Numéro 10 - Octobre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2020

ETRANGER

1re Civ., 14 octobre 2020, n° 19-19.021, (P)

Cassation sans renvoi

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Appel du ministère public – Maintien à disposition de la justice – Exercice des droits

Il résulte de l'article L. 552-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, durant la période pendant laquelle l'étranger est maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce que l'ordonnance du premier président statuant sur l'effet suspensif de l'appel du ministère public soit rendue et, si elle donne un tel effet, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond, cette personne peut, si elle le souhaite, contacter son avocat et un tiers, rencontrer un médecin et s'alimenter.

La seule assistance d'un conseil en appel ne peut suffire à rapporter la preuve de l'exercice effectif des droits de l'étranger pendant le maintien à disposition de la justice.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 19 janvier 2019), et les pièces de la procédure, le 15 janvier 2019, M. V..., de nationalité ivoirienne, en situation irrégulière sur le territoire national, a fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai et d'un arrêté de placement en rétention administrative.

2. Le 17 janvier 2019, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la mesure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. M. V... fait grief à l'ordonnance de prolonger la mesure de rétention administrative, alors « que l'ordonnance du 17 janvier 2019 du juge des libertés et de la détention mentionne seulement, en dernière page : « informons l'intéressé qu'il est maintenu à disposition de la justice pendant un délai de dix heures à compter de la notification de la présente ordonnance au procureur de la République » ; qu'en énonçant toutefois que figuraient au pied de l'ordonnance des mentions permettant de s'assurer que les droits de M. V... lui avaient été notifiés, à savoir, contacter un avocat, contacter un tiers, rencontrer un médecin et s'alimenter, quand l'ordonnance était muette sur ce point, le premier président de la cour d'appel, qui l'a dénaturée, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

5. Pour prolonger la rétention, l'ordonnance retient que figuraient au pied de la décision du juge des libertés et de la détention des mentions permettant de s'assurer que les droits de M. V... lui avaient été notifiés, à savoir, contacter un avocat, contacter un tiers, rencontrer un médecin et s'alimenter.

6. En statuant ainsi, alors que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention informant l'étranger de son maintien à disposition de la justice pendant un délai de dix heures à compter de sa notification au procureur de la République, ne mentionnait pas la possibilité pour lui pour de contacter son avocat et un tiers, rencontrer un médecin et s'alimenter durant cette période et, le cas échéant celle s'écoulant jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'effet suspensif de l'appel ou le jugement au fond, le premier président a violé le principe susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. M. V... fait le même grief à l'ordonnance, alors « que la preuve de l'effectivité de l'exercice de ses droits par un étranger placé en rétention administrative doit résulter des pièces de la procédure ; qu'en énonçant, pour considérer que M. V... avait pu exercer ses droits durant la période de mise à disposition de la justice, qu'il avait pu bénéficier d'un avocat, énonciation impropre à justifier de ce qu'il aurait pu exercer l'ensemble de ses droits, le délégué du premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 552-10 du CESEDA. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 552-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

8. Il résulte de ce texte que, durant la période pendant laquelle l'étranger est maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce que l'ordonnance du premier président statuant sur l'effet suspensif de l'appel du ministère public soit rendue et, si elle donne un tel effet, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond, cette personne peut, si elle le souhaite, contacter son avocat et un tiers, rencontrer un médecin et s'alimenter.

9. Pour prolonger la rétention, l'ordonnance retient que M. V... a exercé ses droits, dès lors qu'il était assisté en cause d'appel par un avocat de son choix qui a été en mesure, en temps utile, de déposer des conclusions.

10. En statuant ainsi, alors que la seule assistance d'un conseil en appel ne pouvait suffire à rapporter la preuve de l'exercice effectif des droits pendant le maintien à disposition de la justice, le premier président a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. Les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 19 janvier 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article L. 552-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

1re Civ., 14 octobre 2020, n° 19-15.197, (P)

Cassation sans renvoi

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Placement en rétention – Décision – Information immédiate du procureur de la République – Obligation – Violation – Sanction – Nullité d'ordre public de la procédure

Au regard du rôle de garant de la liberté individuelle conféré par l'article L. 553-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au procureur de la République, son information immédiate sur la décision de placement en rétention doit être effective.

S'il ne résulte pas des pièces du dossier que le procureur de la République a été informé du placement en rétention, ainsi qu'il est prévu à l'article L. 551-2 du même code, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 7 septembre 2018), et les pièces de la procédure, le 3 septembre 2018, M. N..., de nationalité brésilienne, en situation irrégulière en France, a fait l'objet d'une décision de placement en rétention administrative.

2. Le 4 septembre 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi, par le préfet, d'une requête en prolongation de la mesure et, le lendemain, par l'étranger, d'une requête en contestation de la régularité de la décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. N... fait grief à l'ordonnance de prolonger la mesure, alors « que le procureur de la République doit être informé immédiatement du placement en rétention administrative de l'étranger ; que toute absence ou retard non justifié dans l'information donnée à ce magistrat, porte atteinte aux droits de la personne concernée ; qu'il résulte de la décision attaquée que l'avis du placement en rétention de M. N... destiné au procureur de la République d'Evry avait été par erreur adressé à un cabinet d'avocats JLD, conseil du préfet et qu'ainsi, aucun avis n'avait été transmis au parquet ; que cette absence de transmission de l'avis de placement en rétention administrative au parquet portait nécessairement atteinte aux droits de la personne concernée ; qu'en jugeant le contraire, et en exigeant la preuve d'une telle atteinte, le premier président a violé les articles L. 551-2 et L. 552-13 du Ceseda. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 551-2, L. 553-3 et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

4. Il résulte du premier de ces textes que le procureur de la République doit être immédiatement informé de la décision du représentant de l'Etat dans le département de placer un étranger en rétention et du deuxième que, pendant toute la durée de la mesure, il peut se transporter sur les lieux, vérifier les conditions de celle-ci et se faire communiquer le registre mentionnant l'état civil des personnes placées ou maintenues en rétention ainsi que les conditions de leur placement ou leur maintien.

5. Au regard du rôle de garant de la liberté individuelle conféré par ce dernier texte au procureur de la République, son information immédiate sur la décision de placement en rétention doit être effective.

6. S'il ne résulte pas des pièces du dossier que le procureur de la République a été informé du placement en rétention, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits.

7. Pour rejeter le moyen de nullité de la procédure pris de l'absence d'information immédiate du procureur de la République, l'ordonnance relève que, s'il n'est pas contesté que l'avis destiné à ce magistrat a été par erreur adressé à un cabinet d'avocats, l'intéressé n'allègue ni ne justifie d'aucune atteinte à ses droits.

8. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue, le 7 septembre 2018, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Articles L. 551-2, L. 553-3 et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 février 2006, pourvoi n° 05-14.033, Bull. 2006, I, n° 74 (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 14 octobre 2020, n° 19-19.234, (P)

Cassation sans renvoi

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Procédure – Consultation des fichiers biométriques – Habilitation du fonctionnement – Contestation – Constatations nécessaires

Au regard de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent, au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents à les consulter est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles.

S'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité à cet effet, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 23 janvier 2019), et les pièces de la procédure, le 19 janvier 2019, M. B..., de nationalité algérienne, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative.

2. Le 21 janvier 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi, par le préfet, d'une requête en prolongation de la mesure et, par l'étranger, d'une requête en contestation de la régularité de la décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. M. B... fait grief à l'ordonnance de prolonger sa rétention, alors « qu'en jugeant que l'absence d'habilitation des agents ne faisait pas grief à l'étranger dès lors qu'elle ne portait pas atteinte à ses droits, en se fondant sur des considérations inopérantes tirées notamment de la manière dont les données personnelles étaient collectées et exploitées, tandis qu'une telle habilitation constitue par elle-même une garantie substantielle, le premier président a violé, ensemble les articles L. 611-4, R. 611-12 et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 611-4 et R. 611-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 du décret n° 87-249 du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur :

4. Selon le deuxième, les données des fichiers automatisés des empreintes digitales gérés par le ministère de l'intérieur ne peuvent être consultées que par les agents expressément habilités des services du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale désignés par les deux derniers de ces textes, dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

5. Au regard de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent, au sens du premier de ces textes, la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles.

6. S'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité à cet effet, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits.

7. Pour prolonger la mesure de rétention, l'ordonnance retient que, s'il ne résulte pas des pièces relatives aux opérations de contrôle que les agents ayant consulté les fichiers biométriques VISABIO et FAED étaient spécialement habilités à cet effet, d'une part, aucun texte n'impose qu'il en soit fait mention, d'autre part, il n'est pas démontré que la consultation poursuivait d'autres finalités que celles prévues par les textes. Elle en déduit qu'à la supposer irrégulière, celle-ci n'a pas porté atteinte aux droits de l'étranger.

8. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. Les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue, le 23 janvier 2019, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Lesourd -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles L. 611-4 et R. 611-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; article 8 du décret n° 87-249 du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-16.852, Bull. 2018, (cassation partielle sans renvoi).

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