Numéro 10 - Octobre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2020

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 22 octobre 2020, n° 19-20.443, (P)

Cassation

Domaine d'application – Bail d'une durée égale ou inférieure à trois ans – Preneur laissé en possession – Nouveau bail dérogatoire – Exclusion – Conditions – Détermination – Portée

En application de l'article L. 145-5 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l'expiration d'une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d'effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l'issue de chaque bail dérogatoire, à l'application du statut des baux commerciaux.

Il s'ensuit que, pour pouvoir déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, les baux dérogatoires conclus à compter du 1er septembre 2014 ne doivent pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux de plus de trois ans courant à compter de la date d'effet du premier bail dérogatoire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 mai 2019), le 1er juin 2013, la société de La Cadène a consenti à M. U..., qui occupait déjà les lieux et qui avait renoncé à se prévaloir du droit au statut des baux commerciaux lui étant acquis à l'expiration du précédent bail dérogatoire, un bail pour une durée de vingt-quatre mois.

Le 1er juin 2015, les parties ont conclu un nouveau bail dérogatoire courant jusqu'au 31 mai 2016.

2. Le 31 mars 2016, la société de La Cadène a informé M. U... de sa volonté de ne pas consentir un nouveau bail.

3. M. U... ayant revendiqué le droit au statut des baux commerciaux, la société de La Cadène l'a assigné en expulsion.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. U... fait grief à l'arrêt de le déclarer sans droit ni titre depuis le 1er juin 2016, alors « que le preneur acquiert son droit à la propriété commerciale à l'issue du bail dérogatoire, lorsqu'il justifie d'une entrée dans les lieux depuis au moins trois ans en application de l'article L. 145-5 du code de commerce en sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ; que, pour dire que M. U... n'avait pas acquis la propriété commerciale, la cour d'appel a retenu que les parties avaient conclu un bail dérogatoire le 1er juin 2013, d'une durée de 24 mois, puis un nouveau bail dérogatoire le 1er juin 2015, d'une durée de 12 mois, ce dont elle a déduit que la durée globale des baux successifs n'excédait pas la durée maximale de trois ans ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que M. U... justifiait d'une entrée dans les lieux antérieure au 1er juin 2013, ce dont il résultait que le preneur avait acquis la propriété commerciale à la date du 1er juin 2016 et qu'il n'était pas, en conséquence, occupant sans droit, ni titre, à cette date, la cour d'appel a violé l'article susvisé ».

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 :

5. La loi du 18 juin 2014 a ajouté à l'article L. 145-5 du code de commerce une disposition selon laquelle les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l'expiration d'une durée de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs.

6. Selon ce texte, les parties ne peuvent pas conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l'expiration d'une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d'effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l'issue de chaque bail dérogatoire, à l'application du statut des baux commerciaux.

7. En application de l'article 21 II de la loi du 18 juin 2014, les baux dérogatoires conclus à compter du 1er septembre 2014 sont soumis au nouvel article L. 145-5 du code de commerce.

8. Pour déclarer M. U... occupant sans droit ni titre, après avoir constaté que, le 1er juin 2013, les parties avaient conclu un nouveau bail dérogatoire stipulant que M. U..., qui était dans les lieux en exécution d'un précédent bail dérogatoire, renonçait expressément à se prévaloir du statut des baux commerciaux et que la régularité de cet acte n'était pas contestée, l'arrêt retient qu'à cette date, les parties pouvaient conclure un bail dérogatoire de deux ans sans que l'antériorité du bail précédent n'ait à être prise en compte, que la loi du 18 juin 2014, n'ayant pas d'effet rétroactif, n'a pas remis en cause la situation antérieure de sorte que ne pouvait être prise en compte l'occupation réelle des lieux avant le 1er juin 2013 et le bail conclu le 1er juin 2015, d'une durée d'un an, avait pour effet de porter la durée cumulée des baux pouvant être retenue à trente-six mois, soit la durée maximale désormais autorisée.

9. En statuant ainsi, alors que, pour pouvoir déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, le bail conclu le 1er juin 2015, postérieurement à l'entrée en vigueur du nouvel article L. 145-5 du code de commerce issu de la loi du 18 juin 2014, devait répondre aux exigences de ce texte et, par suite, ne pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux de plus de trois ans courant à compter de la date d'effet du premier bail dérogatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Article L. 145-5 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014.

3e Civ., 22 octobre 2020, n° 19-19.542, (P)

Cassation partielle

Résiliation – Clause résolutoire – Ordonnance de référé en suspendant les effets – Octroi de délais de paiement – Inobservation des délais – Chose jugée au principal – Absence – Effets – Demande unilatérale d'exécution du bail résilié – Possibilité (non)

Lorsqu'une ordonnance de référé ayant suspendu les effets d'une clause résolutoire inscrite dans un bail commercial en accordant des délais de paiement au locataire est passée en force de chose jugée et en l'absence de décision contraire statuant au principal, le bailleur ne peut plus, en cas de non-respect par le preneur des délais de paiement conditionnant la suspension des effets de la clause, demander unilatéralement l'exécution du bail résilié.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 mai 2019), le 21 décembre 2012, la société Aeroville a donné à bail à la société C & A France des locaux à usage commercial pour une durée de dix ans avec renonciation du preneur à la faculté de résiliation à la fin de la première période triennale, le bail comportant une clause résolutoire, « si bon semble au bailleur ».

2. Le 27 juillet 2015, la société Aeroville a délivré à la société C & A France un commandement de payer visant la clause résolutoire, puis l'a assignée en référé en constatation de l'acquisition de cette clause et en paiement d'une provision.

3. Une ordonnance de référé du 27 novembre 2015 a condamné la société C & A France à payer une provision à la société Aeroville, a suspendu les effets de la clause résolutoire et accordé à la société C & A France des délais de paiement avec déchéance du terme.

4. Cette ordonnance, signifiée le 11 décembre 2015 par la société Aeroville, n'a pas été frappée d'appel.

5. Le 8 janvier 2016, la bailleresse a mis en demeure la locataire de payer les sommes dues au titre de la période comprise entre le 12 mai et le 23 novembre 2015.

6. Par lettre du 22 janvier 2016, la locataire, qui ne s'était pas acquittée de la première mensualité, a informé le bailleur qu'elle prenait acte de la résiliation définitive du bail et qu'elle restituerait les clefs le 3 mars 2016.

7. La société Aeroville a informé la société C & A France qu'elle renonçait à se prévaloir de l'acquisition de la clause résolutoire, puis l'a assignée en exécution forcée du bail, subsidiairement, en paiement des loyers et charges jusqu'à la deuxième échéance triennale du bail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. La société C & A France fait grief à l'arrêt de constater que la société Aeroville a renoncé au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire, de constater que le bail s'est poursuivi entre les parties jusqu'à ce que la société Aeroville ait accepté, à compter du 1er juillet 2018, la résiliation unilatérale du bail par la société locataire, et de condamner, en conséquence, la société C & A France à payer à la société Aeroville une somme correspondant aux loyers et charges demeurés impayés entre le 4 mars 2016 et le 30 juin 2018, alors « que l'acquisition de la clause résolutoire met irrévocablement fin au bail commercial dont le bailleur ne peut plus poursuivre l'exécution forcée dès lors que le preneur n'a pas respecté l'échéancier fixé par le juge dans une ordonnance suspendant les effets de la clause résolutoire et revêtue de la force de chose jugée ; qu'il s'ensuit qu'il n'est pas au pouvoir du bailleur de renoncer au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire, même si elle est stipulée dans son intérêt exclusif, « si bon lui semble », dès lors que le preneur ne s'est pas libéré des arriérés de loyers et des loyers courants dans les conditions fixées par l'ordonnance suspendant les effets de la clause résolutoire ; qu'en considérant cependant qu'il était encore au pouvoir du bailleur de renoncer au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire stipulée dans l'intérêt exclusif du bailleur « si bon lui semble », en s'abstenant d'engager aucun acte d'exécution forcée, quand le bailleur ne pouvait pas imposer au preneur la poursuite d'un contrat qui avait pris fin automatiquement par le défaut de règlement du loyer courant exigible à terme exacte échéance dans les conditions de l'ordonnance du 27 novembre 2015, la cour d'appel a violé l'article L. 145-41 du code de commerce, ensemble les articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 145-41 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance précitée, et 500 du code de procédure civile :

9. Il résulte du premier de ce texte que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre les effets d'une clause résolutoire, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice passée en force de chose jugée.

La clause résolutoire est réputée n'avoir jamais produit ses effets si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

10. Dès lors que l'ordonnance de référé est passée en force de chose jugée et en l'absence de décision contraire statuant au principal, le bailleur ne peut plus, en cas de non-respect par le preneur des délais de paiement conditionnant la suspension des effets de la clause résolutoire, demander unilatéralement l'exécution du bail résilié.

11. Pour dire que le bail s'était poursuivi entre les parties en dépit de ce que la locataire n'avait pas payé les loyers courants et les mensualités sur arriérés dans les conditions fixées par l'ordonnance du 27 novembre 2015, l'arrêt retient que la locataire ne peut tirer parti d'une clause résolutoire stipulée au seul bénéfice du bailleur ni se prévaloir de son propre comportement pour prendre acte de la résiliation du bail et que, si la bailleresse a signifié l'ordonnance de référé pour faire courir les délais de paiement, ce qui ne manifestait pas son intention de poursuivre l'acquisition de la clause résolutoire, elle n'avait engagé aucun acte d'exécution forcé de sorte qu'elle conservait la liberté de poursuivre ou non, à ses risques et périls, l'exécution du titre provisoire que constituait cette ordonnance et pouvait, ainsi, renoncer au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

14. La cassation sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation des dispositions critiquées par le second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société C & A France à payer à la société Aeroville la somme de 40 543,61 euros au titre d'une indemnité forfaitaire de 10 %, l'arrêt rendu le 29 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 145-41 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; articles 1134 et 1184 dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 500 du code de procédure civile.

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