Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

IMPOTS ET TAXES

Com., 13 octobre 2021, n° 17-13.008, (B)

Cassation

Redressement et vérifications (règles communes) – Visites domiciliaires (article L. 16 B) – Déroulement des opérations – Saisie de pièces et documents – Lien avec la fraude recherchée – Absence – Date d'appréciation – Date de la saisie – Défaut d'utilisation ou d'exploitation ultérieure des pièces – Portée

L'autorisation de saisie accordée par le juge des libertés et de la détention, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ne se limite pas aux seuls documents appartenant aux personnes visées par des présomptions de fraude, ou émanant d'elles, mais permet la saisie de toutes les pièces se rapportant aux agissement frauduleux présumés et, ainsi, de tous les documents de personnes physiques ou morales en relation d'affaires avec la personne suspectée de fraude, pourvu qu'ils soient utiles, ne serait-ce que pour partie, à la preuve de la fraude.

Il appartient au juge, saisi d'allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés, alors qu'ils étaient sans lien avec l'enquête, de statuer sur leur sort au terme d'un contrôle concret de proportionnalité et d'ordonner, le cas échéant, leur restitution.

L'absence de lien entre les pièces saisies et les présomptions de fraude, objet de l'autorisation accordée, qui doit être appréciée à la date de la saisie, ne peut se déduire du seul défaut d'utilisation ou d'exploitation ultérieure de ces pièces par l'administration fiscale contre le contribuable visé par l'autorisation de visite et de saisies.

Redressement et vérifications (règles communes) – Visites domiciliaires (article L. 16 B) – Déroulement des opérations – Saisie de pièces et documents – Lien avec la fraude recherchée – Office du juge – Contrôle concret de proportionnalité

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (Versailles, 26 janvier 2017), le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre a, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l'administration fiscale à effectuer des visites et saisies dans des locaux situés [Adresse 3], en vue de rechercher la preuve de la fraude fiscale des sociétés Multiburo et Gecip, ayant le même dirigeant, M. B.

Les opérations se sont déroulées le 27 avril 2006.

2. Certaines des pièces ainsi appréhendées ayant été utilisées par l'administration fiscale pour notifier à un tiers, M. [I], une proposition de rectification de ses revenus imposables, celui-ci a formé un recours contre les opérations de visite et de saisie devant le premier président de la cour d'appel de Versailles.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. L'administration fiscale fait grief à l'arrêt de déclarer fondé le recours de M. [I] et d'annuler la saisie des pièces appréhendées le 27 avril 2006 mentionnées au dispositif de l'ordonnance attaquée, puis d'ordonner la restitution de ces pièces à celui-ci, alors « qu'une pièce peut être appréhendée régulièrement dès lors qu'elle présente un lien avec la fraude suspectée, peu important que dans le cadre de la procédure administrative ou de la procédure pénale, qui a suivi la visite domiciliaire, la pièce en cause n'a pas été utilisée par l'administration à l'encontre de la personne concernée par les soupçons de fraude ayant justifié l'autorisation de visite ; qu'en décidant le contraire, le magistrat délégataire du premier président s'est fondé sur un motif inopérant et l'ordonnance doit être censurée pour violation de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales :

4. Il résulte de ce texte que l'autorisation de saisie ne se limite pas aux seuls documents appartenant aux personnes visées par des présomptions de fraude, ou émanant d'elles, mais permet la saisie de toutes les pièces se rapportant aux agissements frauduleux et, ainsi, de tous les documents de personnes physiques ou morales en relation d'affaires avec la personne suspectée de fraude, pourvu qu'ils soient utiles, ne serait-ce que pour partie, à la preuve de la fraude. Il appartient au juge, saisi d'allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu'ils étaient sans lien avec l'enquête, de statuer sur leur sort au terme d'un contrôle concret de proportionnalité et d'ordonner, le cas échéant, leur restitution.

5. Pour annuler la saisie des pièces appréhendées au domicile de M. B concernant M. [I], l'ordonnance relève que le juge des libertés et de la détention était saisi des seuls soupçons de l'administration fiscale à l'encontre de M. B, portant sur une activité occulte de conseil que ce dernier aurait exercée, et que les opérations de visite et de saisie autorisées par le juge avaient pour finalité de rechercher des éléments susceptibles de se rattacher à ces présomptions de fraude.

6. Répondant ensuite aux conclusions d'appel de M. [I], qui invoquait la violation de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par l'effet d'une visite domiciliaire effectuée en fraude de ses droits, l'ordonnance se borne à relever que l'administration fiscale ne justifie pas de leur utilisation ou de leur exploitation à l'encontre de M. B, ce dont elle déduit qu'elles concernent exclusivement M. [I], tiers à l'opération dirigée contre un autre contribuable, et qu'elles ont été utilisées par l'administration au seul soutien du contrôle fiscal dont il a fait l'objet. Elle retient en conséquence qu'il n'est pas démontré par l'administration fiscale que les documents litigieux se rattachent, par un lien suffisant, aux présomptions de fraude visées par l'ordonnance du 26 avril 2006 et qu'il s'agit donc d'une saisie massive et indifférenciée.

7. En statuant ainsi, alors que l'absence de lien entre les pièces saisies et les présomptions de fraude, objet de l'autorisation accordée, qui doit être appréciée à la date de la saisie, ne peut se déduire du seul défaut d'utilisation ou d'exploitation ultérieure de ces pièces par l'administration fiscale contre le contribuable visé par l'autorisation de visite et de saisies, le premier président a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 26 janvier 2017, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Daubigney - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

Rapprochement(s) :

Sur la date d'appréciation du lien entre les pièces saisies et les présomptions de fraude, objet de l'autorisation, à rapprocher : Com., 7 mai 2019, pourvoi n° 17-27.851.

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