Numéro 10 - Octobre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2018

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL

2e Civ., 11 octobre 2018, n° 17-18.712, (P)

Rejet

Faute inexcusable de l'employeur – Autorité du pénal – Condamnation de l'employeur – Portée

La chose définitivement jugée au pénal s'imposant au juge civil, l'employeur définitivement condamné pour un homicide involontaire commis, dans le cadre du travail, sur la personne de son salarié et dont la faute inexcusable est recherchée, doit être considéré comme ayant eu conscience du danger auquel celui-ci était exposé et n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Faute inexcusable de l'employeur – Conditions – Conscience du danger – Condamnation pénale définitive de l'employeur

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 27 mars 2017), rendu sur renvoi après cassation (2e civ., 6 novembre 2014, pourvois n° 13-12.152 et n° 13-12.188), que le 23 septembre 2002, Mouldi X..., salarié de la société Mather et Platt, aujourd'hui devenue la société Tyco fire and integrated solutions France (l'employeur), a été victime d'un accident mortel pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg, aux droits de laquelle vient la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin (la caisse) ; que, sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la veuve et les enfants de la victime (les consorts X...) ont saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que l'accident du travail est dû à sa faute inexcusable et d'ordonner la majoration au maximum des rentes servies à M. Youssef X..., Mme Z... X..., M. Mohamed-Yacine X... et Mme I... X..., alors, selon le moyen, qu'un arrêt infirmatif ne peut se borner à adopter les motifs des premiers juges sans se prononcer par motifs propres ; qu'en infirmant le jugement dont appel et en déclarant adopter les motifs « sérieux et pertinents » des premiers juges relativement à la conscience qu'avait l'employeur du danger auquel son salarié était exposé et l'absence de mesure prise pour l'en protéger, sans se prononcer par aucun motif propre, la cour d'appel a méconnu son obligation de motivation et a violé les articles 455 et 955 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, la chose définitivement jugée au pénal s'imposant au juge civil, l'employeur définitivement condamné pour un homicide involontaire commis, dans le cadre du travail, sur la personne de son salarié et dont la faute inexcusable est recherchée, doit être considéré comme ayant eu conscience du danger auquel celui-ci était exposé et n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;

Et attendu que l'arrêt constate que, par jugement définitif du 1er juillet 2005, le tribunal correctionnel de Strasbourg a déclaré l'employeur coupable d'un homicide involontaire commis, dans le cadre du travail, sur la personne de Mouldi X... ;

Que par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à celui critiqué par le moyen, la décision se trouve légalement justifiée ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer, par une décision spécialement motivée, sur les autres branches du moyen unique du pourvoi principal, ni sur les moyens du pourvoi incident des consorts X..., annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Palle - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Foussard et Froger ; SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Sur l'incidence de la condamnation pénale définitive de l'employeur sur la caractérisation de la faute inexcusable, à rapprocher : Soc., 4 juillet 1984, pourvoi n° 82-12.106, Bull. 1982, V, n° 292 (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 27 février 1997, pourvoi n° 95-14.662, Bull. 1997, V, n° 87 (cassation), et les arrêts cités ; Soc., 27 novembre 1997, pourvoi n° 96-13.008, Bull. 1997, V, n° 409 (rejet), et l'arrêt cité.

2e Civ., 11 octobre 2018, n° 17-23.694, (P)

Rejet

Faute inexcusable de l'employeur – Présomption légale – Preuve contraire – Détermination

La présomption de faute inexcusable instituée par l'article L. 4154-3 du code du travail ne peut être renversée que par la preuve que l'employeur a dispensé au salarié la formation renforcée à la sécurité prévue par l'article L. 4154-2 du même code.

Faute inexcusable de l'employeur – Présomption légale – Accident survenu au salarié d'une entreprise de travail temporaire – Preuve contraire – Formation renforcée à la sécurité – Caractérisation – Nécessité

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 21 juin 2017), qu'ayant été victime, le 21 octobre 2005, d'un accident du travail, alors qu'elle effectuait une mission au sein de la société Presta Breizh, Mme X..., salariée de la société Breizh interim, entreprise de travail temporaire, a saisi une juridiction de sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Presta Breizh fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de Mme X..., alors, selon le moyen :

1°/ que la présomption de faute inexcusable de l'employeur instituée par l'article L. 4154-3 du code de la sécurité sociale au bénéfice des salariés intérimaires est une présomption simple qui peut être renversée lorsque l'employeur établit avoir pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié des risques auxquels il était exposé ; qu'en jugeant que la présomption de faute inexcusable n'était pas renversée et que la survenance de l'accident était entièrement imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, tout en constatant que la société Presta Breizh avait institutionnalisé un système de remplacement automatique sur simple demande du salarié et des couteaux usés, remplacé les couteaux à neuf quatre jours avant l'accident, ce qui était conforté par deux attestations, et qu'elle mettait à disposition de chaque employé des gants de protection anti-coupure et anti-piqûre dont l'usage leur avait été expliqué, ce dont il résultait que les mesures nécessaires avaient été mises en place pour prévenir les risques liés au poste de pareur et que l'employeur ne paraît pas avoir conscience du danger, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses allégations en violation des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4154-3 du code travail ;

2°/ que la présomption de faute inexcusable de l'employeur instituée par l'article L. 4154-3 du code de la sécurité sociale au bénéfice des salariés temporaires est une présomption simple qui peut être renversée par l'employeur qui établit avoir pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié des risques auxquels il était exposé ; qu'il est constant et constaté par la cour d'appel que les couteaux avaient été changés à neuf quatre jours avant l'accident, ce que Mme X... ne contestait pas et ce dont il se déduisait que la société Presta Breizh avait mis à disposition des salariés des outils aux normes, de sorte qu'il appartenait à Mme X..., qui indiquait que son couteau était usé et qu'il n'avait pas été changé, de rapporter la preuve de ses allégations ; en tenant pour acquises les allégations de Mme X... selon lesquelles elle avait utilisé le jour de l'accident un couteau usé dont le remplacement lui aurait été refusé, quand elle ne rapportait pas le moindre élément de preuve de nature à appuyer de telles allégations, et exigeant parallèlement de la société Presta Breizh - qui démontrent qu'il existait une procédure de remplacement automatique des couteaux usés sur simple demande du salarié et que les couteaux avaient été changés par des couteaux neufs seulement quatre jours avant l'accident - qu'elle justifie que le couteau utilisé lors des faits, 4 jours plus tard, était toujours « aux normes », la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4154-3 du code du travail ;

3°/ que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur les branches précédentes en ce qu'elles critiquent les chefs du dispositifs par lesquels la cour d'appel a jugé que l'accident du travail dont Mme X... a été victime le 21 octobre 2005 est imputable entièrement à la faute inexcusable de la société utilisatrice, emportera par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs du dispositif de l'arrêt attaqué relatifs aux conséquences de la faute inexcusable et en particulier à la fixation au maximum prévu par la loi de la majoration de la rente sur la base d'une incapacité permanente partielle de 70 %, à l'ordre de procéder à une expertise médicale, à l'allocation à Mme X... d'une indemnité provisionnelle d'un montant de 5 000 euros et à la condamnation de la société Presta Breizh à garantir la société Breizh Interim des conséquences financières de la faute inexcusable mises à sa charge ;

Mais attendu que la présomption de faute inexcusable instituée par l'article L. 4154-3 du code du travail ne peut être renversée que par la preuve que l'employeur a dispensé au salarié la formation renforcée à la sécurité prévue par l'article L. 4154-2 du même code ;

Et attendu que l'arrêt constate, d'une part, que Mme X..., salariée d'une entreprise de travail temporaire, mise à disposition de la société Presta Breizh était affectée, en qualité d'ouvrière pareuse, à un poste de travail présentant des risques particuliers pour la santé et la sécurité des salariés, d'autre part, que cette société ne justifie pas lui avoir dispensé une formation renforcée à la sécurité au sens de l'article L. 4153 du code du travail ;

D'où il suit que le moyen est inopérant ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Moreau - Avocat(s) : SCP Coutard et Munier-Apaire ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la présomption de faute inexcusable au bénéfice des travailleurs temporaires, à rapprocher : 2e Civ., 21 juin 2006, pourvoi n° 04-30.665, Bull. 2006, II, n° 164 (1) (rejet), et l'arrêt cité.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.