Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 20 octobre 2021, n° 19-24.796, (B)

Cassation

Liquidation judiciaire – Contrats en cours – Contrats interdépendants – Non-poursuite du contrat décidée par le liquidateur – Effet – Résiliation de plein droit – Opposabilité au tiers contre lequel est invoquée la caducité – Conditions – Notification de la décision de résiliation (non)

La décision du liquidateur qui, ayant été mis en demeure de se prononcer sur la poursuite d'un contrat en cours en application de l'article L. 641-11-1, III, 1°, du code de commerce, opte expressément pour la non-poursuite du contrat, entraîne la résiliation de plein droit de celui-ci à la date de la réception de cette décision par le cocontractant, si cette dernière intervient dans le délai d'un mois prévu par ce texte. Cette résiliation est opposable à celui contre lequel est invoquée la caducité d'un contrat, par voie de conséquence à l'anéantissement préalable d'un contrat interdépendant, et ce sans qu'il soit nécessaire que la décision de résiliation du liquidateur lui soit notifiée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2019), le 30 juin 2016, la société Delta SI (la société Delta), devenue la société Hibyrd, a souscrit auprès de la société Infotech Network (la société Infotech) un bon de commande de matériel de communication numérique, ainsi qu'un contrat de prestation de services prévoyant, notamment, la maintenance de ce matériel.

2. Le même jour, la société Delta a souscrit auprès de la société Nbb Lease France 1 (la société Nbb) un contrat de location financière portant sur le matériel fourni par la société Infotech, d'une durée de 21 trimestres, prévoyant le versement de loyers trimestriels.

3. Le matériel commandé a été livré à la société Delta le 8 juillet 2016.

4. Le 3 août 2016, la société Delta a dénoncé à la société Infotech la mauvaise exécution des prestations de services.

5. Le 20 septembre 2016, la société Infotech a été mise en liquidation judiciaire.

Par une lettre du 3 octobre 2016, la société Nbb a informé la société Delta de cette mise en liquidation judiciaire et de ce que, en application d'une clause du contrat de location financière, la locataire pouvait prendre contact avec une société tierce susceptible d'assurer la continuité de la maintenance.

6. La société Delta ayant, le 17 novembre 2016, mis en demeure le liquidateur de se prononcer sur la poursuite du contrat de prestation de services en cours conclu avec la société Infotech, en application de l'article L. 641-11-1, III, 1° du code de commerce, le liquidateur l'a informée, par une lettre du 25 novembre 2016, de sa décision de résilier ce contrat.

7. Par une lettre du 15 décembre 2016, la société Delta s'est prévalue auprès de la société Nbb de la caducité du contrat de location financière au 25 novembre 2016, du fait de la résiliation du contrat de prestation de services décidée par le liquidateur, et a dénoncé la clause de « divisibilité et indépendance » des conditions générales du contrat de location financière.

8. Après la vaine délivrance d'une mise en demeure de payer les loyers échus entre les 1er janvier et 31 mars 2017, la société Nbb a assigné la société Delta en prononcé de la résiliation du contrat de location financière au 16 février 2017, conformément à la clause résolutoire stipulée à ce contrat, et en paiement des loyers impayés et d'une indemnité de résiliation égale à la totalité des loyers restant à courir jusqu'à la fin du contrat, majorée de 10 %.

9. La société Delta s'est opposée à ces demandes, en se prévalant de l'interdépendance des contrats en cause et de ce que la résiliation du contrat de prestation de services, prononcée par le liquidateur le 25 novembre 2016, avait entraîné la caducité du contrat de location financière à la même date.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. La société Delta, devenue la société Hibyrd, fait grief à l'arrêt de dire que le contrat de location financière a été résilié le 16 février 2017 et de la condamner à payer à la société Nbb la somme de 13 296,89 euros, correspondant aux loyers impayés et à l'indemnité de résiliation, alors « que les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; que doivent être réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ; que la résiliation d'un contrat de vente de matériel assortie d'une prestation de maintenance entraine par voie de conséquence la caducité de plein droit du contrat de location financière destiné à financer cette opération, sans qu'il soit besoin que cette résiliation soit notifiée au loueur ; que la clause du contrat de location prévoyant que le loueur pourra, en cas de défaillance du prestataire, proposer au locataire la substitution d'une autre entreprise dans l'exécution du contrat de maintenance, ne saurait faire échec à la caducité du contrat de location en cas de refus du locataire de poursuivre ce contrat avec un autre prestataire, sa décision de ne pas donner suite à cette proposition étant discrétionnaire et n'ayant pas à être motivée ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que le contrat de maintenance conclu avec la société Infotech Network a été résilié par décision du liquidateur de cette société le 25 novembre 2016 ; qu'en jugeant que cette résiliation n'avait pas entrainé la caducité, à cette date, du contrat de location conclu entre la société Delta SI et la société Nbb Lease, aux motifs que cette résiliation n'avait pas été notifiée à cette dernière, et que la société Delta SI avait refusé de donner suite à la proposition de poursuite de son contrat avec une autre entreprise substituant la société Infotech Network, sans établir que la maintenance du matériel par un nouveau prestataire aurait été impossible, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 1722 du même code. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La société Nbb conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la critique est incompatible avec les conclusions d'appel de la société Delta, qui soutenait qu'il n'y a d'interdépendance entre des contrats que lorsque l'exécution de l'un était économiquement indispensable à la survie de l'autre, ce qui n'est pas le cas lorsque les prestations de services peuvent être poursuivies avec un nouveau prestataire, cela étant sans incidence sur la possession du matériel par le client, en vertu de laquelle il paie un loyer.

12. Cependant, dans ses conclusions d'appel, la société Delta soutenait que la résiliation de plein droit du contrat de maintenance intervenue sur décision du liquidateur de la société Infotech suffisait à entraîner la caducité du contrat de location financière conclu avec la société Nbb et que c'était donc à tort que cette dernière lui opposait l'absence de preuve d'une impossibilité d'utiliser le matériel loué, ce débat étant juridiquement erroné et inutile.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 641-11-1, III, 1° du code de commerce :

14. Selon le premier de ces textes, les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants, et l'anéantissement de l'un quelconque d'entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sans que la reconnaissance de la caducité soit conditionnée par le constat de ce que, après l'anéantissement de l'un des contrats, l'exécution des autres serait devenue objectivement impossible.

15. La décision du liquidateur qui, ayant été mis en demeure de se prononcer sur la poursuite d'un contrat en cours en application du second des textes susvisés, opte expressément pour la non-poursuite du contrat, entraîne la résiliation de plein droit de celui-ci à la date de la réception de cette décision par le cocontractant, si cette dernière intervient dans le délai d'un mois prévu par ce texte. Cette résiliation est opposable à celui contre lequel est invoquée la caducité d'un contrat, par voie de conséquence à l'anéantissement préalable d'un contrat interdépendant, et ce sans qu'il soit nécessaire que la décision de résiliation du liquidateur lui soit notifiée.

16. Pour dire que le contrat de location financière a été résilié le 16 février 2017 en application d'une clause résolutoire et condamner, en conséquence, la société Delta au paiement des loyers impayés entre les mois de janvier et mars 2017 et d'une indemnité de résiliation, l'arrêt retient, d'abord, que la résiliation du contrat de maintenance a été prononcée par le liquidateur de la société Infotech le 25 novembre 2016, mais que, faute d'avoir été notifiée au bailleur, cette résiliation ne peut produire effet. Ensuite, après avoir reproduit les termes de l'article 9 des conditions générales du contrat de location financière, stipulant que, dans le cas où le locataire constate une défaillance du prestataire dans l'exécution des services souscrits, il s'engage à en informer le loueur, ce dernier pouvant tenter d'assister le locataire pour la mise en oeuvre d'une solution permettant de contourner cette défaillance et, à ce titre, lui proposer de retenir un autre prestataire, l'arrêt retient que le 3 octobre 2016, la société Nbb a proposé à la société Delta une nouvelle société de maintenance et que, si la locataire était en droit de refuser cette proposition de substitution, elle ne démontre pas que l'utilisation du matériel aurait été impossible avec un autre prestataire.

L'arrêt en déduit qu'en l'absence de notification de la décision du liquidateur prononçant la résiliation du contrat de prestation et au vu de la proposition de poursuite du contrat de maintenance, ne sont pas réunies les conditions de mise oeuvre de la caducité en raison d'une prestation rendue impossible.

17. En statuant ainsi, alors, d'abord, que les contrats en cause, concomitants et incluant une location financière, étaient interdépendants, ensuite, que le contrat de prestation avait été résilié par une décision du liquidateur de la société Infotech prise le 25 novembre 2016, après délivrance d'une mise en demeure d'opter délivrée par la société Delta en vertu de l'article L. 641-11-1, III, 1° précité, ainsi que le précisait cette société dans ses conclusions d'appel, ce dont il résultait que cette résiliation, qui avait pris effet à la date de réception de la décision du liquidateur, avait entraîné, à la même date, la caducité du contrat de location financière, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 641-11-1, III, 1°, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du point de départ de la résiliation de plein droit en cas de refus exprès du liquidateur de poursuivre un contrat en cours, à rapprocher : Com., 18 mars 2003, pourvoi n° 00-12.693, Bull. 2003, IV, n° 47 (rejet).

Com., 20 octobre 2021, n° 20-10.710, (B)

Cassation

Liquidation judiciaire – Effets – Dessaisissement du débiteur – Limites – Exercice des actions attachées à la personne du débiteur – Applications diverses – Exercice de l'action en divorce – Fixation de la prestation compensatoire – Abandon en pleine propriété d'un immeuble du débiteur – Opposabilité au liquidateur

Le dessaisissement prévu par l'article L. 641-9, I, du code de commerce ne concernant que l'administration et la disposition des biens du débiteur en liquidation judiciaire, ce dernier a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre. Cette action, attachée à sa personne, inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge. Le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure l'abandon, à titre de prestation compensatoire, d'un bien personnel du débiteur marié sous le régime de la séparation des biens qui a été décidé par le juge du divorce, doit exercer une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce.

Organes – Liquidateur – Pouvoirs – Représentation du débiteur – Divorce – Exercice d'une tierce opposition contre la décision fixant la prestation compensatoire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 23 octobre 2019), M. [E] et Mme [Y], mariés sous le régime de la séparation de biens, ont, le 24 juillet 1987, acquis en indivision un immeuble situé à [Localité 1].

2. M. [E] a été mis en liquidation judiciaire le 13 mars 2008, Mme [F] étant désignée liquidateur.

3. Le divorce de M. [E] et de Mme [Y] ayant été prononcé par un jugement du 9 septembre 2010, un arrêt du 14 septembre 2011, rectifié le 14 novembre 2012, infirmant sur ce point le jugement de divorce, a accordé à Mme [Y] une prestation compensatoire en capital de 95 000 euros, sous la forme de l'abandon par M. [E] de sa part indivise dans l'immeuble précité.

Le liquidateur n'était pas partie à cette instance.

4. Faisant valoir que les dispositions patrimoniales de cet arrêt étaient inopposables à la procédure collective, le liquidateur a assigné Mme [Y] devant le tribunal de grande instance pour obtenir le partage de l'indivision et, préalablement, la vente aux enchères de l'immeuble indivis.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [Y] fait grief à l'arrêt de déclarer inopposable à la procédure collective le transfert de propriété ordonné entre M. [E] et Mme [Y], à titre de prestation compensatoire, par la cour d'appel dans sa décision du 14 septembre 2011, et d'ordonner la vente aux enchères publiques sur licitation de l'immeuble sis à [Localité 1], alors « que le dessaisissement du débiteur soumis à une procédure de liquidation judiciaire ne concernant que l'administration et la disposition de ses biens, celui-ci a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre, action attachée à sa personne, qui inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge, sans préjudice de l'exercice par le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure collective l'abandon en pleine propriété d'un bien propre appartenant au débiteur décidé par le juge du divorce à titre de prestation compensatoire, d'une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce ; qu'en jugeant au contraire que l'action en divorce, même personnelle, en ce qu'elle a des implications financières ne peut échapper à la règle du dessaisissement qui impose que le liquidateur soit appelé en la cause dans la procédure de divorce, à peine de lui voir déclarer inopposable le transfert de propriété décidé par le juge du divorce au titre du paiement de la prestation compensatoire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Mme [F], ès qualités, conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la critique est nouvelle, Mme [Y] n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que M. [E] aurait eu qualité pour défendre à l'action en divorce sur la fixation de la prestation compensatoire, ni qu'il appartenait au liquidateur de former tierce opposition.

7. Cependant, le moyen qui ne se prévaut d'aucun fait qui n'ait été soumis à l'appréciation des juges du fond et constaté par la décision attaquée, est de pur droit.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 641-9, I, du code de commerce :

9. Le dessaisissement ne concernant que l'administration et la disposition des biens du débiteur en liquidation judiciaire, ce dernier a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre. Cette action, attachée à sa personne, inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge.

Le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure l'abandon, à titre de prestation compensatoire, d'un bien personnel du débiteur marié sous le régime de la séparation des biens qui a été décidé par le juge du divorce, doit exercer une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce.

10. Pour déclarer inopposable à la liquidation judiciaire de M. [E] le transfert de propriété, ordonné à titre de prestation compensatoire le 14 septembre 2011, et prescrire la vente aux enchères de l'immeuble, l'arrêt retient que les implications financières de l'action en divorce n'échappent pas au dessaisissement et en déduit que le liquidateur aurait dû être appelé à la procédure de divorce.

11. En statuant, ainsi alors qu'il incombait au liquidateur de former tierce opposition au jugement de divorce pour faire déclarer inopposable à la liquidation judiciaire la disposition de ce jugement ayant décidé l'abandon à Mme [Y] de la part de M. [E] dans l'immeuble acquis par eux en indivision, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Vaissette - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article L. 641-9, I, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : Com., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-16.334, Bull. 2019, (rejet).

Com., 20 octobre 2021, n° 20-17.765, (B)

Cassation

Procédure (dispositions générales) – Voies de recours – Décisions susceptibles – Extension d'une procédure de liquidation – Tierce opposition d'un créancier invoquant des moyens propres – Applications diverses – Créancier hypothécaire – Recevabilité

Un créancier, qui n'y était pas partie, peut, en application des articles L. 661-2 du code de commerce et 583, alinéa 2, du code de procédure civile, former tierce opposition à un jugement statuant sur l'extension d'une procédure de liquidation judiciaire à son débiteur, à la condition que ce jugement ait été rendu en fraude de ses droits ou qu'il invoque des moyens qui lui sont propres.

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui déclare irrecevable la tierce opposition d'une banque, se prévalant d'une créance garantie par une hypothèque de premier rang inscrite sur l'immeuble appartenant à sa débitrice, à la décision d'extension à celle-ci de la liquidation judiciaire d'une société tierce, sans rechercher si le créancier, qui faisait valoir que le prix vente de l'immeuble serait alors intégralement absorbé par la créance privilégiée détenue par l'AGS sur cette dernière société, invoquait un moyen propre.

Procédure (dispositions générales) – Voies de recours – Exercice – Tierce opposition – Qualité pour l'exercer – Créancier du débiteur – Conditions – Invocation de moyens propres

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 21 janvier 2020), la société Belmonte a été mise en redressement judiciaire le 7 février 2011, puis en liquidation judiciaire le 6 avril 2012, Mme [R] étant désignée liquidateur.

2. Le 3 avril 2015, Mme [R], ès qualités, a assigné la SCI Annau (la SCI) pour lui voir étendre la liquidation judiciaire de la société Belmonte.

Le tribunal a rejeté la demande mais, par un arrêt du 28 février 2017, la cour d'appel de Montpellier a infirmé le jugement et a prononcé l'extension sollicitée.

Le 5 mai 2017, la société Caisse de crédit mutuel Montpellier Antigone (la banque), créancier hypothécaire, a formé tierce opposition à cet arrêt.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce opposition, alors « que les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent former tierce opposition au jugement rendu en fraude à leurs droits s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres ; que le créancier hypothécaire inscrit en premier rang sur le seul bien immobilier appartenant à la débitrice dont la liquidation judiciaire a été prononcée par extension de la procédure ouverte contre une autre société, et dont la créance hypothécaire est supérieure à la valeur du bien immobilier dont le prix, en cas de vente, permettrait exclusivement de désintéresser un créancier de rang préférable de la première société mise en liquidation judiciaire invoque bien un moyen propre, que lui seul peut soulever ; que pour juger le contraire, la cour d'appel a retenu que le montant de la créance hypothécaire du tiers opposant est un élément de fait qui ne fait que compléter un moyen déjà opposé par la SCI lors des précédents débats devant la cour d'appel, alors même que la dévaluation de l'immeuble à la considérer avérée aujourd'hui ne pouvait être connue ; qu'en se déterminant ainsi, au lieu de rechercher, comme elle y était invitée si le prix de vente de l'actif de la SCI – même réalisé aux meilleures conditions – serait intégralement absorbé par la créance privilégiée de 1 443 790,35 euros détenue par l'AGS sur la société Belmonte, au préjudice de la banque, titulaire d'une créance hypothécaire de 1er rang à concurrence de 1 325 285,30 euros, de sorte que le tiers opposant se prévalait d'un moyen propre rendant son recours recevable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 583, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 661-2 du code de commerce et 583, alinéa 2, du code de procédure civile :

5. Il résulte de ces textes qu'un créancier, qui n'y était pas partie, peut former tierce opposition à un jugement statuant sur l'extension d'une procédure de liquidation judiciaire à son débiteur, à la condition que ce jugement ait été rendu en fraude de ses droits ou qu'il invoque des moyens qui lui sont propres.

6. Pour déclarer irrecevable la tierce opposition de la banque à l'arrêt prononçant l'extension de la liquidation judiciaire de la société Belmonte à la SCI, l'arrêt, après avoir énoncé que la banque doit présenter des moyens qui lui sont propres, retient que le moyen tenant à l'intérêt des créanciers a déjà été soulevé et débattu au cours de l'instance ayant abouti à l'arrêt du 28 février 2017 et qu'il est inopérant de se prévaloir d'un élément de fait relatif au montant de la créance hypothécaire qui ne fait que compléter un moyen déjà opposé par la SCI, tandis que que la dévaluation de l'immeuble, à la supposer désormais avérée, ne pouvait être connue. Il en déduit que la banque ne soulève aucun moyen qui lui soit propre.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la banque, qui se prévalait d'une créance sur la SCI d'un montant de1 330 306, 60 euros, garantie par une hypothèque de premier rang inscrite sur l'immeuble appartenant à sa débitrice et qui faisait valoir qu'à la suite de l'extension de la liquidation judiciaire de la société Belmonte à la SCI, le prix de vente de l'immeuble de cette dernière serait intégralement absorbé par la créance privilégiée de 1 443 790,35 euros détenue par l'AGS sur la société Belmonte, n'invoquait pas un moyen qui lui était propre, peu important le débat soulevé par la SCI au cours de l'instance d'appel ayant abouti à l'arrêt du 28 février 2017 quant à l'intérêt de l'extension pour l'ensemble des créanciers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Vaissette - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Richard -

Textes visés :

Article L. 626-22, alinéa 3, du code de commerce ; article 583, alinéa 2, du code de procédure civile.

Com., 20 octobre 2021, n° 20-13.829, (B)

Cassation partielle

Redressement judiciaire – Ouverture – Procédure – Jugement – Effets – Interruption des instances en cours – Déclaration de créances – Absence – Effet – Irrecevabilité des demandes

Aux termes de l'article L. 622-22, alinéa 1, du code de commerce, rendu applicable à la procédure de redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance.

En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui déclare irrecevables les demandes en fixation de créances indemnitaires formées par les créanciers d'un débiteur en redressement judiciaire, en retenant que, après l'interruption de cette instance en cours, du fait du jugement ouvrant la procédure collective, ces créanciers ne justifient pas avoir déclaré leur créance, alors que, les conditions de la reprise devant elle de l'instance en cours n'étant pas réunies faute de déclaration de créance, la cour d'appel devait se borner à constater l'interruption de l'instance l'empêchant de statuer, sans pouvoir déclarer les demandes irrecevables.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. et Mme [L] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société AJ associés, en qualité d'administrateur judiciaire de la société Eurobarrère.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2019), statuant sur renvoi après cassation (3e chambre civile, 13 juin 2014, pourvoi n° 14-23.393), M. et Mme [L] ont fait rénover, sous la maîtrise d'oeuvre de [D] [V], assuré par la Mutuelle des architectes français, trois appartements.

La société Eurobarrère a réalisé ces travaux selon des devis et ordres de service des 28 novembre, 7 et 14 décembre 2000.

3. Le 18 février 2002, M. et Mme [L] ont pris possession des lieux, sans qu'il soit procédé à la réception de l'ouvrage, ni au paiement du solde du prix des travaux.

4. Se plaignant de malfaçons et non-finitions, M. et Mme [L] ont assigné la société Eurobarrère en indemnisation de leurs préjudices. Reconventionnellement, cette société a demandé la condamnation de M. et Mme [L] à lui payer le solde du prix des travaux.

5. Le 8 juillet 2015, la société Eurobarrère a été mise en redressement judiciaire, la société AJ associés étant nommée en qualité d'administrateur judiciaire et M. [S] de mandataire judiciaire.

6. Après la saisine de la cour de renvoi, consécutive à la cassation de l'arrêt du 13 juin 2014 qui avait condamné M. et Mme [L] à payer le solde du prix des travaux et rejeté leurs demandes indemnitaires, la société Eurobarrère a bénéficié d'un plan de redressement, M. [S] étant désigné commissaire à l'exécution du plan. M. et Mme [L] ont appelé ce dernier en intervention forcée.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens du pourvoi principal, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 622-22, alinéa 1er, du code de commerce, rendu applicable à la procédure de redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code :

9. Aux termes de ce texte, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance.

10. L'arrêt déclare irrecevables les demandes en paiement formées par M. et Mme [L] contre la société Eurobarrère, ainsi que leurs demandes de fixation de créance au passif de la procédure collective de cette société, après avoir énoncé, d'un côté, qu'en application des articles L. 622-21 et L. 631-14 précités, le jugement de redressement judiciaire de la société Eurobarrère, rendu le 8 juillet 2015, a interrompu et interdit toute action en justice de la part de M. et Mme [L] tendant à la condamnation de l'entreprise au paiement d'une somme d'argent, de l'autre, qu'en vertu de l'article L. 622-22 du code de commerce, l'instance engagée contre la société Eurobarrère a été interrompue dans l'attente de la déclaration de créance de M. et Mme [L] au passif de l'entreprise, et constaté qu'il n'est cependant pas justifié d'une telle déclaration.

11. En statuant ainsi, alors qu'ayant retenu, à bon droit, que les conditions de la reprise devant elle de l'instance en cours en vue de la constatation de la créance des maîtres d'ouvrage et de la fixation de son montant n'étaient pas réunies en l'absence de déclaration de créance, elle devait se borner à constater l'interruption de l'instance l'empêchant de statuer, sans pouvoir, par conséquent, déclarer les demandes irrecevables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

12. La société Eurobarrère, son administrateur judiciaire et le commissaire à l'exécution de son plan font grief à l'arrêt, après avoir dit que la créance de M. et Mme [L] s'élevait à concurrence des sommes de 60 343,99 euros au titre de malfaçons, 45 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 11 793,65 euros au titre des pénalités de retard, d'ordonner la compensation des sommes dues de part et d'autre, alors « que la compensation pour dettes connexes ne peut être prononcée dès lors que le créancier n'a pas déclaré sa créance ; qu'en ordonnant la compensation entre la créance de solde de travaux de la société Eurobarrère et celle résultant de désordres et malfaçons, inachèvements, préjudice de jouissance et pénalités de retard des époux [L], après avoir constaté que ces derniers n'avaient pas déclaré leur créance, la cour d'appel a violé l'article L. 622-7, I, ensemble les articles L. 622-24 et L. 622-26 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 622-7, I, du code de commerce :

13. Il résulte de ce texte que lorsqu'un contractant défaillant a été mis en procédure collective, la créance née, avant le jugement d'ouverture, de l'exécution défectueuse ou tardive de prestations convenues ne peut se compenser avec le prix des prestations dû par son cocontractant qu'à la condition que ce dernier ait déclaré cette créance de dommages-intérêts au passif de la procédure collective.

14. Pour ordonner la compensation entre, d'un côté, la créance détenue par M. et Mme [L] à l'égard de la société Eurobarrère au titre des désordres, malfaçons, inachèvement, préjudice de jouissance et pénalités de retard, représentant la somme totale de 120 327,96 euros, et, de l'autre, la créance de la société Eurobarrère à l'égard de M. et Mme [L] au titre du solde du marché, d'un montant de 100 430,59 euros, l'arrêt retient que, faute de déclaration de créance, aucune condamnation ne peut être prononcée contre la société Eurobarrère, sous redressement judiciaire, mais que la compensation des sommes dues de part et d'autre sera ordonnée, ce qui réduit la créance de M. et Mme [L] à l'égard de la société Eurobarrère à la somme totale 19 897,37 euros.

15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que M. et Mme [L] n'avaient pas justifié de leur déclaration de créance, ce qui rendait impossible la compensation des dettes pour connexité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le moyen relevé d'office entraîne, par voie de conséquence, celle de l'ensemble des chefs de dispositif de l'arrêt statuant sur la responsabilité encourue par la société Eurobarrère à l'égard de M. et Mme [L], qu'ils la retiennent ou qu'ils l'écartent, ainsi que ceux déterminant le montant des sommes dues par la société Eurobarrère à M. et Mme [L], rejetant leur demande de remboursement d'une facture d'un ingénieur, rejetant les recours en garantie formés par la société Eurobarrère à l'égard de sociétés tierces et statuant sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, ces chefs étant dans un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit éteinte l'action engagée contre [D] [V], en ce qu'il dit la société Eurobarrère irrecevable en ses demandes formées contre la Mutuelle des architectes français (MAF), en ce qu'il reçoit l'intervention de M. [S], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Eurobarrère, en ce qu'il met hors de cause la société AJ associés, en qualité d'administrateur judiciaire de cette société, en ce qu'il prend acte de l'abandon de toute demande relative à la nullité du rapport d'expertise judiciaire, et en ce qu'il condamne M. et Mme [L] à payer à la société Eurobarrère la somme de 100 430,59 euros au titre du solde du marché, l'arrêt rendu le 18 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Boulloche ; SCP Jean-Philippe Caston -

Textes visés :

Article L. 622-22, alinéa 1, du code de commerce ; article L. 631-14 du code de commerce.

Com., 20 octobre 2021, n° 20-16.231, (B)

Rejet

Redressement judiciaire – Période d'observation – Interdiction des paiements – Applications diverses – Transaction – Ordonnance autorisant la transaction – Annulation – Portée – Effet rétroactif – Restitution des fonds

Un jugement ayant annulé l'ordonnance d'un juge-commissaire qui autorisait un paiement prohibé, une cour d'appel tire à bon droit la conséquence de l'effet rétroactif de ce jugement et fait l'exacte application de l'article L. 622-7 du code de commerce en retenant qu'en raison de ce jugement, le paiement n'a pas été autorisé et que l'action du liquidateur tendant à son annulation et à la restitution des fonds, qui ne constitue pas une action à laquelle peut donner lieu le contrat de transport au sens de l'article L. 133-6 du même code, est soumise, non à la prescription d'un an prévue par ce texte, mais à la prescription de trois ans prévue par l'article L. 622-7 précité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 mai 2020), par une ordonnance du 15 juin 2016, le juge-commissaire a autorisé la société Pauporte à transiger avec l'un de ses créanciers, la société LCI-Clasquin, qui lui avait facturé des prestations de transports avant sa mise en redressement judiciaire consécutive à la résolution de son plan de sauvegarde, prononcée le 25 mai 2016. Cette transaction prévoyait un abandon, à concurrence de 10 %, de sa créance par la société LCI-Clasquin et sa renonciation à exercer l'action directe qui lui était ouverte par l'article L. 132-8 du code de commerce contre les clients de la société Pauporte, en contrepartie du paiement par celle-ci de la somme de 19 037 euros.

2. La société Pauporte a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 29 juillet 2016 et la société [G] désignée en qualité de liquidateur.

3. L'ordonnance du juge-commissaire, qui avait fait l'objet d'un recours formé par le mandataire judiciaire, ayant été annulée par un jugement du 4 janvier 2017, le liquidateur a assigné, le 3 octobre 2018, la société LCI-Clasquin en annulation du paiement de la somme de 19 037 euros.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société LCI-Clasquin fait grief à l'arrêt de déclarer le liquidateur de la société Pauporte recevable et bien fondé à agir en annulation du paiement de la somme de 19 037 euros effectué par cette société à son profit et de la condamner à en rembourser le montant, alors :

« 1°/ que ne méconnaît pas la règle de l'interdiction des paiements des créances antérieures, le paiement intervenu sur le fondement d'une transaction autorisée par le juge-commissaire, quand bien même l'ordonnance du juge-commissaire serait ultérieurement annulée ou réformée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que le paiement à la société LCI-Clasquin d'une somme de 19 307 euros était intervenu à la suite d'une ordonnance du juge-commissaire qui, sur requête de l'administrateur judiciaire de la société Pauporte, avait autorisé ce dernier à transiger avec l'exposante et à lui payer ladite somme ; qu'en retenant pourtant que le paiement litigieux avait eu lieu « hors de tout respect des règles de la procédure collective et notamment en contravention du principe d'interdiction des paiements d'une créance antérieure à l'ouverture de la procédure collective », la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 622-7 du code de commerce ;

2°/ que l'action en restitution du paiement effectué en exécution d'un contrat de transport est soumise à la prescription annale, peu important qu'elle soit exercée après l'annulation de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant le transporteur à transiger avec le donneur d'ordres pour ne payer qu'une fraction de la créance du voiturier ; qu'en l'espèce, il est constant que le paiement intervenu sur le fondement de la transaction annulée rémunérait les factures de transports réalisés par la société LCI-Clasquin au profit de la société Pauporte ; qu'en rejetant pourtant le moyen pris de l'application de la prescription annale, la cour d'appel a violé, par refus application, l'article L. 133-6 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. L'ordonnance du juge-commissaire, qui autorisait un paiement prohibé, ayant été annulée, c'est en tirant la conséquence de l'effet rétroactif du jugement prononçant son annulation et en faisant l'exacte application de l'article L. 622-7 du code de commerce que l'arrêt retient qu'en raison de cette décision, le paiement n'avait pas été autorisé et que l'action tendant à son annulation et à la restitution des fonds, qui ne constituait pas une action à laquelle peut donner lieu le contrat de transport au sens de l'article L. 133-6 du même code, était soumise, non à la prescription par un an prévue par ce dernier texte, mais à la prescription par trois ans prévue par l'article L. 622-7 précité.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Riffaud - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article L. 622-7 du code de commerce ; article L. 133-6 du code de commerce.

Com., 20 octobre 2021, n° 20-20.810, (B)

Rejet

Sauvegarde – Plan de sauvegarde – Exécution du plan – Substitution de garantie – Equivalence des garanties – Appréciation par le juge – Pouvoir souverain des juges du fond

L'appréciation de l'équivalence des garanties dont il est demandé d'ordonner la substitution en application de l'article L. 626-22, alinéa 3, du code de commerce relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 1er septembre 2020), la Société générale (la banque) a consenti à la société civile d'exploitation agricole du Château Gravas (la SCEA) un prêt destiné à financer l'acquisition de parcelles de vignes, garanti par un privilège de prêteur de deniers.

2. La SCEA ayant été mise en sauvegarde le 22 décembre 2017, la banque a déclaré sa créance qui a été admise à titre privilégié.

3. Le plan de sauvegarde de la SCEA a été arrêté le 15 février 2019, la société Malmezat-Prat Lucas-Dabadie étant désignée en qualité de commissaire à son exécution.

4. Le 27 août 2019, la SCEA a saisi le tribunal de la procédure collective d'une demande tendant à voir ordonner la substitution d'un gage sur stock sans dépossession portant sur des tonneaux de vin d'appellation Sauternes à la sûreté détenue par la banque sur trois parcelles pour en permettre la vente afin de payer les sommes dues à la Mutualité sociale agricole.

5. Par un jugement du 8 novembre 2019, le tribunal a fait droit à cette demande.

Examen du moyen

6. La banque fait grief à l'arrêt d'ordonner la substitution de garantie, alors :

« 1°/ que le juge ne peut ordonner une substitution de garantie qu'à la condition que la garantie de substitution présente des avantages équivalents à la garantie substituée ; que pour apprécier le respect de cette condition, le juge doit se placer à la date à laquelle il statue ; que pour retenir que le gage de substitution présentait des avantages équivalents au privilège de prêteur de deniers inscrit par la banque sur différentes parcelles viticoles appartenant à la SCEA du Château Gravas dont la parcelle [Cadastre 1] que cette dernière envisageait de vendre partiellement, la cour d'appel s'est fondée sur un projet de division future de la parcelle [Cadastre 1] en deux parcelles – à savoir une parcelle [Cadastre 2] qui serait vendue par la SCEA du Château Gravas et une parcelle [Cadastre 3] qui serait conservée par celle-ci – et sur la possibilité pour la banque d'inscrire une nouvelle hypothèque sur la parcelle [Cadastre 3] après la vente et la division de la parcelle [Cadastre 1] ; qu'en se plaçant ainsi non pas à la date à laquelle elle statuait, mais à une date postérieure, pour apprécier si le gage de substitution présentait des avantages équivalents au privilège de prêteur de deniers dont bénéficiait la banque, la cour d'appel a violé l'article L. 626-22 du code de commerce ;

2°/ que le motif hypothétique équivaut à une absence de motif ; qu'en se fondant sur une hypothétique division de la parcelle [Cadastre 1] au vu d' « un projet » qui, selon ses propres termes, était « sans valeur juridique en l'absence de décision du service d'urbanisme compétent », pour en déduire que la banque aurait « la possibilité d'inscrire une nouvelle hypothèque sur la parcelle [Cadastre 3]" et, partant, que la garantie de substitution proposée présenterait des avantages équivalents à la garantie actuelle, la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques et ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge ne peut ordonner une substitution de garantie qu'à la condition que la garantie de substitution présente des avantages équivalents à la garantie substituée, ce qui va au-delà d'une simple équivalence de valeur ; que la garantie de substitution doit apporter le même degré de sécurité pour le créancier que la garantie substituée ; que la cour d'appel s'est bornée à retenir que la valeur, en vrac ou en bouteilles, du stock proposé en gage était équivalente à celle du privilège de prêteur de deniers inscrit par la banque sur les parcelles dont la vente était envisagée, sans vérifier si la SCEA justifiait de la possibilité de trouver des acquéreurs pour le stock proposé en gage que ce soit en vrac ou a fortiori en bouteilles, ce qui était contesté par l'exposante ; qu'en statuant par de tels motifs insuffisants à caractériser que la garantie de substitution proposée présentait des avantages équivalents à la garantie actuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 626-22 du code de commerce.

Réponse de la Cour

7. Contrairement à ce que postule le moyen, c'est sans se fonder sur des motifs hypothétiques mais, au contraire, en se plaçant à la date à laquelle elle a statué que la cour d'appel, qui devait prendre en considération le projet de division de l'une des parcelles qui lui était présenté et ses conséquences futures sur les sûretés détenues par la banque afin d'apprécier l'équivalence de la garantie dont la substitution lui était demandée avant de l'autoriser, s'est prononcée et, sous le couvert d'un grief d'un manque de base légale, le moyen ne tend en réalité qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond sur l'équivalence de la garantie substituée.

8. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Riffaud - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article L. 626-22, alinéa 3, du code de commerce.

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