Numéro 10 - Octobre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2019

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

Soc., 9 octobre 2019, n° 18-14.677, (P)

Cassation partielle

Libertés fondamentales – Domaine d'application – Droit d'agir en justice – Droit exercé par le salarié – Atteinte – Cas – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 1er avril 1996 par la société Cars Giraux, aux droits de laquelle vient la société Transports voyageurs du Mantois, pour occuper au dernier état de la relation contractuelle les fonctions de responsable du service contrôle, M. S... a saisi le 3 mars 2013 la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de rappel de salaire et de prime de caisse ; que le 27 octobre 2014, il a été convoqué à un premier entretien préalable à licenciement fixé au 6 novembre 2014 ; que le 13 novembre 2014, il a fait l'objet d'une nouvelle convocation à entretien préalable fixé au 20 novembre 2014 avec mise à pied conservatoire compte tenu de nouveaux faits invoqués par l'employeur ; qu'à l'issue de la procédure administrative d'autorisation de licencier devenue sans objet en raison de la perte de la qualité de salarié protégé, il a été licencié pour faute grave le 31 août 2015 ;

Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement du salarié, d'ordonner sa réintégration sous astreinte, de le condamner à lui verser des sommes à titre de rappel de salaire et congés payés afférents, alors, selon le moyen :

1°/ que la cour d'appel qui n'est pas saisie de conclusions par l'intimé doit seulement, pour statuer sur l'appel, examiner les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de cette partie en première instance ; qu'il ne résulte d'aucun des motifs du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie que la matérialité des falsifications reprochées au salarié ou les pressions exercées par lui sur ses subordonnés aient été remises en causes ou même contestées ; que pour retenir la nullité du licenciement, le conseil de prud'hommes s'était exclusivement fondé sur « la chronologie des faits » qui aurait démontré, selon les premiers juges, « que la société TVM a procédé à des mesures disciplinaires directement liées à la procédure prud'homale engagée à son encontre par Monsieur Y... S... » ; que dès lors, en reprochant à la société TVM de ne pas établir la falsification des documents produits par le salarié devant la juridiction prud'homale ni les pressions exercées par celui-ci sur d'autres salariés, ce dont elle a déduit la nullité du licenciement, ces moyens ne figurant pas dans les motifs du jugement et n'étant pas davantage soutenus par le salarié, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que l'employeur peut, de bonne foi, procéder au licenciement d'un salarié dont il estime qu'il a falsifié des fichiers sur le réseau informatique de l'entreprise, manipulé des collègues de travail pour obtenir des témoignages et exercé des pressions sur l'un d'entre eux ; qu'en considérant que la société TVM ne parvenait pas à suffisamment établir la matérialité de ces faits, sans toutefois relever le moindre élément montrant qu'elle aurait été de mauvaise foi ou cherché à porter atteinte au droit du salarié d'ester en justice, la cour d'appel pouvait seulement en tirer pour conséquence que le licenciement litigieux était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en considérant au contraire que la défaillance de la société TVM à apporter la preuve de la matérialité des faits énoncés dans la lettre de licenciement caractérisait nécessairement une atteinte à la liberté fondamentale d'ester en justice, la cour d'appel a violé par fausse application les articles 6, § 1, et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail ;

3°/ qu'il en va d'autant plus ainsi qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'action exercée par le salarié avait été introduite devant le conseil de prud'hommes dix-huit mois plus tôt sans que cela ne suscite de réaction hostile de la société TVM, et que ce n'était qu'après la production des pièces qu'elle estimait falsifiées, sur la foi d'une enquête interne et de l'avis d'un spécialiste informatique, et après avoir reçu des témoignages de salariés faisant état des pressions exercées par le salarié, que la procédure de licenciement a été engagée ; qu'en considérant qu'en dépit de ces éléments montrant que la mesure de licenciement était objectivement étrangère à toute atteinte au droit du salarié à exercer son droit d'ester en justice, la cour d'appel a méconnu son office et violé les articles 6, § 1, et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail ;

4°/ que la production de pièces en justice est encadrée par les règles du code de procédure civile et ne constitue pas une liberté fondamentale ; qu'il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que la défaillance de la société TVM à établir la falsification des pièces par le salarié et la manipulation de ses collègues de travail n'a porté que sur la seule communication des pièces devant la juridiction prud'homale et non la saisine de cette dernière ; qu'en prononçant dès lors la nullité du licenciement, la cour d'appel a violé par fausse application les articles 6, § 1, et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail ;

Mais attendu qu'ayant constaté que l'employeur reprochait au salarié dans la lettre de licenciement d'avoir produit dans le cadre de l'instance prud'homale des documents internes falsifiés ainsi que des attestations de salariés obtenues par abus de sa position hiérarchique et que ces faits n'étaient pas établis, la cour d'appel en a, sans méconnaître les termes du litige, exactement déduit que le licenciement était en lien avec l'exercice par le salarié de son droit d'ester en justice et était nul ; que le moyen, inopérant en sa deuxième branche et manquant en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :

Vu l'article 1153 devenu l'article 1231-6 du code civil ;

Attendu que la cour d'appel a confirmé le jugement qui condamnait l'employeur à réintégrer le salarié et à lui payer les sommes de 30 190,32 euros à titre de rappel de salaire depuis son éviction et 3 019,03 euros au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2013, date de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation ;

Qu'en statuant ainsi, alors d'une part, qu'il résulte de ses constatations que le salarié a été licencié le 31 août 2015 en sorte qu'il ne peut bénéficier d'intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2013 et d'autre part, que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter du jour où le salarié formalise sa demande en réintégration et en paiement de rappel de salaires et à compter de chaque échéance devenue exigible, la cour d'appel a violé le textes susvisé ;

Et attendu qu'il y a lieu de condamner la société, qui succombe pour l'essentiel, aux dépens de l'instance ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe au 8 mars 2013 le point de départ des intérêts au taux légal sur les sommes de 30 190,32 euros et 3 019,03 euros allouées à titre de rappel de salaires et congés payés afférents, l'arrêt rendu le 7 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles 6, § 1, et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 1121-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la nullité du licenciement intervenu en raison d'une atteinte au droit d'agir en justice, à rapprocher : Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, Bull. 2018, (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 9 octobre 2019, n° 17-24.773, (P)

Rejet

Libertés fondamentales – Domaine d'application – Droit d'agir en justice – Droit exercé par le salarié – Atteinte – Preuve – Charge – Détermination – Portée

Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 2017), qu'engagé le 8 mars 2004 par la société Assurances 2000 en qualité d'attaché commercial, M. Y... a saisi le 15 septembre 2011 la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'heures supplémentaires et de primes ; que mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable le 29 septembre 2011, il a été licencié pour faute grave par lettre du 13 octobre 2011, au motif qu'il aurait eu le 29 septembre 2011 une attitude agressive et injurieuse à l'égard de deux supérieurs hiérarchiques et aurait dénigré l'entreprise ;

Sur les trois dernières branches du moyen unique du pourvoi principal du salarié et le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les autres branches du moyen unique du pourvoi principal du salarié :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement justifié et de rejeter l'ensemble de ses demandes à ce titre, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque le licenciement intervient concomitamment à la saisine du conseil de prud'hommes par le salarié, il appartient à l'employeur d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d'agir en justice ; qu'à défaut, le licenciement est nul ; qu'en déboutant le salarié de sa demande en nullité du licenciement qui a suivi sa saisine du conseil de prud'hommes, au motif qu'il n'apportait pas la preuve de ce que les événements du 29 septembre 2011 qui ont motivé son licenciement avaient eu pour origine son action prud'homale, quand il bénéficiait d'une présomption à cet égard qu'il appartenait à l'employeur de renverser en apportant la preuve contraire, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en jugeant qu'aucun élément ne permettait de rattacher les événements du 29 septembre 2011 à la procédure prud'homale qu'il venait d'initier à l'encontre de son employeur, sans avoir recherché si, comme le salarié le soutenait dans ses conclusions d'appel, la société ASSU 2000 n'avait pas soudainement évoqué de prétendues difficultés commerciales de l'agence depuis 2008, sans aucune remarque ni rappel à l'ordre préalable, le mois précisément où le salarié avait réalisé le meilleur chiffre commercial des agences de son secteur, ce qui était de nature à établir que l'incident et la décision de le licencier était en lien avec la procédure prud'homale récemment initiée par le salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits ;

Et attendu que la cour d'appel a constaté, d'une part, que les faits invoqués dans la lettre de licenciement étaient caractérisés, et, d'autre part, procédant implicitement mais nécessairement à la recherche prétendument omise, que le déplacement à l'agence de deux supérieurs hiérarchiques avait pour but de trouver une solution concernant les mauvais résultats commerciaux de l'agence, lesquels étaient établis par la production d'extraits informatiques, ce dont il résultait que le salarié ne démontrait pas l'existence d'éléments permettant de rattacher les événements du 29 septembre 2011 à la procédure prud'homale précédemment engagée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 1221-1 du code du travail ; article 1315 du code civil, dans sa version alors applicable ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de prouver l'atteinte à la liberté d'agir en justice du salarié en cas de licenciement pour cause réelle et sérieuse, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-20.460, Bull. 2017, V, n° 146 (2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

1re Civ., 10 octobre 2019, n° 18-21.871, (P)

Rejet

Respect de la vie privée – Atteinte – Défaut – Cas – Proportionnalité par rapport aux droits et intérêts en cause

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 26 juin 2018), que la société France télévisions a diffusé, le 13 octobre 2016, dans l'émission « Envoyé spécial », un reportage consacré à la crise de la production laitière intitulé « Sérieusement ?! Lactalis : le beurre et l'argent du beurre » ; que, soutenant qu'une séquence de ce reportage faisait mention du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes, et invoquant l'atteinte portée à sa vie privée, M. C..., président du conseil de surveillance de la société Lactalis, l'a assignée, sur le fondement des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, aux fins d'obtenir réparation de son préjudice, ainsi que des mesures d'interdiction et de publication judiciaire ;

Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que le conflit entre les droits fondamentaux d'égale valeur garantis par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au titre de la protection de la vie privée et l'article 10 de la même Convention relatif à la liberté d'expression, impose aux juridictions de mettre en balance les intérêts en présence au regard de six critères tenant à la contribution à un débat d'intérêt général, à la notoriété de la personne visée et à l'objet du reportage, au comportement antérieur de la personne visée, au contenu, à la forme et aux répercussions de la publication, aux circonstances des prises de vue, enfin, à la gravité de la sanction requise ou imposée à l'organe de presse ; que ces critères ne sont pas alternatifs mais cumulatifs ; qu'en se fondant en l'espèce sur les trois premiers critères à l'exclusion des suivants qui n'ont pas été examinés par l'arrêt (répercussion de la publication, circonstance des prises de vue et mesure de la sanction requise), la cour d'appel ne peut passer comme ayant établi avec la précision nécessaire la balance des intérêts en présence, violant ainsi l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la liberté de divulguer des éléments de la vie privée qui seraient déjà disponibles dans le « domaine public » n'est pas en principe absolue ; que, sur le terrain de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel devait examiner, d'une part, le contexte particulier de la divulgation incriminée, laquelle associait en l'espèce, à une heure de grande écoute, le nom et les qualités du requérant, la localisation de sa propriété privée et le chemin d'accès à cette dernière, d'autre part, le comportement antérieur du demandeur, lequel, loin d'avoir été volontairement à l'origine des divulgations antécédentes dans des conditions excluant qu'il puisse s'en plaindre ultérieurement, faisait valoir qu'il avait toujours au contraire entendu préserver sa vie privée ; qu'en se bornant à l'affirmation inopérante selon laquelle les éléments litigieux eussent déjà été disponibles dans le domaine public sans opposition du requérant, la cour d'appel, qui ne s'est pas davantage expliquée sur la portée de l'ingérence contestée sous le rapport de la vie privée de M. C..., dans le contexte précis de la cause, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que la justification d'une atteinte constatée à la vie privée du requérant par l'existence d'un débat général sur la « crise du lait » dans le cadre d'un conflit de droits entre les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui sont d'égale valeur, commande a minima de la part des juges du fond une appréciation concrète de la nécessité d'une ingérence dans la vie privée prétendant s'autoriser de la liberté d'expression ; qu'en se bornant à relever que la divulgation contestée « s'inscrivait » dans le contexte d'un débat d'intérêt public sans autrement s'expliquer sur la nécessité corrélative d'une atteinte à la vie privée du requérant, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que, le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; que, pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, I... et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93) ; qu'il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, publié) ;

Et attendu qu'après avoir retenu que les indications fournies dans la séquence litigieuse, qui permettent une localisation exacte du domicile de M. C..., caractérisent une atteinte à sa vie privée, l'arrêt relève, d'abord, que le reportage en cause évoque, notamment, la mobilisation des producteurs laitiers contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des prix trop bas, et compare la situation financière desdits producteurs à celle du dirigeant du premier groupe laitier mondial ; qu'il ajoute que l'intégralité du patrimoine immobilier de M. C... n'est pas détaillée, les informations délivrées portant exclusivement sur le bien que ce dernier possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans le reportage, de sorte que ces informations s'inscrivent dans le débat d'intérêt général abordé par l'émission ; qu'il énonce, ensuite, par motifs propres et adoptés, que M. C..., en sa qualité de dirigeant du groupe Lactalis, est un personnage public et que, bien que le nom et la localisation de sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués dans la presse écrite, il n'a pas, par le passé, protesté contre la diffusion de ces informations ; qu'il constate, enfin, que la vue d'ensemble de la propriété de M. C... peut être visionnée grâce au service de cartographie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage incriminé, le journaliste n'a pas pénétré sur cette propriété privée ; que la cour d'appel, qui a ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en oeuvre pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d'expression et qui n'avait pas à effectuer d'autres recherches, a légalement justifié sa décision de retenir que l'atteinte portée à la vie privée de M. C... était légitimée par le droit à l'information du public ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat(s) : Me Bouthors ; SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller -

Textes visés :

Articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil.

Rapprochement(s) :

CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, n° 40454/07. A rapprocher : 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, Bull. 2018, I, n° 56 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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