Numéro 10 - Octobre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2019

SEPARATION DES POUVOIRS

3e Civ., 24 octobre 2019, n° 17-13.550, (P)

Rejet et annulation sans renvoi

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Contentieux de la voie de fait – Voie de fait – Définition – Acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration – Exclusion – Cas – Abattage sans titre d'une haie implantée sur un terrain privé

Ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'administration et n'a pas pour effet l'extinction d'un droit de propriété l'abattage, même sans titre, d'une haie implantée sur le terrain d'une personne privée. La demande de remise en état des lieux relève en conséquence de la seule compétence de la juridiction administrative.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Contentieux de la voie de fait – Voie de fait – Définition – Atteinte portée par l'administration au droit de propriété – Exclusion – Applications diverses – Abattage sans titre d'une haie implantée sur un terrain privé

Attendu, selon les arrêts attaqués (Montpellier, 15 octobre 2015 et 15 décembre 2016), que M. et Mme S... sont propriétaires d'une parcelle bâtie bordée d'une allée dont elle est séparée par un fossé longé d'une haie d'acacias implantée sur leurs fonds ; que la commune de [...] (la commune) leur a demandé de supprimer cette haie, au motif que celle-ci était dangereuse pour les passants ; qu'estimant que l'élagage réalisé était insuffisant, la commune a mis en demeure M. et Mme S... de procéder à l'abattage des arbres, avant d'y procéder elle-même sans les en prévenir ; que M. et Mme S... ont assigné la commune, sur le fondement de la voie de fait, en réalisation forcée de travaux de remise en état et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation de l'arrêt du 15 octobre 2015 ;

Mais sur le moyen relevé d'office après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 76, alinéa 2, du code de procédure civile ;

Attendu que l'abattage, même sans titre, d'une haie implantée sur le terrain d'une personne privée qui en demande la remise en état ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'administration et n'a pas pour effet l'extinction d'un droit de propriété, de sorte que la demande de remise en état des lieux relève de la seule compétence de la juridiction administrative ; qu'il y a donc lieu de relever d'office l'incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jessel - Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; article 76, alinéa 2, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'incompétence du juge judiciaire en cas d'atteinte par l'administration n'ayant pas pour effet l'extinction du droit de propriété, à rapprocher : 3e Civ., 18 janvier 2018, pourvoi n° 16-21.993, Bull. 2018, III, n° 6 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 17 octobre 2019, n° 18-16.837, (P)

Rejet

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Irrégularité des décisions administratives – Conditions – Décisions administratives relatives aux soins psychiatriques sous contrainte – Contrôle par le juge administratif – Défaut – Portée

Le juge judiciaire qui est saisi, à compter du 1er janvier 2013, d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables de décisions administratives relatives aux soins psychiatriques sous contrainte, peut connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées, dès lors qu'elles n'ont pas été préalablement soumises au contrôle du juge administratif.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mars 2018), que M. K... a été admis en soins psychiatriques sans consentement sur décision du représentant de l'Etat dans le département, prise sur le fondement de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique ; qu'invoquant plusieurs irrégularités affectant notamment les arrêtés préfectoraux des 12 juin, 15 juin, 10 juillet et 9 octobre 2012 ainsi que l'absence de mainlevée de la mesure malgré des décisions judiciaires tardives, M. K... et sa compagne, Mme Q..., ont saisi le tribunal de grande instance aux fins d'indemnisation de leur préjudice né de l'atteinte portée à la liberté du patient par son hospitalisation d'office irrégulièrement ordonnée ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. K... une indemnité de 50 930 euros en réparation du préjudice résultant de la privation de liberté ainsi qu'une indemnité de 1 000 euros au titre du traitement sous contrainte, et à payer à Mme Q... une indemnité de 3 000 euros au titre du préjudice moral à raison de l'hospitalisation illégale de M. K... du 12 juin au 30 octobre 2012, alors, selon le moyen :

1°/ qu'antérieurement au 1er janvier 2013, seul le juge administratif était compétent pour connaître de la légalité externe des arrêtés préfectoraux relatifs à l'hospitalisation sous contrainte ; que, pour cette période, la compétence du juge administratif s'impose, non seulement en cas de recours contre l'arrêté, mais également en cas d'exception d'illégalité soulevée devant le juge judiciaire ; qu'en s'arrogeant le pouvoir de statuer sur la légalité externe d'arrêtés préfectoraux antérieurs au 1er janvier 2013, quand ils étaient tout au plus en présence de questions préjudicielles devant être renvoyées au juge administratif, les juges du fond ont violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 6 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble l'article L. 3216-1 du code de la santé publique entré en vigueur le 1er janvier 2013 ;

2°/ que s'il faut s'attacher, non pas à la date de l'acte, mais à la date d'expiration du recours, de toute façon, tous les arrêtés critiqués ont été respectivement notifiés les 12 juin, 18 juin, 10 juillet et 9 octobre 2012, soit avant le 1er janvier 2013 ; que seules les règles antérieures à l'entrée en vigueur le 1er janvier 2013 de l'article L. 3216-14 du code de la santé publique étaient applicables ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 6 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble l'article L. 3216-1 du code de la santé publique entré en vigueur le 1er janvier 2013 ;

3°/ que, si le juge judiciaire peut apprécier la légalité externe d'un acte administratif, notamment dans le cadre d'une exception d'illégalité, c'est à la condition qu'il constate au préalable que l'irrégularité invoquée peut être constatée sur la base d'une jurisprudence établie ; que, faute d'avoir constaté que tel était le cas s'agissant des différentes irrégularités invoquées, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790, le décret du 6 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble l'article L. 3216-1 du code de la santé publique entré en vigueur le 1er janvier 2013 ;

Mais attendu que l'arrêt énonce exactement qu'il résulte de la combinaison de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, et des dispositions transitoires de l'article 18 de cette loi que si le juge administratif est demeuré compétent pour statuer sur les recours à l'encontre de toute décision administrative relative aux soins psychiatriques sous contrainte dont il aurait déjà été saisi avant le 1er janvier 2013, le juge judiciaire, saisi, à compter de cette date, d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables résultant pour l'intéressé de telles décisions, peut connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées, dès lors qu'elles n'ont pas été préalablement soumises au contrôle du juge administratif ; qu'il s'en déduit qu'en retenant la compétence du juge judiciaire, lequel ne statue pas alors sur une exception d'illégalité, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche inopérante, n'a pas méconnu le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que l'Agent judiciaire de l'Etat fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que la responsabilité de l'Etat, à raison de l'illégalité d'un arrêté d'hospitalisation sous contrainte, est appréciée en considération des diligences accomplies par le demandeur à la réparation ; que, dans la mesure où l'ordre juridique organise des voies de recours pour contester la légalité d'un acte administratif, il appartient à la personne visée par l'acte administratif d'user de cette voie de droit pour faire constater les illégalités dont elle entend se prévaloir ; que si la responsabilité de l'Etat peut être engagée, c'est seulement si les voies de recours ne permettent pas de purger la situation administrative de l'intéressée des vices qui l'affectent ; que des recours étaient ouverts à M. K..., devant le juge administratif, pour faire constater l'illégalité des arrêtés qui le concernaient ; qu'en refusant de prendre en considération cette circonstance, au motif inopérant que le juge judiciaire connaissait désormais de l'ensemble du contentieux, les juges du fond ont violé les principes généraux gouvernant la responsabilité de l'Etat, ensemble l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ;

2°/ qu'en tout cas, faute de s'être interrogés sur le point de savoir si M. K... avait usé des voies de droit pour contester la légalité des arrêtés dont il invoque l'illégalité, les juges du fond ont à tout le moins privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ;

Mais attendu que l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ne subordonne pas la réparation des conséquences dommageables d'une décision administrative relative aux soins psychiatriques sous contrainte à l'exercice préalable par l'intéressé des voies de recours lui permettant de contester la légalité de cette décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur les troisième et quatrième moyens réunis :

Attendu que l'Agent judiciaire de l'Etat fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que, pour considérer que la mesure avait été maintenue arbitrairement, les juges du fond ont relevé que le juge des libertés et de la détention n'avait pas statué dans le délai de douze jours, comme le veut l'article R. 3211-16 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable ; qu'en statuant ainsi, sans constater que le préfet ait été informé et qu'une demande de mainlevée ait été formulée auprès de lui, les juges du fond ont violé les articles L. 3216-1 et R. 3211-16 du code de la santé publique ;

2°/ qu'en tout cas les juges du fond auraient dû s'expliquer sur le fait que par ordonnance du 27 août 2012, le magistrat délégataire du premier président, saisi en appel, avait confirmé l'ordonnance du 10 août 2012, qui aurait été rendue hors délai, et confirmé le maintien de l'hospitalisation ; qu'à cet égard, l'arrêt souffre à tout le moins d'un défaut de base légale de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ;

3°/ que la réparation octroyée doit être à l'exacte mesure du dommage découlant de l'irrégularité ; que le préjudice né de l'atteinte à la liberté ne peut donner lieu à réparation que s'il est établi que, sur le fond, la décision était injustifiée ; qu'en octroyant une indemnité à raison de la privation de liberté en se bornant à relever des irrégularités de forme sans constater que sur le fond la décision était injustifiée, les juges du fond, en statuant comme ils l'ont fait sur la demande de M. K..., ont violé l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ;

4°/ que le préjudice lié à la privation de liberté subie par le compagnon de la personne visée par la décision, ne peut donner lieu à réparation que s'il est constaté que, sur le fond, la mesure était injustifiée ; que faute d'avoir constaté que tel était le cas en l'espèce, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ;

5°/ que, si la personne visée par la décision comme la personne qui vit avec elle peut obtenir une réparation à raison des irrégularités de forme commises, cette réparation ne peut consister qu'en un préjudice moral découlant de ce que la décision n'a pas été prise selon les formes requises, des irrégularités de forme ne pouvant en aucune façon justifier, dès lors que la décision n'appelle la critique sur le fond, une réparation au titre de l'atteinte à la liberté ; qu'à cet égard également, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ;

Mais attendu que l'arrêt relève, d'une part, que le préfet ne justifie pas de la compétence, par délégation, de l'auteur de l'arrêté du 9 octobre 2012, d'autre part, que cette décision, malgré l'annexion d'un certificat médical, ainsi que les arrêtés préfectoraux des 12 juin, 15 juin et 10 juillet 2012 sont rédigés en termes généraux ne permettant pas de s'assurer que la personne présentait des troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l'ordre public ; qu'ayant ainsi caractérisé les irrégularités aux conséquences dommageables affectant ces décisions à l'origine des soins contraints, la cour d'appel en a exactement déduit que M. K... pouvait prétendre à l'indemnisation de l'entier préjudice né de l'atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d'office irrégulièrement ordonnée et Mme Q..., à l'indemnisation de son préjudice moral ; que le moyen, qui critique en ses deux premières branches des motifs surabondants, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 3216-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 ; article 18 de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 ; article L. 3216-1 du code de la santé publique.

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