Numéro 10 - Octobre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2020

REFERE

3e Civ., 22 octobre 2020, n° 19-19.542, (P)

Cassation partielle

Applications diverses – Bail commercial – Clause résolutoire – Suspension – Inobservation des délais de paiement accordés – Effets – Demande unilatérale d'exécution du bail résilié – Possibilité (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 mai 2019), le 21 décembre 2012, la société Aeroville a donné à bail à la société C & A France des locaux à usage commercial pour une durée de dix ans avec renonciation du preneur à la faculté de résiliation à la fin de la première période triennale, le bail comportant une clause résolutoire, « si bon semble au bailleur ».

2. Le 27 juillet 2015, la société Aeroville a délivré à la société C & A France un commandement de payer visant la clause résolutoire, puis l'a assignée en référé en constatation de l'acquisition de cette clause et en paiement d'une provision.

3. Une ordonnance de référé du 27 novembre 2015 a condamné la société C & A France à payer une provision à la société Aeroville, a suspendu les effets de la clause résolutoire et accordé à la société C & A France des délais de paiement avec déchéance du terme.

4. Cette ordonnance, signifiée le 11 décembre 2015 par la société Aeroville, n'a pas été frappée d'appel.

5. Le 8 janvier 2016, la bailleresse a mis en demeure la locataire de payer les sommes dues au titre de la période comprise entre le 12 mai et le 23 novembre 2015.

6. Par lettre du 22 janvier 2016, la locataire, qui ne s'était pas acquittée de la première mensualité, a informé le bailleur qu'elle prenait acte de la résiliation définitive du bail et qu'elle restituerait les clefs le 3 mars 2016.

7. La société Aeroville a informé la société C & A France qu'elle renonçait à se prévaloir de l'acquisition de la clause résolutoire, puis l'a assignée en exécution forcée du bail, subsidiairement, en paiement des loyers et charges jusqu'à la deuxième échéance triennale du bail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. La société C & A France fait grief à l'arrêt de constater que la société Aeroville a renoncé au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire, de constater que le bail s'est poursuivi entre les parties jusqu'à ce que la société Aeroville ait accepté, à compter du 1er juillet 2018, la résiliation unilatérale du bail par la société locataire, et de condamner, en conséquence, la société C & A France à payer à la société Aeroville une somme correspondant aux loyers et charges demeurés impayés entre le 4 mars 2016 et le 30 juin 2018, alors « que l'acquisition de la clause résolutoire met irrévocablement fin au bail commercial dont le bailleur ne peut plus poursuivre l'exécution forcée dès lors que le preneur n'a pas respecté l'échéancier fixé par le juge dans une ordonnance suspendant les effets de la clause résolutoire et revêtue de la force de chose jugée ; qu'il s'ensuit qu'il n'est pas au pouvoir du bailleur de renoncer au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire, même si elle est stipulée dans son intérêt exclusif, « si bon lui semble », dès lors que le preneur ne s'est pas libéré des arriérés de loyers et des loyers courants dans les conditions fixées par l'ordonnance suspendant les effets de la clause résolutoire ; qu'en considérant cependant qu'il était encore au pouvoir du bailleur de renoncer au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire stipulée dans l'intérêt exclusif du bailleur « si bon lui semble », en s'abstenant d'engager aucun acte d'exécution forcée, quand le bailleur ne pouvait pas imposer au preneur la poursuite d'un contrat qui avait pris fin automatiquement par le défaut de règlement du loyer courant exigible à terme exacte échéance dans les conditions de l'ordonnance du 27 novembre 2015, la cour d'appel a violé l'article L. 145-41 du code de commerce, ensemble les articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 145-41 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance précitée, et 500 du code de procédure civile :

9. Il résulte du premier de ce texte que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre les effets d'une clause résolutoire, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice passée en force de chose jugée.

La clause résolutoire est réputée n'avoir jamais produit ses effets si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

10. Dès lors que l'ordonnance de référé est passée en force de chose jugée et en l'absence de décision contraire statuant au principal, le bailleur ne peut plus, en cas de non-respect par le preneur des délais de paiement conditionnant la suspension des effets de la clause résolutoire, demander unilatéralement l'exécution du bail résilié.

11. Pour dire que le bail s'était poursuivi entre les parties en dépit de ce que la locataire n'avait pas payé les loyers courants et les mensualités sur arriérés dans les conditions fixées par l'ordonnance du 27 novembre 2015, l'arrêt retient que la locataire ne peut tirer parti d'une clause résolutoire stipulée au seul bénéfice du bailleur ni se prévaloir de son propre comportement pour prendre acte de la résiliation du bail et que, si la bailleresse a signifié l'ordonnance de référé pour faire courir les délais de paiement, ce qui ne manifestait pas son intention de poursuivre l'acquisition de la clause résolutoire, elle n'avait engagé aucun acte d'exécution forcé de sorte qu'elle conservait la liberté de poursuivre ou non, à ses risques et périls, l'exécution du titre provisoire que constituait cette ordonnance et pouvait, ainsi, renoncer au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

14. La cassation sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation des dispositions critiquées par le second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société C & A France à payer à la société Aeroville la somme de 40 543,61 euros au titre d'une indemnité forfaitaire de 10 %, l'arrêt rendu le 29 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 145-41 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; articles 1134 et 1184 dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 500 du code de procédure civile.

Com., 21 octobre 2020, n° 19-15.171, (P)

Rejet

Compétence – Exclusion – Applications diverses – Procédure collective – Procédure de distribution du prix de vente n'ayant pas produit son effet attributif

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 janvier 2019), rendu en référé, par un jugement d'adjudication du 26 septembre 2014, rendu sur les poursuites de la société CIC Ouest (la banque), créancier inscrit, a été vendu aux enchères un bien immobilier appartenant à la société Mabrilou, pour le prix de 130 000 euros, séquestré entre les mains de la banque dans l'attente de sa distribution.

2. Le 14 octobre 2014, la société Mabrilou a été mise en liquidation judiciaire, M. D... étant désigné en qualité de liquidateur.

La banque ayant déclaré une créance hypothécaire de 241 676,50 euros, qui a été contestée, le juge-commissaire a, par une ordonnance devenue irrévocable, admis cette créance à titre chirographaire, en raison de la disparition du privilège.

3. Estimant que la procédure de distribution du prix de vente de l'immeuble était caduque en application de l'article R. 622-19 du code de commerce, le liquidateur de la société Mabrilou a assigné la banque devant le juge des référés du tribunal de grande instance, afin de la voir condamnée, sous astreinte, à restituer à la liquidation judiciaire le prix de vente, outre les intérêts sur les fonds séquestrés.

4. La banque a soulevé l'incompétence du juge des référés au profit du juge de l'exécution, outre diverses contestations pour voir dire n'y avoir lieu à référé.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le liquidateur de la société Mabrilou fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors « qu'hormis les procédures d'exécution ayant déjà produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture de la procédure collective, les procédures de distribution du prix de vente d'un immeuble sont caduques au jour de ce jugement et les fonds sont remis au mandataire judiciaire ; que la cour d'appel a constaté que l'immeuble appartenant à la SCI Mabrilou avait fait l'objet d'un jugement d'adjudication le 26 septembre 2014, la SCI Mabrilou ayant ensuite été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 14 octobre 2014 et que le prix de vente de l'immeuble avait été remis à la banque en qualité de séquestre en vue d'une distribution à déterminer ; qu'il s'évinçait de ces constatations que le jugement d'adjudication était inopposable à la procédure collective et que la distribution du prix relevait de la compétence exclusive du liquidateur à qui les fonds devaient être remis pour être répartis selon les règles de la procédure collective ; qu'en retenant cependant, pour conclure à une contestation sérieuse et dire n'y avoir lieu à référé, que l'inopposabilité du jugement d'adjudication à la procédure collective n'était pas établie d'évidence, le jugement d'adjudication ne pouvant être considéré comme anéanti rétroactivement par le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, le jugement d'adjudication étant devenu définitif dix jours après l'expiration du délai de surenchère, soit antérieurement à l'ouverture de la liquidation, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé les articles R. 622-19, R. 641-23 et R. 641-24 du code de commerce, ensemble l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Lorsque l'immeuble d'un débiteur mis en liquidation judiciaire a été vendu sur saisie immobilière, le juge compétent pour constater la caducité de la procédure de distribution du prix de vente n'ayant pas produit son effet attributif avant le jugement d'ouverture, en vertu de l'article R. 622-19 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article R. 641-23 du même code, et pour ordonner, en conséquence, la remise des fonds au liquidateur aux fins de répartition, en vertu de l'article R. 641-24 de ce code, est non le juge des référés, mais le juge de l'exécution, en application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.

7. Le juge des référés n'étant pas compétent pour se prononcer sur la demande du liquidateur tendant à ce que les fonds lui soient remis aux fins de répartition, en vertu de l'article R. 641-24 susvisé, le fait que l'obligation de remise ne fût pas sérieusement contestable était sans incidence.

Par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée de ce chef.

8. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller -

Textes visés :

Articles R. 622-19, R. 641-23 et R. 641-24 du code de commerce ; article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.

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