Numéro 10 - Octobre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2019

PREUVE

Soc., 9 octobre 2019, n° 17-24.773, (P)

Rejet

Règles générales – Charge – Applications diverses – Contrat de travail – Licenciement – Licenciement postérieur à la demande en justice du salarié – Preuve d'une mesure de rétorsion de l'employeur – Conditions – Détermination

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 2017), qu'engagé le 8 mars 2004 par la société Assurances 2000 en qualité d'attaché commercial, M. Y... a saisi le 15 septembre 2011 la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'heures supplémentaires et de primes ; que mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable le 29 septembre 2011, il a été licencié pour faute grave par lettre du 13 octobre 2011, au motif qu'il aurait eu le 29 septembre 2011 une attitude agressive et injurieuse à l'égard de deux supérieurs hiérarchiques et aurait dénigré l'entreprise ;

Sur les trois dernières branches du moyen unique du pourvoi principal du salarié et le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les autres branches du moyen unique du pourvoi principal du salarié :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement justifié et de rejeter l'ensemble de ses demandes à ce titre, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque le licenciement intervient concomitamment à la saisine du conseil de prud'hommes par le salarié, il appartient à l'employeur d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d'agir en justice ; qu'à défaut, le licenciement est nul ; qu'en déboutant le salarié de sa demande en nullité du licenciement qui a suivi sa saisine du conseil de prud'hommes, au motif qu'il n'apportait pas la preuve de ce que les événements du 29 septembre 2011 qui ont motivé son licenciement avaient eu pour origine son action prud'homale, quand il bénéficiait d'une présomption à cet égard qu'il appartenait à l'employeur de renverser en apportant la preuve contraire, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en jugeant qu'aucun élément ne permettait de rattacher les événements du 29 septembre 2011 à la procédure prud'homale qu'il venait d'initier à l'encontre de son employeur, sans avoir recherché si, comme le salarié le soutenait dans ses conclusions d'appel, la société ASSU 2000 n'avait pas soudainement évoqué de prétendues difficultés commerciales de l'agence depuis 2008, sans aucune remarque ni rappel à l'ordre préalable, le mois précisément où le salarié avait réalisé le meilleur chiffre commercial des agences de son secteur, ce qui était de nature à établir que l'incident et la décision de le licencier était en lien avec la procédure prud'homale récemment initiée par le salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits ;

Et attendu que la cour d'appel a constaté, d'une part, que les faits invoqués dans la lettre de licenciement étaient caractérisés, et, d'autre part, procédant implicitement mais nécessairement à la recherche prétendument omise, que le déplacement à l'agence de deux supérieurs hiérarchiques avait pour but de trouver une solution concernant les mauvais résultats commerciaux de l'agence, lesquels étaient établis par la production d'extraits informatiques, ce dont il résultait que le salarié ne démontrait pas l'existence d'éléments permettant de rattacher les événements du 29 septembre 2011 à la procédure prud'homale précédemment engagée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 1221-1 du code du travail ; article 1315 du code civil, dans sa version alors applicable ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de prouver l'atteinte à la liberté d'agir en justice du salarié en cas de licenciement pour cause réelle et sérieuse, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-20.460, Bull. 2017, V, n° 146 (2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

Soc., 9 octobre 2019, n° 17-16.642, (P)

Cassation partielle

Règles générales – Charge – Applications diverses – Contrat de travail – Salaire – Egalité des salaires – Atteinte au principe – Défaut – Conditions – Eléments objectifs justifiant la différence de traitement – Présomption – Exclusion – Domaine d'application – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme C..., engagée le 7 avril 1975 par la société Le Crédit Lyonnais (la société) au sein de laquelle elle occupait en dernier lieu le poste de conseiller privé, a obtenu en 2011 la médaille d'honneur du travail pour trente-cinq années de service et en 2015 la médaille d'honneur du travail, échelon grand or, correspondant à quarante années de service ; que s'estimant victime d'une discrimination fondée sur l'âge découlant des dispositions transitoires d'un accord collectif signé le 24 janvier 2011 au sein de la société et prévoyant de nouvelles modalités d'attribution des gratifications liées à l'obtention des médailles d'honneur du travail, elle a saisi le 14 avril 2015 la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une gratification liée à l'obtention de la médaille pour trente-cinq années de service et d'une demande de dommages-intérêts pour une discrimination ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article L. 1134-1 du code du travail ;

Attendu que selon le texte susvisé, lorsque survient un litige relatif à l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, le salarié présente des éléments de fait en laissant supposer l'existence et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que, dès lors, même lorsque la différence de traitement en raison d'un des motifs visés à l'article L. 1132-1 du code du travail résulte des stipulations d'une convention ou d'un accord collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, les stipulations concernées ne peuvent être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination ;

Attendu que pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une somme correspondant à la gratification liée à l'obtention de la médaille d'honneur du travail pour trente-cinq années de service, dont elle soutenait avoir été privée en raison d'une discrimination liée à son âge, la cour d'appel a retenu que, s'agissant de l'application d'un accord collectif négocié et signé par des organisations syndicales représentatives, ces différences de traitement sont présumées justifiées et que la salariée ne démontrait pas que la différence de traitement dont elle faisait l'objet était étrangère à toute considération de nature professionnelle ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les stipulations transitoires de l'accord collectif du 24 janvier 2011 ne laissaient pas supposer l'existence d'une discrimination indirecte en raison de l'âge en privant les salariés ayant entre trente-six et quarante années de service au moment de l'entrée en vigueur de l'accord et relevant d'une même classe d'âge de la gratification liée à la médaille or du travail et, dans l'affirmative, si cette différence de traitement était objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime et si les moyens de réaliser ce but étaient nécessaires et appropriés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme C... de sa demande de paiement d'une somme de 2 727,39 euros au titre de la gratification correspondant à la médaille du travail échelon or, l'arrêt rendu le 16 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Principe d'égalité de traitement ; articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le domaine d'application de l'exclusion de la présomption de justification des différences de traitement opérées par voie de conventions ou d'accords collectifs, à rapprocher : Soc., 3 avril 2019, pourvoi n° 17-11.970, Bull. 2019, (rejet).

1re Civ., 10 octobre 2019, n° 18-20.491, (P)

Cassation partielle

Règles générales – Charge – Applications diverses – Transports aériens – Transport de personnes – Responsabilité des transporteurs de personnes – Obligations – Indemnisation et assistance des passagers prévues par le règlement communautaire du 11 février 2004 – Conditions – Présentation des passagers à l'enregistrement

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que M. A... a acquis, de la société Air France, deux billets d'avion, pour lui-même et sa fille mineure P... F... (les consorts A...-F...), pour un vol au départ de Mulhouse et à destination de Pointe-à-Pitre via Paris, pour le 16 novembre 2012 ; que, le vol Mulhouse-Paris ayant été retardé, les passagers de ce vol qui se rendaient à Pointe-à-Pitre sont arrivés avec vingt-quatre heures de retard ; que, le 20 octobre 2016, M. A..., agissant en son nom et au nom de sa fille mineure, a formé une demande d'indemnisation fondée sur l'article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, ainsi qu'une demande d'indemnisation pour défaut de remise d'une notice informative ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Air France fait grief au jugement de déclarer recevable la demande de dommages-intérêts pour défaut de remise de la notice informative et de la condamner à payer une certaine somme aux consorts A...-F... en réparation du préjudice résultant de ce manquement, alors, selon le moyen, que la demande formée du passager aux fins d'indemnisation du préjudice résultant d'un manquement du transporteur aérien à son obligation d'information sur les règles d'indemnisation et d'assistance en cas de retard ou d'annulation de vol, est soumise à la prescription biennale ; qu'en l'espèce, en décidant que la demande indemnitaire des consorts F...-A..., fondée sur l'article 14 du règlement CE n° 261/2004 relatif à l' « obligation d'informer les passagers de leurs droits » était soumise à la prescription quinquennale, le tribunal d'instance a violé les articles 6, 7 et 14 du règlement (CE) n° 261/2004, ensemble l'article L. 6421-3 du code des transports et l'article 2224 du code civil ;

Mais attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 13 octobre 2011, U..., C-83/10), que les prétentions des passagers aériens fondées sur les droits qui leur sont conférés par ledit règlement, ne sauraient être considérées comme relevant d'une indemnisation « complémentaire » au sens de l'article 12 de ce texte ;

Que, par arrêt du 22 novembre 2012 (N..., C-139/11), après avoir relevé que la mesure d'indemnisation prévue aux articles 5 et 7 du règlement n° 261/2004 se situe en dehors du champ d'application des conventions de Varsovie et de Montréal (arrêt du 23 octobre 2012, R... e.a., C-581/10 et C-629/10, point 55) et que, dès lors, la prescription biennale fixée à l'article 29 de la convention de Varsovie et à l'article 35 de la convention de Montréal ne saurait être considérée comme s'appliquant aux actions introduites, en particulier, au titre de ces textes (points 28 et 29), la CJUE a dit pour droit que le délai dans lequel les actions ayant pour objet d'obtenir le versement de l'indemnité prévue aux articles 5 et 7 du règlement n° 261/2004 doivent être intentées, est déterminé par le droit national de chaque Etat membre ;

Attendu qu'ayant exactement énoncé que la demande indemnitaire fondée sur l'article 14 du règlement ne constitue pas une demande d'indemnisation complémentaire liée à un préjudice particulier soumis à la convention de Montréal et qu'il s'agit d'une demande autonome entreprise sur le fondement du règlement européen qui se situe en dehors du champ d'application de cette convention, le tribunal en a déduit, à bon droit, que la demande était soumise au délai de prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles 3, § 2, sous a), et 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 ;

Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, le règlement s'applique à condition que les passagers disposent d'une réservation confirmée pour le vol concerné et se présentent, sauf en cas d'annulation visée à l'article 5, à l'enregistrement ;

Attendu que, pour condamner la société Air France à indemniser les consorts A...-F... du retard de vol, le jugement retient que ceux-ci produisent une copie de leur billet électronique ainsi que leur carte d'embarquement pour le vol AF3520 au départ de Paris à destination de Pointe-à-Pitre le 17 novembre 2012, correspondant au vol de réacheminement ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les consorts A...-F... s'étaient présentés dans les délais impartis à l'enregistrement du vol initialement programmé, au départ de Mulhouse le 16 novembre 2012, le tribunal d'instance n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Air France à payer à M. A... et P... F..., représentée par M. A..., la somme de 400 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision, au titre des dispositions de l'article 7 du règlement n° 261/2004, le jugement rendu le 31 mai 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Mulhouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Thann.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles 5, 7, 12 et 14 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 ; article 2224 du code civil ; article 3, § 2, sous a), et 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 octobre 2019, pourvoi n° 18-20.490, Bull. 2019, (cassation partielle). 1re Civ., 14 février 2018, pourvoi n° 16-23.205, Bull. 2018, I, n° 34 (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.