Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

DIVORCE, SEPARATION DE CORPS

1re Civ., 20 octobre 2021, n° 19-26.152, (B) (R)

Rejet

Garde des enfants – Modification – Assistance éducative – Intervention du juge des enfants – Révélation postérieure d'un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 octobre 2019), de l'union de Mme [N] et M. [T] est issue [Z], née le [Date naissance 1] 2009.

2. Par jugement du 13 avril 2018, un juge aux affaires familiales a prononcé leur divorce et fixé la résidence de l'enfant au domicile de son père, accordant à sa mère un droit de visite et d'hébergement.

3. Par jugement du 5 décembre 2018, un juge des enfants a ordonné une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert au bénéfice d'[Z] et, par jugement du 4 juin 2019, il a confié l'enfant à son père et accordé à sa mère un droit de visite médiatisé jusqu'à la prochaine décision du juge aux affaires familiales.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [T] fait grief à l'arrêt d'annuler le jugement en ce qu'il a ordonné le placement de l'enfant à son domicile et organisé un droit de visite médiatisé de la mère et de dire que seul le juge aux affaires familiales pourra statuer sur le droit de visite et d'hébergement de celle-ci, alors :

« 1°/ que le juge des enfants a une compétence exclusive pour ordonner des mesures d'assistance éducative ; lorsqu'un jugement de divorce a statué sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, le juge des enfants peut prendre des mesures d'assistance éducative aboutissant à des modalités différentes, si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales ; en affirmant que le juge des enfants n'était pas compétent pour ordonner la médiatisation du droit de visite et d'hébergement de la mère prévu par le jugement de divorce, la cour d'appel a violé l'article 375-3 du code civil ;

2°/ que les articles 375-2 et 375-3 du code civil permettent au juge des enfants d'ordonner une mesure d'assistance éducative et de modifier dans le cadre de cette mesure les modalités du droit de visite et d'hébergement de l'un des parents telles que prévues dans la décision du juge aux affaires familiales, peu important que le juge des enfants ait décidé de confier l'enfant à l'autre parent chez lequel la résidence de l'enfant était déjà fixée ; en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles précités. »

Réponse de la Cour

5. L'article 375-3 du code civil dispose :

« Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier :

1° A l'autre parent ;

2° A un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ;

3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance ;

4° A un service ou à un établissement habilité pour l'accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ;

5° A un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé.

Toutefois, lorsqu'une demande en divorce a été présentée ou un jugement de divorce rendu entre les père et mère ou lorsqu'une demande en vue de statuer sur la résidence et les droits de visite afférents à un enfant a été présentée ou une décision rendue entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision statuant sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou confiant l'enfant à un tiers. Elles ne peuvent faire obstacle à la faculté qu'aura le juge aux affaires familiales de décider, par application de l'article 373-3, à qui l'enfant devra être confié.

Les mêmes règles sont applicables à la séparation de corps.

Le procureur de la République peut requérir directement le concours de la force publique pour faire exécuter les décisions de placement rendues en assistance éducative. »

6. Aux termes de l'article 375-7, alinéa 4, du même code, s'il a été nécessaire de confier l'enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu'un droit de visite et d'hébergement.

Le juge en fixe les modalités et peut, si l'intérêt de l'enfant l'exige, décider que l'exercice de ces droits, ou de l'un d'eux, est provisoirement suspendu. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu'en présence d'un tiers qu'il désigne lorsque l'enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l'établissement ou le service à qui l'enfant est confié.

Les modalités d'organisation de la visite en présence d'un tiers sont précisées par décret en Conseil d'Etat.

7. La Cour de cassation avait jugé que, lorsqu'un fait de nature à entraîner un danger pour l'enfant s'était révélé ou était survenu postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales ayant fixé la résidence habituelle de celui-ci chez l'un des parents et organisé le droit de visite et d'hébergement de l'autre, le juge des enfants, compétent pour tout ce qui concernait l'assistance éducative, pouvait, à ce titre, modifier les modalités d'exercice de ce droit, alors même qu'aucune mesure de placement n'était ordonnée (1re Civ., 26 janvier 1994, pourvoi n° 91-05.083, Bull. 1994, I, n° 32 et 1re Civ., 10 juillet 1996, pourvoi n° 95-05.027, Bull. 1996, I, n° 313).

8. Cependant, en cas d'urgence, le juge aux affaires familiales peut être saisi en qualité de juge des référés, par les parents ou le ministère public, sur le fondement de l'article 373-2-8 du code civil, en vue d'une modification des modalités d'exercice de l'autorité parentale.

9. En conférant un pouvoir concurrent au juge des enfants, quand l'intervention de celui-ci, provisoire, est par principe limitée aux hypothèses où la modification des modalités d'exercice de l'autorité parentale est insuffisante à mettre fin à une situation de danger, la solution retenue jusqu'alors a favorisé les risques d'instrumentalisation de ce juge par les parties.

10. Par ailleurs, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence, en limitant, sur le fondement de l'article 375-7 du code civil, la compétence du juge des enfants, s'agissant de la détermination de la résidence du mineur et du droit de visite et d'hébergement, à l'existence d'une décision de placement ordonnée en application de l'article 375-3 du même code.

11. Ainsi, il a été jugé, en premier lieu, qu'il résulte des articles L. 312-1 et L. 531-3 du code de l'organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006, et des articles 373-2-6, 373-2-8, 373-4 et 375-1 du code civil que la compétence du juge des enfants est limitée, en matière civile, aux mesures d'assistance éducative et que le juge aux affaires familiales est seul compétent pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et la résidence de l'enfant, de sorte qu'en cas de non-lieu à assistance éducative, le juge des enfants ne peut remettre l'enfant qu'au parent chez lequel la résidence a été fixée par le juge aux affaires familiales (1re Civ., 14 novembre 2007, pourvoi n° 06-18.104, Bull. 2007, I, n° 358), en second lieu, que le juge aux affaires familiales est compétent pour fixer, dans l'intérêt de l'enfant, les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, sauf à ce que juge des enfants ait ordonné un placement sur le fondement de l'article 375-3 du code civil (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-13.390, Bull. 2010, I, n° 130).

12. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît nécessaire de revenir sur la jurisprudence antérieure et de dire qu'il résulte de la combinaison des articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil que, lorsqu'un juge aux affaires familiales a statué sur la résidence de l'enfant et fixé le droit de visite et d'hébergement de l'autre parent, le juge des enfants, saisi postérieurement à cette décision, ne peut modifier les modalités du droit de visite et d'hébergement décidé par le juge aux affaires familiales que s'il existe une décision de placement de l'enfant au sens de l'article 375-3, laquelle ne peut conduire le juge des enfants à placer l'enfant chez le parent qui dispose déjà d'une décision du juge aux affaires familiales fixant la résidence de l'enfant à son domicile, et si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s'est révélé postérieurement à la décision du juge aux affaires familiales.

13. La cour d'appel a retenu à bon droit, d'une part, que, le juge aux affaires familiales ayant fixé, lors du jugement de divorce, la résidence habituelle de la mineure au domicile de son père, le juge des enfants n'avait pas le pouvoir de lui confier l'enfant, l'article 375-3 du code civil, ne visant que « l'autre parent », d'autre part, qu'en l'absence de mesure de placement conforme aux dispositions légales, le juge des enfants n'avait pas davantage le pouvoir de statuer sur le droit de visite et d'hébergement du parent chez lequel l'enfant ne résidait pas de manière habituelle.

14. Elle en a exactement déduit que seul le juge aux affaires familiales pouvait modifier le droit de visite et d'hébergement de la mère de l'enfant.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Azar - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Richard -

Textes visés :

Articles 375-3 et 375-7, alinéa 4, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 26 janvier 1994, pourvoi n° 91-05.083, Bull. 1994, I, n° 32 (rejet), et l'arrêt cité.

Com., 20 octobre 2021, n° 20-10.710, (B)

Cassation

Prestation compensatoire – Epoux en liquidation judiciaire – Représentation par le liquidateur – Limites – Exercice des actions attachées à la personne du débiteur – Exercice de l'action en divorce – Fixation de la prestation compensatoire – Abandon en pleine propriété d'un immeuble du débiteur

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 23 octobre 2019), M. [E] et Mme [Y], mariés sous le régime de la séparation de biens, ont, le 24 juillet 1987, acquis en indivision un immeuble situé à [Localité 1].

2. M. [E] a été mis en liquidation judiciaire le 13 mars 2008, Mme [F] étant désignée liquidateur.

3. Le divorce de M. [E] et de Mme [Y] ayant été prononcé par un jugement du 9 septembre 2010, un arrêt du 14 septembre 2011, rectifié le 14 novembre 2012, infirmant sur ce point le jugement de divorce, a accordé à Mme [Y] une prestation compensatoire en capital de 95 000 euros, sous la forme de l'abandon par M. [E] de sa part indivise dans l'immeuble précité.

Le liquidateur n'était pas partie à cette instance.

4. Faisant valoir que les dispositions patrimoniales de cet arrêt étaient inopposables à la procédure collective, le liquidateur a assigné Mme [Y] devant le tribunal de grande instance pour obtenir le partage de l'indivision et, préalablement, la vente aux enchères de l'immeuble indivis.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [Y] fait grief à l'arrêt de déclarer inopposable à la procédure collective le transfert de propriété ordonné entre M. [E] et Mme [Y], à titre de prestation compensatoire, par la cour d'appel dans sa décision du 14 septembre 2011, et d'ordonner la vente aux enchères publiques sur licitation de l'immeuble sis à [Localité 1], alors « que le dessaisissement du débiteur soumis à une procédure de liquidation judiciaire ne concernant que l'administration et la disposition de ses biens, celui-ci a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre, action attachée à sa personne, qui inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge, sans préjudice de l'exercice par le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure collective l'abandon en pleine propriété d'un bien propre appartenant au débiteur décidé par le juge du divorce à titre de prestation compensatoire, d'une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce ; qu'en jugeant au contraire que l'action en divorce, même personnelle, en ce qu'elle a des implications financières ne peut échapper à la règle du dessaisissement qui impose que le liquidateur soit appelé en la cause dans la procédure de divorce, à peine de lui voir déclarer inopposable le transfert de propriété décidé par le juge du divorce au titre du paiement de la prestation compensatoire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Mme [F], ès qualités, conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la critique est nouvelle, Mme [Y] n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que M. [E] aurait eu qualité pour défendre à l'action en divorce sur la fixation de la prestation compensatoire, ni qu'il appartenait au liquidateur de former tierce opposition.

7. Cependant, le moyen qui ne se prévaut d'aucun fait qui n'ait été soumis à l'appréciation des juges du fond et constaté par la décision attaquée, est de pur droit.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 641-9, I, du code de commerce :

9. Le dessaisissement ne concernant que l'administration et la disposition des biens du débiteur en liquidation judiciaire, ce dernier a qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre. Cette action, attachée à sa personne, inclut la fixation de la prestation compensatoire mise à sa charge.

Le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure l'abandon, à titre de prestation compensatoire, d'un bien personnel du débiteur marié sous le régime de la séparation des biens qui a été décidé par le juge du divorce, doit exercer une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce.

10. Pour déclarer inopposable à la liquidation judiciaire de M. [E] le transfert de propriété, ordonné à titre de prestation compensatoire le 14 septembre 2011, et prescrire la vente aux enchères de l'immeuble, l'arrêt retient que les implications financières de l'action en divorce n'échappent pas au dessaisissement et en déduit que le liquidateur aurait dû être appelé à la procédure de divorce.

11. En statuant, ainsi alors qu'il incombait au liquidateur de former tierce opposition au jugement de divorce pour faire déclarer inopposable à la liquidation judiciaire la disposition de ce jugement ayant décidé l'abandon à Mme [Y] de la part de M. [E] dans l'immeuble acquis par eux en indivision, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Vaissette - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article L. 641-9, I, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : Com., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-16.334, Bull. 2019, (rejet).

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