Numéro 10 - Octobre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2019

REPRESENTATION DES SALARIES

Soc., 9 octobre 2019, n° 18-15.305, (P)

Rejet

Comité de groupe – Attributions – Attributions consultatives – Organisation, gestion et marche générale de l'entreprise – Examen annuel des comptes – Assistance d'un expert-comptable – Mission – Pouvoir d'investigation – Pièces communiquées – Exclusion – Cas – Procédure de désignation judiciaire d'un mandataire ad hoc – Portée

En application des articles L. 611-3 et L. 611-15 du code de commerce, doit être respectée, en cas de désignation judiciaire d'un mandataire ad hoc, une obligation de confidentialité justifiée par la discrétion nécessaire sur la situation de l'entreprise concernée et sur les éventuelles négociations entre dirigeants, actionnaires, créanciers et garants de celle-ci, il résulte tant de ses fondements que de l'objectif même de la procédure que son caractère confidentiel s'attache non seulement à la requête mais également aux documents ayant trait à la procédure mise en oeuvre et notamment à la cession envisagée, qui ne mettent pas en cause seulement la société mais également les créanciers et les repreneurs éventuels nécessairement impliqués dans cette procédure.

Il en résulte la cour d'appel, qui a constaté que les documents dont la communication était sollicitée par l'expert du comité de groupe avaient trait au mandat ad hoc qui avait été mis en oeuvre par la société et que par ailleurs la société avait transmis à l'expert les informations comptables et financières et les informations sociales du groupe pour lui permettre de remplir sa mission dans le cadre de l'examen des comptes annuels a pu en déduire l'absence de trouble manifestement illicite.

Sur le pourvoi principal de l'expert :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 février 2018), que la société Groupe Flo (la société) a mis en place, par accord collectif de groupe du 12 février 2016, un comité de groupe ; que ce dernier a décidé lors de sa réunion du 8 juin 2016 de recourir à l'assistance d'un cabinet d'expertise comptable pour l'examen des comptes annuels de la société Groupe Flo pour 2015 et désigné le cabinet société Diagoris (l'expert) à cette fin ; que la mission de l'expert a été étendue à l'examen des comptes annuels 2016 par décision du 26 janvier 2017 ; que le comité de groupe et l'expert ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance en février 2017 pour obtenir notamment communication par la société des documents ayant trait à la désignation du mandataire ad hoc, à la recherche de possibles repreneurs du groupe et aux cessions d'actifs envisagées ; que suite au rejet de cette demande par le président du tribunal de grande instance, l'expert a interjeté appel ;

Attendu que l'expert fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de communication d'informations complémentaires alors, selon le moyen :

1°/ que l'article L. 611-3 du code de commerce dispose que « le président du tribunal peut, à la demande d'un débiteur, désigner un mandataire ad hoc dont il détermine la mission.

Le débiteur peut proposer le nom d'un mandataire ad hoc.

La décision nommant le mandataire ad hoc est communiquée pour information aux commissaires aux comptes lorsqu'il en a été désigné.

Le tribunal compétent est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale et le tribunal de grande instance dans les autres cas.

Le débiteur n'est pas tenu d'informer le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de la désignation d'un mandataire ad hoc » ; que l'exception à l'obligation générale de l'employeur d'informer les représentants du personnel et l'expert de tout élément affectant la marche de l'entreprise ne concerne que la seule désignation du mandataire ad hoc ; qu'après avoir constaté que le texte mentionnait que la société n'était pas tenue d'aviser le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de la « désignation » d'un mandataire ad hoc, la cour d'appel a décidé que l'entreprise pouvait, sans qu'il en résulte un trouble manifestement illicite, ne pas déférer aux demandes de l'expert-comptable désigné par le comité de groupe, lesquelles visaient pourtant à obtenir des informations, non pas sur la seule désignation d'un mandataire ad hoc déjà rendue publique par la société elle-même, mais des documents ayant trait à la recherche de possibles repreneurs du groupe en difficulté, notamment tout document de nature à les informer sur le déroulement et les suites réservées au mandat ad hoc, les cessions d'actifs envisagées, la recherche de possibles repreneurs, à ordonner à la société Groupe Flo de convoquer sous les mêmes conditions un comité de groupe extraordinaire ayant pour objet d'informer/consulter le comité sur ces points, à obtenir la communication à la société Diagoris des documents visés dans sa lettre de mission, les informations concernant le processus de cession en cours, la procédure de mandat ad hoc et les pièces visées dans sa demande de communication complémentaire du 1er février 2017 ; qu'elle a ainsi violé les articles L. 611-3 du code de commerce et 809 du code de procédure civile ;

2°/ que selon l'article L. 2334-4 du code du travail, pour l'exercice des missions prévues par l'article L. 2332-1, le comité de groupe peut se faire assister par un expert-comptable ; que pour opérer toute vérification ou tout contrôle entrant dans l'exercice de ses missions, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que les commissaires aux comptes des entreprises constitutives du groupe ; qu'il n'appartient qu'au seul expert-comptable désigné, qui dispose d'un droit de communication des documents nécessaires à l'exercice de sa mission, d'apprécier les documents utiles à cet exercice et que le refus opposé constitue un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge de faire cesser ; qu'en ayant dit que l'absence de communication au cabinet d'expertise comptable Diagoris, désigné par le comité de groupe, des informations et documents qu'il sollicitait, ne caractérisait aucun trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 2334-4 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;

3°/ que selon l'article L. 2325-36 du code du travail, la mission de l'expert-comptable porte sur tous les documents d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise et que pour l'exercice de ses missions, l'expert-comptable doit avoir accès, comme le commissaire aux comptes, aux documents concernant les autres sociétés du groupe ; qu'en ayant rejeté les demandes de l'expert-comptable désigné par le comité de groupe visant à obtenir des documents ayant trait à la recherche de possibles repreneurs du groupe en difficulté, notamment tout document de nature à les informer sur le déroulement et les suites réservées au mandat ad hoc, les cessions d'actifs envisagées, la recherche de possibles repreneurs, à ordonner à la société Groupe Flo de convoquer sous les mêmes conditions un comité de groupe extraordinaire ayant pour objet d'informer/consulter le comité sur ces points, à obtenir la communication à la société Diagoris des documents visés dans sa lettre de mission, les informations concernant le processus de cession en cours et la procédure de mandat ad hoc et les pièces visées dans sa demande de communication complémentaire du 1er février 2017, et en ayant écarté l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les articles L. 2325-36 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;

4°/ et en tout état de cause, que l'expert-comptable est tenu, en vertu de l'article L. 2325-42 du code du travail, à des obligations de secret et de discrétion, et ne peut donc se voir opposer le caractère confidentiel des documents qu'il demande ; que la cour d'appel a dit n'y avoir lieu à communication d'informations sur la procédure de mandat ad hoc au cabinet d'expertise comptable Diagoris, en raison de la confidentialité absolue attachée par la loi à la procédure amiable, et que l'obligation de confidentialité, justifiée par la discrétion nécessaire sur la situation de l'entreprise concernée et sur les éventuelles négociations entre dirigeants, actionnaires, créanciers et garants de celle-ci, devait être strictement respectée, de sorte qu'il ne pouvait être exigé de l'entreprise ayant sollicité cette mesure qu'elle déroge à cette règle qui s'impose à elle, cette confidentialité ayant été instituée pour le bon déroulement et l'efficacité des négociations en cours et, le cas échéant, la conclusion d'un accord sous le contrôle d'un tiers spécialisé, que son caractère confidentiel s'attache non seulement à la requête mais également aux documents ayant trait à la procédure mise en oeuvre et notamment à la cession envisagée ; qu'en déboutant pour ces motifs la société Diagoris de ses demandes et en écartant l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les articles L. 2325-42 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté que les documents dont la communication était sollicitée par l'expert du comité de groupe dans le courrier adressé le 1er février 2017 par l'expert à la société (marques d'intérêts ou lettre d'intention des acquéreurs potentiels, offres fermes éventuelles, calendrier du processus de cession, Vendor Due Diligence éventuels), avaient trait au mandat ad hoc qui avait été mis en oeuvre en novembre 2016 par la société, et relevé qu'en application des articles L. 611-3 et L. 611-15 du code de commerce, doit être respectée une obligation de confidentialité justifiée par la discrétion nécessaire sur la situation de l'entreprise concernée et sur les éventuelles négociations entre dirigeants, actionnaires, créanciers et garants de celle-ci, qu'il résulte tant de ses fondements que de l'objectif même de la procédure que son caractère confidentiel s'attache non seulement à la requête mais également aux documents ayant trait à la procédure mise en oeuvre et notamment à la cession envisagée, qui ne mettent pas en cause seulement la société mais également les créanciers et les repreneurs éventuels nécessairement impliqués dans cette procédure, la cour d'appel, qui a constaté par ailleurs que la société avait transmis à l'expert en octobre, novembre 2016 et en janvier 2017 les informations comptables et financières et les informations sociales du groupe pour lui permettre de remplir sa mission, sans que l'expert n'apporte la preuve contraire, ne détaillant pas les éléments qui seraient manquants, a pu en déduire l'absence de trouble manifestement illicite ; que le moyen, inopérant en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu que le rejet du pourvoi principal rend sans objet le pourvoi incident éventuel formé par l'employeur ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Articles L. 611-3 et L. 611-15 du code de commerce.

Soc., 23 octobre 2019, n° 18-16.057, (P)

Cassation partielle

Règles communes – Contrat de travail – Licenciement – Mesures spéciales – Domaine d'application – Salarié protégé dont le mandat est venu à expiration – Convocation à l'entretien préalable – Convocation au cours de la période de protection – Autorisation administrative – Nécessité – Portée

Selon l'article L. 2411-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, l'autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement. Est irrégulier le licenciement, sans autorisation de l'inspecteur du travail, du salarié convoqué à l'entretien préalable avant le terme de la période de protection, peu important que l'employeur dans la lettre de licenciement retienne par ailleurs des faits commis postérieurement à l'expiration de la période de protection.

Viole ce texte la cour d'appel qui rejette la demande d'annulation du licenciement d'un salarié, alors qu'elle a constaté que l'employeur avait engagé la procédure de licenciement tandis que le salarié bénéficiait encore d'une protection et que l'employeur n'avait pas saisi l'inspecteur du travail.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. I..., a été engagé à compter du 1er février 2002 par la société Coppet Automobiles, devenue la société Blandin concept automobiles, et exerçait en dernier lieu les fonctions de technicien après-vente ; qu'il a été élu délégué du personnel le 5 novembre 2009 ; que l'employeur l'a convoqué, le 28 avril 2014, à un entretien préalable au licenciement fixé au 9 mai 2014 et l'a licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 15 mai 2014 ;

Sur le moyen unique pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu l'article L. 2411-5 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ;

Attendu que l'autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement ; qu'est irrégulier le licenciement, sans autorisation de l'inspecteur du travail, du salarié convoqué à l'entretien préalable avant le terme de la période de protection, peu important que l'employeur dans la lettre de licenciement retienne par ailleurs des faits commis postérieurement à l'expiration de la période de protection ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en nullité de licenciement et de ses demandes subséquentes de réintégration dans l'entreprise, de rappel de salaires pendant la période d'éviction, de paiement de trente mois de salaires en cas de refus de réintégration et de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié des faits commis durant la période de protection prévue par l'article L. 2411-5 du code du travail et des manquements postérieurs à celle-ci, qui expirait le 5 mai 2014, que si les faits commis pendant la période de protection sont soumis à l'autorisation de l'inspection du travail, il en va différemment de ceux constatés à l'issue de celle-ci, l'employeur disposant de la faculté de prononcer le licenciement à raison de ces faits postérieurs à cette période, sans être tenu de solliciter l'autorisation de l'inspection du travail, que la circonstance que la procédure de licenciement ait été engagée durant la période de protection, par lettre de convocation datée du 28 avril 2014 ou que l'inspecteur du travail se soit prononcé par lettre du 12 juin 2014 en faveur de la nécessité de sa saisine, sont sans incidence, dès lors que le licenciement est justifié par des faits postérieurs à la période de protection ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur avait engagé la procédure de licenciement tandis que le salarié bénéficiait encore d'une protection et que l'employeur n'avait pas saisi l'inspecteur du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'annulation du licenciement de M. I... prononcé le 15 mai 2014 par la société Blandin concept automobiles, rejette les demandes corrélatives d'indemnisation et de réintégration formulées par M. I... et dit que le licenciement de M. I... est pourvu d'une cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 5 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article L. 2411-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de solliciter l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé dès lors que l'envoi de la convocation à l'entretien préalable intervient pendant la période de protection, à rapprocher : Soc., 26 mars 2013, pourvoi n° 11-27.964, Bull. 2013, V, n° 83 (1) (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 11 octobre 2017, pourvoi n° 16-11.048, Bull. 2017, V, n° 180 (cassation partielle).

Soc., 9 octobre 2019, n° 18-13.529, (P)

Rejet

Règles communes – Fonctions – Exercice – Effets – Evolution professionnelle – Valorisation des compétences – Modalités – Accord collectif – Contenu – Détermination – Portée

Il résulte des dispositions de l'article L. 2141-5 du code du travail que, pour la prise en compte dans son évolution professionnelle de l'expérience acquise par le salarié dans l'exercice de ses mandats représentatifs ou syndicaux, un accord collectif peut prévoir un dispositif, facultatif pour l'intéressé, permettant une appréciation par l'employeur, en association avec l'organisation syndicale, des compétences mises en oeuvre dans l'exercice du mandat, susceptible de donner lieu à une offre de formation et dont l'analyse est destinée à être intégrée dans l'évolution de carrière du salarié.

Règles communes – Fonctions – Exercice – Effets – Evolution professionnelle – Valorisation des compétences – Modalités – Accord collectif – Contenu – Dispositions prévoyant l'élaboration d'un référentiel par l'employeur – Atteinte au principe de la liberté syndicale – Défaut – Conditions – Détermination – Portée

L'accord collectif qui prévoit, dans le cadre des dispositions visant à faciliter l'exercice de mandats syndicaux ou représentatifs par la valorisation des compétences mises en oeuvre par les salariés dans l'exercice de ces mandats, l'élaboration par l'employeur, après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, d'un référentiel dont l'objet est d'identifier ces compétences ainsi que leur degré d'acquisition dans le but de les intégrer au parcours professionnel du salarié et dont le juge a vérifié le caractère objectif et pertinent, ne porte pas atteinte au principe de la liberté syndicale, l'employeur étant tenu en tout état de cause dans la mise en oeuvre de l'accord au respect des prescriptions des articles L. 1132-1 et L. 2141-5, alinéa 1, du code du travail.

1. Donne acte à la Confédération générale du travail de son intervention.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 2018), un accord « sur le parcours professionnel des représentants du personnel au sein du groupe BPCE » a été conclu le 28 janvier 2016 entre la société BPCE et les organisations syndicales CFDT, UNSA et CFE-CGC représentant 60 % des salariés.

3. Parmi les mesures prévues pour l'accompagnement lors de l'exercice d'un mandat figure un entretien d'appréciation des compétences et d'évaluation professionnelle.

4. La fédération CGT des syndicats du personnel de la banque et de l'assurance (FSPBA-CGT) et le syndicat CGT des personnels de Natixis et ses filiales ont fait assigner la société BPCE et les organisations syndicales signataires ainsi que le syndicat FO devant le tribunal de grande instance afin que l'article 3.1.1 de l'accord mettant en place cet entretien soit déclaré illégal.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le syndicat FSPBA-CGT et le syndicat CGT des personnels de Natixis et ses filiales font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes d'annulation et d'inopposabilité de l'article 3.1.1 de l'accord du 28 janvier 2016 ainsi que de tous actes d'application, de rappeler, en tant que de besoin, que l'accord collectif susmentionné du 28 janvier 2016 était applicable dans son intégralité et de les débouter de l'ensemble de leurs autres demandes formées à l'encontre de la société BPCE, alors :

1°/ qu' « il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de formation professionnelle, d'avancement ou de rémunération ; qu'en conséquence, sauf application d'un accord collectif visant à en assurer la neutralité ou à le valoriser, l'exercice d'activités syndicales ne peut être pris en considération dans l'évaluation professionnelle d'un salarié ; qu'en l'espèce, l'accord sur le parcours professionnel des représentants du personnel au sein du groupe BPCE prévoit la tenue d'un entretien d'appréciation des compétences et d'évaluation professionnelle ayant pour objet de procéder à une évaluation des compétences mobilisées au titre de l'exercice de leurs mandats par les représentants du personnel ; que, selon les constatations de la cour d'appel, cette évaluation, dont les résultats sont intégrés dans le cadre de la gestion de carrière et du parcours professionnel des représentants du personnels, peut conduire l'employeur à définir, avec le salarié concerné, des axes de progrès avec élaboration éventuelle d'un plan de progrès pouvant comporter des actions de formation ou d'accompagnement ; qu'il s'en déduit qu'en application des stipulations conventionnelles en cause, l'employeur peut être amené à prendre en considération l'évaluation qu'il fait de la façon dont le représentant du personnel concerné exerce ses mandats pour arrêter ses décisions le concernant en matière de formation, d'avancement ou de rémunération ; qu'en considérant néanmoins que le dispositif résultant de l'accord entre BPCE et les organisations syndicales était conforme aux dispositions légales dès lors que l'appréciation des compétences mobilisées dans le cadre du mandat du représentant du personnel reposait sur des éléments précis et objectifs faisant l'objet d'une méthodologie excluant toute discrimination, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2141-5 et L. 2141-8 du code du travail » ;

2°/ que « les dispositions de l'article L. 2141-5 en vertu desquelles il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de formation professionnelle, d'avancement ou de rémunération, sont d'ordre public ; qu'en conséquence, il ne peut y être dérogé par voie d'accord collectif, sauf accord visant à assurer la neutralité ou la valorisation de ces activités, ni avec l'accord du salarié ; qu'en l'espèce, pour considérer que le dispositif résultant de l'accord entre BPCE et les organisations syndicales était conforme aux dispositions légales, la cour d'appel a notamment relevé, d'une part, que ce dispositif était l'aboutissement d'un long processus de négociation et que son adoption avait été approuvée par des syndicats représentant plus de 60 % des salariés du groupe BPCE et, d'autre part, qu'il présentait un caractère facultatif, le salarié ayant le libre choix de participer à l'entretien d'appréciation des compétences et d'évaluation professionnelle prévu par les stipulations conventionnelles litigieuses ; qu'en statuant par ces motifs inopérants quand il ressortait de ses constatations que le dispositif ainsi mis en place conduisait l'employeur à prendre en considération l'évaluation qu'il fait de la façon dont le représentant du personnel concerné exerce ses mandats pour arrêter ses décisions en matière de formation, d'avancement ou de rémunération de ce salarié, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2141-5 et L. 2141-8 du code du travail » ;

3°/ que « le principe de liberté syndicale implique l'indépendance des syndicats dans l'exercice de leurs activités et leur protection contre tout acte d'ingérence de l'employeur dans leur fonctionnement et leur administration ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que l'évaluation des compétences mobilisées au titre de l'exercice des mandats prévue par les stipulations conventionnelles litigieuses est réalisée par le directeur des ressources humaines, sur la base de supports d'évaluation et d'appréciation élaborés par la direction, ce dernier appréciant notamment, au vu de l'évaluation ainsi réalisée, si une formation ou un accompagnement du représentant du personnel évalué est nécessaire ; qu'il s'en déduit que le dispositif d'appréciation des compétences mis en place en application de ces dispositions conduit l'employeur à évaluer la qualité de l'activité syndicale des représentants du personnel et leurs besoins en formation dans ce cadre ; qu'en retenant néanmoins que ce dispositif excluait toute atteinte à la liberté syndicale dès lors que l'évaluation était menée « sous le regard croisé » de l'organisation syndicale à laquelle appartient le salarié évalué, que le processus mis en place exclut toute appréciation discrétionnaire de la part de l'employeur et qu'il a été « validé », à l'issue d'une phase d'expérimentation par les organisations syndicales ayant signé l'accord, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble celles de l'article 3 de la convention n° 87 de l'OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et de l'article 2 de la convention n° 98 de l'OIT sur le droit d'organisation et de négociation collective. »

Réponse de la Cour

6. En application des termes de l'article L. 2141-5 du code du travail, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prend en compte l'expérience acquise, dans le cadre de l'exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle.

Au début de son mandat, le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d'un mandat syndical bénéficie, à sa demande, d'un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités pratiques d'exercice de son mandat au sein de l'entreprise au regard de son emploi. Il peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Cet entretien ne se substitue pas à l'entretien professionnel mentionné à l'article L. 6315-1.

Lorsque l'entretien professionnel est réalisé au terme d'un mandat de représentant du personnel titulaire ou d'un mandat syndical et que le titulaire du mandat dispose d'heures de délégation sur l'année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l'établissement, l'entretien permet de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l'expérience acquise.

7. Il résulte de ces dispositions que, pour la prise en compte dans son évolution professionnelle de l'expérience acquise par le salarié dans l'exercice de ses mandats représentatifs ou syndicaux, un accord collectif peut prévoir un dispositif, facultatif pour l'intéressé, permettant une appréciation par l'employeur, en association avec l'organisation syndicale, des compétences mises en oeuvre dans l'exercice du mandat, susceptible de donner lieu à une offre de formation et dont l'analyse est destinée à être intégrée dans l'évolution de carrière du salarié.

8. Par ailleurs, l'accord collectif qui prévoit, dans le cadre des dispositions visant à faciliter l'exercice de mandats syndicaux ou représentatifs par la valorisation des compétences mises en oeuvre par les salariés dans l'exercice de ces mandats, l'élaboration par l'employeur, après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, d'un référentiel dont l'objet est d'identifier ces compétences ainsi que leur degré d'acquisition dans le but de les intégrer au parcours professionnel du salarié et dont le juge a vérifié le caractère objectif et pertinent, ne porte pas atteinte au principe de la liberté syndicale, l'employeur étant tenu en tout état de cause dans la mise en oeuvre de l'accord au respect des prescriptions des articles L. 1132-1 et L. 2141-5, alinéa 1, du code du travail.

9. La cour d'appel qui, constatant par motifs propres qu'après constitution d'un groupe de travail, la négociation, qui comprenait une phase d'expérimentation, sur la mise en place pour les représentants du personnel d'un entretien d'appréciation des compétences et d'évaluation professionnelle avait permis la prise en compte de plusieurs suggestions des organisations syndicales, que l'appréciation des compétences était menée selon un processus en plusieurs étapes sous le regard croisé de l'organisation syndicale du salarié et d'un représentant de l'employeur devant avoir participé aux instances dans lesquelles le salarié exerce son mandat, que les critères d'appréciation étaient objectifs et vérifiables et, par motifs adoptés, le caractère transversal entre les métiers et le mandat des compétences contenues dans le référentiel, a retenu que l'appréciation des compétences mises en oeuvre dans le cadre du mandat du représentant du personnel reposait sur des éléments précis et objectifs qui font l'objet d'une méthodologie excluant toute discrimination ou atteinte à la liberté syndicale, a fait une exacte application des textes et principe précités.

10. Il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Basset - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 2141-5 du code du travail.

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