Numéro 10 - Octobre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2020

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

1re Civ., 21 octobre 2020, n° 19-15.415, (P)

Rejet

Consentement – Erreur – Erreur sur la substance – Oeuvre d'art – Mention insuffisante sur le catalogue de vente – Caractère déterminant de l'irrégularité de la mention – Appréciation

En matière de vente aux enchères publiques, si les mentions figurant au catalogue revêtent une importance particulière, leur caractère déterminant s'apprécie au regard des qualités substantielles de la chose attendues par l'acquéreur.

Une cour d'appel a souverainement déduit de ses constatations de fait que n'était pas rapportée la preuve que l'erreur sur le bois constituant le plateau de la table litigieuse aurait déterminé le consentement de l'acquéreur et que les restaurations, avérées ou non, auraient altéré, dans son esprit, la substance de l'objet.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-24.043), la société [...] (la société [...]) a assigné M. A... (l'acquéreur), afin, notamment, que soit reconnue la vente de différents lots dont il s'était porté acquéreur les 27 novembre 2007 et 5 avril 2008, dont le lot n° 157 portant sur « une table Compas de C... G... », et qu'il soit condamné au paiement de différentes sommes au titre des acquisitions réalisées et de dommages-intérêts. M. X..., propriétaire du lot [...], est intervenu volontairement à l'instance. A titre reconventionnel, l'acquéreur a sollicité la résolution et l'annulation des ventes pour défaut de paiement et défaut de délivrance, outre la restitution de sommes versées.

2. La vente des lots a été déclaré parfaite, à l'exception du celle du lot n° 157 ayant justifié la cassation prononcée, et l'acquéreur a été condamné à payer à la société [...] et à M. X... différentes sommes au titre des acquisitions réalisées et des dommages-intérêts. Une expertise sur l'authenticité de la table en cause a été ordonnée avant dire droit.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la vente du lot [...], et de le condamner à payer au vendeur le solde de la vente de ce lot, alors :

« 1°/ que l'inexactitude ou l'insuffisance des mentions du catalogue d'une vente aux enchères publiques suffit à provoquer l'erreur de l'acheteur et justifie l'annulation de la vente ; qu'en rejetant la demande d'annulation de la vente sur le fondement de l'erreur, après avoir pourtant retenu « l'inexactitude du catalogue » quant à la description de la table objet de la vente, la cour d'appel a violé l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;

2°/ que l'erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue entraîne l'annulation de la vente ; que les qualités substantielles sont celles ayant déterminé l'acquéreur à acquérir la chose ; que, pour retenir que l'acquéreur ne souhaitait pas essentiellement acheter une table ayant un plateau en chêne, comme mentionné sur le catalogue de vente, mais que seul avait été déterminant le fait qu'il s'agissait d'une table « C...-G... », la cour d'appel s'est fondée sur la circonstance que l'acquéreur avait porté les enchères à 80 000 euros, soit à un prix proche du double de l'évaluation figurant sur le catalogue de vente qui était de 35 000 à 45 000 euros ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier que seule avait été déterminante l'attribution de la table à C... G..., la cour d'appel a violé l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;

3°/ qu'en affirmant, pour débouter l'acquéreur de sa demande en nullité de la vente pour erreur, qu'il n'avait formé cette demande qu'après l'expertise, quand c'est précisément cette expertise qui avait révélé l'erreur dénoncée, la cour d'appel a statué par un motif impropre à exclure l'existence d'une erreur, en violation de l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 1110, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

5. En matière de vente aux enchères publiques, si les mentions figurant au catalogue revêtent une importance particulière, leur caractère déterminant s'apprécie au regard des qualités substantielles de la chose attendues par l'acquéreur.

6. Après avoir retenu que la table était authentique, l'arrêt relève que, contrairement aux mentions du catalogue de la vente, son plateau n'était pas en chêne mais en bois plaqué chêne, que, cependant, l'acquéreur ne souhaitait pas essentiellement acheter une table avec un plateau en chêne mais une table « C... G... », qu'à l'époque, les tables avaient une destination purement utilitaire, que le recours au bois massif était exclu et que le plateau, conçu pour pouvoir être changé, apparaissait ainsi purement contingent et dissociable de l'oeuvre de C... G..., de sorte que le principal intérêt de cette table résidait dans son piètement. Il ajoute que si, selon l'expert, elle aurait fait l'objet de restaurations à hauteur de 60 %, ses conclusions reposent sur des hypothèses.

7. De ces seuls motifs, la cour d'appel a souverainement déduit que n'était pas rapportée la preuve que l'erreur sur le bois constituant le plateau aurait déterminé le consentement de l'acquéreur et que les restaurations, avérées ou non, auraient altéré, dans son esprit, la substance de l'objet.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes en dommages-intérêts dirigées contre la société [...], alors qu' « aux termes de l'article L. 321-17, alinéa 3, du code de commerce, le délai de prescription des actions en responsabilité civile engagées à l'occasion des ventes aux enchères publiques se prescrivent par cinq ans à compter de l'adjudication ou de la prisée ; que ce délai dérogatoire au droit commun n'est opposable aux enchérisseurs qu'à la condition d'avoir été rappelé dans la publicité prévue à l'article L. 321-11 du code de commerce ; qu'en déclarant prescrite l'action en responsabilité formée par l'acquéreur contre la société [...], sans vérifier que la mention du délai de prescription ait été rappelé dans la publicité de la vente aux enchères publiques litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 321-11, L. 321-17 et R. 321-33 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. L'exigence du rappel de la mention du délai de prescription de cinq ans dans la publicité à laquelle donnent lieu les ventes aux enchères publiques ayant été posée à l'article L. 321-17 du code de commerce par la loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011, soit postérieurement à la vente litigieuse, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la vérification invoquée.

11. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de dommages-intérêts dirigée contre le vendeur, alors « que la cour d'appel a relevé que les restaurations de la table – qui n'avaient pas été mentionnées dans le catalogue de vente – avaient pu, ainsi que cela avait été souligné par l'expert, avoir une incidence sur sa valeur ; qu'il en résultait que l'ignorance de ces restaurations par l'acquéreur avaient pu fausser l'appréciation de la valeur de la table et partant, affecter la détermination du prix proposé en vue de son acquisition ; qu'en affirmant toutefois qu'il n'était pas établi que l'acquéreur n'aurait pas porté les enchères à un prix proche du double de la valeur figurant sur le catalogue s'il avait eu connaissance d'interrogations sur d'éventuelles restaurations, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Après avoir constaté que n'était pas rapportée la preuve que l'erreur sur le bois constituant le plateau aurait déterminé le consentement de l'acquéreur et que les restaurations, avérées ou non, auraient altéré, dans son esprit, la substance de l'objet, l'arrêt ajoute qu'en achetant le meuble, lors d'une vente aux enchères, à un prix proche du double de la valeur estimée figurant sur le catalogue, l'acquéreur a, de manière certaine, privilégié le fait qu'il s'agissait d'une table issue des ateliers C... G....

14. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a souverainement déduit que n'était pas démontrée l'existence d'un préjudice résultant de l'inexactitude des mentions du catalogue.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Kerner-Menay - Avocat(s) : SCP Bénabent -

Rapprochement(s) :

1re Civ., 30 septembre 2008, pourvoi n°, 06-20.298, Bull. 2008, I, n° 217 (cassation partielle) ; 1re Civ., 20 octobre 2011, pourvoi n° 10-25.980, Bull. 2011, I, n° 173 (rejet).

1re Civ., 7 octobre 2020, n° 19-18.135, (P)

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Validité – Conditions – Cas – Exigence d'une signature – Domaine d'application – Message électronique

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation, (1re Civ., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-10.458, publié), la société AGT UNIT, dont le gérant, M. K..., est titulaire d'une licence d'agent sportif, a assigné la société AS Saint-Etienne en paiement d'une certaine somme représentant le montant d'une commission qu'elle estimait lui être due en vertu d'un mandat reçu de cette société par échange de courriels, aux fins de négocier avec le club de football de Dortmund le transfert d'un joueur, ainsi qu'en allocation de dommages-intérêts.

Sur le moyen relevé d'office

2. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 222-17 du code du sport, 1108-1 et 1316-1 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 1316-4, devenu 1367 du même code, et 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

3. Selon le premier de ces textes, le contrat en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 du code du sport est écrit.

4. Aux termes du deuxième, lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 susvisés.

Selon le troisième, l'écrit sous forme électronique vaut preuve à la condition que son auteur puisse être dûment identifié et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité.

Selon le quatrième, la signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie celui qui l'appose et manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte et lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache.

5. Il en résulte que, si le contrat en vertu duquel l'agent sportif exerce son activité peut être établi sous la forme électronique, il doit alors être revêtu d'une signature électronique.

6. Cependant, si celle-ci constitue l'une des conditions de validité du contrat, son absence, alors que ne sont contestées ni l'identité de l'auteur du courriel ni l'intégrité de son contenu, peut être couverte par une exécution volontaire du contrat en connaissance de la cause de nullité, valant confirmation, au sens du dernier des textes susvisés.

7. Pour rejeter les demandes de la société AGT UNIT, l'arrêt se borne à retenir que les courriels échangés entre les parties, non dotés d'une signature électronique, ne répondent pas aux conditions d'exigence de validité de l'écrit électronique, de sorte que la société AGT UNIT ne peut se prévaloir d'un mandat conforme à l'article L. 222-17 du code du sport.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait préalablement constaté que M. Q..., en sa qualité de directeur général et membre du directoire de la société AS Saint-Etienne, avait le pouvoir d'engager celle-ci et de prévoir l'objet du mandat donné à M. K..., sa durée et sa rémunération, que, le 27 juin 2013, la société AS Saint-Etienne avait ainsi donné mandat à M. K..., jusqu'au 29 juin 2013 à minuit, de mener les négociations avec le club allemand de Dortmund pour procéder à la mutation définitive d'un joueur, avec une commission de 5 % de l'indemnité de mutation, majorée de 15 % de la survaleur supérieure à 15 000 000 euros, que ce mandat avait été transmis à la Fédération française de football et que, par échange de courriels du même jour, le mandat de M. K... avait été prorogé au dimanche 30 juin 2013 à 18 heures, ce dont il résultait que les parties avaient mis à exécution le contrat, en dépit de l'absence d'une signature électronique, ce qui valait confirmation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Il y a lieu de dire que du fait de la confirmation intervenue, le contrat de mandat conclu le 27 juin 2013 entre la société AGT UNIT et la société AS Saint-Etienne n'encourt pas la nullité.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande en paiement de la société AGT UNIT, l'arrêt rendu le 16 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef de la validité du contrat de mandat conclu le 27 juin 2013 entre la société AGT UNIT et la société AS Saint-Etienne ;

Dit que ce contrat n'encourt pas la nullité ;

Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, mais seulement pour qu'elle statue sur les autres points en litige.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article L. 222-17 du code du sport ; articles 1108-1 et 1316-1 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 1316-4, devenu 1367, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-10.458, Bull. 2018, I, n° 134 (cassation).

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