Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 14 octobre 2021, n° 20-11.980, (B)

Cassation partielle

Droits de la défense – Principe de la contradiction – Expertise – Partie ni appelée, ni représentée à l'expertise – Moyen de preuve – Cas – Expertise médicale non soumise à discussion contradictoire – Elément suffisant (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 12 février 2019), la société Lixxbail a donné en crédit-bail à M. [M], artisan, un véhicule utilitaire, contrat assorti de deux assurances de groupe souscrites par la société Lixxbail auprès des sociétés Finaref, devenue Caci Life, et Finaref Insurance, devenue Caci Non Life. M. [M] a adhéré, notamment, au contrat collectif d'assurance n° 310 01 13 54 02 de la société Caci Non Life (l'assureur) couvrant les risques « décès-perte totale et irréversible d'autonomie-incapacité de travail. »

2. Le 22 septembre 2008, M. [M] a été victime d'un accident vasculaire cérébral et placé en arrêt de travail.

3. Un médecin expert, mandaté par l'assureur, a examiné M. [M] le 27 octobre 2011 et conclu à un taux d'incapacité permanente partielle inférieur à celui contractuellement fixé et à ce que la pathologie présentée par M. [M] n'était plus liée à l'accident vasculaire et était exclue de la garantie contractuelle.

L'assureur a opposé, en conséquence, à M. [M] un refus de garantie au titre de l'« incapacité permanente. »

4. M. [M] a été assigné par la société Lixxbail devant un tribunal de grande instance en paiement des sommes restant dues et en restitution du véhicule.

L'assureur est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de garantie dirigée contre la société Caci Non Life alors « que dans un contrat d'assurance, les clauses des polices édictant des exclusions de garantie ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ; qu'en relevant que la clause d'exclusion des garanties était rédigée en caractères lisibles et gras sans vérifier ni faire apparaître que ces caractères étaient très apparents et susceptibles d'attirer spécialement l'attention de l'intéressé, la cour d'appel a violé l'article L.112-4 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 112-4 du code des assurances :

6. Selon le dernier alinéa de ce texte, les clauses des polices édictant des exclusions de garantie ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.

7. Pour rejeter la demande en garantie formée contre l'assureur, l'arrêt retient que la clause d'exclusion litigieuse figurant dans la notice d'information prévoit, en caractères lisibles et gras, des exclusions applicables pour la garantie incapacité de travail, regroupant l'incapacité temporaire totale et l'incapacité permanente, parmi lesquelles « les sinistres résultant d'une atteinte discale ou vertébrale ou radiculaire : lumbago, brachiale, protusion discale, hernie discale, cervicalgie, dorsalgie, coccygodynie, sauf si cette affection a nécessité une intervention chirurgicale pendant cet arrêt de travail. »

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la clause litigieuse était rédigée en termes très apparents de manière à attirer spécialement l'attention de l'assuré sur la nullité qu'elle édictait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de garantie à l'encontre de l'assureur et de rejeter sa demande d'expertise alors :

« 1°/ que le secret médical, édicté dans l'intérêt du patient, ne peut lui être opposé, d'autant plus quand la détermination de ses droits dépend des renseignements médicaux recherchés ; la compagnie d'assurances ne pouvait invoquer le secret médical pour refuser de communiquer et de verser aux débats le rapport d'expertise médicale qu'elle a fait diligenter pour déterminer l'origine et le taux d'incapacité de l'assuré, qui en sollicitait expressément la communication et la production aux débats dans ses conclusions ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé l'article 226-13 du code pénal et l'article R. 4127-4 du code de la santé publique, ensemble l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;

2°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur une pièce qui n'a été ni produite aux débats ni soumise à la discussion contradictoire des parties ; qu'en se fondant sur une attestation reprenant les conclusions du rapport d'expertise médicale réalisé à la demande de l'assureur et dont le contenu n'a été ni versé aux débats ni communiqué à l'assuré, pour retenir que le taux d'incapacité de l'assuré était inférieur à 33 % et pour exclure tout lien entre l'incapacité alléguée et son accident vasculaire cérébral, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile et l'article L. 1111-7 du code de la santé publique :

10. Aux termes du premier de ces textes, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

11. Il résulte du second que l'assuré doit avoir accès, à sa demande ou à celle de son conseil, au rapport de l'expertise médicale réalisée à l'initiative de l'assureur.

12. Pour rejeter les demandes de garantie et d'expertise formées par M. [M], l'arrêt retient que selon le médecin-conseil de l'assureur, qui a eu accès au rapport de l'expert [W], mandaté par l'assureur, les soins effectués au-delà du 18 juin 2009 ne sont plus en relation avec la pathologie initiale de M. [M], que le rapport motivé du médecin expert n'est pas communiqué puisque M. [M] n'a pas donné suite à la demande de levée du secret médical institué en sa faveur et qui, seule, aurait permis de le verser aux débats.

13. L'arrêt relève, en outre, que le taux d'incapacité fonctionnelle retenu par l'expert de l'assureur n'est pas sérieusement remis en cause par M. [M] qui n'a pas permis que le rapport circonstancié soit produit, qu'il ne peut revendiquer le taux compris entre 50 % et 80 % retenu par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, qui est exclu par le contrat d'assurance et n'est pas opérationnel dès lors que le taux applicable est un croisement entre un taux d'incapacité fonctionnelle et un taux d'incapacité professionnelle spécifiquement défini par le contrat et enfin, que M. [M] n'apporte aucun élément médical susceptible de lui conférer, suivant ces critères, un taux d'au moins 33 %.

14. En statuant ainsi, alors qu'à la demande de l'assuré ou de son conseil, l'assuré devait avoir accès, sans condition préalable, au rapport d'expertise diligenté à la demande de l'assureur, contenant des informations médicales le concernant, et alors qu'elle ne pouvait fonder sa décision sur les éléments issus d'une expertise non soumise à la discussion contradictoire des parties, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Lixxbail, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'expertise et, au fond, déboute M. [M] de sa demande de garantie dirigée contre le Gie Caci Gestion et la société Caci Non Life, condamne M. [M] à payer à la société Lixxbail la somme de 6 451,11 euros au titre des loyers impayés du contrat de crédit bail n° 688385B70 et de l'indemnité de résiliation avec intérêts au taux légal à compter du 16 août 2012, rejette le surplus des demandes et condamne M. [N] [M] aux dépens, l'arrêt rendu le 12 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Lixxbail ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 16 du code de procédure civile ; article L. 1111-7 du code de la santé publique.

Rapprochement(s) :

Ch. mixte., 28 septembre 2012, pourvoi n° 11-18.710, Bull. 2012, Ch. mixte n° 2 (rejet) ; 1re Civ., 26 septembre 2006, pourvoi n° 05-11.906, Bull. 2006, I, n° 417 (rejet).

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