Numéro 10 - Octobre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2020

PRESCRIPTION CIVILE

3e Civ., 1 octobre 2020, n° 19-16.561, (P)

Cassation

Délai – Point de départ – Promesse de vente – Immeuble – Modalités – Condition suspensive – Réalisation – Expiration du délai fixé par les parties – Effets – Action en résolution de la vente

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 15 février 2019), la société civile immobilière Nefertari (la SCI Nefertari) a consenti à la société immobilière du département de la Réunion (la SIDR) une promesse synallagmatique de vente, sous conditions suspensives, d'une parcelle de terrain sur laquelle était édifié un immeuble non achevé.

2. Un avenant a prorogé la date de réalisation des conditions suspensives et de signature de l'acte authentique de vente au 30 avril 2010.

3. Après deux mises en demeure de réaliser la vente, les 22 novembre 2013 et 12 mai 2015, demeurées infructueuses, la SCI Nefertari a assigné la SIDR en résolution de la vente qu'elle considérait parfaite en raison de la réalisation des conditions suspensives et en paiement de dommages-intérêts.

4. La SIDR lui a opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La SCI Nefertari fait grief à l'arrêt de déclarer l'action en résolution de la vente prescrite et de rejeter ses demandes, alors « que la prescription d'une action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en fixant pour point de départ du délai de prescription le délai fixé par le compromis pour la réitération de la vente par acte authentique, sans rechercher si à cette date, la SCI Nerfertari savait que la SIDR abandonnait définitivement le projet et qu'en conséquence, son dommage était réalisé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. En matière de promesse de vente, sauf stipulation contraire, l'expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre le droit, pour chacune des parties, soit d'agir en exécution forcée de la vente, soit d'en demander la résolution et l'indemnisation de son préjudice.

8. Le fait justifiant l'exercice de cette action ne peut consister que dans la connaissance, par la partie titulaire de ce droit, du refus de son cocontractant d'exécuter son obligation principale de signer l'acte authentique de vente.

9. Pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt retient que, dès le 1er mai 2010, lendemain de la date fixée pour la signature de l'acte authentique de vente, la SCI Nefertari savait que la promesse n'avait pas été réitérée et qu'elle pouvait exercer son action.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser la connaissance à cette date, par la SCI Nefertari, du refus de la SIDR de réaliser la vente, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Farrenq-Nési - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

3e Civ., 1 octobre 2020, n° 19-16.986, (P)

Cassation partielle

Délai – Point de départ – Vente – Vices cachés – Action en garantie du sous-acquéreur contre le vendeur originaire – Exercice – Durée – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 avril 2019), les 18 décembre 1970 et 16 mai 1972, O... et S... I... ont acquis deux bungalows qu'ils ont réunis en un seul immeuble.

2. Le 29 mai 1990, S... I... et Mme H..., sa fille, ont vendu ce bien à Mme C... et à M. E..., aux droits duquel se trouve M. A..., lesquels, le 21 mai 2010, l'ont revendu à Mme N....

3. Ayant découvert, à la suite d'une expertise amiable du 22 juillet 2011, l'existence de désordres affectant la solidité du bâtiment, Mme N... a, au vu d'un rapport d'expertise judiciaire déposé le 11 juin 2013, assigné, les 7 et 12 novembre et 4 décembre 2013, les vendeurs successifs en garantie des vices cachés.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. Il est donné acte à Mme N... du désistement de ce moyen.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme N... fait grief à l'arrêt, pour déclarer la demande irrecevable, de fixer le point de départ du délai de prescription de l'article 2232 du code civil au jour du contrat, alors « que le délai dit butoir imparti par l'article 2232 du code civil court « à compter du jour de la naissance du droit », soit de l'apparition du dommage, lorsque la responsabilité du vendeur est recherchée à raison de la garantie des vices cachés ; qu'en décidant que le jour de la naissance du droit doit être fixé au jour du contrat qui consacre l'obligation à la garantie des vices cachés des vendeurs, soit le 23 décembre 1970 et le 14 avril 1972, date à laquelle M. O... I..., Mme S... I... et sa fille ont acheté l'immeuble avant de le revendre à Mme L... C... et à M. T... E... au droit duquel vient M. O... A..., lesquels l'ont revendu à leur tour à Mme N..., la cour d'appel a violé l'article 2232 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. L'article 2232 du code civil, issu de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, dispose, en son premier alinéa, que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

7. Il résulte de son rapprochement avec l'article 2224 du même code, selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que le législateur a, dans un souci de sécurité juridique, en contrepartie d'un point de départ « glissant » pour l'exercice de l'action, enserré l'exercice du droit dans un délai fixé à vingt ans.

8. Ayant relevé que le point de départ de l'action en garantie des vices cachés exercée par Mme N..., dernier acquéreur, contre les vendeurs d'origine avait été reporté au jour où celle-ci avait eu connaissance du vice dans toute son ampleur, la cour d'appel a exactement retenu que le jour de la naissance du droit, au sens de l'article 2232 du code civil, devait être fixé au jour du contrat, qui consacrait l'obligation à la garantie des vices cachés du vendeur.

9. Le grief n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

10. Mme N... fait grief à l'arrêt de déclarer la demande irrecevable comme prescrite, alors « que le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle s'oppose à ce que l'instauration par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 d'un délai butoir à l'article 2232 du code civil vienne à expiration avant son entrée en vigueur ; qu'en décidant que le délai de l'article 2232 du code civil avait commencé à courir à compter du jour du contrat qui consacre l'obligation à la garantie des vices cachés des vendeurs, soit le 23 décembre 1970 et le 14 avril 1972, pour en déduire qu'il était expiré avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble l'article 2232 du code civil et l'article 26 de la loi précitée. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, les articles 2 et 2232 du code civil :

11. Les dispositions transitoires qui figurent dans le premier de ces textes concernent les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui allongent ou réduisent la durée de la prescription.

12. Il résulte des deuxième et troisième textes qu'en l'absence de dispositions transitoires qui lui soient applicables, le délai butoir, créé par la loi du 17 juin 2008, relève, pour son application dans le temps, du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle.

13. Pour déclarer prescrite l'action en garantie des vices cachés exercée par Mme N... contre les vendeurs d'origine, l'arrêt retient, en application de l'article 2232 du code civil, qu'elle a été engagée plus de vingt ans après la signature du contrat de vente ayant donné naissance au droit à garantie de Mme N....

14. En statuant ainsi, alors que le délai butoir de l'article 2232, alinéa 1er, du code civil n'est pas applicable à une situation où le droit est né avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Demande de mise hors de cause

15. Il y a lieu de mettre hors de cause M. A..., dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Met hors de cause M. A... ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare prescrite l'action de Mme N... contre Mme H..., l'arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Farrenq-Nési - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Alain Bénabent ; SCP Le Bret-Desaché -

Textes visés :

Article 2232, alinéa 1, du code civil, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; article 2224 du code civil ; articles 2 et 2232 du code civil.

2e Civ., 22 octobre 2020, n° 19-20.766, (P)

Cassation

Interruption – Acte interruptif – Action en justice – Déclaration d'appel devant une cour incompétente – Désistement d'instance en raison de l'incompétence – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 4 juin 2019), M. J... a interjeté appel, le 31 janvier 2017, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, d'un jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Hautes-Alpes rendu dans un litige l'opposant à la société Dufour Sisteron, aux droits de laquelle se trouve la société Alpes Provence Agneaux, et à la Mutualité sociale agricole Alpes Vaucluse, qui lui avait été notifié le 19 janvier 2017.

2. Le 8 mars 2017, M. J... a formé une nouvelle déclaration d'appel, devant la cour d'appel de Grenoble, territorialement compétente, qu'il a réitérée le 23 mars 2017.

3. Par arrêt du 20 octobre 2017, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a constaté le désistement d'appel de M. J..., intervenu à l'audience du 7 septembre 2017, son acceptation par les intimées, et le dessaisissement de la cour d'appel.

4. Les déclarations d'appel des 8 mars 2017 et 23 mars 2017 ayant été jointes, la société Alpes Provence Agneaux a soulevé leur irrecevabilité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. J... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les appels des 8 mars 2017 et 23 mars 2017, alors « qu'en application de l'article 2241 du code civil, une déclaration d'appel, même formée devant une cour incompétente, interrompt le délai d'appel ; que si cette interruption est, en application de l'article 2243 du même code, non avenue lorsque le demandeur, notamment, s'est désisté de sa demande, cette disposition ne s'applique pas lorsque le désistement est intervenu en raison de l'incompétence de la première juridiction saisie ; qu'en disant que M. J... ne peut plus de prévaloir de l'effet interruptif attaché à ses déclarations d'appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, tout en constatant que ces déclarations, et donc le désistement, avaient été portés devant cette première juridiction qui était incompétente alors qu'entre-temps, la cour d'appel de Grenoble, qui était compétente, avait été saisie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard des textes susvisés, ainsi que de l'article 5 du code de procédure civile, qu'elle a donc violés par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 et 2243 du code civil :

6. Il résulte de ces textes que si une déclaration d'appel formée devant une cour d'appel incompétente interrompt le délai d'appel, cette interruption est non avenue en cas de désistement d'appel, à moins que le désistement n'intervienne en raison de la saisine d'une cour d'appel incompétente.

7. Pour déclarer irrecevables les appels des 8 mars 2017 et 23 mars 2017, l'arrêt retient que dès lors que M. J... s'est désisté de l'appel qu'il avait interjeté devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, ce que cette cour d'appel a constaté par arrêt en date du 20 octobre 2017, il ne peut plus se prévaloir de l'effet interruptif attaché aux déclarations d'appel qu'il a adressées à cette cour.

8. En statuant ainsi, tout en constatant que M. J... s'était désisté de l'appel formé devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence après avoir régularisé un nouveau recours à l'encontre du même jugement devant la cour d'appel territorialement compétente, ce dont il ressortait que le désistement était motivé par l'incompétence de la première juridiction saisie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Articles 2241 et 2243 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 12 décembre 1995, pourvoi n° 93-15.492, Bull. 1995, I, n° 456 (rejet).

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