Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

FONDS DE COMMERCE

Com., 13 octobre 2021, n° 19-20.504, (B)

Cassation partielle

Vente – Applications diverses – Concurrence déloyale – Fonds de commerce fruit d'une histoire familiale – Conditions – Risque de confusion

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 3 juillet 2019), la société Domaine [U] [M], qui exerçait une activité de négociant en vins, ayant été mise en liquidation judiciaire, un plan de cession a été arrêté par jugement du 13 novembre 2012 prévoyant la cession à la société Wolfberger, Cave coopérative vinicole d'Eguisheim (la société Wolfberger) de son fonds de commerce, lequel comprenait notamment, au titre des éléments corporels, des parcelles de vignes à Orschwihr (Haut-Rhin) et, au titre des éléments incorporels, le nom commercial et l'enseigne « [U] [M] » ainsi que plusieurs marques françaises, communautaires et internationales désignant des produits en classes 32 et 33, parmi lesquelles les marques « [U] [M] » et « Weid. »

2. Après la liquidation de la société Domaine [U] [M], M. [G] [M], son ancien dirigeant, et/ou Mmes [V] et [D] [M], les filles de ce dernier, ont constitué la société [G] [M] SARL, devenue Les Tulipes blanches, ayant pour activité la conception, la création, le dépôt, la propriété de marques et produits liés au vin, dont M. [G] [M] était gérant, la société [D] et [V] [M] SAS, devenue [D] et [V] [M]-[L], ayant pour activité le négoce du vin, dont Mme [V] [M] était présidente, et la société Domaine [D] et [V] [M]-[L] SCEA, dont Mme [V] [M] était gérante.

3. En décembre 2012, M. [G] [M] a, pour le compte de la société [G] [M], déposé en tant que marques les signes « [G] [M] », « [D] [M] Grands Vins d'Alsace [D] [M] [W] [D] [M] [W] [D] et [V] », « [V] [M] » et « Le Weid de [G] [M] ».

En mars 2013, Mme [V] [M] a déposé les signes « Famille [M] » et « [V] [M] ».

En mai 2013, Mme [D] [M] a déposé les signes « [D] et [V] [M] ». Toutes ces marques étaient déposées pour des produits en classe 32 ou 33, notamment des vins et des crémants d'Alsace.

L'Institut national de la propriété industrielle a refusé de les enregistrer.

4. La société Wolfberger a assigné M. [G] [M], Mme [V] [M], Mme [D] [M], la société [D] et [V] [M]-[L], la société Les Tulipes blanches et la société Domaine [D] et [V] [M]-[L] (les consorts [M]) pour contrefaçon de ses marques et concurrence déloyale.

5. Mme [V] [M], la société [D] et [V] [M]-[L], la société Les Tulipes blanches et la société Domaine [D] et [V] [M]-[L] ont demandé, reconventionnellement, la condamnation de la société Wolfberger pour concurrence déloyale, notamment pour s'être appropriée l'histoire familiale de la famille [M].

6. En cours d'instance d'appel, la société Les Tulipes blanches ayant été placée en liquidation, Mme [V] [M] a été appelée dans la cause en sa qualité de liquidatrice.

La société [D] et [V] [M]-[L] est devenue la société Domaine [D] et [V], et la société Domaine [D] et [V] [M]-[L] est devenue la société Vignoble [D] et [V].

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, et le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. La société Wolfberger fait grief à l'arrêt de ne prononcer une mesure d'interdiction qu'à l'encontre des sociétés Domaine [D] et [V],

Les Tulipes Blanches et Vignoble [D] et [V], de n'interdire que l'usage du terme « [M] » seul, et d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il avait fait interdiction générale à ces parties mais également à M. [G] [M], Mmes [V] et [D] [M] de faire usage, dans le secteur d'activité de la production, du négoce et de la commercialisation des vins et spiritueux, et/ou pour désigner des boissons alcoolisées et tous produits et services similaires, du terme « [M] » non seulement seul mais aussi accompagné d'autres termes ainsi que du terme « Weid » et en ce qu'il avait condamné M. [G] [M], Mmes [V] et [D] [M] à réparer le préjudice subi du fait des actes de contrefaçon, alors « que le dépôt d'une marque, même non suivi de son enregistrement, est susceptible, en soi, de constituer un acte d'usage non autorisé d'une marque antérieure et, par là même, un acte de contrefaçon ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

9. La Cour de cassation a précédemment interprété les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, en ce sens que le dépôt à titre de marque d'un signe contrefaisant constitue à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de son exploitation (Com., 26 novembre 2003, pourvoi n° 01-11.784 ; Com., 10 juillet 2007, pourvoi n° 05-18.571, Bull. 2007, IV, n° 189 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 11-11.752 ; Com., 24 mai 2016, pourvoi n° 14-17.533).

10. Il y a toutefois lieu de reconsidérer cette interprétation à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

11. Cette Cour juge en effet que le titulaire d'une marque enregistrée ne peut interdire l'usage par un tiers d'un signe similaire à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait sans le consentement du titulaire de la marque, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJUE, arrêt du 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, points 26 et 27 et jurisprudence citée).

12. Or, la demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque, même lorsqu'elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la CJUE, en l'absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l'esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d'indication d'origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire.

13. Dès lors, la demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon.

14. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

15. La société Wolfberger fait le même grief à l'arrêt, alors « que le titulaire d'une marque peut demander que l'utilisation d'un signe identique ou similaire à sa marque, comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, par un tiers employant son nom patronymique soit limitée ou interdite lorsqu'elle est le fait d'un tiers employant son nom patronymique si cette utilisation est faite de mauvaise foi ou porte atteinte à ses droits ; qu'en l'espèce, le litige portait sur l'usage dans la vie des affaires de leur nom patronymique [M] par M. [G] [M] et ses deux filles Mmes [D] et [V] [M], après la cession à la société Wolfberger du fonds de commerce de la société Domaine [U] [M], anciennement dirigée par [G] [M], à la suite de sa mise en liquidation judiciaire ; qu'en retenant qu'aucune mesure d'interdiction d'usage du terme "[M]" ne pouvait être prononcée à l'encontre de M. [G] [M] ainsi que de Mmes [D] et [V] [M] parce que de telles mesures seraient la conséquence des faits de contrefaçon qui ne peuvent concerner que les sociétés coupables de ces faits, quand de telles mesures pouvaient également être ordonnées sur le fondement de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel a violé ledit texte par refus d'application. »

Réponse de la Cour

16. Le titulaire d'une marque ne peut, en application de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, obtenir que l'utilisation par un tiers de son nom soit interdite ou limitée que si ce dernier a commis un acte de contrefaçon de la marque ou qu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il s'apprête à en commettre un.

17. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

18. La société Wolfberger fait encore le même grief à l'arrêt, alors « qu'en retenant que c'est uniquement l'usage du terme "[M]" seul qui peut être considéré comme contrefaisant, après avoir constaté que « l'emploi de la mention ‘[D] et [V] [M]' par les appelants est de nature à créer une confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne [...] entre l'origine des vins des appelants et celle des vins de la marque antérieure ‘[U] [M]'", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 713-3, b), du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, tel qu'interprété à la lumière de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques :

19. Pour infirmer le jugement entrepris en ce qu'il avait, notamment, interdit aux sociétés [D] et [V] [M]-[L], devenue Domaine [D] et [V],

Les Tulipes blanches et Domaine [D] et [V] [M]-[L], devenue Vignoble [D] et [V], de faire usage du terme « [M] » accompagné d'un ou plusieurs prénoms, et statuant de nouveau, faire interdiction aux sociétés Domaine [D] et [V],

Les Tulipes blanches et Vignoble [D] et [V], de faire usage du terme « [M] » seul et de la mention « [U] [M] », l'arrêt retient qu'il ne peut être fait interdiction générale d'employer le terme « [M] », qui n'est pas en lui-même une marque déposée dont la société Wolfberger serait propriétaire et que c'est uniquement l'usage du terme « [M] » seul qui peut être considéré comme contrefaisant.

20. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que le remplacement du prénom « [U] » par les prénoms « [D] et [V] » s'avérait secondaire par rapport à l'élément déterminant qu'est le nom de famille et que le signe « [D] et [V] [M] » contrefaisait la marque « [U] [M] », ce dont il se déduisait que tout usage d'un signe constitué d'un ou plusieurs prénoms et du seul patronyme [M] était contrefaisant, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

21. La société Wolfberger fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes au titre de la concurrence déloyale, alors « qu'engage la responsabilité civile de son auteur sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage ; qu'en l'espèce, la société Wolfberger reprochait aux appelants de s'être rendus coupables de concurrence déloyale, notamment en multipliant les dépôts de marques comportant le patronyme [M] en association avec de multiples prénoms, immédiatement après la reprise par elle du fonds de la société Domaine [U] [M], mettant ainsi en place une stratégie systématique visant à la priver du plein bénéfice de cette reprise ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était ainsi invitée, si, alors même qu'ils avaient été suivis de refus d'enregistrement par l'INPI et qu'elle ne les avait pas pour cette raison jugés contrefaisants, la multiplication par les appelants de dépôts de marques comportant le patronyme [M], et ce immédiatement après la reprise du fonds de la société Domaine [U] [M] dont [G] [M] avait été le dirigeant, ne constituait pas une faute engageant la responsabilité civile de leurs auteurs, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

22. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

23. Pour rejeter la demande de la société Wolfberger en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, l'arrêt, après avoir énoncé que les faits qualifiés de contrefaçon ne peuvent être également poursuivis sur le fondement de la concurrence déloyale, retient que les emplois du patronyme [M] ne peuvent être reprochés aux consorts [M] sur ce fondement, la contrefaçon de marque ayant déjà été reconnue pour ces faits, quels qu'aient pu être le contexte ou le nombre de ces emplois.

24. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Wolfberger, qui soutenait qu'était constitutive de concurrence déloyale la multiplication, par les consorts [M], de dépôts de marques comportant le patronyme « [M] », lesquels n'avaient pas été sanctionnés au titre de la contrefaçon, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le moyen, pris en ses troisième et cinquième branches

Enoncé du moyen

25. La société Wolfberger fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 3°/ que constitue une faute de concurrence déloyale engageant la responsabilité de son auteur le fait de créer un risque de confusion avec les produits ou l'entreprise d'un concurrent en l'absence même de droits privatifs de celui-ci ; que la société Wolfberger faisait valoir qu'en présentant « l'activité aujourd'hui déployée comme étant constitutive de l'histoire débutée en 1425, sans aucune mention de la cession du fonds de commerce, de sorte que les consorts [M] apparaissent comme les [...] uniques continuateurs et dépositaires du savoir-faire de l'exploitation familiale », la partie adverse alimentait et entretenait la confusion avec le fonds de commerce qu'elle avait repris ; qu'en retenant que la mise en avant par les appelants de l'histoire de la famille [M] dans la production et le commerce du vin n'était pas fautive dès lors qu'il s'agit de leur propre histoire familiale et que les faits évoqués étaient réels, sans rechercher si les conditions dans lesquelles les appelants mettaient en avant leur histoire familiale ne créaient pas un risque de confusion avec le fonds repris par la société Wolfberger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

5°/ que le simple fait de créer, même non intentionnellement, un risque de confusion avec les produits ou l'entreprise d'un concurrent constitue une faute de concurrence déloyale ; qu'en retenant que le fait que les appelants n'évoquent pas dans leur communication commerciale la cession du fonds de commerce "[U] [M]" à la société Wolfberger n'établissait pas qu'ils « chercheraient à accaparer la clientèle de ce dernier », la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

26. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Il en résulte que la caractérisation d'une faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel.

27. Pour rejeter la demande de la société Wolfberger en dommages-intérêts pour concurrence déloyale, la cour d'appel retient, notamment, que la société Wolfberger ne peut faire reproche aux consorts [M] d'employer l'histoire de la famille [M] à des fins commerciales, dès lors qu'il s'agit de leur propre histoire familiale, laquelle ne peut être considérée comme un élément distinctif tenant à la présentation des produits du titulaire de la marque « [U] [M] », et ajoute que le fait que, dans leur communication commerciale, les consorts [M] n'évoquent pas la cession du fonds de commerce de la société Domaine [U] [M] à la société Wolfberger n'est pas de nature à établir qu'ils chercheraient à accaparer la clientèle de ce fonds.

28. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'exploitation à des fins commerciales, par les consorts [M], de l'histoire de la famille [M] sans mentionner la cession du fonds de commerce de la société Domaine [U] [M] n'était pas de nature à entraîner, fût-ce non intentionnellement, un risque de confusion entre les produits commercialisés sous la marque « [U] [M] » et ceux commercialisés par les consorts [M], la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

29. La société Wolfberger fait grief à l'arrêt de la condamner à verser aux sociétés Domaine [D] et [V],

Les Tulipes Blanches et Vignoble [D] et [V], ensemble, la somme de 10 000 euros au titre des faits de concurrence déloyale et de lui interdire, sous astreinte, de faire usage du patronyme « [M] » seul, sans le prénom « [U] », et d'images ou d'éléments intellectuels appartenant aux appelants, notamment relatifs à l'histoire de la famille [M], alors « que l'acquéreur du fonds de commerce d'une société, d'une marque éponyme et des vignes servant à l'exploitation du fonds est en droit de faire référence à l'histoire attachée à ces biens ; que, comme qu'elle le faisait valoir, en reprenant le fonds de commerce de la société Domaine [U] [M], la société Wolfberger a acquis la marque "[U] [M]" et la totalité des vignes qui appartenaient à cette société dirigée par [G] [M] qui, avant sa liquidation, présentait cette société, portant le nom de son ancêtre, comme en étant le successeur et le représentant ; qu'en affirmant que l'histoire de la famille [M] ne serait pas attachée à la reprise du fonds de commerce de la société Domaine [U] [M] et de la marque éponyme, que la société Wolfberger ne peut prétendre poursuivre l'héritage de la famille de viticulteurs dès lors que la marque "[U] [M] n'y est plus associée » et que la société Wolfberger serait en faute en faisant référence à l'histoire attachée aux biens qu'elle a acquis, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

30. Lorsqu'un fonds de commerce est le fruit d'une histoire familiale, l'acquéreur de ce fonds est en droit de se prévaloir de cette histoire, sous réserve de ne pas créer un risque de confusion entre son activité et celle des membres de la famille restés actifs dans le même domaine.

31. Pour condamner la société Wolfberger au paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et lui faire interdiction sous astreinte de faire usage d'éléments intellectuels appartenant aux consorts [M], notamment relatifs à l'histoire de la famille [M], l'arrêt retient que, si la société Wolfberger a acquis le fonds de commerce de la société Domaine [U] [M] et la marque éponyme, ceci ne lui confère pas pour autant des droits sur les éléments intellectuels et visuels liés à la famille [M] et son histoire qui n'y sont pas attachés, et qu'en s'appropriant l'histoire familiale dans le but d'obtenir un avantage commercial, la société Wolfberger a cherché à profiter indûment des efforts intellectuels et techniques des sociétés de la famille [M] et s'est, de ce fait, livrée à des actes de concurrence déloyale.

32. En se déterminant ainsi, sans constater que les modalités de l'exploitation à des fins commerciales, par la société Wolfberger, de l'histoire de la société Domaine [U] [M], qui incluait nécessairement des éléments intellectuels liés à l'histoire de la famille [M] dans la viticulture alsacienne, avaient entraîné un risque de confusion entre les produits qu'elle commercialisait sous les marques acquises avec le fonds de commerce de la société Domaine [U] [M] et ceux que commercialisaient les consorts [M], la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

 - rejette la demande de la société Wolfberger tendant à voir interdire à la société Domaine [D] et [V], à la société Les Tulipes blanches et à la société Vignoble [D] et [V] de faire usage, dans le secteur d'activité de la production, du négoce et de la commercialisation des vins et spiritueux, et/ou pour désigner des boissons alcoolisées et tous produits et services similaires, du terme « [M] », accompagné d'autres termes, à quelque titre que ce soit et sur tous supports de quelque nature que ce soit, sauf en ce que l'arrêt a rejeté cette demande en tant qu'elle visait à interdire ceux des usages du terme « [M] » dans lesquels un autre patronyme est accolé au patronyme [M] ;

 - confirme le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté la société Wolfberger de sa demande en dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale à l'encontre de Mme [D] [M] et de M. [G] [M],

 - déboute la société Wolfberger de ses demandes au titre de la concurrence déloyale,

 - condamne la société Wolfberger à verser aux sociétés Domaine [D] et [V],Les Tulipes blanches et Vignoble [D] et [V], ensemble, la somme de 10 000 euros (dix mille euros), au titre des faits de concurrence déloyale ;

 - fait interdiction à la société Wolfberger, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, passé un délai de dix jours suivant la signification de la présente décision, de faire usage d'éléments intellectuels relatifs à l'histoire de la famille [M] ;

 - dit qu'il sera fait masse des dépens, et y condamne, pour moitié la société Wolfberger, et pour l'autre moitié les sociétés Domaine [D] et [V],Les Tulipes blanches et Vignoble [D] et [V], in solidum,

 - dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

l'arrêt rendu le 3 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Mollard - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer -

Textes visés :

Articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ; article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ; article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : Com., 21 juin 1994, n° 92-16.837. Sur l'utilisation par un tiers de son nom patronymique en présence d'une marque enregistrée, à rapprocher : Com., 21 juin 2011, pourvoi n° 10-23.262, Bull. 2011, IV, n ° 105 (rejet). Sur l'absence d'exigence de constatation d'un élément intentionnel dans la caractérisation d'une faute de concurrence déloyale, à rapprocher : Com., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-17.169.

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