Numéro 10 - Octobre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2019

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

1re Civ., 10 octobre 2019, n° 18-21.871, (P)

Rejet

Article 10 – Liberté d'expression – Exercice – Caractère abusif – Applications diverses – Atteinte au respect de la vie privée

Article 8 – Respect de la vie privée et familiale – Atteinte – Caractérisation – Cas – Office du juge – Recherche d'un équilibre entre les droits – Protection de l'intérêt le plus légitime

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 26 juin 2018), que la société France télévisions a diffusé, le 13 octobre 2016, dans l'émission « Envoyé spécial », un reportage consacré à la crise de la production laitière intitulé « Sérieusement ?! Lactalis : le beurre et l'argent du beurre » ; que, soutenant qu'une séquence de ce reportage faisait mention du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes, et invoquant l'atteinte portée à sa vie privée, M. C..., président du conseil de surveillance de la société Lactalis, l'a assignée, sur le fondement des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, aux fins d'obtenir réparation de son préjudice, ainsi que des mesures d'interdiction et de publication judiciaire ;

Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que le conflit entre les droits fondamentaux d'égale valeur garantis par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au titre de la protection de la vie privée et l'article 10 de la même Convention relatif à la liberté d'expression, impose aux juridictions de mettre en balance les intérêts en présence au regard de six critères tenant à la contribution à un débat d'intérêt général, à la notoriété de la personne visée et à l'objet du reportage, au comportement antérieur de la personne visée, au contenu, à la forme et aux répercussions de la publication, aux circonstances des prises de vue, enfin, à la gravité de la sanction requise ou imposée à l'organe de presse ; que ces critères ne sont pas alternatifs mais cumulatifs ; qu'en se fondant en l'espèce sur les trois premiers critères à l'exclusion des suivants qui n'ont pas été examinés par l'arrêt (répercussion de la publication, circonstance des prises de vue et mesure de la sanction requise), la cour d'appel ne peut passer comme ayant établi avec la précision nécessaire la balance des intérêts en présence, violant ainsi l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la liberté de divulguer des éléments de la vie privée qui seraient déjà disponibles dans le « domaine public » n'est pas en principe absolue ; que, sur le terrain de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel devait examiner, d'une part, le contexte particulier de la divulgation incriminée, laquelle associait en l'espèce, à une heure de grande écoute, le nom et les qualités du requérant, la localisation de sa propriété privée et le chemin d'accès à cette dernière, d'autre part, le comportement antérieur du demandeur, lequel, loin d'avoir été volontairement à l'origine des divulgations antécédentes dans des conditions excluant qu'il puisse s'en plaindre ultérieurement, faisait valoir qu'il avait toujours au contraire entendu préserver sa vie privée ; qu'en se bornant à l'affirmation inopérante selon laquelle les éléments litigieux eussent déjà été disponibles dans le domaine public sans opposition du requérant, la cour d'appel, qui ne s'est pas davantage expliquée sur la portée de l'ingérence contestée sous le rapport de la vie privée de M. C..., dans le contexte précis de la cause, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que la justification d'une atteinte constatée à la vie privée du requérant par l'existence d'un débat général sur la « crise du lait » dans le cadre d'un conflit de droits entre les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui sont d'égale valeur, commande a minima de la part des juges du fond une appréciation concrète de la nécessité d'une ingérence dans la vie privée prétendant s'autoriser de la liberté d'expression ; qu'en se bornant à relever que la divulgation contestée « s'inscrivait » dans le contexte d'un débat d'intérêt public sans autrement s'expliquer sur la nécessité corrélative d'une atteinte à la vie privée du requérant, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que, le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; que, pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, I... et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93) ; qu'il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, publié) ;

Et attendu qu'après avoir retenu que les indications fournies dans la séquence litigieuse, qui permettent une localisation exacte du domicile de M. C..., caractérisent une atteinte à sa vie privée, l'arrêt relève, d'abord, que le reportage en cause évoque, notamment, la mobilisation des producteurs laitiers contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des prix trop bas, et compare la situation financière desdits producteurs à celle du dirigeant du premier groupe laitier mondial ; qu'il ajoute que l'intégralité du patrimoine immobilier de M. C... n'est pas détaillée, les informations délivrées portant exclusivement sur le bien que ce dernier possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans le reportage, de sorte que ces informations s'inscrivent dans le débat d'intérêt général abordé par l'émission ; qu'il énonce, ensuite, par motifs propres et adoptés, que M. C..., en sa qualité de dirigeant du groupe Lactalis, est un personnage public et que, bien que le nom et la localisation de sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués dans la presse écrite, il n'a pas, par le passé, protesté contre la diffusion de ces informations ; qu'il constate, enfin, que la vue d'ensemble de la propriété de M. C... peut être visionnée grâce au service de cartographie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage incriminé, le journaliste n'a pas pénétré sur cette propriété privée ; que la cour d'appel, qui a ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en oeuvre pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d'expression et qui n'avait pas à effectuer d'autres recherches, a légalement justifié sa décision de retenir que l'atteinte portée à la vie privée de M. C... était légitimée par le droit à l'information du public ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat(s) : Me Bouthors ; SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller -

Textes visés :

Articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil.

Rapprochement(s) :

CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, n° 40454/07. A rapprocher : 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, Bull. 2018, I, n° 56 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Com., 23 octobre 2019, n° 17-25.656, (P)

Rejet

Article 6 – Violation – Défaut – Cas – Effet interruptif de prescription de la déclaration de créance jusqu'à la clôture de la procédure collective

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er juin 2017), que, par un acte notarié du 3 avril 1996, la société Euralliance a consenti à la société Cogefina immobilier et finances (la société) un prêt, garanti par le cautionnement solidaire de M. P... et par le nantissement d'un contrat d'assurance vie ; que la société a été mise en redressement judiciaire le 2 juin 1998 puis en liquidation judiciaire le 8 décembre 1998 ; que la société Fortis, venant aux droits de la société Euralliance, a déclaré sa créance ; que la société Ageas France, venant aux droits de la société Fortis, a assigné la caution en paiement ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. P... fait grief à l'arrêt de déclarer recevables comme non prescrites les demandes en paiement et de mise en oeuvre du nantissement de la société Ageas France alors, selon le moyen :

1°/ que la caution, poursuivie par le créancier du débiteur principal, peut lui opposer l'extinction de son engagement dès lors que la dette qu'elle garantissait est prescrite ; que, selon les dispositions de l'article L. 1140-4, I du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ; que, dans le cadre d'une procédure collective, cette prescription est interrompue par une déclaration de créance, laquelle constitue une demande en justice ; qu'en vertu de l'article 2242 du code civil, « l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance » ; que, la déclaration de créance tendant à faire trancher par le juge-commissaire la question de l'existence, de la nature et du montant de cette créance, l'instance ainsi ouverte s'éteint lorsque la décision de ce dernier devient irrévocable ; qu'il s'ensuit que l'interruption provoquée par la déclaration de créance ne produit ses effets que jusqu'à l'intervention de cette décision ; qu'en jugeant dès lors, contra legem, que la déclaration de créance effectuée le 27 juillet 1998 avait eu pour effet d'interrompre la prescription à l'égard de la caution jusqu'à la clôture de la procédure collective, la cour a violé l'article 2242 du code civil ;

2°/ que pour rejeter les fins de non-recevoir tirées de la prescription invoquées par M. P... en sa qualité de caution, et retenir que la déclaration de créance du 27 juillet 1998 avait eu pour effet d'interrompre à son égard cette prescription jusqu'à la clôture des opérations de liquidation, la cour a retenu que cette solution se fondait sur les dispositions des articles L. 622-28 et L. 642-24 du code de commerce ; que, cependant, l'article 55 alinéa 2 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 applicable au litige, correspondant au futur article L. 622-28 codifié, dispose que « le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation toute action contre les cautions personnelles personnes physiques.

Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans. » ; que ce texte ne prévoit ainsi aucune suspension [ou interruption] jusqu'à la clôture de la procédure collective mais, tout au contraire, jusqu'au jugement de liquidation ; que l'article L. 642-24 du code de commerce, quant à lui, est inapplicable au litige ; qu'en se fondant dès lors sur les articles L. 622-28 et L. 642-24 du code de commerce pour justifier l'interruption de la prescription, provoquée par la déclaration de créance, jusqu'à la clôture de la procédure collective, la cour a violé ces deux articles par fausse application ;

3°/ que M. P... avait soutenu dans ses conclusions d'appel que l'application à la caution de la règle prévue de l'interruption de la prescription à compter de la déclaration de créance et de son extension jusqu'à la clôture de la procédure collective, avait pour elle des conséquences incompatibles avec le principe de sécurité juridique et d'égalité des armes ; qu'il avait souligné que le créancier avait ainsi toute latitude d'agir contre la caution dès que le débiteur était mis en liquidation judiciaire ou, plus exactement, dès l'intervention de la déclaration de créance, sans que la clôture de la procédure collective fût encore intervenue, tandis qu'à l'inverse, la caution n'avait aucune possibilité de se défendre contre cette action par l'invocation de la prescription, même en cas d'inaction totale du créancier contre elle, et était de surcroît exposée à être poursuivie jusqu'à une date indéterminée, la date de clôture étant a priori inconnue, très au-delà de la période où elle se trouvait déjà soumise aux poursuites possibles du créancier ; que, de plus, M. P... avait soutenu que la solution finalement adoptée par la cour plaçait le créancier et la caution sous un régime inégal de prescription, la caution ne pouvant opposer la prescription au créancier, même resté inactif pendant dix ans, tandis que le créancier, au terme de la même période, était en droit de la lui opposer si elle invoquait contre lui une faute commise à l'encontre du débiteur principal ; qu'en retenant dès lors, pour juger que l'action n'était pas prescrite à l'encontre de la caution, que la déclaration de créance avait interrompu le délai de prescription à son égard jusqu'à la clôture de la procédure collective, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette solution n'était pas contraire au principe de sécurité juridique et d'égalité des armes, la cour a privé sa décision de base légale tant à l'égard de ce principe que de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la déclaration de créance au passif du débiteur principal mis en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et cette interruption se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective ; que selon l'article L. 622-30 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, le tribunal prononce la clôture de la liquidation judiciaire lorsqu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers, ou lorsque la poursuite des opérations de liquidation judiciaire est rendue impossible en raison de l'insuffisance d'actif ; qu'il en résulte que la loi a prévu un terme à la liquidation judiciaire ; que la prolongation de la liquidation judiciaire tant que tous les actifs ne sont pas réalisés est de nature à permettre le désintéressement des créanciers et ne porte pas une atteinte disproportionnée à l'intérêt particulier de la caution, dès lors que son engagement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ; que toute personne intéressée peut porter à la connaissance du président du tribunal les faits de nature à justifier la saisine d'office de celui-ci aux fins de clôture d'une procédure de liquidation judiciaire ; que dès lors, l'interruption de la prescription à l'égard de M. P... n'ayant pas pour effet de l'empêcher de prescrire contre la société Ageas, ni de le menacer d'une durée de prescription excessive au regard des intérêts en cause, la cour d'appel, qui a retenu que l'effet interruptif de la prescription s'était prolongé jusqu'à la clôture de la procédure, a fait une juste application de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des principes de sécurité juridique et d'égalité des armes en déclarant recevables les demandes de la société Ageas ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que M. P... fait grief à l'arrêt de le condamner à paiement alors, selon le moyen :

1°/ qu'en vertu des dispositions de l'article 48 alinéa 1 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, applicables au litige, ultérieurement intégrées à l'article L. 312-22 du code monétaire et financier, les établissements de crédit qui ont accordé des prêts sous la condition d'un cautionnement apporté notamment par une personne physique doivent faire connaître à la caution, chaque année, le montant du principal et des intérêts, à peine de déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information ; que l'article 1er de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, définit les établissements de crédit comme des « personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque » (al. 1), ces dernières comprenant, selon le même texte, « la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement » (al. 2) ; qu'il s'ensuit que la société Euralliance, qui réalisait habituellement des opérations de crédit, telles que celles du crédit litigieux, effectuait ainsi des opérations de banque et entrait dès lors dans la catégorie des établissements de crédit, peu important qu'elle soit aussi une compagnie d'assurance ; qu'elle était dès lors soumise à l'obligation d'information annuelle de la caution prévue par la loi ; qu'en jugeant dès lors le contraire, au motif que cette obligation n'était initialement applicable qu'aux établissements de crédit « et non aux sociétés d'assurances ou assimilées, dont relève la société Euralliance ainsi que les différentes sociétés venues à ses droits », la cour a violé l'article 48 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, ensemble l'article 1er de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, applicables au litige ;

2°/ que M. P... avait soutenu que la société Euralliance s'était comportée comme un établissement de crédit, pour accorder son concours financier à une entreprise de promotion immobilière ; qu'en se dispensant dès lors de rechercher, comme elle y était invitée si, nonobstant sa qualité d'assureur, ladite société n'exerçait pas une activité d'établissement de crédit, au sens de la loi, par les prêts qu'elle accordait, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 48 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 et 1er de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, applicables au litige ;

3°/ que M. P... avait également soutenu que si la société Euralliance devait être considérée uniquement comme une société d'assurance, alors le contrat de prêt devait être déclaré nul, ladite société n'ayant eu aucune capacité juridique pour délivrer à une société immobilière des prêts ou des fonds destinés à des acquisitions ou des travaux de rénovation ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, sans répondre à l'objection ainsi soulevée, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que les dispositions de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984, devenu l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, ne concernant que les établissements de crédit définis par l'article 1er de la loi du 24 janvier 1984, alors applicable, comme les personnes morales effectuant à titre habituel des opérations de banque et bénéficiant de l'agrément prévu par l'article 18 de cette dernière loi, et non les entreprises d'assurance, même lorsqu'elles réalisent, comme en l'espèce, de telles opérations, c'est à bon droit que la cour d'appel en a déduit que la société Euralliance n'était pas tenue à l'obligation d'information annuelle de la caution prévue par le premier des textes précités ;

Et attendu, en second lieu, que le seul fait pour la société Euralliance d'avoir consenti un prêt à la société, à supposer qu'il ait été accordé en méconnaissance des règles gouvernant l'activité des entreprises d'assurance, n'étant pas de nature à entraîner la nullité du contrat, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes invoquées par la troisième branche ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : Mme Henry et M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Le Griel ; Me Brouchot -

Textes visés :

Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 622-30 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 ; article 48 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, devenu l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ; articles 1er et 18 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit.

1re Civ., 17 octobre 2019, n° 18-24.043, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Domaine d'application – Exclusion – Litiges concernant l'entrée, le séjour et l'éloignement des étrangers

Les litiges concernant l'entrée, le séjour et l'éloignement des étrangers n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Douai, 9 mars 2018), et les pièces de la procédure, que M. K..., de nationalité soudanaise, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative le 5 mars 2018 ; qu'il a saisi le juge des libertés et de la détention d'une requête tendant à contester la décision de placement en rétention le 6 mars 2018 à 11 heures 47 ; qu'il a formé appel le 7 mars 2018 à 15 heures 55 « contre la décision implicite de rejet » de cette requête ;

Attendu que M. K... fait grief à l'ordonnance de déclarer son appel irrecevable, alors, selon le moyen :

1°/ que saisi d'une contestation quant à la régularité d'une décision de placement en rétention administrative, le juge des libertés et de la détention rend son ordonnance dans le délai de 24 heures imparti par l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable ; que le juge des libertés et de la détention n'a pas statué dans le délai de 24 heures sur la requête de M. K... contestant son placement en rétention et demandant qu'il y soit mis fin, de sorte que M. K... a été maintenu en rétention administrative au-delà de ce délai ; qu'en affirmant que l'absence de décision de ce magistrat ne saurait être assimilée à une décision implicite de rejet de la requête de M. K..., quand il constatait que M. K... avait été maintenu en rétention au-delà du délai imparti au juge pour statuer sur sa demande de remise en liberté, le premier président de la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, en violation des articles L. 512-1, L. 552-1 et R. 552-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ensemble les articles L. 552-9 du même code et 543 du code de procédure civile ;

2°/ qu'à tout le moins, en se bornant a affirmer péremptoirement que l'absence de décision du juge des libertés et de la détention ne saurait être assimilée a une décision implicite de rejet de la requête de M. K..., le premier président de la cour d'appel a statué par voie de simple affirmation et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que le droit à un recours effectif implique qu'un requérant ait la possibilité de faire examiner ses demandes par une instance nationale et que celle-ci soit en mesure d'en examiner le bien-fondé ; qu'en prononçant l'irrecevabilité de l'appel forme par M. K... en raison de l'absence de décision du juge des libertés et de la détention pouvant être qualifiée de jugement au sens de l'article 543 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel a retenu de ces dispositions et de celles de l'article L. 552-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une interprétation de nature à limiter concrètement la possibilité de M. K... de faire examiner le bien-fondé de sa demande, en violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que les litiges concernant l'entrée, le séjour et l'éloignement des étrangers n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Et attendu qu'ayant exactement retenu que l'absence de décision du juge des libertés et de la détention au terme du délai de vingt-quatre heures prévu à l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être assimilée à une décision implicite de rejet de la requête en contestation de l'arrêté de placement en rétention, le premier président en a justement déduit que l'appel formé par M. K... était irrecevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

CEDH, arrêt du 5 octobre 2000, Maaouia c. France, n° 39652/98.

1re Civ., 10 octobre 2019, n° 18-21.966, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Sécurité juridique – Défaut de délai de prescription – Analyse in concreto

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2018), que M. H..., avocat au barreau de Paris (l'avocat), a, en exécution d'un compromis en date du 19 juin 1995, présidé un tribunal arbitral dans le litige opposant les consorts D..., héritiers de K... V..., épouse du peintre et plasticien F... D..., à la Fondation D... (la fondation), créée par l'artiste, à propos des donations que celui-ci et son épouse avaient consenties à la fondation ; qu'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 mai 2014, devenu irrévocable après le rejet d'un pourvoi en cassation (1re Civ., 4 novembre 2015, pourvoi n° 14-22.630, Bull. 2015, I, n° 265), a annulé, pour fraude, la sentence arbitrale du 11 décembre 1995 et la sentence rectificative du 7 février 1996 ; que, le 30 novembre 2015, une procédure disciplinaire a été ouverte par le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris, autorité de poursuite, à l'encontre de l'avocat ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'avocat fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception de nullité de la citation à lui délivrée, de le déclarer coupable de manquement au principe essentiel d'honneur et de prononcer, en conséquence, des sanctions disciplinaires à son encontre, alors, selon le moyen :

1°/ que la citation à comparaître devant la juridiction disciplinaire comporte, à peine de nullité, l'indication précise des faits à l'origine des poursuites, ainsi que la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l'avocat poursuivi d'avoir contrevenu ; que ne satisfait pas à cette exigence de précision, s'agissant de la détermination de l'élément légal de l'infraction, la citation qui applique de façon cumulative et indifférenciée aux faits imputés à l'avocat poursuivi les qualifications de manquements à la prudence, à la dignité, à la conscience, à la diligence, à l'indépendance, à la compétence, à la loyauté et enfin à l'honneur, un tel cumul de qualifications compromettant l'identification précise de l'obligation ou des obligations prétendument enfreintes et étant de ce fait de nature à entraver le plein exercice des droits de la défense, ensemble à placer celui-ci dans une situation de net désavantage par rapport à la partie poursuivante qui peut, en recourant à ce procédé, adapter à sa guise la qualification des manquements poursuivis au gré des objections qui lui sont opposées ; qu'en décidant le contraire, pour valider la citation introductive de l'instance disciplinaire, la cour d'appel a violé l'article 192, alinéa 3, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la citation à comparaître devant la juridiction disciplinaire comporte, à peine de nullité, l'indication précise des faits à l'origine des poursuites, ainsi que la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l'avocat poursuivi d'avoir contrevenu ; que ne satisfait pas à ces exigences la citation qui vise exclusivement un texte manifestement inapplicable en la cause en l'état de l'ancienneté des faits et met de la sorte l'avocat poursuivi dans l'impossibilité d'identifier la disposition légale ou réglementaire prétendument enfreinte ; qu'en considérant qu'il était indifférent, pour l'appréciation de la régularité de la citation, que celle-ci ait improprement visé l'article 1.3 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, lequel n'était pas applicable à des manquements prétendument commis en 1995, motifs pris que certaines des obligations déontologiques imposées par ce nouveau texte résultaient déjà de l'article 1.3 de l'ancien règlement intérieur du barreau de Paris, la cour d'appel a de nouveau violé les articles 192, alinéa 3, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en tout état de cause, la citation comporte, à peine de nullité, la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l'avocat poursuivi d'avoir contrevenu ; qu'en l'état de la compétence exclusive du gouvernement pour fixer les règles relatives à la déontologie des avocats, étaient dépourvus de toute portée normative propre, en matière disciplinaire, les règlements intérieurs de chacun des barreaux de France ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel ne pouvait prétendre restituer une base réglementaire à la citation en suppléant à l'article 1.3 du règlement intérieur national, l'article 1.3 du règlement intérieur du barreau de Paris, sauf à de nouveau violer les articles 192, alinéa 3, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'une part, que la nullité de la citation doit être écartée lorsque l'avocat poursuivi, suffisamment informé des faits servant de base aux poursuites disciplinaires, a été en mesure de présenter ses moyens de défense, d'autre part, que, si la juridiction disciplinaire est tenue de statuer dans la limite des faits dénoncés dans la citation, c'est à elle qu'il incombe, dans le respect du principe de la contradiction, de leur restituer une exacte qualification juridique et de se prononcer conformément aux règles de droit en vigueur au moment de leur commission, au rang desquelles figurent les dispositions du règlement intérieur du barreau auquel l'avocat est inscrit, pris en application de l'article 17, 1°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, conformes aux prescriptions légales et réglementaires ;

Et attendu qu'après avoir constaté que les manquements poursuivis étaient clairement précisés en pages 16 à 18 de la citation, la cour d'appel a retenu que celle-ci renseignait l'avocat sur les faits reprochés et le fondement juridique invoqué, peu important le visa erroné de l'article 1.3 du règlement intérieur national (RIN), dans la mesure où les faits contraires à l'honneur que, seuls, elle retenait contre l'avocat, étaient prévus par l'article 1.3 du règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP) ; qu'elle a ajouté que l'article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, qui énonce les sanctions encourues, était également mentionné, de sorte que l'intéressé avait pu utilement se défendre en toute connaissance de cause ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que l'avocat fait grief à l'arrêt de le déclarer coupable de manquement au principe essentiel d'honneur de la profession et de prononcer à son encontre des sanctions disciplinaires, alors, selon le moyen :

1°/ que le principe de non-rétroactivité des lois et règlements interdisait aux juges du fond de fonder leur décision sur l'article 1.3 du RIN, institué par le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et par la décision du 12 juillet 2007 du conseil national des barreaux, les faits imputés à l'avocat étant survenus en 1995 ; qu'il s'ensuit qu'en tant qu'il est néanmoins fondé sur ce texte, l'arrêt attaqué procède d'une violation de l'article 2 du code civil ;

2°/ que la citation à comparaître devant la juridiction disciplinaire doit comporter, à peine de nullité, la référence aux dispositions législatives ou réglementaires réprimant les manquements professionnels reprochés à l'avocat poursuivi, ce dont il résulte que la juridiction disciplinaire ne peut statuer sur un fondement juridique distinct de celui précisé dans la citation ; qu'aussi bien, en tant qu'elle s'est fondée sur l'article 1.3 du RIBP, qui n'était pas visé par la citation, laquelle se référait exclusivement à l'article 1.3 du RIN, la cour d'appel a violé l'article 192 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

Mais attendu, en premier lieu, que la citation délivrée à l'avocat ne se référait pas exclusivement à l'article 1.3 du RIN, mais aussi aux articles 183 et 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 précité qui définissent et sanctionnent les fautes disciplinaires, au rang desquelles se trouve le manquement à l'honneur, en second lieu, que la condamnation de l'avocat à une sanction disciplinaire n'est pas fondée sur l'article 1.3 du RIN, mais sur l'article 1.3 du RIBP en vigueur au moment de la commission des faits, qui, conformément à l'article 183 susmentionné, prévoyait que le manquement à l'honneur était une faute disciplinaire ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que l'avocat fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des poursuites disciplinaires, de le déclarer coupable de manquement au principe essentiel d'honneur de la profession et de prononcer à son encontre des sanctions disciplinaires, alors, selon le moyen, que le droit à un procès équitable exige que toute action disciplinaire soit enfermée dans un délai raisonnable de prescription courant à compter de la commission des faits poursuivis, un tel délai s'imposant tant pour garantir la sécurité juridique que pour mettre le défendeur à l'abri de poursuites tardives potentiellement difficiles à contrer et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les juges étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus dans un lointain passé à partir d'éléments de preuve potentiellement incomplets ; qu'en considérant néanmoins que l'imprescriptibilité des poursuites disciplinaires dont peut faire l'objet un avocat ne portait pas atteinte au droit à un procès équitable et qu'ainsi, l'ancienneté des faits imputés à l'avocat, survenus vingt ans avant l'engagement des poursuites, ne faisait pas obstacle à celles-ci, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, d'une part, que l'introduction d'un délai de prescription ne doit pas avoir pour effet de limiter ou de restreindre le droit d'accès à un tribunal, de telle façon ou à un degré tel qu'il s'en trouverait atteint dans sa substance même (CEDH, arrêt du 11 mars 2014, Howald Moor et autres c. Suisse, n° 52067/10 et 41072/11), et que, si la fixation d'un tel délai n'est pas en soi incompatible avec la Convention, il y a lieu de déterminer si la nature de ce délai et/ou la manière dont il est appliqué se concilie avec la Convention (CEDH, arrêt du 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, n° 23890/02 ; arrêt du 7 juillet 2009, Stagno c. Belgique, n° 1062/07), d'autre part, que les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation (CEDH, arrêt du 22 octobre 1996, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, n° 22083/93 et 22095/93) ;

Et attendu que la cour d'appel a procédé, comme il le lui incombait, à une analyse in concreto des faits à elle soumis dont elle a déduit que, même à supposer qu'il faille appliquer, au regard des exigences de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, un délai de prescription de trois ans, l'action disciplinaire engagée par le bâtonnier, le 30 novembre 2015, n'était pas prescrite, les conditions exactes de l'arbitrage litigieux n'ayant été portées avec certitude à la connaissance de l'autorité de poursuite qu'à l'occasion de l'annulation de la sentence arbitrale par l'arrêt du 27 mai 2014 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que l'avocat fait grief à l'arrêt de le déclarer coupable de manquement au principe essentiel d'honneur de la profession et de prononcer à son encontre des sanctions disciplinaires, alors, selon le moyen :

1°/ que sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002, en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles, à moins qu'ils ne soient constitutifs de manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ; que ne peuvent recevoir la qualification de manquements à l'honneur, en l'absence de toute fraude pouvant lui être personnellement imputée et de tout comportement mettant en cause son honnêteté, son intégrité ou sa moralité, le fait pour un avocat d'avoir accepté de présider un tribunal arbitral appelé à statuer dans une affaire particulièrement sensible sans que sa formation ni son expérience ne l'y aient spécialement préparé, ni le fait d'avoir accepté cette mission nonobstant la situation de conflit d'intérêts dans laquelle étaient susceptibles de se trouver certains des membres du conseil d'administration de l'une des parties ainsi que l'un de ses co-arbitres, ni davantage le fait de ne pas avoir eu recours, dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, à une expertise judiciaire jugée rétrospectivement opportune, de tels manquement, à les supposer même caractérisés, n'étant constitutifs que de fautes d'imprudence ou de négligence ; qu'en considérant au contraire que ces faits caractérisaient à l'encontre de l'avocat un manquement à l'honneur, comme tel non amnistiable, la cour d'appel a violé l'article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;

2°/ que, si l'arbitre se doit d'être indépendant et impartial et doit veiller à informer spontanément les parties de toute cause éventuelle de récusation qu'il soupçonnerait en sa personne même, il ne lui appartient pas de s'assurer ni de répondre d'un conflit d'intérêt susceptible d'être soupçonné chez l'une des parties à l'arbitrage, ni même chez un co-arbitre ; qu'en considérant néanmoins que l'avocat avait commis une faute, et même un manquement à l'honneur, en acceptant de présider un tribunal arbitral nonobstant la situation de conflit d'intérêt dans laquelle se seraient trouvés deux des administrateurs de la fondation ayant pris part à la décision collective de recourir à l'arbitrage, ou encore M. Y..., notaire, désigné à ses côtés comme arbitre, la cour d'appel a violé l'article 1452, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, ensemble l'article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 et les règles fixant les devoirs déontologiques des avocats ;

3°/ que l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation est tenu d'en informer les parties et ne peut en ce cas accepter sa mission qu'avec l'accord de celles-ci ; qu'en l'espèce, le compromis d'arbitrage énonçait expressément que les parties avaient accepté la nomination de M. Y..., « ne voulant pas considérer comme cause de récusation le fait qu'il ait été notaire instrumentaire des donations et administrateur de la fondation depuis sa création » ; que le conflit d'intérêt ayant été de la sorte révélé et purgé conformément à la loi, l'avocat ne pouvait se voir imputer à faute le fait d'avoir accepté de présider un tribunal arbitral composé notamment de M. Y... ; qu'en considérant néanmoins qu'il avait pour cette raison commis une faute, et même un manquement à l'honneur, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1452, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, ensemble l'article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 et les règles fixant les devoirs déontologiques des avocats ;

4°/ qu'elle soit civile ou disciplinaire, la responsabilité des arbitres, en raison de faits commis dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles, ne peut être retenue en l'absence de faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d'une fraude, d'une faute lourde ou d'un déni de justice ; qu'en faisant néanmoins grief à M. H... de son inexpérience dans le domaine de l'art, ainsi que du refus collégial du tribunal arbitral de recourir à une mesure d'expertise aux fins d'évaluation des oeuvres d'art et immeubles en cause et de sa décision de statuer au vu des seuls éléments qui figuraient au dossier, quand ces faits, inhérents à l'exercice par les arbitres de leur mission juridictionnelle, n'étaient pas de la nature de ceux qui peuvent justifier la mise en cause de leur responsabilité personnelle, quand bien même l'arbitre poursuivi exercerait par ailleurs la profession d'avocat, la cour d'appel a violé les articles 1460 à 1476 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, ensemble les principes régissant la responsabilité des arbitres et les règles fixant les obligations déontologiques des avocats ;

Mais attendu qu'appréciant souverainement les faits constitutifs d'un manquement à l'honneur, la cour d'appel a caractérisé la faute disciplinaire en retenant qu'il résultait d'un faisceau de circonstances que l'avocat avait gravement exposé à la critique sa profession et la réputation de son barreau d'appartenance ; que le moyen, inopérant en sa quatrième branche, dès lors que se trouve seule en débat la responsabilité disciplinaire de l'avocat, ne peut être accueilli ;

Sur le cinquième moyen :

Attendu que l'avocat fait grief à l'arrêt de rejeter les exceptions de nullité et fins de non-recevoir, de le déclarer coupable de manquement au principe essentiel d'honneur et de prononcer, en conséquence, des sanctions disciplinaires à son encontre, alors, selon le moyen, que la cour d'appel qui statue en matière disciplinaire doit s'assurer que les conclusions du bâtonnier, partie poursuivante, ont été communiquées à l'avocat poursuivi dans des conditions lui permettant d'y répondre utilement ; que l'arrêt relève que le bâtonnier a conclu de façon motivée à la confirmation de la décision entreprise, sans préciser si le bâtonnier avait déposé en ce sens des conclusions écrites préalablement à l'audience, ni constater, le cas échéant, que l'avocat en avait reçu communication dans des conditions lui permettant d'y répondre utilement, ce en quoi elle a privé son arrêt de base légale au regard des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 16 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 459 du code de procédure civile, l'omission ou l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s'il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d'audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées ; que, si l'arrêt ne comporte aucune mention sur le dépôt, par le bâtonnier, de conclusions écrites préalablement à l'audience et ne précise pas qu'en ce cas, le professionnel poursuivi en avait reçu communication afin d'y répondre utilement, il ressort, cependant, de la production des notes d'audience, signées du greffier et du président, certifiées conformes par le greffier en chef, que le bâtonnier n'a conclu qu'oralement à l'audience ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Teiller - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la compatibilité avec la Constitution du défaut de délai de prescription en matière disciplinaire, cf. : Cons. const., 25 novembre 2011, décision n° 2011-199 QPC ; Cons. const., 11 octobre 2018, décision n° 2018-738 QPC. Sur la compatibilité avec la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du défaut de délai de prescription en matière disciplinaire, c.f. : CEDH, arrêt du 22 octobre 1996, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, n°s 22083/93 et 22095/93 ; CEDH, arrêt du 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, n° 23890/02 ; CEDH, arrêt du 7 juillet 2009, Stagno c. Belgique, n° 1062/07 ; CEDH, arrêt du 9 janvier 2013, Oleksandr Volkov c. Ukraine, n° 21722/11 ; CEDH, arrêt du 11 mars 2014, Howald Moor et autres c. Suisse, n°s 52067/10 et 41072/11.

Com., 23 octobre 2019, n° 18-16.515, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Sécurité juridique – Violation – Défaut – Cas – Effet interruptif de prescription de la déclaration de créance jusqu'à la clôture de la procédure collective

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 29 juin 2017 et 22 février 2018), que par un acte du 25 juin 2000, M. S..., dirigeant de la société S... Côte d'Azur (la société), s'est rendu caution solidaire des engagements pris par cette dernière à l'égard de la société Compagnie générale de crédits aux particuliers (la société Crédipar) ; que par un jugement du 17 octobre 2002, la société a été mise en redressement judiciaire ; qu'un plan de cession a été arrêté le 28 novembre 2002 ; que la société Crédipar a déclaré sa créance au passif de la société, qui a été admise, puis, par une assignation du 31 janvier 2013, a poursuivi M. S... en exécution de son engagement ;

Attendu que M. S... fait grief à l'arrêt du 29 juin 2017 de déclarer recevable l'action en paiement de la société Crédipar alors, selon le moyen :

1°/ que l'interruption de la prescription par la déclaration de créance jusqu'à la clôture de la procédure collective porte atteinte à la sécurité juridique de la caution dès lors que compte tenu de la durée imprévisible de la procédure collective, la durée de la prescription est imprévisible et peut être excessive ; que la cour d'appel qui a considéré qu'en l'espèce, la caution ne pouvait prétendre que la règle selon laquelle la prescription est interrompue jusqu'à la clôture de la procédure collective rendait sa dette imprescriptible en raison de l'absence de clôture de la procédure collective, dès lors que toute personne intéressée aurait pu solliciter cette clôture mais sans constater que les conditions de la clôture de la procédure collective étaient réunies, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 643-9 du code de commerce, de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et du principe du droit à la sécurité juridique ;

2°/ que la loi du 17 juin 2008, substituant le délai de prescription quinquennale au délai de prescription trentenaire ou décennal étant entré en vigueur le 18 juin 2008, a eu pour objectif de réduire les délais de prescription ; que l'interruption des délais de prescription pendant la durée d'une procédure collective porte atteinte au droit de la caution à la sécurité juridique et rend le délai de prescription de son obligation excessif lorsque que la procédure collective n'est pas elle-même clôturée dans un délai raisonnable ; que la cour d'appel, qui a considéré que la caution ne pouvait se prévaloir de la violation du principe du délai raisonnable car elle avait la faculté de faire trancher les contestations relatives à sa dette par voie d'action, s'est prononcée par des motifs impropres à justifier sa décision au regard de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et du principe du droit à la sécurité juridique ;

3°/ que les juges du fond doivent respecter et faire respecter le principe de la contradiction des débats ; que la cour d'appel, qui a relevé que M. S... ne pouvait arguer de l'imprescriptibilité de l'action du créancier à l'égard de la caution et du droit au délai raisonnable, au motif qu'il aurait pu demander la clôture de la procédure collective sans provoquer les explications contradictoires des parties sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4°/ que les juges du fond doivent respecter et faire respecter le principe de la contradiction des débats ; que la cour d'appel, qui a relevé d'office que M. S... ne pouvait arguer du droit à être jugé dans un délai raisonnable puisqu'il avait la faculté de prendre l'initiative de saisir lui-même le juge des contestations qu'il entendait opposer au créancier, sans provoquer les explications des parties sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la déclaration de créance au passif du débiteur principal mis en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et cette interruption se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective ; que selon l'article L. 621-95 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, le tribunal prononce la clôture d'un redressement judiciaire, en cas de cession totale de l'entreprise, après régularisation des actes nécessaires à la cession, paiement du prix et réalisation des actifs du débiteur non compris dans le plan ; qu'il en résulte que la loi a prévu un terme au redressement judiciaire après adoption d'un plan de cession, remplissant l'un des objectifs d'intérêt général de la procédure que constitue l'apurement du passif ; que la prolongation du redressement judiciaire du débiteur principal tant que le prix de cession n'est pas payé et que tous les actifs non compris dans le plan ne sont pas réalisés est de nature à permettre le désintéressement des créanciers et ne porte pas une atteinte disproportionnée à l'intérêt particulier de la caution, dès lors que son engagement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que le cours de la prescription s'était trouvé immédiatement interrompu, à l'égard de la société et de M. S..., par l'effet de la déclaration de la créance au passif de la société effectuée par la société Crédipar, le 8 novembre 2002, et constaté que la clôture du redressement judiciaire de la société n'était pas intervenue au jour de l'assignation en paiement de la caution, le 31 janvier 2013, l'arrêt retient que cette absence de clôture dans ce délai n'a pas pour conséquence de rendre imprescriptible la créance de la société Crédipar, d'autant que toute personne intéressée peut porter à la connaissance du président du tribunal les faits de nature à justifier la saisine d'office de celui-ci aux fins de clôture d'une procédure de redressement judiciaire après l'adoption d'un plan de cession ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que l'interruption de la prescription à l'égard de M. S... n'avait pas pour effet de l'empêcher définitivement de prescrire contre la société Crédipar ni de le menacer d'une durée de prescription excessive au regard des intérêts en cause, la cour d'appel a fait une juste application de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe de sécurité juridique en déclarant recevable l'action de la société Crédipar ;

Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui a examiné les moyens de défense de M. S..., n'a pas relevé d'office un moyen qui n'aurait pas été dans le débat ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Ass. plén., 4 octobre 2019, n° 10-19.053, (P)

Cassation sans renvoi

Article 8 – Respect de la vie privée et familiale – Domaine d'application – Etendue – Détermination – Portée

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

contre l'arrêt rendu le 18 mars 2010 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige les opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [...], défendeur à la cassation.

Par arrêt du 6 avril 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. et Mme D... à l'encontre de cet arrêt.

M. et Mme D... ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme qui, par arrêt du 26 juin 2014, a dit qu'il y avait eu violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée.

Par arrêt en date du 16 février 2018, la Cour de réexamen des décisions civiles, saisie par M. et Mme D..., a fait droit à la demande de réexamen et dit que la procédure se poursuivra devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.

Les demandeurs au pourvoi invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé à la Cour de cassation par la SCP Potier de la Varde-Buk Lament.

La SCP Spinosi et Sureau s'est constituée aux lieu et place de la SCP Potier de la Varde-Buk Lament.

Par un arrêt avant dire droit du 5 octobre 2018, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a transmis à la Cour européenne des droits de l'homme une demande d'avis consultatif.

L'assemblée plénière a sursis à statuer jusqu'à l'avis de la Cour européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme a rendu son avis consultatif le 10 avril 2019.

Un mémoire en reprise d'instance a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau, avocat de Mmes E... et J... D..., devenues majeures en cours d'instance.

Une constitution en intervention volontaire en défense a été déposée par la SCP Marc Lévis, avocat de l'association Arcilesbica.

Des observations complémentaires ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau.

Des observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Marc Lévis.

Le rapport écrit de Mme Martinel, conseiller, et l'avis écrit de M. Molins, procureur général, ont été mis à la disposition des parties.

Deux avis 1015 du code de procédure civile ont été mis à disposition des parties et des observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau, avocat des consorts D..., et la SCP Marc Lévis, avocat de l'association Arcilesbica.

I. Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 mars 2010), aux termes de leurs actes de naissance américains, dressés dans le comté de San Diego (Californie) conformément à un jugement de la Cour supérieure de l'Etat de Californie du 14 juillet 2000, E... et J... D... sont nées le [...] à La Mesa (Californie) de M. N... D... et Mme V... D..., son épouse, tous deux de nationalité française.

Le 25 novembre 2002, le ministère public a fait transcrire ces actes de naissance par le consulat général de France à Los Angeles (Californie).

Par acte du 16 mai 2003, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil a assigné M. et Mme D... en annulation de cette transcription.

Par un jugement du 13 décembre 2005, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2007, le procureur de la République a été déclaré irrecevable en son action.

Cet arrêt a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008 (1re Civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.468).

Par un arrêt du 18 mars 2010, la cour d'appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, a annulé la transcription, sur les registres du service central d'état civil de Nantes, des actes de naissance établis dans le comté de San Diego (Californie) et désignant M. N... D... et Mme V... D... en qualité de père et mère des enfants E... F... P... D... et J... M... R... D....

Par un arrêt du 6 avril 2011 (1re Civ., 6 avril 2011, pourvoi n° 10-19.053), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. et Mme D... à l'encontre de cet arrêt.

Ces derniers ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme, qui, par un arrêt du 26 juin 2014, a dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention s'agissant du droit de E... et J... D... au respect de leur vie privée et que l'Etat français devait verser une somme aux deux requérantes au titre du préjudice moral subi et des frais et dépens.

Sur le fondement des articles L. 452-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire institués par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, M. et Mme D..., agissant en qualité de représentants légaux de leurs deux filles mineures, ont demandé le réexamen de ce pourvoi.

Par une décision du 16 février 2018, la Cour de réexamen des décisions civiles a fait droit à la demande et dit que l'affaire se poursuivra devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.

Par un arrêt avant dire droit du 5 octobre 2018, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a transmis à la Cour européenne des droits de l'homme une demande d'avis consultatif sur les questions suivantes :

1°) - En refusant de transcrire sur les registres de l'état civil l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger à l'issue d'une gestation pour autrui, en ce qu'il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d'intention », alors que la transcription de l'acte a été admise en tant qu'il désigne le « père d'intention », père biologique de l'enfant, un Etat-partie excède-t-il la marge d'appréciation dont il dispose au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l'enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d'intention » ?

2°) - Dans l'hypothèse d'une réponse positive à l'une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d'intention d'adopter l'enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d'établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l'article 8 de la Convention ?

L'assemblée plénière a sursis à statuer jusqu'à l'avis de la Cour européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme a rendu son avis consultatif le 10 avril 2019.

Par un mémoire du 15 avril 2019, Mmes E... et J... D... ont fait valoir qu'elles entendaient, en application des articles 369 et 373 du code de procédure civile, reprendre l'instance qui avait été initiée par leurs représentants légaux, avec toutes leurs écritures.

Le 24 avril 2019, la SCP Marc Lévis a formé une intervention volontaire au nom de l'association Arcilesbica. Un mémoire a été déposé le 6 septembre 2019.

2. Au soutien du pourvoi, objet de la demande de réexamen, Mmes E... et J... D... ainsi que M. et Mme D... soulèvent un moyen unique qui fait grief à l'arrêt d'annuler la transcription des actes de naissance de E... et J... D....

Ils font valoir :

- que la décision étrangère qui reconnaît la filiation d'un enfant à l'égard d'un couple ayant régulièrement conclu une convention avec une mère porteuse n'est pas contraire à l'ordre public international, lequel ne se confond pas avec l'ordre public interne ; qu'en jugeant que l'arrêt de la Cour supérieure de l'Etat de Californie ayant déclaré M. D... « père génétique » et Mme T..., épouse D..., « mère légale » de tout enfant devant naître de Mme S... entre le 15 août et le 15 décembre 2000 était contraire à l'ordre public international, prétexte pris que l'article 16-7 du code civil frappe de nullité les conventions portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ;

- qu'il résulte de l'article 55 de la Constitution que les traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés ont, sous réserve de leur application réciproque par l'autre partie, une autorité supérieure à celle des lois et règlements ; qu'en se fondant, pour dire que c'était vainement que les consorts D... se prévalaient de conventions internationales, notamment de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant, sur la circonstance que la loi prohibe, « pour l'heure », la gestation pour autrui, la cour d'appel, qui a ainsi considéré qu'une convention internationale ne pouvait primer sur le droit interne, a violé l'article 55 de la Constitution ;

- que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'en retenant que l'annulation de la transcription des actes de naissance des enfants des époux D... ne méconnaissait pas l'intérêt supérieur de ces enfants en dépit des difficultés concrètes qu'elle engendrerait, la cour d'appel, dont la décision a pourtant pour effet de priver ces enfants de la possibilité d'établir leur filiation en France, où ils résident avec les époux D..., a violé l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant ;

- qu'il résulte des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que là où l'existence d'un lien familial avec un enfant se trouve établie, l'Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer ; qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants D..., la cour d'appel, qui a ainsi privé ces enfants de la possibilité d'établir en France leur filiation à l'égard des époux D... avec lesquels ils forment une véritable famille, a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

- que, dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables ; qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants D... par cela seul qu'ils étaient nés en exécution d'une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel, qui a ainsi pénalisé ces enfants, en les privant de la nationalité de leurs parents, à raison de faits qui ne leur étaient pourtant pas imputables, a violé l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme combiné avec l'article 8 de ladite Convention.

II. Recevabilité de l'intervention volontaire de l'association Arcilesbica

3. En application du deuxième alinéa de l'article 327 du code de procédure civile, seule est admise devant la Cour de cassation l'intervention volontaire formée à titre accessoire.

Selon l'alinéa premier de l'article 330 du même code, l'intervention est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie. Il ressort du mémoire produit par l'association Arcilesbica que son intervention volontaire ne vient pas en soutien de Mmes E... et J... D... et de M. et Mme D.... Aucune autre partie n'ayant produit de mémoire, cette intervention volontaire est irrecevable.

III. Examen du moyen

Vu l'article 55 de la Constitution :

Vu l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant :

Vu l'avis consultatif de la Cour européenne des droits de l'homme du 10 avril 2019 :

4. Dans son avis consultatif, la Cour européenne des droits de l'homme énonce que chaque fois que la situation d'un enfant est en cause, l'intérêt supérieur de celui-ci doit primer (§ 38). Or, l'absence de reconnaissance du lien de filiation entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et la mère d'intention a des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l'enfant au respect de la vie privée (§ 40).

Au vu de ces éléments et du fait que l'intérêt supérieur de l'enfant comprend aussi l'identification, en droit, des personnes qui ont la responsabilité de l'élever, de satisfaire à ses besoins et d'assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d'évoluer dans un milieu stable, la Cour européenne des droits de l'homme considère que l'impossibilité générale et absolue d'obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et la mère d'intention n'est pas conciliable avec l'intérêt supérieur de l'enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise (§ 42).

Selon la Cour, il va de soi que ces conditions doivent inclure une appréciation par le juge de l'intérêt supérieur de l'enfant à la lumière des circonstances de la cause (§ 54).

5. Dès lors, la Cour européenne des droits de l'homme est d'avis que « dans la situation où, comme dans l'hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l'étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d'intention et d'une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l'enfant et le père d'intention a été reconnu en droit interne :/ 1.

Le droit au respect de la vie privée de l'enfant, au sens de l'article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d'un lien de filiation entre cet enfant et la mère d'intention, désignée dans l'acte de naissance légalement établi à l'étranger comme étant la « mère légale »; / 2.

Le droit au respect de la vie privée de l'enfant, au sens de l'article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l'état civil de l'acte de naissance légalement établi à l'étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l'adoption de l'enfant par la mère d'intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l'effectivité et la célérité de sa mise en oeuvre, conformément à l'intérêt supérieur de l'enfant ».

6. Il se déduit ainsi de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, la circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'enfant, faire obstacle à la transcription de l'acte de naissance établi par les autorités de l'Etat étranger, en ce qui concerne le père biologique de l'enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l'égard de la mère d'intention mentionnée dans l'acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l'enfant et la mère d'intention s'est concrétisé.

7. Pour annuler la transcription sur les registres du service d'état civil de Nantes des actes de naissance établis dans le comté de San Diego (Californie) et désignant M. et Mme D... en qualité de père et mère des enfants E... et J... D..., l'arrêt retient que ces actes ont été établis sur le fondement de l'arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l'Etat de Californie qui a déclaré M. N... D..., père génétique et Mme V... T..., « mère légale de tout enfant qui naîtrait de Mme S... entre le 15 août 2000 et le 15 décembre 2000 ». Il ajoute que c'est à la suite d'une convention de gestation pour autrui que Mme S... a donné naissance à deux enfants qui sont issus des gamètes de M. D... et d'une tierce personne, enfants qui ont été remis à M. et Mme D.... Dès lors que toute convention portant sur la procréation ou sur la gestation pour le compte d'autrui est nulle en vertu de l'article 16-7 du code civil, il conclut que l'arrêt de la Cour supérieure de l'Etat de Californie, en ce qu'il a validé indirectement une gestation pour autrui, est en contrariété avec la conception française de l'ordre public international.

8. En statuant ainsi, par des motifs fondés sur l'existence d'une convention de gestation pour autrui à l'origine de la naissance des enfants, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

9. En application de l'article L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et de l'article 627 du code de procédure civile, la Cour de cassation peut, en matière civile, statuer au fond lorsque l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie.

IV. Règlement au fond

Sur la recevabilité de l'action du ministère public

10. Il résulte de l'article 423 du code de procédure civile que le ministère public peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci.

Le jugement déféré doit donc être infirmé.

Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription

Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription de l'acte de naissance des enfants à l'égard du père biologique

11. Il résulte de ce qui a été dit aux paragraphes 4, 5 et 6 que l'acte de naissance doit être transcrit en ce qui concerne la filiation paternelle biologique.

En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que l'arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l'Etat de Californie a déclaré M. N... D..., père génétique des deux enfants, qui sont issues des gamètes de ce dernier et d'une tierce personne. Il convient, en conséquence, de rejeter la demande formée par le procureur général près la cour d'appel de Paris en annulation de la transcription des actes de naissance de E... et J... D... en ce qu'elles sont nées de M. N... D....

Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription de l'acte de naissance à l'égard de Mme D..., mère d'intention des deux enfants, et sur les demandes de Mmes E... et J... D...

12. Il résulte de l'avis consultatif de la Cour européenne des droits de l'homme que, s'agissant de la mère d'intention, les Etats parties ne sont pas tenus d'opter pour la transcription des actes de naissance légalement établis à l'étranger (§ 50).

En effet, il n'y a pas de consensus européen sur cette question. Lorsque l'établissement ou la reconnaissance du lien entre l'enfant et le parent d'intention est possible, leurs modalités varient d'un Etat à l'autre. Il en résulte que, selon la Cour, le choix des moyens à mettre en oeuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d'intention tombe dans la marge d'appréciation des Etats (§ 51).

13. Selon l'avis consultatif, l'impossibilité générale et absolue d'obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et la mère d'intention n'est pas conciliable avec l'intérêt supérieur de l'enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise, ces conditions devant inclure une appréciation in concreto par le juge de l'intérêt supérieur de l'enfant (§ 52 et 54).

14. En droit français, en application de l'article 310-1 du code civil, la filiation est légalement établie par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire, ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété. Elle peut l'être aussi par un jugement.

Par ailleurs, la filiation peut être également établie, dans les conditions du titre VIII du code civil, par l'adoption, qu'elle soit plénière ou simple.

15. En considération de l'existence de ces modes d'établissement de la filiation, la 1re chambre civile de la Cour de cassation, par quatre arrêts du 5 juillet 2017 (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvois n° 15-28.597, Bull. 2017, I, n° 163, n° 16-16.901 et n° 16-50.025, Bull. 2017, I, n° 164, n° 16-16.455, Bull. 2017, I, n° 165) a jugé que l'adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, de créer un lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention, épouse du père biologique.

Selon l'avis consultatif, l'adoption répond notamment aux exigences de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l'enfant soit maintenu longtemps dans l'incertitude juridique quant à ce lien, le juge devant tenir compte de la situation fragilisée des enfants tant que la procédure est pendante.

16. Etant rappelé qu'en droit français, les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui sont nulles, la Cour de cassation retient, eu égard à l'intérêt supérieur de l'enfant, qu'il convient de privilégier tout mode d'établissement de la filiation permettant au juge de contrôler notamment la validité de l'acte ou du jugement d'état civil étranger au regard de la loi du lieu de son établissement, et d'examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l'enfant.

17. En l'espèce, le prononcé d'une adoption suppose l'introduction d'une nouvelle instance à l'initiative de Mme V... D....

En effet, en application des dispositions du titre VIII du code civil, l'adoption ne peut être demandée que par l'adoptant, l'adopté devant seulement y consentir personnellement s'il a plus de treize ans.

Le renvoi des consorts D... à recourir à la procédure d'adoption, alors que l'acte de naissance des deux filles a été établi en Californie, dans un cadre légal, conformément au droit de cet Etat, après l'intervention d'un juge, la Cour supérieure de l'Etat de Californie, qui a déclaré M. N... D..., père génétique et Mme V... D..., « mère légale » des enfants, aurait, au regard du temps écoulé depuis la concrétisation du lien entre les enfants et la mère d'intention, des conséquences manifestement excessives en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée de Mmes E... et J... D....

18. Selon les requérantes, la concrétisation du lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention évoquée par la Cour européenne dans son avis consultatif pourrait trouver une traduction en droit interne français avec la possession d'état qui, en application de l'article 311-1 du code civil, s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. Cependant, l'avis consultatif insiste sur la nécessité de ne pas fragiliser la situation de l'enfant dès lors que la gestation pour autrui a été réalisée dans les conditions légales du pays étranger et que le lien avec la mère d'intention s'est concrétisé. A cet égard, la reconnaissance du lien de filiation par la constatation de la possession d'état dans l'acte de notoriété établi le 11 mai 2018 par le juge d'instance de [...], à supposer que les conditions légales en soient réunies, ne présente pas les garanties de sécurité juridique suffisantes dès lors qu'un tel lien de filiation peut être contesté en application de l'article 335 du code civil.

Par conséquent, la demande formée par Mmes E... et J... D... tendant à faire constater le fait juridique reconnu dans l'acte de notoriété établi le 11 mai 2018 par le juge d'instance de [...] sera rejetée.

19. Il résulte de ce qui précède, qu'en l'espèce, s'agissant d'un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans, en l'absence d'autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mmes E... et J... D... consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et alors qu'il y a lieu de mettre fin à cette atteinte, la transcription sur les registres de l'état civil de Nantes des actes de naissance établis à l'étranger de E... et J... D... ne saurait être annulée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE l'intervention volontaire de l'association Arcilesbica ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 mars 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

INFIRME le jugement rendu le 13 décembre 2005 par le tribunal de grande instance de Créteil ;

Et statuant à nouveau :

DÉCLARE RECEVABLE l'action du ministère public ;

REJETTE la demande d'annulation de la transcription formée par le procureur général près la cour d'appel de Paris ;

CONSTATE la transcription sur les registres de l'état civil de Nantes de :

- l'acte de naissance de E... F... P... D... enregistré le 1er novembre 2000 sous le n° [...] à San Diego (Californie) de M. N... D..., né le [...] à Dijon, en ce qu'elle est née de M. N... D..., né le [...] à Dijon, et de Mme V... T... née à Melfi (Italie), le [...], épouse de M. N... D..., effectuée le 25 novembre 2002 par l'officier d'état civil par délégation du Consul général de France à Los Angeles ;

- l'acte de naissance de J... M... R... D... enregistré le 1er novembre 2000 sous le n° [...] à San Diego (Californie) de M. N... D..., né le [...] à Dijon, en ce qu'elle est née de M. N... D..., né le [...] à Dijon, et de Mme V... T... née à Melfi (Italie), le [...], épouse de M. N... D..., effectuée le 25 novembre 2002 par l'officier d'état civil par délégation du Consul général de France à Los Angeles ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt du 18 mars 2010 de la cour d'appel de Paris et des actes de naissance de E... F... P... D... et J... M... R... D....

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Potier de La Varde-Buk Lament, substituée par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. et Mme D... et de Mmes E... et J... D... (consorts D...)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la transcription, sur les registres du service central d'état civil de Nantes, des actes de naissance établis dans le comté de San Diego (Californie) et désignant M. N... D... et Mme V... T... en qualité de père et mère des enfants E... F... P... D... et J... M... R... D... ;

AUX MOTIFS QUE les actes de naissance ont été établis sur le fondement de l'arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l'Etat de Californie qui a déclaré M. D... « père génétique » et Mme T... « mère légale » de tout enfant devant naître de Mme S... entre le 15 août 2000 et le 15 décembre 2000 ; que ces actes d'état civil sont donc indissociables de la décision qui en constitue le soutien et dont l'efficacité demeure subordonnée à sa propre régularité internationale ; que la reconnaissance, sur le territoire national, d'une décision rendue par une juridiction d'un Etat qui n'est lié à la France par aucune convention est soumise à trois conditions, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ; qu'en l'espèce, il est constant que c'est à la suite d'une convention de gestation pour autrui que Mme S... a donné naissance à deux enfants qui sont issus des gamètes de M. D... et d'une tierce personne et qui ont été remises aux époux D... ; que selon l'article 16-7 du code civil, dont les dispositions, qui sont issues de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 et qui n'ont pas été modifiées par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004, sont d'ordre public en vertu de l'article 16-9 du même code, toute convention portant sur la procréation ou sur la gestation pour le compte d'autrui est nulle ; que, dès lors, l'arrêt de la Cour supérieure de l'Etat de Californie, en ce qu'il a validé indirectement une convention de gestation pour autrui, est en contrariété avec la conception française de l'ordre public international ; qu'en conséquence, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si une fraude à la loi a été réalisée, il y a lieu d'annuler la transcription, sur les registres du service central d'état civil français, des actes de naissance américains qui désignent Mme D... comme mère des enfants et d'ordonner la transcription du présent arrêt en marge des actes de naissance annulés ; que les époux D... ne sont pas fondés à soutenir qu'une telle mesure contrevient à des dispositions inscrites dans des conventions internationales ; qu'en effet, les notions qu'ils invoquent, en particulier celle de l'intérêt supérieur de l'enfant, ne sauraient permettre, en dépit des difficultés concrètes engendrées par une telle situation, de valider a posteriori un processus dont l'illicéité ressortit, pour l'heure, du droit positif ; qu'en outre, l'absence de transcription n'a pas pour effet de priver les deux enfants de leur état civil américain et de remettre en cause le lien de filiation qui leur est reconnu à l'égard des époux D... par le droit californien.

1°) ALORS QUE la décision étrangère qui reconnaît la filiation d'un enfant à l'égard d'un couple ayant régulièrement conclu une convention avec une mère porteuse n'est pas contraire à l'ordre public international, qui ne se confond pas avec l'ordre public interne ; qu'en jugeant que l'arrêt de la Cour supérieure de l'Etat de Californie ayant déclaré M. D... « père génétique » et Mme T... « mère légale » de tout enfant devant naître de Mme S... entre le 15 août et le 15 décembre 2000 était contraire à l'ordre public international prétexte pris que l'article 16-7 du code civil frappe de nullité les conventions portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil.

2°) ALORS en tout état de cause QU'il résulte de l'article 55 de la Constitution que les traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés ont, sous réserve de leur application réciproque par l'autre partie, une autorité supérieure à celle des lois et règlements ; qu'en se fondant, pour dire que c'était vainement que les consorts D... se prévalaient de conventions internationales, notamment de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant, sur la circonstance que la loi prohibe, « pour l'heure », la gestation pour autrui, la cour d'appel, qui a ainsi considéré qu'une convention internationale ne pouvait primer sur le droit interne, a violé l'article 55 de la Constitution.

3°) ALORS QUE dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'en retenant que l'annulation de la transcription des actes de naissance des enfants des époux D... ne méconnaissait pas l'intérêt supérieur de ces enfants en dépit des difficultés concrètes qu'elle engendrerait, la cour d'appel, dont la décision a pourtant pour effet de priver ces enfants de la possibilité d'établir leur filiation en France, où ils résident avec les époux D..., a violé l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant.

4°) ALORS QU'il résulte des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que là où l'existence d'un lien familial avec un enfant se trouve établie, l'Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer ; qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants D..., la cour d'appel, qui a ainsi privé ces enfants de la possibilité d'établir en France leur filiation à l'égard des époux D... avec lesquels ils forment une véritable famille, a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

5°) ALORS QUE dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables ; qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants D... par cela seul qu'ils étaient nés en exécution d'une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel, qui a ainsi pénalisé ces enfants, en les privant de la nationalité de leurs parents, à raison de faits qui ne leur étaient pourtant pas imputables, a violé l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme combiné avec l'article 8 de ladite Convention.

- Président : Mme Arens (première présidente) - Rapporteur : Mme Martinel, assistée de Mme Noël, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Molins - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant ; article 55 de la Constitution ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire ; article 627 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 5 octobre 2018, pourvoi n° 10-19.053, Bull. 2018, I, (sursis à statuer), et les arrêts cités.

3e Civ., 10 octobre 2019, n° 17-28.862, (P)

Cassation

Premier Protocole additionnel – Article 1er – Protection de la propriété – Restriction – Bail à métayage – Conversion – Proportionnalité – Recherche nécessaire

Il appartient au juge, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher concrètement si la conversion d'un métayage en fermage en application de l'article L. 417-11 du code rural et de la pêche maritime, en ce qu'elle prive le bailleur de la perception en nature des fruits de la parcelle louée et en ce qu'elle est dépourvue de tout système effectif d'indemnisation, ne porte pas une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, au droit au respect de ses biens garanti par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon,5 octobre 2017), que, par acte du 12 janvier 1995, l'exploitation agricole à responsabilité limitée Domaine de la Choupette U... fils (l'EARL) a pris à bail à métayage, à effet du 11 novembre 1994, des parcelles de vignes appartenant au groupement foncier agricole GFV Famille Y... (le GFA) ; que, par acte du 19 novembre 2014, le preneur a notifié au bailleur une demande de conversion du bail à métayage en bail à ferme ; que, par déclaration du 17 décembre 2014, il a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux à cette fin et en fixation du fermage ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que, la Cour de cassation ayant, par arrêt du 28 juin 2018, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le moyen est sans portée ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt d'ordonner la conversion ;

Mais attendu que le GFA ne démontre pas en quoi les principes généraux reconnus par le droit de l'Union européenne seraient méconnus, à défaut d'établir la condition d'extranéité nécessaire à l'application des dispositions invoquées ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 417-11 du code rural et de la pêche maritime ;

Attendu que, pour ordonner la conversion en bail à ferme, l'arrêt retient que les dispositions du statut du fermage et du métayage n'ont pas pour effet de priver le bailleur de son droit de propriété, mais apportent seulement des limitations à son droit d'usage ; que l'ingérence qu'elles constituent est prévue par la loi, à savoir les dispositions pertinentes du code rural ; qu'en ce qui concerne le but poursuivi, le législateur national dispose d'une grande latitude pour mener une politique économique et sociale et concevoir les impératifs de l'utilité publique ou de l'intérêt général, sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable ; que la conversion du bail à métayage est fondée sur l'objectif d'intérêt général tendant à privilégier la mise en valeur directe des terres agricoles et spécialement à donner à l'exploitant la pleine responsabilité de la conduite de son exploitation ; que, s'il est exact que le paiement d'un fermage, dont le montant est encadré par la loi, peut apporter au bailleur des ressources moindres que la part de récolte stipulée au bail à métayage, la conversion en bail à ferme n'est cependant pas dépourvue de tempéraments et de contreparties, de sorte qu'un juste équilibre se trouve ménagé entre les exigences raisonnables de l'intérêt général et la protection du droit au respect des biens du bailleur, les limitations apportées au droit d'usage de ce dernier n'étant pas disproportionnées au regard du but légitime poursuivi ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher concrètement, comme il le lui était demandé, si la conversion du métayage en fermage, en ce qu'elle privait le GFA de la perception en nature des fruits de la parcelle louée et en ce qu'elle était dépourvue de tout système effectif d'indemnisation, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de ses biens au regard du but légitime poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Barbieri - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois -

Textes visés :

Article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 417-11 du code rural et de la pêche maritime.

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