Numéro 10 - Octobre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2020

COMPETENCE

2e Civ., 22 octobre 2020, n° 19-14.849, (P)

Rejet

Clause attributive – Compétence territoriale – Opposabilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 1er mars 2018, pourvoi n° 16-27.592), les sociétés Laboratoire Agecom et Alliando, estimant que la société Laboratoire Agecom, anciennement dirigée par M. U..., était victime de faits de concurrence déloyale de la part de la société BLC France commis avec le soutien de M. U..., par ailleurs fondateur de la société BLC France et lui-même suspecté d'avoir violé une obligation de non-concurrence contenue dans un acte de cession d'une partie du capital social de la société Laboratoire Agecom intervenu entre la société U..., détentrice des actions de cette société, et la société Alliando, ont saisi le président du tribunal de commerce de Lyon sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile d'une demande de désignation d'un huissier de justice aux fins d'investigations aux domiciles respectifs de M. U... et de Mme D..., qui était alors la présidente de la société BLC France.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

3. Les sociétés Laboratoire Agecom et Alliando font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance de la juridiction du président du tribunal de commerce de Lyon du 13 janvier 2016 et, partant, de rétracter l'ordonnance du 30 juin 2015 rendue par la juridiction du président du tribunal de commerce de Lyon, avec annulation des mesures d'instruction réalisées par les huissiers instrumentaires et restitution des données collectées par les mêmes dans leurs différents lieux d'intervention, alors :

« 2°/ que le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile est le président du tribunal susceptible de connaître, ne serait-ce qu'en partie, de l'instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d'instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir que le président du tribunal de commerce de Lyon n'était pas territorialement compétent pour statuer sur la requête de la société Alliando et de la société Laboratoire Agecom du 23 juin 2015 et pour rétracter en conséquence l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Lyon du 30 juin 2015, avec annulation des mesures d'instruction réalisées par les huissiers instrumentaires et restitution des données collectées par ceux-ci dans leurs différents lieux d'intervention, que la société Alliando et la société Laboratoire Agecom avaient entendu, dans leur requête du 23 juin 2015, assigner au fond la société BLC France et M. U... devant le tribunal de commerce de Lyon pour violation de la clause de non-concurrence insérée dans la convention de cession d'actions du 8 février 2013 et pour concurrence déloyale, que seules la société U... et la société Alliando étaient liées par la clause attributive de juridiction stipulée par cette convention, qu'ainsi, même si l'intention de la société Alliando et de la société Laboratoire Agecom était, au moment du dépôt de la requête du 23 juin 2015, et postérieurement à celle-ci, d'exercer contre la société U... une action en responsabilité pour non-respect de la clause de non-concurrence devant le tribunal de commerce de Lyon, territorialement compétent en vertu de cette même clause attributive de juridiction, elles ne pouvaient exercer la même action contre M. U... ainsi qu'une action en concurrence déloyale contre la société BLC France en se fondant sur la clause attributive de juridiction qui ne leur était pas opposable, que la compétence du président du tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur la requête du 23 juin 2015 ne pouvait pas se déduire du seul fait que le tribunal de commerce de Lyon était susceptible de connaître de l'action en responsabilité exercée contre la société U... en vertu de la clause attributive de juridiction, qu'en effet, les sièges sociaux des sociétés BLC France et U..., ainsi que le domicile de M. U... n'étaient pas situés dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon et qu'il n'était pas soutenu que le fait dommageable dont se plaignaient la société Alliando et la société Laboratoire Agecom se fût produit dans le ressort de ce tribunal ou qu'elles avaient subi ce dommage dans ce ressort, quand, dès lors que la requête de la société Alliando et la société Laboratoire Agecom du 23 juin 2015 était notamment fondée sur la clause de non-concurrence, portant, notamment, des engagements de la part de la société U..., stipulée par la convention de cession d'actions du 8 février 2013 conclue par la société Alliando et la société U..., l'une des éventuelles instances au fond en vue desquelles les mesures d'instruction étaient sollicitées était susceptible d'opposer la société Alliando et la société Laboratoire Agecom, d'une part, à la société U..., d'autre part, et quand, en conséquence, la seule circonstance que le tribunal de commerce de Lyon était susceptible de connaître de l'action en responsabilité exercée contre la société U... en vertu de la clause attributive de juridiction stipulée par la convention de cession d'actions du 8 février 2013 et, donc, ne serait-ce qu'en partie, de l'instance au fond, rendait la juridiction du président du tribunal de commerce de Lyon compétente pour statuer sur la requête de la société Alliando et de la société Laboratoire Agecom en date du 23 juin 2015, même si, dans leur requête du 23 juin 2015, la société Alliando et la société Laboratoire Agecom avaient indiqué qu'elles entendaient assigner au fond la société BLC France et M. U..., la cour d'appel a violé les dispositions des articles 42, 48, 145 et 493 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile est le président du tribunal susceptible de connaître, ne serait-ce qu'en partie, de l'instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d'instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées ; qu'une clause attributive de compétence territoriale est opposable à une partie tierce au contrat qui la stipule si, au moment de la formation de ce contrat, cette clause était connue de cette partie tierce et acceptée par elle dans ses relations avec la partie au contrat qui invoque ce contrat ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir que le président du tribunal de commerce de Lyon n'était pas territorialement compétent pour statuer sur la requête de la société Alliando et de la société Laboratoire Agecom du 23 juin 2015 et pour rétracter en conséquence l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Lyon du 30 juin 2015, avec annulation des mesures d'instruction réalisées par les huissiers instrumentaires et restitution des données collectées par ceux-ci dans leurs différents lieux d'intervention, que seules la société U... et la société Alliando étaient liées par la clause attributive de juridiction stipulée par la convention de cession d'actions du 8 février 2013, qu'ainsi, la société Alliando et de la société Laboratoire Agecom ne pouvaient exercer une action en responsabilité pour non-respect de la clause de non-concurrence contre M. U... ainsi qu'une action en concurrence déloyale contre la société BLC France en se fondant sur la clause attributive de juridiction stipulée par cette convention qui ne leur était pas opposable et que cette opposabilité ne pouvait se déduire du fait que la société U... et M. U... étaient liés par la clause de non-concurrence stipulée par la convention de cession d'actions du 8 février 2013, parce que les deux clauses n'avaient pas le même objet, quand, dès lors que la convention du 8 février 2013 avait été signée par M. U..., en qualité de gérant de la société U..., et comportait un engagement exprès et personnel de non-concurrence de la part de M. U..., ce dernier avait nécessairement connaissance de la clause attributive de compétence territoriale stipulée par la convention du 8 février 2013 au moment de la conclusion de cette convention et devait être regardé comme l'ayant acceptée dans ses relations avec la société Alliando, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 48 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles 42, 46, 145 et 493 du code de procédure civile que le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l'instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d'instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées, sans que la partie requérante ne puisse opposer une clause attributive de compétence territoriale.

5. Il ressort des constatations de l'arrêt, d'une part, que les mesures ordonnées par le président du tribunal de commerce de Lyon n'avaient pas été exécutées dans le ressort de ce tribunal, que tant le siège social de la société BLC France que le domicile de M. U... n'étaient pas situés dans le ressort du tribunal de commerce de Lyon et que le fait dommageable ou le dommage dont se plaignaient les sociétés Alliando et Laboratoire Agecom ne s'étaient pas produits dans le ressort de ce tribunal, et d'autre part, que le tribunal de commerce de Lyon était susceptible de connaître de l'action en responsabilité de la société U... en vertu d'une clause attributive de juridiction.

6. Il en résulte que c'est à bon droit que le président du tribunal de commerce de Lyon a rétracté l'ordonnance du 30 juin 2015 en raison de son incompétence territoriale, et a annulé, en conséquence, les mesures d'instruction exécutées par les huissiers de justice.

7. Par ce motif de pur droit, substitué aux motifs critiqués, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Capron -

Textes visés :

Articles 42, 46, 145 et 493 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 juin 1998, pourvoi n° 95-10.563, Bull. 1998, II, n° 200 (rejet) ; 2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi n° 19-21.012, Bull. 2020, (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 14 octobre 2020, n° 19-11.585, (P)

Rejet et cassation

Compétence internationale des juridictions françaises – Appréciation – Moment – Détermination

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 19 octobre 2016 et 21 novembre 2018), M. M... et Mme A... se sont mariés religieusement en Irlande en 1997.

Le couple a procédé à l'acquisition de plusieurs biens situés en France et s'est séparé en 2008.

Le 23 juillet 2009, M. M... a assigné Mme A... devant le tribunal de grande instance de Nice en paiement d'une certaine somme, sur le fondement de l'indivision ayant existé entre eux du fait de leur vie commune, du printemps 1998 au mois d'avril 2008. Une ordonnance du juge de la mise en état a ordonné une expertise.

2. Parallèlement, en 2013, Mme A... a engagé une procédure de divorce en Irlande.

Par jugement du 8 mars 2016, le tribunal de grande instance de Nice a constaté que M. M... et Mme A... étaient mariés au regard du droit irlandais et qu'une procédure de divorce était pendante devant la High Court Family Law d'Irlande du Nord. Il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

Le 5 février 2018, la juridiction irlandaise s'est déclarée compétente pour connaître du divorce des parties.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

4. M. M... fait grief à l'arrêt du 21 novembre 2018 de rejeter le contredit et de confirmer la décision entreprise en ce que le juge s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, alors « qu'il résulte de l'article 1, 1°, a), du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale qu'il ne s'applique, quelle que soit la nature de la juridiction, qu'aux matières civiles relatives au divorce, à la séparation de corps et à l'annulation du mariage des époux, ce qui exclut son application à la liquidation du régime matrimonial ; qu'en se fondant sur ce règlement pour déclarer incompétente la juridiction française pour statuer sur la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, la cour d'appel a violé l'article 1, 1°, a), du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Mme A... soutient que M. M... n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à ses propres écritures devant la cour d'appel.

6. Cependant, M. M... a toujours soutenu, devant les juges du fond, que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître du litige et n'a évoqué, qu'à titre subsidiaire, les critères de compétence résultant du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, qui était invoqué par Mme A....

Le moyen n'est donc pas contraire à sa position devant les juges du fond.

7. Il est en conséquence recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, le règlement (UE) n° 2016/1103 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l'exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux, ensemble les principes qui régissent la compétence internationale et l'article 42 du code de procédure civile :

8. Il résulte des deux règlements n° 2201/2003 et n° 2016/1103 que le premier ne régit pas la compétence en matière de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux et que le second n'est applicable qu'aux instances engagées après le 29 janvier 2019.

9. Il s'en déduit qu'en l'absence de convention internationale ou de règlement européen régissant la compétence internationale en matière de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, l'article 42 du code de procédure civile est applicable, par extension à l'ordre international des règles internes de compétence, à une telle action engagée devant le tribunal de grande instance avant le 1er janvier 2010.

10. Pour accueillir l'exception d'incompétence au profit des juridictions irlandaises, l'arrêt fait application du règlement n° 2201/2003.

11. En statuant ainsi, alors que ce règlement n'était pas applicable à l'action engagée par M. M..., la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du second moyen, la Cour :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2016 entre les parties par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 42 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la date d'appréciation de la compétence internationale, à rapprocher : 1re Civ., 25 janvier 2005, pourvoi n° 02-20.717, Bull. 2005, I, n° 37 (rejet), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 13 mai 2020, pourvoi n° 19-10.448, Bull. 2020, (cassation sans renvoi).

2e Civ., 22 octobre 2020, n° 19-18.707, (P)

Rejet

Compétence matérielle – Tribunal de grande instance – Demande en réparation d'un préjudice corporel fondée sur un contrat de bail – Compétence exclusive

Il résulte des articles L. 211-4-1 et R. 221-38 du code de l'organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2020, que si le tribunal d'instance est seul compétent pour se prononcer sur la responsabilité du bailleur, la demande en réparation d'un préjudice corporel fondée sur un contrat de bail, qui en serait l'objet, la cause ou l'occasion, relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance.

Compétence matérielle – Tribunal d'instance – Responsabilité du bailleur – Compétence exclusive

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mars 2019), Mme P..., qui est locataire d'un appartement appartenant à la société Logis familial, a chuté dans son appartement le 4 décembre 2014.

2. Invoquant le mauvais état des dalles du balcon à l'origine de sa chute, Mme P... a fait assigner en référé devant un tribunal de grande instance la société Logis familial pour obtenir l'organisation d'une expertise médicale et le paiement d'une indemnité provisionnelle.

3. La société Logis familial a invoqué l'incompétence, notamment matérielle, du tribunal de grande instance au profit de la compétence d'un tribunal d'instance.

4. Par ordonnance en date du 8 novembre 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance a rejeté cette exception d'incompétence.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Logis familial fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté son exception d'incompétence territoriale et matérielle, alors « que le tribunal d'instance a une compétence exclusive pour connaître des actions dont un contrat de louage d'immeubles à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion ; qu'en considérant que l'action tendant à faire constater l'importance et les conséquences des blessures subies par Mme P... à la suite d'une chute à son domicile loué à l'encontre de son bailleur s'analyse en une indemnisation d'un préjudice corporel relevant de la compétence de droit commun du tribunal de grande instance et non en action dont le contrat de location est la cause ou l'occasion qui relève de la compétence spéciale et exclusive du tribunal d'instance dérogatoire à celle de droit commun du tribunal de grande instance, la cour d'appel a violé l'article R. 211-38 du code de l'organisation judiciaire par refus d'application et l'article L. 211-4-1 du même code par fausse application. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles L. 211-4-1 et R. 221-38 du code de l'organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2020, que si le tribunal d'instance est seul compétent pour se prononcer sur la responsabilité du bailleur, la demande en réparation d'un préjudice corporel fondée sur un contrat de bail, qui en serait l'objet, la cause ou l'occasion, relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance.

7. C'est par une exacte application de ces textes que la cour d'appel, après avoir constaté que le juge des référés du tribunal de grande instance avait été saisi d'une demande d'expertise médicale relative à des préjudices corporels subis à l'occasion de l'exécution d'un contrat de bail, a retenu que le tribunal de grande instance était compétent.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 211-4-1 et R. 221-38 du code de l'organisation judiciaire, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2020.

2e Civ., 22 octobre 2020, n° 19-17.630, (P)

Cassation

Décision sur la compétence – Appel – Appel du jugement – Motivation – Défaut – Régularisation – Modalités – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 11 avril 2019), M. B... a saisi un conseil de prud'hommes, le 26 juillet 2016, d'une contestation de son licenciement, formée d'abord contre la société Géoservices international, devenue la société Naphta services, dont le siège social est en Suisse, et contre la société Schlumberger limited, dont le siège social est aux États-Unis, puis également contre la société Services pétroliers Schlumberger, dont le siège social est en France, et a sollicité la condamnation in solidum des trois sociétés.

2. M. B... a interjeté appel du jugement du conseil de prud'hommes du 28 mai 2018 qui s'est déclaré incompétent pour trancher le litige et a renvoyé M. B... à mieux se pourvoir.

3. Devant la cour d'appel, les trois sociétés ont soulevé l'irrecevabilité de l'appel, en raison du défaut de motivation de la déclaration d'appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

4. M. B... fait grief à l'arrêt de déclarer l'appel irrecevable et de le renvoyer à mieux se pourvoir, alors :

« 1°/ que la requête déposée par l'appelant devant le premier président de la cour d'appel, en vue d'être autorisé à assigner l'intimé à jour fixe, n'ouvre pas une procédure distincte et autonome de la procédure d'appel ; qu'en retenant le contraire, pour en déduire que les conclusions, jointes par l'appelant à la requête par laquelle il avait saisi le premier président aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe, n'étaient pas de nature à procurer une motivation à la déclaration d'appel et donc que l'appel était irrecevable, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les articles 84, 85, 917 et 918 du code de procédure civile ;

2°/ que la copie de la requête aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe et des écritures et pièces qui lui sont jointes doit être remise au premier président pour être versée au dossier de la cour d'appel ; qu'il suit de là que lorsque l'appelant annexe ses conclusions à sa requête aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe, lesdites conclusions, qui deviennent partie intégrante du dossier de la cour d'appel, doivent être regardées comme jointes à la déclaration d'appel ; que la cour d'appel avait constaté que le jour même de la déclaration d'appel, l'appelant avait annexé ses conclusions à la requête par laquelle il avait saisi le premier président aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe, ce dont elle aurait dû déduire que, dès cette date, les conclusions avaient été jointes à la déclaration d'appel et que la procédure était régulière ; qu'en retenant au contraire que cette production de conclusions, faite devant le premier président le même jour que le dépôt de la déclaration d'appel, n'était pas de nature à fournir une motivation à ladite déclaration ni à rendre l'appel recevable, la cour d'appel a violé les articles 84, 85 et 918 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. L'article 85 du code de procédure civile exigeant que la déclaration d'appel dirigée contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence soit motivée dans la déclaration elle-même ou dans des conclusions qui y sont jointes, les conclusions au fond annexées à la requête, qui sont adressées au premier président et non à la cour d'appel, ne peuvent constituer la motivation requise.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. M. B... fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la motivation de la déclaration d'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence, exigée à peine d'irrecevabilité, peut valablement, si elle ne figure pas dans la déclaration elle-même, être fournie dans des conclusions pouvant être jointes à cette déclaration concomitamment ou postérieurement à son dépôt, pourvu que la jonction ait lieu avant l'expiration du délai d'appel ; qu'il suit de là qu'en l'état de conclusions produite quelques jours après la déclaration d'appel, la cour d'appel ne peut valablement déclarer l'appel irrecevable qu'à charge de constater que cette production a eu lieu après l'expiration du délai d'appel ; qu'en retenant que la signification des conclusions de l'appelant faite deux jours après la déclaration d'appel n'était pas de nature à rendre le recours recevable, sans avoir préalablement constaté que cette signification avait eu lieu postérieurement à l'expiration du délai d'appel, la cour d'appel a violé les articles 84 et 85 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 85 et 126 du code de procédure civile :

8. Il résulte de la combinaison de ces textes que le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel du jugement statuant sur la compétence, peut être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire, par le dépôt au greffe, avant l'expiration du délai d'appel, d'une nouvelle déclaration d'appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d'appel.

9. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt retient que les conclusions au fond n'ont été déposées, à l'occasion de la procédure d'appel, par la voie électronique, que le 14 juin 2018, soit deux jours après la déclaration d'appel.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si ces conclusions, de nature à régulariser l'absence de motivation de la déclaration d'appel, avaient été remises à la cour d'appel avant l'expiration du délai d'appel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Leroy-Gissinger - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 85 et 126 du code de procédure civile.

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