16.587, n° 20-16.588, n° 20-16.589, n° 20-16.590, n° 20-16.591, n° 20-16.592, n° 20-16.594, n° 20-16.595 et suivants, (B)

Cassation

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Préjudice spécifique d'anxiété – Préjudice personnellement subi par le salarié – Caractérisation – Conditions – Risque élevé de développer une pathologie grave – Portée

En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante ou à une autre substance toxique ou nocive, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi.

Ne donne pas de base légale à sa décision, la cour d'appel qui, pour allouer aux salariés une indemnité en réparation de leur préjudice d'anxiété, se détermine par des motifs généraux, insuffisants à caractériser le préjudice personnellement subi par les salariés, résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-16.585, 20-16.586, 20-16.587, 20-16.588, 20-16.589, 20-16.590, 20-16.591, 20-16.592, 20-16.594, 20-16.595, 20-16.596, 20-16.597, 20-16.600, 20-16.601, 20-16.602, 20-16.603, 20-16.604, 20-16.605, 20-16.606, 20-16.607, 20-16.608, 20-16.609, 20-16.610, 20-16.611, 20-16.612, 20-16.613, 20-16.614, 20-16.615, 20-16.616, 20-16.618, et 20-16.619 sont joints.

Reprise d'instance

2. Il est donné acte aux consorts [F] de leur reprise d'instance en qualité d'ayants droit de [OI] [F], décédé.

Désistement partiel

3. Il est donné acte à la société Essex du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Nexans France et Nexans Wires.

Faits et procédure

4. Selon les arrêts attaqués (Douai, 28 février 2020), rendus sur renvoi après cassation (Soc.,17 février 2016,pourvois n° 14-23.962,14-23.966, 14-23.969, 14-23.974, 14-23.977, 14-23.978, 14-23.980 à 14-23.981, 14-23.983, 14-23.984, 14-23.987 à 14-23.991, 14-23.995 à 14-23.999, 14-24.002 à 14-24.010, 14-24.012 et 14-24.013), M. [R] et trente autres salariés ont été licenciés pour motif économique entre la fin du mois d'août 2008 et le mois de février 2009 par la société Essex qui a décidé la fermeture de son établissement de [Localité 1] et se sont vus remettre une attestation d'exposition à l'amiante.

5. Ils ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société fait grief aux arrêts de la condamner à verser aux salariés une somme en réparation de leur préjudice d'anxiété, alors « que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'exposition à un agent nocif ; qu'il appartient donc au salarié, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés établissant la réalité de son anxiété, qui ne peuvent se déduire de la seule exposition à un agent nocif et de l'existence d'un suivi médical postexposition ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que les défendeurs au pourvoi n'établissaient pas la réalité du préjudice d'anxiété dont ils demandaient la réparation ; qu'en se bornant à déduire le préjudice de la connaissance de l'exposition à un risque révélé par l'attestation remise par l'employeur au moment de la rupture des contrats de travail, la cour d'appel, qui n'a relevé aucun élément personnel et circonstancié de nature à établir l'anxiété de chacun des défendeurs aux pourvois, a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave et a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen contestée par la défense

7. Les fins de non-recevoir ont été soulevées par les défendeurs dans un mémoire complémentaire remis au greffe de la Cour de cassation le 8 mars 2021, soit après l'expiration du délai de deux mois prévu à l'article 982 du code de procédure civile.

8. Elles ne peuvent en conséquence être examinées.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, et l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante ou à une autre substance toxique ou nocive, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

10. Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'un tel risque.

11. Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés.

12. Pour condamner la société à payer aux salariés une indemnité en réparation de leur préjudice d'anxiété, les arrêts retiennent que la réalité de ce préjudice résulte de l'établissement d'une attestation d'exposition à destination des salariés, lesquels ont été informés à cette occasion de la possibilité de la mise en oeuvre d'un suivi post-professionnel, que l'anxiété des salariés est la conséquence directe de l'appréciation de la situation par les autorités médicales et sanitaires, qui se traduit compte tenu des conséquences potentielles au niveau de l'état de santé d'une exposition à une substance nocive et dangereuse, par la mise en oeuvre d'un suivi particulier si les salariés le souhaitent, que les salariés justifient à ce titre d'une inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, avec le risque d'une pathologie particulièrement grave pouvant être la cause de leur décès, qu'ils justifient ainsi de l'existence d'un préjudice d'anxiété en lien avec un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser le préjudice d'anxiété personnellement subi par les salariés et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, les arrêts rendus le 28 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité d'établir un préjudice personnellement subi par le salarié résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, dans le même sens que : Ass. plén., 5 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442, Bull. 2019, (cassation partielle) ; Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 19-10.352, Bull. 2020, (cassation partielle).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.