Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

REFERE

Com., 13 octobre 2021, n° 19-24.904, (B)

Cassation sans renvoi

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs – Procédure – Irrégularité – Sanction – Détermination

En application de l'article 3 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, le juge doit moduler sa décision en fonction de la portée du manquement qu'il constate. Ainsi lorsqu'il relève un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence relatif à la seule étape de l'appréciation des offres, sans que le reste de la procédure d'appel d'offres ne soit atteint, il ne peut prononcer l'annulation de la totalité de la procédure et enjoindre de la reprendre.

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Manquement aux obligations de publicité et de concurrence – Manquement à la seule étape de l'appréciation des offres – Sanction – Etendue – Annulation de la totalité de la procédure (non)

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs – Pouvoirs du juge – Modulation de la décision en fonction de la portée du manquement

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (tribunal de grande instance de Bordeaux, 21 octobre 2019), rendue en la forme des référés, la société Cis Valley a contesté la régularité de la procédure d'appel d'offres engagée par la société Promologis, société d'habitation à loyers modérés, relatif à l'infogérance des serveurs et l'interconnexion des sites du groupe de sociétés auquel elle appartient, et demandé que soit prononcé l'annulation de cette procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Promologis fait grief à l'arrêt de déclarer la société Cis Valley recevable en sa contestation, de prononcer l'annulation de la procédure d'appel d'offres et de la renvoyer à reprendre sa procédure, alors « que la personne qui saisit le juge des référés précontractuels n'est recevable à dénoncer un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence que si elle démontre avoir été susceptible d'être lésée par ce manquement ; qu'en retenant que le caractère prétendument anormalement bas de l'offre de la société SFR était susceptible d'avoir lésé la société CIS Valley, après avoir constaté qu'en l'absence du manquement invoqué son offre aurait été classée deuxième sur le critère du prix, sans rechercher, ainsi qu'il y était invité, si la note obtenue par la société CIS Valley sur le second critère de notation lui aurait permis d'emporter le marché, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique :

3. Aux termes de ce texte, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat.

4. Pour juger que la société Cis Valley était susceptible d'être lésée par le manquement aux obligations de mise en concurrence qu'elle dénonçait, l'ordonnance retient qu'il est incontestable que le critère du prix a été déterminant dans l'attribution du marché, puisque ce poste était affecté du coefficient le plus élevé, que les clauses de l'appel d'offres attribuaient la note de 40 au candidat le moins disant, les autres offres étant ensuite évaluées proportionnellement à celle-ci, et qu'il n'est pas possible d'affirmer que la société Cis Valley aurait nécessairement été évincée car, si l'on écarte l'offre SFR pour ne retenir que les offres des sociétés Orange et Cis Valley, la note obtenue par cette dernière sur le plan financier serait de 37,36, soit un retard de seulement 2,64 sur la note qu'aurait obtenue la société Orange (40/40), retard susceptible d'être rattrapé sur les quatre autres postes de la valeur technique.

5. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il y était invité, si la note obtenue par la société CIS Valley sur le second critère de notation relatif à la valeur technique, telle que communiquée par la société Promologis, lui aurait permis d'emporter le marché, condition à défaut de laquelle il n'était pas démontré qu'elle était susceptible d'être lésée par le manquement qu'elle dénonçait, le président du tribunal a privé sa décision de base légale.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

6. La société Promologis fait le même grief à l'ordonnance, alors « que l'office du juge saisi de la validité d'une procédure d'appel d'offres tend à corriger les vices éventuels du processus, de sorte que le juge doit replacer les parties au stade où elles se trouvaient immédiatement avant l'apparition du vice sanctionné ; qu'en prononçant l'annulation de la procédure d'appel d'offres en son entier et en renvoyant la société Promologis à la reprendre ab initio, après avoir pourtant retenu que la procédure était seulement rendue irrégulière par l'analyse qu'avait fait le pouvoir adjudicateur des offres reçues, de sorte qu'il lui incombait seulement de renvoyer la société Promologis à reprendre sa procédure au stade de l'analyse des offres, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 3 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 3 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :

7. Aux termes de ce texte, à la demande du requérant, le juge peut prendre les mesures provisoires tendant à ce qu'il soit ordonné à la personne morale responsable du manquement de se conformer à ses obligations et, le cas échéant, à ce que soit suspendue la procédure de passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts en présence, et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages.

Le requérant peut également demander l'annulation des décisions qui se rapportent à la passation du contrat et la suppression des clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent les obligations mentionnées à l'article 2.

8. L'ordonnance annule la procédure d'appel d'offres et enjoint à la société Promologis de la reprendre après avoir relevé que l'offre de la société SFR apparaissait anormalement basse puisqu'elle était de plus de 50 % inférieure à l'offre la moins-disante proposée par un opérateur pourtant de surface technique, commerciale et financière similaire et que la société Promologis avait procédé à l'attribution du marché sans solliciter d'explications complémentaires sur les motifs de cet écart.

9. En statuant ainsi, alors qu'il avait relevé un manquement relatif à la seule étape de l'appréciation des offres, sans que le reste de la procédure ne soit atteint par ce manquement, le président du tribunal a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, les pièces produites attestant qu'à la suite de l'annulation de la procédure de passation, la société Promologis a lancé une nouvelle procédure.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 21 octobre 2019, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat(s) : Me Le Prado -

Textes visés :

Article 3 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

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