Numéro 10 - Octobre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2018

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE

3e Civ., 4 octobre 2018, n° 17-23.190, (P)

Cassation partielle

Dommage – Existence – Causalité différente – Constatation – Effet

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 mars 2017), que M. et Mme Z... ont vendu à M. X... et Mme Y... (les consorts X...- Y...) une villa avec piscine, qu'ils avaient fait construire ; que les lots gros oeuvre, maçonnerie, charpente et couverture avaient été confiés à M. B..., assuré auprès de la société Axa France ; que la réception des travaux a été prononcée sans réserve le 3 mars 1998 ; qu'ayant constaté la présence de fissures, les consorts X...- Y... ont, après expertise, assigné M. et Mme Z..., M. B... et la société Axa France en indemnisation de leurs préjudices ;

Sur le second moyen :

Attendu que les consorts X...- Y... font grief à l'arrêt de juger prescrite leur demande concernant la quatrième fissure, alors, selon le moyen, que le désordre évolutif est celui qui, né après l'expiration du délai décennal trouve son siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature a été constaté présentant le caractère de gravité requis par l'article 1792 du code civil et ayant fait l'objet d'une demande en réparation en justice pendant le délai décennal ; que pour juger prescrite l'action des consorts X...- Y... au titre de la quatrième fissure, la cour d'appel a retenu qu'il n'avait pas un caractère évolutif ; qu'en statuant ainsi, alors que cette fissure trouvait son siège dans l'ouvrage où d'autres fissures de même nature et d'ordre décennal avaient été constatées et avait fait l'objet d'une demande de réparation dans les dix ans à compter de la réception, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'expert avait répondu aux consorts X...- Y..., qui tentaient de rattacher la quatrième et nouvelle microfissure à celles constatées précédemment, que, techniquement, si ces fissures avaient toutes eu la même origine, la nouvelle aurait modifié les existantes, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a pu en déduire que cette quatrième microfissure, qui procédait d'une causalité différente de celle des trois autres fissures et qui avait été constatée pour la première fois le 10 mars 2009, ne pouvait s'analyser en un désordre évolutif ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article 4 du code civil ;

Attendu que, pour rejeter les demandes formées par les consorts X...- Y... au titre des fissures affectant le mur pignon ouest, l'arrêt retient que seules sont recevables les demandes au titre des fissures affectant le mur pignon ouest, à l'exception de la quatrième fissure, mais que ces demandes ne peuvent prospérer, faute pour les consorts X... Y... de justifier du montant des travaux de reprise les concernant spécifiquement, l'expert judiciaire s'étant borné à indiquer que les fissures de la façade ouest devaient être reprises obligatoirement dans le poste de la confortation des fondations du mur ouest ;

Qu'en statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'un dommage dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par les consorts X...- Y... au titre des fissures affectant le mur pignon ouest à l'exception de la demande concernant la quatrième fissure, jugée prescrite, l'arrêt rendu le 23 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Pronier - Avocat général : M. Kapella - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article 1792 du code civil ; article 4 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la notion de désordres évolutifs, à rapprocher : 3e Civ., 11 mars 2015, pourvoi n° 13-28.351, Bull. 2015, III, n° 28 (cassation), et les arrêts cités.

Com., 24 octobre 2018, n° 17-25.672, (P)

Cassation partielle

Non-cumul des deux ordres de responsabilité – Domaine d'application – Exclusion – Rupture brutale des relations commerciales établies – Demande distincte

Le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n'interdit pas la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que souhaitant participer au congrès annuel de l'Association dentaire française (l'ADF) qui devait se tenir du 24 au 27 novembre 2010, la société Editions CRG (la société CRG) lui a adressé, le 14 janvier 2010, une « demande d'admission » assortie d'un acompte ; que, bien qu'ayant payé l'acompte exigé, elle s'est vu notifier, le 9 juillet 2010, un refus d'admission au congrès ; que reprochant à l'ADF d'avoir manqué à son engagement contractuel en refusant de lui fournir un stand, lors du congrès de novembre 2010, et invoquant, en outre, la rupture brutale de la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec cette association depuis 1997, la société CRG l'a assignée en indemnisation de ses préjudices ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société CRG fait grief à l'arrêt d'écarter sa demande d'indemnisation pour discrimination alors, selon le moyen :

1°/ que le principe de non-discrimination s'applique aux rapports de droit privé ; qu'en considérant que les nouveaux règlements d'exposition conféraient un droit discrétionnaire d'admission au profit de l'organisateur, quand ce règlement ne pouvait justifier que l'organisateur prenne des décisions discriminatoires à l'égard de quiconque, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que le principe de non-discrimination interdit les discriminations à raison de l'exercice des libertés d'opinion et d'expression ; que la société CRG soutenait que la raison de son exclusion des congrès organisés par l'ADF tenait à ses divergences de points de vue sur la transparence de la provenance des prothèses dentaires ; qu'en considérant que ce n'était pas ce discours tenu par la société CRG qui justifiait son éviction mais, selon l'organisateur, la manière dont elle exprimait cette opinion, sur un mode vindicatif et agressif, sans vérifier toutefois la réalité de cette allégation et, conséquemment, si ce n'était pas les opinions soutenues par la société CRG qui avait été le motif réel de son exclusion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que le motif d'exclusion de la société CRG n'était pas fondé sur ses opinions, au demeurant non politiques, mais sur leur mode d'expression, considéré par l'ADF comme agressif et vindicatif, l'arrêt retient qu'aucune discrimination n'est établie ; que par ces seuls motifs, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui attaque des motifs surabondants en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;

Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire présentée au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt retient que l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce institue une responsabilité de nature délictuelle et en déduit qu'en raison du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, la société CRG, qui a agi sur le terrain de la responsabilité contractuelle, et dont les demandes ont été partiellement accueillies, ne peut former une demande indemnitaire fondée sur la responsabilité délictuelle à raison des mêmes faits, à savoir le refus d'attribution d'un stand en 2010 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que ce principe interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n'interdit pas la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande indemnitaire de la société Editions CRG formée contre l'Association dentaire française au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt rendu le 22 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : Mme Riffault-Silk (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce.

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