Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL

2e Civ., 14 octobre 2021, n° 19-24.456, (B)

Cassation

Rente – Rente prévue à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale – Objet – Indemnisation de la victime – Etendue – Pertes de gains professionnels, incidence professionnelle, déficit fonctionnel permanent – Exclusion – Pertes de gains professionnels actuels

Il résulte des articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 que le juge, après avoir fixé l'étendue du préjudice résultant des atteintes à la personne et évalué celui-ci indépendamment des prestations indemnitaires qui sont versées à la victime, ouvrant droit à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ou son assureur, doit procéder à l'imputation de ces prestations, poste par poste.

Il se déduit des articles 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent.

Viole, en conséquence, ces textes et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, l'arrêt qui retient que la rente accident du travail s'impute sur la perte de gains professionnels actuels, alors que cette rente, qui répare un préjudice permanent, quand bien même son versement aurait commencé avant la date de consolidation retenue par le juge, ne pouvait être imputée sur ce poste de préjudice patrimonial temporaire.

Rente – Paiement – Imputation – Modalités – Critère – Poste de préjudice permanent

Rente – Rente prévue à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale – Objet – Exclusion – Indemnisation de la perte de gains professionnels actuels

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 10 septembre 2019) et les productions, Mme [Q], victime à son travail, d'une tentative de vol aggravé, le 7 juillet 2012, a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi) d'une demande d'indemnisation de ses préjudices, en invoquant le rapport d'une expertise médicale ordonnée par un tribunal correctionnel, ayant fixé la consolidation de ses blessures au 7 janvier 2014.

2. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (Fgti) a contesté en appel les sommes allouées à la victime au titre de certains postes de préjudice, notamment ceux des pertes de gains professionnels actuels et futurs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. Mme [Q] fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnisation au titre des pertes de gains professionnels actuels, alors « que les pertes de gains professionnels actuels correspondent aux pertes de revenus éprouvés par la victime jusqu'au jour de sa consolidation ; que la rente accident du travail constitue l'assiette du recours du tiers payeur et n'a pas à être incluse dans les revenus perçus par la victime, sauf à prendre le versement de cette rente en compte deux fois, une première fois dans l'assiette des pertes de gains professionnels actuels et une seconde fois dans l'assiette des tiers payeurs ; que la rente accident du travail concourt à l'indemnisation de la perte des gains professionnels futurs, de l'incidence professionnelle et, le cas échéant, du déficit fonctionnel permanent et s'impute sur ceux-ci ; qu'en imputant les arrérages de rente accident du travail sur les pertes de gains professionnels actuels de Mme [Q], quand les arrérages de rente accident du travail ne pouvaient être imputés que sur les pertes de gains professionnels futurs, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 modifiée, L. 434-1, L. 434-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble du principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

4. Il résulte des deux premiers de ces textes que le juge, après avoir fixé l'étendue du préjudice résultant des atteintes à la personne et évalué celui-ci indépendamment des prestations indemnitaires qui sont versées à la victime, ouvrant droit à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ou son assureur, doit procéder à l'imputation de ces prestations, poste par poste.

5. Il se déduit des deux derniers que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent.

6. Pour rejeter la demande de Mme [Q] au titre des pertes de gains professionnels actuels, l'arrêt, après avoir relevé que le Fgti soutient notamment qu'aucune perte de salaire n'est démontrée puisque la victime a commencé à percevoir, à compter du 24 novembre 2012, une rente accident du travail, qu'il convient de prendre en compte au titre des revenus perçus, relève que les parties sont en litige sur la prise en compte ou non de la rente accident du travail perçue par Mme [Q].

7. L'arrêt retient que Mme [Q] soutient à tort que cette rente ne peut pas s'imputer sur la perte de gains professionnels actuels, mais seulement sur la perte de gains professionnels futurs, dès lors que l'application du principe de la réparation intégrale interdit à la victime de cumuler les prestations servies avec les indemnités mises à la charge du responsable du dommage. Il en conclut que c'est le décompte effectué par le Fgti qui doit être retenu.

8. En statuant ainsi, alors que la rente accident du travail, qui répare un préjudice permanent, quand bien même son versement aurait commencé avant la date de consolidation retenue par le juge, ne pouvait être imputée sur ce poste de préjudice patrimonial temporaire, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Mme [Q] fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnisation au titre des pertes de gains professionnels futurs, alors « que ces pertes correspondent aux pertes de revenus professionnels subies par la victime à compter de la date de consolidation ; qu'en l'espèce, la consolidation ayant été fixée au 7 janvier 2014, il appartenait à la cour d'appel de se prononcer sur la perte de revenus subie en 2014, Mme [Q] ayant versé aux débats son avis d'imposition 2015 sur les revenus de 2014, et lui accorder la somme correspondant à sa perte au titre des pertes de gains professionnels futurs 2014 comme l'avait fait le premier juge en fixant son préjudice à la somme de 5 620 euros ; que la cour d'appel a toutefois jugé que Mme [Q] ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un tel préjudice ; qu'en statuant de la sorte, quand il lui appartenait de réfuter les motifs des premiers juges que Mme [Q] était réputée s'être appropriés en demandant la confirmation du jugement sur ce point, au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

10. Le Fgti conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la critique du chef de décision rejetant la demande d'indemnisation au titre des pertes de gains professionnels futurs est irrecevable, la lecture des conclusions de Mme [Q] démontrant qu'elle n'a formulé de demande d'indemnisation de ce chef, ni dans les développements ni dans le dispositif de ses écritures.

11. Cependant, Mme [Q], qui n'était pas appelante de ce chef de jugement, était réputée s'être appropriée les motifs de cette décision en ce qu'elle lui allouait une somme au titre des pertes de gains professionnels futurs.

12. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

13. Il résulte de ce texte que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance des motifs équivaut à leur absence.

14. Pour rejeter la demande d'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs et infirmer le jugement sur ce point, l'arrêt se borne à énoncer que Mme [Q] n'a pas fait valoir d'argumentation de ce chef dans ses conclusions d'appel et n'a pas répondu à l'argumentation adverse selon laquelle elle ne justifiait pas avoir subi un préjudice, par la production de ses avis d'imposition 2016, 2017 et sa déclaration pré-remplie 2018, dont la demande avait été officiellement faite. Il en déduit que Mme [Q] ne rapporte pas la preuve de l'existence de ce préjudice.

15. En statuant ainsi, alors que la Civi avait alloué une somme de ce chef à Mme [Q] en considération de ses revenus de l'année 2014, sans analyser, fût-ce de façon sommaire, les pièces versées aux débats par la victime pour justifier de la perte de gains professionnels qu'elle affirmait avoir subie durant l'année en cause, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP L. Poulet-Odent ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 29 et 31 de la loi n 85-677 du 5 juillet 1985 ; L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale ; principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-11.853, Bull. 2009, II, n° 161 (cassation partielle) ; 2e Civ., 22 octobre 2009, pourvoi n° 08-19.576, Bull. 2009, II, n° 259 (cassation partielle).

2e Civ., 14 octobre 2021, n° 20-10.572, (B)

Cassation partielle

Tiers responsable – Recours de la victime – Possibilité d'action en réparation selon les règles de droit commun – Effets – Date de consolidation – Appréciation souveraine – Conséquences – Indifférence de la date de consolidation retenue par l'organisme de sécurité sociale

Il résulte de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale que si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime d'un accident du travail ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du livre IV du code de la sécurité sociale.

Il s'en déduit que le juge saisi de cette action doit fixer, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, la date à laquelle les blessures de la victime ont été consolidées, sans être tenu par la date retenue par l'organisme social pour la détermination des prestations dues à la victime au titre de la législation sociale.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [Z] [M], épouse [T], M. [D] [T], M. [K] [G] ainsi qu'à M. [N] [T], M. [P] [T], Mme [A] [T], M. [W] [T] et Mme [B] [T], agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit de [H] [T] (les consorts [T]) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Granulats Vicat venant aux droits de la société Rudigoz et de la société Administrateurs judiciaires partenaires, représentée par M. [F], en qualité de mandataire ad hoc de la société GV piscines.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 novembre 2019), M. [N] [T], chauffeur poids lourd de la société LMP Etablissements [U] [J] (la société LMP [J] [U]), a été victime d'un accident du travail, le 6 décembre 2002, sur le chantier, consistant en l'installation d'une piscine chez un particulier par la société GV piscines.

La société Bessard piscines, chargée de la maçonnerie, avait passé auprès de la société des Entreprises Rudigoz une commande de béton, dont le transport était assuré par la société LMP [J] [U].

3. M. [T] a engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et en réparation devant la juridiction de la sécurité sociale. Un arrêt du 29 juillet 2004 l'a débouté de sa demande tendant à ce que la date de consolidation de son état de santé soit repoussée du 11 octobre 2004 au 8 avril 2011 et a fixé le montant de l'indemnité totale lui revenant.

4. Les consorts [T] ont en outre saisi un tribunal de grande instance aux fins de réparation complémentaire de leurs préjudices par les tiers responsables, les sociétés GV piscines, Rudigoz et Bessard piscines, en application de l'article 454-1 du code de sécurité sociale.

5. La société Bessard piscines a été déclarée coresponsable avec la société LMP [J] [U], employeur de M. [N] [T], de l'accident du travail dont il a été victime.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

7. Les consorts [T] font grief à l'arrêt de limiter la condamnation in solidum de la société Bessard piscines et de son assureur, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne, au paiement de la somme de 5 000 euros à Mme [B] [T], de la somme de 5 000 euros à Mme [A] [T], de la somme de 5 000 euros à M. [W] [T] et de la somme de 5 000 euros à M. [P] [T] et de débouter Mme [B] [T], Mme [A] [T], M. [W] [T] et M. [P] [T] du surplus de leurs demandes, alors que « les héritiers d'une partie décédée sont en droit de demander réparation du préjudice subi par cette dernière lorsque l'action est transmissible ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les frères et soeurs de M. [N] [T] intervenaient tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants droit de [H] [T], leur mère, décédée le [Date décès 1] 2017, soit antérieurement à la déclaration d'appel ; qu'en jugeant que [H] [T] n'était pas partie à l'instance d'appel de sorte qu'elle était irrecevable à solliciter une condamnation à son profit, quand elle aurait dû rechercher quel avait été le préjudice d'affection subi par [H] [T] et condamner la société Bessard piscines et son assureur à indemniser ce préjudice à ses ayants droit qui agissaient devant elle es qualités à cet effet, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Pour limiter la condamnation in solidum de la société Bessard piscines et de son assureur au paiement de sommes à ces seules victimes indirectes, agissant en leur nom personnel, ayant relevé, dans l'exposé des prétentions des parties, que les conclusions des consorts [T] demandent à la cour d'appel de condamner les tiers responsables à payer à « Mme [H] [T] née [S] - Frais de transport 2 500 €,

- Troubles dans les conditions d'existence 30 000 €,

- Préjudice d'affection 30 000 € », l'arrêt retient que [H] [T] n'est pas partie à l'instance d'appel de sorte qu'elle est irrecevable à solliciter une condamnation à son profit.

9. Il ressort des constatations de l'arrêt et des productions que si les consorts [T] indiquaient dans l'en-tête de leurs conclusions agir tant en leur nom personnel qu'en la qualité d'ayant droit de [H] [T], décédée le [Date décès 1] 2017, le dispositif de leurs conclusions ne formulaient de demande d'indemnisation du préjudice de [H] [T] qu'au nom de celle-ci.

10. Il en résulte que c'est par une interprétation souveraine de ces conclusions, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel, qui était tenue de ne statuer que sur le seul dispositif des conclusions, a retenu que la demande formée par [H] [T], qui n'était pas partie à la procédure, était irrecevable.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. Les consorts [T] font grief à l'arrêt de débouter M. [N] [T] de ses demandes au titre des préjudices réparés en application du livre IV du code de la sécurité sociale, alors « que le juge ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties ; qu'en l'espèce, après avoir retenu que M. [T] sollicitait une indemnité au titre d'une « perte de gains professionnels actuels » à hauteur de 132 938,78 euros « correspondant à la perte de salaires qu'il aurait subie pour la période du 10 octobre 2004 au 8 avril 2011 », la cour d'appel l'a débouté de cette demande au motif qu'il avait perçu après le 10 octobre 2004 une rente au titre de son incapacité permanente de travail en application de l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale qui aurait compensé sa perte de gains professionnels ; qu'en statuant ainsi, quand M. [T] sollicitait une indemnité pour la période du 6 décembre 2002 au 8 avril 2011, de sorte que la cour d'appel aurait aussi dû s'interroger sur une éventuelle perte de gains pour la période du 6 décembre 2002 au 10 octobre 2004 au cours de laquelle M. [T] avait perçu des indemnités journalières de la sécurité sociale conformément au livre IV du code de la sécurité sociale, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime et l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale :

12. Il résulte de ce texte que si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime d'un accident du travail ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du livre IV du code de la sécurité sociale.

13. Pour débouter M. [N] [T] de ses demandes au titre des préjudices réparés en application du livre IV susmentionné, l'arrêt retient, au titre des pertes de gains professionnels qu'il sollicite une indemnité à hauteur de 132 938,78 euros, correspondant à la perte de salaires qu'il aurait subie pour la période du 10 octobre 2004 au 8 avril 2011, date à laquelle il souhaite que soit fixée la consolidation en droit commun, au motif qu'il n'a pas perçu d' indemnités journalières pour cette période alors qu'il a perçu à compter du 10 octobre 2004, date de consolidation fixée par la caisse, une rente au titre de son incapacité permanente de travail en application de l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale qui a compensé sa perte de gains professionnels et qu'il ne produit aucun élément justifiant du montant des indemnités et prestations prises en charge par la sécurité sociale au titre du livre IV permettant d'affirmer que celles-ci seraient insuffisantes à couvrir l'intégralité du préjudice patrimonial relevant de ce livre.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le préjudice de la victime avait été intégralement réparé sur la période courant du 6 décembre 2002 au 10 octobre 2004, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

15. Les consorts [T] font le même grief à l'arrêt, alors « que si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du livre quatre du code de la sécurité sociale ; que saisi d'une action en responsabilité sur le fondement du droit commun, le juge civil n'est alors pas lié par la date de consolidation retenue par la caisse primaire d'assurance maladie concernant la mise en oeuvre, dans les rapports caisse-victime-employeur, du régime spécial d'indemnisation des accidents du travail et des maladie professionnelle ; qu'en affirmant, pour débouter M. [N] [T] de ses demandes, que la victime d'un accident du travail n'était pas recevable à demander que la consolidation de ses blessures soit fixée à une date différente de celle résultant de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie, quand, dans ses rapports avec les tiers coresponsables de son dommage, l'accident litigieux ne constituait pas un accident du travail et que le juge civil saisi de l'action en responsabilité de ces tiers devait, pour les besoins de cette action de droit commun, apprécier lui-même la date de consolidation, la cour d'appel a violé les articles L. 454-1 du code de la sécurité sociale et 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale :

16. Il résulte de ce texte que si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime d'un accident du travail ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du livre IV du code de la sécurité sociale.

17. Il s'en déduit que le juge saisi de cette action doit fixer, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, la date à laquelle les blessures de la victime ont été consolidées, sans être tenu par la date retenue par l'organisme social pour la détermination des prestations dues à la victime au titre de la législation sociale.

18. Pour débouter M. [N] [T] de ses demandes au titre des préjudices réparés en application du livre IV susmentionné l'arrêt retient que la victime d'un accident du travail n'est pas recevable à demander que la consolidation de ses blessures soit fixée à une date différente de celle résultant de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie qu'elle n'avait pas contestée.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

20. Les consorts [T] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes de Mme [Z] [M], épouse [T], alors « que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'existence du préjudice invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès ; qu'en l'espèce, en retenant, pour déclarer les demandes formées par Mme [T] à l'encontre des sociétés Bessard piscines et Rudigoz irrecevables, faute d'intérêt à agir, que Mme [T] avait déjà été indemnisée du préjudice qui lui avait été causé par l'accident du travail dont avait été victime son mari par un jugement du tribunal correctionnel de Belley du 6 novembre 2007 et que nul ne peut être indemnisé deux fois pour le même préjudice, la cour d'appel, qui a subordonné la recevabilité de l'action de Mme [T] à la démonstration préalable de l'existence d'un préjudice et donc du bien-fondé de sa prétention, a violé l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

21. La société Groupama Rhône-Alpes Auvergne conteste la recevabilité du moyen, pris en sa première branche. Il soutient qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit dès lors que devant la cour d'appel, Mme [Z] [T] n'a émis aucune critique à l'égard de la motivation du jugement sur ce point.

22. Cependant, il résulte des conclusions d'appel des consorts [T] qu'ils ont invoqué, dans la partie discussion, le fait que les proches de M. [N] [T] n'avaient pas été indemnisés par les juridictions de la sécurité sociale et que, dans de telles circonstances, leurs demandes étaient recevables et sollicité, dans le dispositif de ces écritures, que le jugement entrepris soit infirmé en toutes ses dispositions, que leurs demandes soient déclarées recevables et les tiers tenus pour responsables du préjudice subi par Mme [Z] [T] et condamnés in solidum à lui payer diverses sommes à ce titre.

23. Il résulte de ces constatations et énonciations que le grief tiré de la violation de l'article 31 du code de procédure civile n'est pas nouveau à hauteur de cassation.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 31 du code de procédure civile :

24. Selon ce texte, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

25. Pour dire irrecevables les demandes de Mme [Z] [T] en réparation, par les tiers responsables, de ses postes de préjudice de troubles dans les conditions d'existence, d'affection, et sexuels, l'arrêt énonce, par motifs adoptés, que, la société Bessard piscines et la société Rudigoz n'ayant pas été parties au procès pénal, ces demandes ne se heurtent pas à l'autorité de la chose jugée au pénal mais qu'en ce qui concerne l'intérêt à agir de Mme [Z] [T], il est constant que le préjudice dont elle a été indemnisée par un jugement du tribunal correctionnel du 6 novembre 2007 est celui qui a été causé par l'accident du travail dont a été victime son mari, que c'est exactement l'indemnisation du même préjudice qu'elle sollicite aujourd'hui, que la cause de sa demande d'indemnisation est par ailleurs la même et que, nul ne pouvant être indemnisé deux fois pour le même préjudice, il ne peut qu'être constaté que ses demandes sont irrecevables.

26. En statuant ainsi, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et l'existence du préjudice invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

27. Il résulte des chefs de décision critiqués devant la Cour de cassation que la coresponsabilité de l'accident, incombant à hauteur de 80 % à la société LMP [J] [U], employeur de la victime, et à hauteur de 20 % à la société Bessard piscines, tiers responsable, n'est plus discutée par les parties.

Mise hors de cause

28. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Allianz Iard, prise en qualité d'assureur de la société GV piscines.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de Mme [Z] [M], épouse [T], et déboute M. [N] [T] de ses demandes au titre des préjudices réparés en application du livre IV du code de la sécurité sociale, l'arrêt rendu le 12 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Met hors de cause la société Allianz Iard, prise en qualité d'assureur de la société GV piscines.

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Didier et Pinet ; SARL Ortscheidt ; SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer -

Textes visés :

Article L. 454-1 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Soc., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-41.040, Bull. 2010, V, n° 131 (rejet) ; Soc., 16 octobre 1985, pourvoi n° 83-15.687, Bull. 1985, n° 464 (rejet).

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