Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2021

ASSURANCE DOMMAGES

2e Civ., 14 octobre 2021, n° 20-14.094, (B)

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Qualification – Dommages ou responsabilités ayant pour origine un défaut d'entretien ou de réparation incombant à l'assuré et connu de lui

Désistement partiel

1. Il est donné acte au Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] (le syndicat des copropriétaires) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile immobilière Veba (la SCI).

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 2019), plusieurs locaux dépendant d'un immeuble en copropriété situé [Adresse 2], ont été le siège de dégâts des eaux répétés provenant de fuites des canalisations d'eaux de l'immeuble.

3. Après expertise, la SCI, propriétaire de lots affectés par ces dégâts des eaux, a assigné le syndicat des copropriétaires en exécution forcée de travaux et en réparation de ses préjudices, ainsi que la société Axa France IARD (l'assureur), assureur de la copropriété, qui a dénié sa garantie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes contre l'assureur, alors « que la clause qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque constitue une clause d'exclusion de garantie, qui doit être formelle et limitée ; qu'au cas présent, la police d'assurance souscrite avait pour objet de garantir les dommages subis et les responsabilités encourues par la copropriété, au titre de ses biens immobiliers, et résultant des événements listés, parmi lesquels le dégât des eaux ; qu'une clause insérée sous le titre « exclusions communes à toutes les garanties » précisait que n'entrait ni dans l'objet ni dans la nature du contrat, l'assurance de dommages ou responsabilité ayant pour origine un défaut d'entretien ou de réparation incombant à l'assuré, caractérisé et connu de lui ; qu'en jugeant que cette clause était une clause de non assurance, car se rapportant à une condition d'ouverture de la garantie tenant au caractère accidentel des désordres, et non une clause d'exclusion de garantie, quand elle avait pour objet d'exclure de la garantie, des désordres, en considération des circonstances de réalisation du risque, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances, ensemble l'article 1134 du code civil, en sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L.113-1, alinéa 1er, du code des assurances :

6. Selon ce texte, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

7. L'arrêt, qui constate que l'immeuble assuré était affecté de multiples fuites depuis longtemps, retient que les désordres apparus en 2001 résultant de ces fuites des canalisations d'eaux de l'immeuble ont pour origine un défaut d'entretien et de réparations imputable au syndicat des copropriétaires.

8. Pour débouter ce dernier de sa demande de garantie contre l'assureur, il déduit de la clause des conditions générales de la police qui prévoit que n'entre ni dans l'objet ni dans la nature du contrat l'assurance des dommages ou responsabilités ayant pour origine un défaut d'entretien ou de réparation, incombant à l'assuré et connu de lui, que l'absence d'aléa ne constitue pas une cause d'exclusion de garantie mais une cause de non-assurance, l'exigence du caractère accidentel des désordres correspondant en effet à une condition d'ouverture de la garantie et non à une exclusion de garantie.

9. En statuant ainsi, alors qu'une telle clause, qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque, constitue une clause d'exclusion de garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] de sa demande de garantie dirigée contre la société AXA France IARD, l'arrêt rendu le 27 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances.

2e Civ., 14 octobre 2021, n° 19-24.728, (B)

Cassation partielle

Nature – Assurance de choses – Assurance souscrite en application de l'article L. 814-3 du code de commerce

Aux termes de l'article L. 124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

L'assurance souscrite en application de l'article L. 814-3 du code de commerce par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires est une assurance de chose contre le risque de perte financière pouvant découler pour elle de la mobilisation de sa garantie au titre de la non-représentation de fonds par ses cotisants. Elle n'ouvre pas, dès lors, aux créanciers auxquels des fonds n'ont pas été représentés une action directe contre l'assureur de la Caisse de garantie.

Garantie – Etendue – Action directe du tiers lésé – Possibilité – Assurance de choses – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 septembre 2019), par jugement du 4 octobre 1998, M. [N], administrateur judiciaire, a été désigné en qualité de commissaire à l'exécution d'une mesure de concordat concernant les sociétés Serathon et Elder, placées en règlement judiciaire.

2. M. [N] ayant été mis en examen par un juge d'instruction, l'administrateur provisoire de son étude a déclaré le 5 novembre 1998 à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (la Caisse de garantie) un sinistre résultant de la non-représentation de fonds pour un montant provisoire.

La Caisse de garantie a ensuite régularisé une déclaration de sinistre globale auprès de la société Axa courtage, son assureur de première ligne, et de la société AGF, aux droits de laquelle se trouve la société Allianz global corporate & specialty SE (la société Allianz), son assureur de seconde ligne.

3. Une expertise a été ordonnée en référé en vue de déterminer la nature et l'étendue des prélèvements effectués par M. [N] concernant notamment les sociétés Serathon et Elder.

4. Les 13 et 15 mai 2015, M. [H], administrateur judiciaire désigné en remplacement de M. [N] en qualité de commissaire à l'exécution du concordat des sociétés Serathon et Elder, a assigné, es qualités, la Caisse de garantie et la société Allianz en garantie de la non-représentation des fonds exigibles de M. [N].

5. Le 11 mars 2016, la société Gillibert & associés (la société Gillibert), es qualités, est intervenue à l'instance aux lieu et place de M. [H].

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Allianz fait grief à l'arrêt de juger qu'elle est tenue, dans les termes et limites de la police d'assurance n° 65062682, de rejeter sa demande tendant à l'irrecevabilité des prétentions de la société Gillibert es qualités contre elle faute d'action directe à son encontre et de la condamner à lui verser la somme de 1 089 174,75 euros, alors « que l'action directe ne peut être exercée qu'à l'encontre de l'assureur de responsabilité de l'auteur du dommage ; que la non-représentation des fonds à un créancier, au sens de l'article L. 814-3 du code de commerce, doit être garantie par la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, laquelle peut s'assurer jusqu'à hauteur de 80 % contre ce risque ; que cette assurance s'analyse en une assurance de dommages et non une assurance de responsabilité ; que seule la Caisse de garantie peut en bénéficier ; qu'en l'espèce, la société Allianz faisait valoir que la société [H] es qualités ne disposait d'aucune action directe à son encontre au titre de la non-représentation de fonds imputable à M. [N], dès lors que l'assurance de non-représentation sur le fondement de laquelle la société demandait sa condamnation était une assurance de dommages souscrites par la Caisse de garantie, et non une assurance de responsabilité ; qu'en décidant que l'action de la société Gillibert s'analysait en une action directe de la victime contre l'assureur et que le contrat d'assurance souscrit par la Caisse de garantie avait vocation à couvrir les dommages causés par les agissements pénalement réprimés de M. [N] dans l'exercice de ses fonctions, peu important le régime probatoire de cette action, ce dont elle a déduit que cette action était recevable, la cour d'appel a violé les articles L. 814-3 du code de commerce et L. 124-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 814-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, applicable à la cause, et l'article L. 124-3 du code des assurances :

7. Aux termes du premier texte, une caisse dotée de la personnalité civile et gérée par les cotisants a pour objet de garantir le remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés par chaque administrateur judiciaire et par chaque mandataire judiciaire inscrits sur les listes, à l'occasion des opérations dont ils sont chargés à raison de leurs fonctions.

La garantie de la caisse joue sans que puisse être opposé aux créanciers le bénéfice de discussion prévu à l'article 2298 du code civil et sur la seule justification de l'exigibilité de la créance et de la non-représentation des fonds par l'administrateur judiciaire ou le mandataire judiciaire inscrits sur les listes.

La caisse est tenue de s'assurer contre les risques résultant pour elle de l'application du code de commerce.

8. Il en résulte que l'assurance ainsi souscrite par la Caisse de garantie est une assurance de chose contre le risque de perte financière pouvant découler pour elle de la mobilisation de sa garantie au titre de la non-représentation de fonds par ses cotisants.

9. Aux termes du second texte, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

10. Pour condamner la société Allianz à verser à la société Gillibert es qualités la somme de 1 089 174,75 euros et juger qu'elle est tenue dans les termes et limites de la police d'assurance n° 65 062 682 au titre de la non-représentation de fonds imputable à M. [N], l'arrêt rappelle les dispositions de l'article L. 814-4 du code de commerce instituant l'obligation pour chaque administrateur judiciaire ainsi que pour chaque mandataire judiciaire inscrit sur les listes de s'assurer contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, du fait de leurs négligences ou de leurs fautes ou de celles de leurs préposés, commises dans l'exercice de leurs mandats.

11. L'arrêt ajoute que le contrat d'assurance souscrit par la Caisse de garantie a vocation à couvrir les dommages causés par les agissements pénalement réprimés de M. [N] dans l'exercice de ses fonctions et que bien que l'action dirigée contre elle soit soumise à un régime probatoire plus favorable puisque sa garantie joue sur la seule justification de la non-représentation des fonds en application du 6e alinéa de l'article L. 814-3 du code de commerce, il n'en demeure pas moins que l'action de la société [H] es qualités s'analyse en une action directe de la victime contre l'assureur.

L'arrêt en déduit que, compte tenu de l'objet de la police d'assurance en cause, l'irrecevabilité soulevée par la société Allianz concernant l'action directe de la société Gillibert doit être écartée, cette faculté étant expressément prévue par l'article L. 124-3 du code des assurances.

12. En statuant ainsi, alors que l'assurance souscrite pour elle-même par la Caisse de garantie au titre de sa garantie de non-représentation des fonds, contrairement à celle souscrite par son intermédiaire par ses cotisants en application de l'article L. 814-4 du code de commerce, n'est pas une assurance de responsabilité et n'ouvre pas, dès lors, aux créanciers auxquels des fonds n'ont pas été représentés une action directe contre l'assureur de la Caisse de garantie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant la société Allianz à verser à la société Gillibert es qualités la somme de 1 089 174,75 euros et jugeant qu'elle est tenue dans les termes et limites de la police d'assurance n° 65 062 682 qui prévoit un plafond de garantie et l'application d'une franchise, dont à déduire le montant des indemnités versées amiablement par elle ou en exécution de décisions de justice exécutoires au titre de la non-représentation de fonds imputable à M. [N], entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la Caisse de garantie à verser à la société Gillibert es qualités la somme de 272 293,69 euros et condamnant M. [N] à relever et garantir la Caisse de garantie et la société Allianz de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à verser à la société Gillibert & associés, en qualité de commissaire à l'exécution du concordat des sociétés Serathon et Elder, la somme de 272 293,69 euros, condamne la société Allianz global corporate & specialty SE à verser à la société Gillibert & associés es qualités la somme de 1 089 174,75 euros, condamne M. [N] à relever et garantir la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires et la société Allianz global corporate & specialty SE de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre et juge que la société Allianz global corporate & specialty SE, succursale en France, est tenue dans les termes et limites de la police d'assurance n° 65 062 682 qui prévoit un plafond de garantie et l'application d'une franchise, dont à déduire le montant des indemnités versées amiablement par elle ou en exécution de décisions de justice exécutoires au titre de la non-représentation de fonds imputable à M. [N], l'arrêt rendu le 24 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, la société Gillibert & associés, en qualité de commissaire à l'exécution du concordat des sociétés Serathon et Elder, et M. [N] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Marc Lévis -

Textes visés :

Article L. 124-3 du code des assurances ; article L. 814-3 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015.

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