Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

Partie III - Décisions du Tribunal des conflits

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 11 octobre 2021, n° 21-04.222, (B)

Compétence du juge judiciaire – Exclusion – Cas – Contentieux de l'imposition – Demande de paiement de redevances pour pollution de l'eau et pour modernisation des réseaux de collecte

Eu égard à leur nature, la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique et la redevance pour modernisation des réseaux de collecte constituent des impositions qui n'ont le caractère ni d'impôts directs, de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, ni de contributions indirectes ou d'autres taxes dont le contentieux est confié aux juridictions judiciaires par l'article L. 199 du livre des procédures fiscales.

Dès lors, le contentieux de ces impôts est compris parmi le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique et relève, à ce titre, de la juridiction administrative.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 14 mai 2021, l'expédition de l'arrêt du 11 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, saisie d'un appel formé par la société par actions simplifiée (SAS) Clinique internationale du [Adresse 1] contre le jugement du 20 février 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider de la question de compétence.

Vu le jugement du 20 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déchargé la SAS Clinique internationale du [Adresse 1] de la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique et de la redevance pour modernisation des réseaux de collecte mises à sa charge au titre de l'année 2010 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande, relatif aux redevances mises à sa charge au titre des années 2011 et 2012 ;

Vu l'arrêt du 4 décembre 2015 par lequel la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle a déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître du litige opposant la clinique internationale du [Adresse 1] à l'établissement public industriel et commercial Eau de Paris et renvoyé les parties devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à l'Agence de l'eau Seine-Normandie, à l'établissement public Eau de Paris, à la ministre de la transition écologique et au ministre de l'économie, des finances et de la relance, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement public Eau de Paris, agissant pour le compte de l'Agence de l'eau Seine-Normandie, a adressé à la société par actions simplifiée (SAS) Clinique internationale du [Adresse 1] une facture en date du 23 mai 2014 mettant à sa charge la somme de 14 164,81 euros correspondant à la régularisation de sommes dues au titre de la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique et de la redevance pour modernisation des réseaux de collecte, pour les années 2010, 2011 et 2012.

La SAS Clinique internationale du [Adresse 1], ayant présenté en vain une réclamation à l'établissement public Eau de Paris, a saisi du litige le tribunal de grande instance de Paris, puis la cour d'appel de Paris laquelle, par un arrêt du 4 décembre 2015, a décliné la compétence des juridictions judiciaires et renvoyé les parties devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Celui-ci, par un jugement du 20 février 2018, a accordé à la SAS une décharge partielle des redevances en litige.

La SAS Clinique internationale du [Adresse 1] a interjeté appel de ce jugement en tant qu'il rejetait sa demande de décharge présentée au titre des années 2011 et 2012.

Par arrêt du 11 mai 2021, la cour administrative d'appel de Paris, a renvoyé au Tribunal, sur le fondement de l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider de la question de compétence.

2. Aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'environnement : » Dans chaque bassin ou groupement de bassins visé à l'article L. 212-1, une agence de l'eau, établissement public de l'Etat à caractère administratif, met en oeuvre les schémas visés aux articles L. 212-1 et L. 212-3, en favorisant une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques, l'alimentation en eau potable, la régulation des crues et le développement durable des activités économiques. (...) ".

Aux termes de l'article L. 213-9 du même code : » Les ressources financières de l'agence de l'eau sont constituées, notamment, des redevances perçues en application des articles L. 213-10 et suivants, des remboursements des avances faites par elle et de subventions versées par des personnes publiques ".

Au titre de l'article L. 213-10 du même code, dans sa version applicable aux redevances en litige : » En application du principe de prévention et du principe de réparation des dommages à l'environnement, l'agence de l'eau établit et perçoit auprès des personnes publiques ou privées des redevances pour pollution de l'eau, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvement sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacle sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique ".

Aux termes de l'article L. 213-10-1 du même code : » Constituent les redevances pour pollution de l'eau, d'une part, une redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique et, d'autre part, une redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique ".

Les articles L. 213-10-3 et L. 213-10-6 du même code définissent les redevables, l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement, respectivement, de la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique et de la redevance pour modernisation des réseaux de collecte.

Le IV de l'article L. 213-10-3 dispose que la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique est perçue par l'agence de l'eau auprès de l'exploitant du service d'eau potable, que celui-ci la facture aux personnes abonnées au service d'eau potable et qu'elle est exigible à l'encaissement du prix de l'eau distribuée.

Le cinquième alinéa de l'article L. 213-10-6 dispose que la redevance pour modernisation des réseaux de collecte est perçue par l'agence de l'eau auprès de l'exploitant du service assurant la facturation de la redevance d'assainissement, qu'elle est exigible à l'encaissement du prix et que l'exploitant la facture aux personnes qui acquittent la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique et qui sont soumises à la redevance d'assainissement mentionnée à l'article L. 2224-12-3 du code général des collectivités territoriales.

3. Eu égard à leur nature, la redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique et la redevance pour modernisation des réseaux de collecte constituent des impositions qui n'ont le caractère ni d'impôts directs, de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, ni de contributions indirectes ou d'autres taxes dont le contentieux est confié aux juridictions judiciaires par l'article L. 199 du livre des procédures fiscales. Dès lors, le contentieux de ces impôts est compris parmi le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique et relève, à ce titre, de la juridiction administrative.

4. Il résulte de ce qui précède que le litige, qui doit être regardé comme opposant la SAS Clinique internationale du [Adresse 1] à l'Agence de l'eau Seine-Normandie, relève de la compétence de la juridiction administrative.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Goulard - Avocat général : Mme Berriat (Rapporteure publique) -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; code de l'environnement ; code général des impôts ; article L. 199 du livre des procédures fiscales.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 20 octobre 1997, n° 02995, publié au Recueil Lebon ; 1re Civ., 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-12.235, Bull. 2020 (cassation partielle sans renvoi).

Tribunal des conflits, 11 octobre 2021, n° 21-04.220, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Actes se rattachant à une procédure judiciaire – Applications diverses – Urbanisme – Permis de construire – Construction sans permis – Constatation et poursuite des infractions – Procès-verbal – Etablissement ou transmission à l'autorité judiciaire – Préjudice – Action en réparation

Le procès-verbal d'infraction dressé en application de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme ayant le caractère d'un acte de police judiciaire, le litige relatif à l'indemnisation du préjudice né de son établissement ou de sa transmission à l'autorité judiciaire relève de la juridiction judiciaire, sans qu'il soit besoin de déterminer si le dommage trouve son origine dans une faute de service ou dans une faute personnelle détachable.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 3 mai 2021, l'expédition de l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, saisie de la demande formée par M. [F] [D] tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par la transmission au juge pénal du procès-verbal d'infraction aux règles d'urbanisme établi le 5 juin 2013 par M. [G] [T], a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'arrêt du 27 février 2020 par lequel la cour d'appel de Nîmes a dit le tribunal de grande instance de Privas incompétent pour connaître de l'action en responsabilité engagée par M. [D] à l'encontre de M. [T] ;

Vu, enregistré le 4 juin 2021, le mémoire du ministre de la transition écologique, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par les motifs que M. [D] demande la réparation des conséquences dommageables du procès-verbal d'infraction dressé le 5 janvier 2013 à son encontre, qui constitue un acte de procédure pénale ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. [D], qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 5 juin 2013, M. [T], agent de la direction départementale des territoires de l'Ardèche, a établi un procès-verbal d'infraction constatant, sur une parcelle de terrain appartenant à M. [D], la construction d'un chalet en bois destiné à l'habitat d'une surface totale d'environ 40 m², ayant fait l'objet d'un refus de permis de construire le 31 mars 2008.

2. A la suite de la transmission de ce procès-verbal à l'autorité judiciaire, M. [D] a été poursuivi pour avoir exécuté des travaux non autorisés par un permis de construire.

Par jugement du 20 mai 2016, le tribunal correctionnel de Privas l'a relaxé.

3. Le 10 janvier 2019, M. [D] a assigné M. [T] devant le tribunal de grande instance de Privas sur le fondement de l'article 1241 du code civil en lui reprochant d'avoir établi et transmis un procès-verbal mensonger.

Par une ordonnance du 13 juin 2019, le juge de la mise en état de ce tribunal, saisi d'une exception d'incompétence, a dit que le litige relevait de la juridiction judiciaire.

Par un arrêt du 27 février 2020, la cour d'appel de Nîmes a infirmé l'ordonnance, dit que la faute reprochée à M. [T] dans l'exercice de ses fonctions d'agent public n'était pas détachable du service et a décliné la compétence de la juridiction judiciaire.

4. M. [D] a alors saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande indemnitaire dirigée contre l'Etat.

Par une ordonnance du 11 septembre 2020, le président de ce tribunal a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par un arrêt du 27 avril 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a considéré que le litige relevait de la compétence des juridictions judiciaires et a renvoyé, en conséquence, la question de compétence au Tribunal des conflits, en application de l'article 32 du décret du 27 février 2015.

5. Le procès-verbal d'infraction dressé en application de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme ayant le caractère d'un acte de police judiciaire, le litige relatif à l'indemnisation du préjudice né de son établissement ou de sa transmission à l'autorité judiciaire relève de la juridiction judiciaire, sans qu'il soit besoin de déterminer si le dommage trouve son origine dans une faute de service ou dans une faute personnelle détachable.

6. L'action indemnitaire engagée par M. [D] à la suite de la transmission au procureur de la République du procès-verbal du 5 juin 2013 constatant une infraction aux règles d'urbanisme, relève, par suite, de la compétence de la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est déclarée compétente pour connaître du litige.

Article 2 :

L'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 27 février 2020 est déclaré nul et non avenu.

La cause et les parties sont renvoyées devant le tribunal judiciaire de Privas.

Article 3 :

La procédure suivie devant la cour administrative d'appel de Lyon est déclarée nulle et non avenue, à l'exception de l'arrêt du 27 avril 2021 rendu par cette cour.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : Mme Bokdam-Tognetti (Rapporteure publique) -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret du 26 octobre 1849 modifié ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code de l'urbanisme.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 2 juillet 1979, n° 02134, publié au Recueil Lebon ; Tribunal des conflits, 19 novembre 2001, Bull. 2001, T. conflits, n° 21 ; Tribunal des conflits, 8 décembre 2014, Bull. 2014, T. conflits, n° 18.

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