Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 13 octobre 2021, n° 20-19.340, (B)

Cassation partielle

Indemnité d'éviction – Evaluation – Montant – Fixation – Préjudice distinct – Eléments – Valeur du droit au bail – Appréciation

L'indemnité d'éviction doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé, lequel est un élément du fonds de commerce.

Doit être cassé l'arrêt qui, pour retenir une valeur du droit au bail nulle, se fonde sur la seule absence de différentiel positif entre le loyer des locaux dans lesquels le preneur s'est réinstallé et celui des locaux dont il a été évincé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), la société IMFRA immobilière France (la société IMFRA), propriétaire de locaux commerciaux dans un centre commercial donnés à bail à la société MIM, lui a délivré un congé avec refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

2. La société MIM, qui s'est réinstallée dans d'autres locaux commerciaux, a assigné la société IMFRA en fixation de l'indemnité d'éviction.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [Z] et la société JSA, agissant en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM, font grief à l'arrêt de dire que la valeur du droit au bail est nulle et de limiter l'indemnité d'éviction aux seules indemnités accessoires, alors « qu'en cas de refus de renouvellement du bail commercial, le preneur a droit à une indemnité d'éviction compensant le préjudice résultant du défaut de renouvellement, laquelle ne peut, en cas de transfert par le preneur de son activité, être inférieure à la valeur du droit au bail ; que pour dire que la société MIM n'avait droit à aucune indemnité, la cour d'appel a retenu que le montant des loyers du local dans lequel cette société s'est réinstallée, d'une surface équivalente à l'ancien local, et aux termes d'un bail lui permettant d'exercer la même activité, était inférieur au montant des loyers du local dont elle était évincée ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas évalué la valeur du droit au bail perdu du fait de l'éviction, a violé l'article L. 145-14 du code du commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 145-14, du code de commerce :

4. Selon ce texte, l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

5. L'indemnité d'éviction doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé, lequel est un élément du fonds de commerce.

6. Pour dire que la valeur du droit au bail est nulle, l'arrêt énonce que, dans l'hypothèse où le preneur s'est effectivement réinstallé dans un nouveau local équivalent avant la fixation de l'indemnité, il convient de prendre en compte le coût locatif de ce local. Il retient qu'il n'y a pas de différentiel de loyer positif puisque le loyer des locaux de transfert est inférieur au loyer des locaux dont a été évincée la société MIM et que le nouveau bail n'a pas été conclu dans des conditions désavantageuses pour la société MIM qui peut y exercer la même activité dans des locaux de superficie équivalente moyennant un loyer moins élevé et sans avoir eu à régler un droit d'entrée.

7. En statuant ainsi, sans tenir compte de la valeur du droit au bail portant sur le local dont le preneur a été évincé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la valeur du droit au bail est nulle, déboute en conséquence Mme [Z] et la société JSA, prise en la personne de M. [M], en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM de leur demande formée au titre de l'indemnité principale, dit que l'indemnité d'éviction est constituée des indemnités accessoires, condamne la société IMFRA immobilière France à verser à Mme [Z] et à la société JSA, prise en la personne de M. [M], en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM, la somme de 127 971 euros à titre d'indemnité d'éviction, dit n'y avoir lieu à condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamne Mme [Z] et la société JSA, prise en la personne de M. [M], en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM aux dépens, l'arrêt rendu le 27 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L 145-14 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 15 juillet 1971, pourvoi n° 70-11.234, Bull. 1971, III, n° 457 (cassation) ; 3e Civ., 15 octobre 2008, pourvoi n° 07-17.727, Bull. 2008, III, n° 151 (rejet).

3e Civ., 13 octobre 2021, n° 20-12.901, (B)

Cassation

Prix – Fixation du loyer du bail renouvelé – Plafonnement – Exceptions – Modification notable des caractéristiques du local considéré – Exclusion – Cas

Une terrasse installée sur le domaine public et exploitée en vertu d'une autorisation administrative ne fait pas partie des locaux loués. Dès lors, une cour d'appel a exactement retenu que l'extension, au cours du bail expiré, de la terrasse de plein air devant l'établissement, ne pouvait être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués.

Prix – Fixation du loyer du bail renouvelé – Plafonnement – Exceptions – Modification notable des facteurs locaux de commercialité – Conditions – Intérêt pour le commerce considéré – Vérification – Office du juge

Selon les articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145- 6 du code de commerce, la valeur locative est déterminée notamment, au regard des facteurs locaux de commercialité dont l'évolution notable au cours du bail expiré permet, si elle a une incidence favorable sur l'activité exercée dans les locaux loués, d'écarter la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé et de le fixer selon la valeur locative. L'autorisation municipale accordée, en permettant d'étendre l'exploitation d'une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l'activité commerciale. Dès lors, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était pourtant invitée, si cette situation modifiait les facteurs locaux de commercialité et constituait par là-même un motif de déplafonnement, n'a pas donné de base légale à sa décision.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon,11 septembre 2019), Mme [I] [H] et MM. [J] et [S] [H] (les consorts [H]) ont accepté, à compter du 1er novembre 2011, le renouvellement du bail commercial dont la société Lauman, exploitant un commerce de restaurant-bar-brasserie, était bénéficiaire, moyennant la fixation d'un loyer déplafonné. Ils ont, ensuite, assigné la locataire en fixation, selon la valeur locative, du loyer du bail renouvelé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à la fixation d'un loyer déplafonné, alors : « que l'extension des lieux loués à usage de brasserie, par l'agrandissement d'une terrasse extérieure, exploitée sur une autorisation d'occupation du domaine public, accordée et renouvelée depuis des dizaines d'années, constitue une modification notable des conditions d'exploitation et un motif de déplafonnement du loyer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ayant constaté que la brasserie bénéficiait d'une terrasse agrandie dont l'expert judiciaire a considéré qu'elle constitue un avantage exceptionnel pour les preneurs, par sa surface, le faible montant de la redevance d'occupation du domaine public payée en comparaison avec le chiffre d'affaires élevé généré et la meilleure visibilité donnée au bar-brasserie exploité dans les lieux, avantage justifiant, selon lui, une majoration de 10 à 15 % de la valeur locative, la cour d'appel ne pouvait refuser de considérer qu'il y avait une modification notable des caractéristiques des lieux loués dans leurs conditions d'exploitation permettant aux bailleurs d'obtenir le déplafonnement du loyer, aux motifs inopérants que la terrasse ne fait pas partie des locaux loués, n'appartient pas aux preneurs et se trouve sur le domaine public dont le caractère précaire résulte de ce que l'autorisation municipale est révocable à tout moment, sans violer les articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145-3 du code de commerce, dans leur rédaction applicable au litige. »

3. La cour d'appel a exactement retenu que l'extension, au cours du bail expiré, de la terrasse de plein air devant l'établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d'une autorisation administrative, ne pouvait être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu'elle ne faisait pas partie de ceux-ci.

4. Le grief n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. Les consorts [H] font le même grief à l'arrêt, alors « que la modification notable des facteurs locaux de commercialité qui a une incidence favorable sur le commerce exploité par le preneur constitue un motif de déplafonnement ; que les facteurs locaux de commercialité dépendent notamment de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance du lieu de son implantation, de l'attrait particulier que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire ; qu'en se bornant à énoncer, pour débouter les bailleurs de leur demande en déplafonnement du loyer, que l'extension de la terrasse de plein air qui se trouve devant l'établissement ne pouvait être regardée comme une modification notable des caractéristiques des locaux loués, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, conformément aux constatations effectuées par l'expert judiciaire, elle pouvait être regardée comme une modification notable des facteurs locaux de commercialité qui avait nécessairement une incidence favorable sur le commerce de bar-brasserie exploité par la preneuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145-6 du code de commerce, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145- 6 du code de commerce :

6. Selon ces textes, la valeur locative est déterminée notamment au regard des facteurs locaux de commercialité dont l'évolution notable au cours du bail expiré permet, si elle a une incidence favorable sur l'activité exercée dans les locaux loués, d'écarter la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé et de le fixer selon la valeur locative.

7. Pour rejeter la demande des bailleurs, l'arrêt retient que, parmi les quatre critères d'évaluation utiles, les bailleurs invoquent seulement la modification des caractéristiques du local loué.

8. En se déterminant ainsi, alors que l'autorisation municipale accordée, en permettant d'étendre l'exploitation d'une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l'activité commerciale, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était pourtant invitée, si cette situation modifiait les facteurs locaux de commercialité et constituait par là-même un motif de déplafonnement, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145-3 du code de commerce ; articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145- 6 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 25 novembre 2009, pourvoi n° 08-21.049, Bull. 2009, III, n° 261 (rejet). 3e Civ., 30 juin 2004, pourvoi n° 03-10.754, Bull., 2004, III, n° 138 (cassation), et les arrêts cités.

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