Numéro 10 - Octobre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2018

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 8 octobre 2018, n° 18-04.133, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Action directe du tiers payeur contre l'assureur de l'auteur du dommage – Cas – Litige relatif à la responsabilité de l'Etablissement français du sang

En prévoyant, par les dispositions de l'article 72 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, la possibilité pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de chercher à être garanti, par les assureurs des structures de transfusion reprises par l'Etablissement français du sang, des sommes qu'il a versées, le législateur a entendu conférer à la juridiction compétente pour connaître de cette action en garantie plénitude de juridiction pour statuer sur l'ensemble des questions qui s'y rapportent, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 15 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005.

Par conséquent, le litige opposant l'ONIAM à l'assureur d'un centre de transfusion sanguine mis en cause dans la contamination transfusionnelle d'une victime par le virus de l'hépatite C relève de la compétence du juge judiciaire, sans que celui-ci n'ait à saisir le juge administratif d'une question préjudicielle s'agissant d'établir la responsabilité du centre.

Vu l'expédition de l'arrêt du 16 mai 2018 par lequel la Cour de cassation (première chambre civile), saisie du pourvoi formé par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et tendant à l’annulation de l'ordonnance de référé du 2 mars 2017 rendue par le premier président de la cour d’appel de Versailles dans le litige l’opposant à la société Axa France IARD, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu le mémoire présenté par la SCP Sevaux, Mathonnet, pour l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour connaître du litige et à ce qu’une somme de 3000 euros soit mise à la charge de la société Axa France IARD au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que ni la compétence de principe du juge administratif ni l'article 15 de l'ordonnance du 1er septembre 2005 n’interdisent au juge judiciaire saisi de l'action en garantie de l'ONIAM contre l’assureur de connaître de la responsabilité du centre de transfusion assuré, que la compétence judiciaire est seule conforme à l’intention du législateur exprimée lors de l’adoption de la loi du 17 décembre 2012 et qu’elle est conforme à la bonne administration de la justice ;

Vu le mémoire présenté par la SCP Celice, Soltner, Texidor, Perier pour la société Axa France IARD, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs que l’article 15 de l'ordonnance du 1er septembre 2005 a donné une compétence exclusive au juge administratif, laquelle n’a pas été remise en cause par l’intervention de la loi du 17 décembre 2012 et n’a pas été abrogée implicitement ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre des solidarités et de la santé, qui n’a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

Vu la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;

Vu l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ;

Considérant, d'une part, que l’article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 a chargé l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d’indemniser les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ; que le I de cet article 67 a inséré au code de la santé publique un article L.1221-14 déterminant la procédure d’indemnisation des victimes par l’Office ; que le IV du même article a, en outre, prévu que l’Office se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ;

Considérant que le c) du 4°) du I de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 a modifié l’article L. 1221-14 du code de la santé publique pour prévoir que l'Office, lorsqu'il a indemnisé une victime, peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n°2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1erseptembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine ; que le II du même article 72, applicable aux actions juridictionnelles en cours à la date du 1er juin 2010 sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, a complété le IV de l’article 67 de la loi du 17 décembre 2008 pour prévoir aussi un recours de l’ONIAM à l’encontre des assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang, en l’étendant aux créances des tiers payeurs remboursés par l'Office ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 1erseptembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine : « Les demandes tendant à l'indemnisation des dommages résultant de la fourniture de produits sanguins labiles ou de médicaments dérivés du sang élaborés par les personnes morales de droit public mentionnées à l'article 14 de la présente ordonnance ou par des organismes dont les droits et obligations ont été transférés à l'Etablissement français du sang en vertu d'une convention conclue en application de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998 visée ci-dessus ou dans les conditions fixées au I de l'article 60 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000 visée ci-dessus relèvent de la compétence des juridictions administratives quelle que soit la date à laquelle est intervenu le fait générateur des dommages dont il est demandé réparation.

Les juridictions judiciaires saisies antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance de demandes pour lesquelles elles étaient compétentes le demeurent après cette entrée en vigueur » ;

Considérant que l’ONIAM, après que le tribunal administratif de Rouen l’eut condamné, par un jugement du 6 juillet 2011, à verser à Mme Y... et à la caisse primaire d’assurance maladie de Rouen des indemnités à raison de la contamination de l'intéressée par le virus de l’hépatite C, jugée imputable aux transfusions sanguines reçues en 1983, 1986 et 1987 au centre hospitalier de Rouen, a assigné, sur le fondement des dispositions issues de l’article 72 de la loi du 17 décembre 2012 précédemment mentionnées, la société Axa France IARD, en sa qualité d’assureur de l’ancien centre de transfusion sanguine de Bois-Guillaume, en vue d'obtenir le remboursement des sommes versées à la victime et à la caisse ; que, par une ordonnance du 9 décembre 2016, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre a sursis à statuer et renvoyé à la juridiction administrative, par voie préjudicielle, la question de la responsabilité de l’Etablissement français du sang venu aux droits et obligations du centre de transfusion ; que l’ONIAM a assigné en référé l’assureur devant le premier président de la cour d’appel afin d’être autorisé à interjeter appel immédiat de cette ordonnance, puis s’est pourvu en cassation contre le rejet de cette demande ; que, par arrêt du 16 mai 2018, la Cour de cassation a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant qu'en prévoyant, par les dispositions de l'article 72 de la loi du 17décembre 2012, la possibilité pour l’ONIAM de chercher à être garanti, par les assureurs des structures de transfusion reprises par l'Etablissement français du sang, des sommes qu’il a versées, le législateur a entendu conférer à la juridiction compétente pour connaître de cette action en garantie plénitude de juridiction pour statuer sur l’ensemble des questions qui s’y rapportent, sans qu’y fassent obstacle les dispositions de l’article 15 de l’ordonnance du 1erseptembre 2005 ; qu’il s’ensuit que la juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l’ONIAM au titre des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige.

Article 2 :

Les conclusions de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales présentées sur le fondement de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : M. Stahl - Avocat général : M.me Vassallo-Pasquet (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret du 26 octobre 1849 modifié ; loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ; loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ; loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; article L. 1221-14 du code de la santé publique.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître de l'action exercée contre l'assureur du tiers responsable, cf. : Tribunal des conflits, 6 mai 2002, Bull. 2002, T. conflits, n° 9 ; 2e Civ., 10 septembre 2015, pourvoi n° 14-22.023, Bull. 2015, II, n° 199 (cassation).

Tribunal des conflits, 8 octobre 2018, n° 18-04.135, (P)

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Litige relatif aux travaux publics – Caractérisation – Applications diverses – Travaux de raccordement au réseau public de collecte

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des litiges relatifs à la facturation et au recouvrement de la redevance due par les usagers du service public industriel et commercial de l'assainissement, et aux dommages causés à ces derniers à l'occasion de la fourniture du service, peu important que la cause des dommages réside dans un vice de conception, l'exécution de travaux publics ou l'entretien d'ouvrages publics, ou encore à un refus d'autorisation de raccordement au réseau public.

En revanche, un litige né du refus d'une commune de réaliser ou de financer des travaux de raccordement au réseau public de collecte, lesquels présentent le caractère de travaux publics, relève de la compétence de la juridiction administrative.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige opposant un service public industriel et commercial à ses usagers – Condition

Vu l'expédition de l'arrêt du 16 mai 2018, par lequel la Cour de cassation, saisie du pourvoi formé par la commune de Malroy tendant à l’annulation de l’arrêt du 30 mars 2017 par lequel la cour d’appel de Metz a jugé la juridiction judiciaire compétente pour connaître de la demande de M. Didier X... et Mme Béatrice Z..., épouse X..., tendant à ce que la commune soit condamnée à leur rembourser le coût des travaux de raccordement au réseau d’assainissement qu’ils ont effectués, a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu le mémoire présenté par la SCP Ortscheidt pour la commune de Malroy, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par le motif que le litige engagé par M. et Mme X... constitue un litige de travaux publics ;

Vu le mémoire présenté par Me A... pour les époux X..., tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par le motif qu'ils sont usagers du service public industriel et commercial de l'assainissement ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiéeau ministre d'Etat, ministre de l’intérieur, qui n’a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Considérant que M. et Mme X..., propriétaires d’une maison sur le territoire de la commune de Malroy, ont effectué en 2001 des travaux de raccordement de leur propriété au réseau public d’assainissement communal ; qu’ayant vainement demandé à la commune le remboursement des frais ainsi exposés, ils ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg qui, par un jugement du 19 mai 2010 devenu définitif, s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige ; que, par une ordonnance du 11 décembre 2015, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Metz a jugé que la juridiction judiciaire était compétente ; que cette décision a été confirmée par un arrêt du 30 mars 2017 de la cour d'appel de Metz ; que, saisi par un pourvoi de la commune de Malroy, la Cour de cassation, a, par un arrêt du 16 mai 2018, renvoyé au Tribunal, en application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Considérant que, eu égard aux rapports de droit privé nés du contrat qui lie le service public industriel et commercial de l’assainissement à ses usagers, les litiges relatifs aux rapports entre ce service et ses usagers relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire ; qu’ainsi, il n'appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à la facturation et au recouvrement de la redevance due par les usagers, aux dommages causés à ces derniers à l’occasion de la fourniture du service, peu important que la cause des dommages réside dans un vice de conception, l'exécution de travaux publics ou l'entretien d’ouvrages publics, ou encore à un refus d’autorisation de raccordement au réseau public ; qu’en revanche, un litige né du refus de réaliser ou de financer des travaux de raccordement au réseau public de collecte, lesquels présentent le caractère de travaux publics, relève de la compétence de la juridiction administrative ;

Considérant que la demande de M. et Mme X... tend à la condamnation de la commune de Malroy à rembourser les frais qu’ils ont exposés pour la réalisation de travaux qui ont le caractère de travaux publics ; que cette demande doit être regardée comme se rattachant à un refus d'exécution et de financement de travaux publics et non à un litige relatif aux rapports entre le service public industriel et commercial de l'assainissement et ses usagers ; que, par suite, le litige relève de la compétence de la juridiction administrative ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant les époux X... à la commune de Malroy.

Article 2 :

Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 mai 2010 est déclaré nul et non avenu.

La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : M. Ménéménis - Avocat général : Mme Vassallo-Pasquet (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; Me Balat -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015.

Rapprochement(s) :

Sur la distinction entre l'indemnisation d'un préjudice lié au refus de raccordement au service public d'assainissement relevant de la compétence de la juridiction judiciaire et la réalisation de travaux sur le réseau communal, à rapprocher : Tribunal des conflits, 6 juillet 2009, Bull. 2009, T. conflits, n° 18. Sur le caractère public des travaux de raccordement au réseau public de collecte, cf. : CE, 6 février 1981, n° 11137, mentionné aux tables du recueil Lebon. Sur la compétence du juge administratif pour connaître du litige né du refus d'exécuter des travaux publics, cf. : CE, 26 novembre 1986, n° 65814, mentionné aux tables du recueil Lebon ; CE, 8 juin 2015, n° 362783, mentionné aux tables du recueil Lebon.

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