Numéro 10 - Octobre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2018

CONTRAT D'ENTREPRISE

Com., 10 octobre 2018, n° 17-18.547, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Obligations du maître de l'ouvrage – Obligations envers l'entrepreneur – Garantie de paiement – Fourniture – Défaut – Conséquences – Suspension des travaux après l'ouverture d'une procédure collective à l'égard du maître de l'ouvrage – Licéité

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'association Centre médico-chirurgical des jockeys de Chantilly (le CMCJ), assistée par la société Crédit agricole immobilier entreprise (CAIE), devenue le Crédit agricole immobilier promotion, en qualité d'assistant à la maîtrise d'ouvrage, et par la société L'Atelier d'architecture hospitalière Alain Z... (AAHAJ), maître d'oeuvre, a, par un marché du 19 avril 2010, confié des travaux de restructuration de deux cliniques et d'un centre médico-chirurgical à un groupement d'entreprises dont la société Sogea Picardie (la Sogea) était la mandataire, la société Axima concept se voyant confier les lots désenfumage et plomberie ; que faisant valoir des situations de travaux impayées depuis mars 2011 et l'absence de garantie conforme aux dispositions de l'article 1799-1 du code civil, la Sogea a mis en demeure le CMCJ le 19 août 2011 de fournir la garantie et de régler les situations, sous peine de suspension des travaux à compter du 9 septembre 2011 puis, constatant la défaillance du maître de l'ouvrage, a suspendu les travaux à la date notifiée, la société Axima concept faisant de même après une mise en demeure du 26 août 2011 également restée infructueuse ; que le 24 novembre 2011, la Sogea a assigné le CMCJ en paiement des travaux et a demandé la résolution du contrat ; que le CMCJ ayant été mis en redressement judiciaire le 22 décembre 2011, la Sogea a déclaré une créance de 742 921 euros ; que les organes de la procédure collective du CMCJ sont intervenus volontairement à l'instance engagée par la Sogea et y ont appelé en intervention forcée l'architecte et l'assistant à la maîtrise d'ouvrage ; que le plan de redressement du CMCJ a été arrêté par un jugement du 12 juillet 2013 ;

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches :

Attendu que le CMCJ et M. Y..., en qualité de commissaire à l'exécution du plan de ce dernier, font grief à l'arrêt, confirmatif sur ces points, de résilier le contrat de louage d'ouvrage conclu entre la Sogea et le CMCJ aux torts exclusifs de celui-ci, de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts formées contre la Sogea et celles formées contre la société Axima concept alors, selon le moyen :

1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que l'arrêt attaqué reconnaît à l'article 1799-1 du code civil un caractère d'ordre public, sans distinguer s'il est de protection ou de direction, et affirme que l'application du troisième alinéa de cette disposition, permettant la suspension d'exécution de ses obligations par le cocontractant, n'est incompatible avec aucune disposition propre aux procédures collectives ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du CMCJ et de M. Y..., ès qualités qui soutenaient que l'ordre public de direction de l'article L. 622-13, I du code de commerce est prioritaire sur l'ordre public de protection de l'article 1799-1 du code civil, ce qui était de nature à conforter la demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de la Sogea et de condamnation de celle-ci à indemniser le CMCJ et M. Y..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'aux termes des dispositions d'ordre public de l'article L. 622-13, I du code de commerce, auquel l'article L. 631-14 du même code soumet la procédure de redressement judiciaire, le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle contraire ; qu'en affirmant, au cas d'espèce, qu'il n'est aucune disposition propre aux procédures collectives qui soit incompatible avec le maintien, par la société Sogea, de la suspension d'exécution de ses obligations en vertu de l'article 1799-1 du code civil, du fait de l'inexécution par le CMCJ placé en redressement judiciaire de son obligation de fournir une garantie à son cocontractant, la cour d'appel, qui a ainsi méconnu la prééminence de la règle propre aux procédures collectives, a violé, par refus d'application, les articles L. 622-13, I et L. 631-14 du code de commerce ;

3°/ que, pour que le créancier entrepreneur puisse surseoir à l'exécution de ses travaux, l'article 1799-1 exige la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir, premièrement, qu'aucune garantie n'ait été fournie et, deuxièmement, que l'entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés ; qu'au cas présent, en affirmant que la suspension de l'exécution du marché restait licite en tant qu'elle était fondée sur le non-respect de l'obligation de faire découlant de l'article 1799-1 du code civil, après avoir pourtant admis que la suspension des travaux par Sogea en tant qu'elle était fondée sur le non-paiement de ses factures devenait illégitime, sa cause étant désormais illicite, et obligeait l'entreprise à reprendre le chantier, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles L. 622-13, I et L. 631-14 du code de commerce, ensemble l'article 1799-1 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que la Sogea, en l'absence de fourniture par le maître de l'ouvrage de la garantie prévue par l'article 1799-1 du code civil et de paiement par ce dernier de ses factures, a mis en demeure le CMCJ, par une lettre recommandée du 9 août 2011, de se conformer aux exigences du texte précité, l'arrêt retient, à bon droit, par motifs propres et adoptés, que devant la carence persistante du maître de l'ouvrage, la Sogea a régulièrement sursis à l'exécution de ses prestations, le 9 septembre 2011, avant l'ouverture du redressement judiciaire du CMCJ le 22 décembre suivant ; que, répondant aux conclusions prétendument délaissées invoquées par la première branche, l'arrêt retient encore exactement que si l'ouverture de la procédure collective interdisait au débiteur de payer les créances antérieures de la Sogea, aucune disposition propre aux procédures collectives n'empêchait l'administrateur et le débiteur, s'ils voulaient que les travaux reprennent, d'effectuer les diligences nécessaires à l'obtention de la garantie financière manquante qui demeurait, quant à elle, exigible et en déduit que la suspension des travaux, régulièrement acquise avant l'ouverture du redressement judiciaire, demeurait licite et exempte de tout abus de la part de l'entreprise ; que la cour d'appel, qui a, en conséquence, exclu toute faute de la Sogea pour avoir maintenu la suspension des travaux après le jugement d'ouverture a fait l'exacte application des textes d'ordre public invoqués par le moyen, dès lors que l'ouverture d'une procédure collective ne peut avoir pour effet de contraindre un entrepreneur ayant, avant cette ouverture, régulièrement notifié le sursis à l'exécution de ses travaux, à les reprendre sans obtenir la garantie financière édictée par l'article 1799-1 du code civil ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa septième branche :

Attendu que le CMCJ et M. Y..., en qualité de commissaire à l'exécution du plan de ce dernier, font grief à l'arrêt du rejet de leurs demandes contre la société Axima concept alors, selon le moyen, que la cassation, qui interviendra sur les six premières branches du moyen, qui critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il estime dépourvue de caractère abusif la suspension des travaux par Sogea à partir du 9 septembre 2011 et exclusif de toute faute son maintien nonobstant l'ouverture de la procédure collective, entraînera, par voie de conséquence et par application des dispositions des articles 624 et 625 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté le CMCJ et M. Y..., ès qualités de leurs demandes à l'égard de la société Axima concept, dès lors que la cour d'appel constate que les griefs formulés à l'encontre de cette entreprise, en tant qu'ils sont identiques à ceux reprochés à Sogea, appellent les mêmes observations ;

Mais attendu que le rejet des six premières branches du premier moyen rend le moyen sans portée ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches, et sur les deuxième et troisième moyens, ce dernier pris en sa seconde branche :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 622-7 et L. 622-22 du code de commerce ;

Attendu que l'arrêt, après avoir relevé que l'architecte demandait la rémunération prévue au marché initial et avait déclaré au passif du redressement judiciaire une créance de 468 284,06 euros, retient qu'à défaut de justifier de l'accomplissement de l'intégralité de sa mission, il y a lieu d'accueillir sa demande à concurrence de 350 000 euros et de condamner le CMCJ à lui payer cette somme ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la créance de l'architecte, née antérieurement au jugement d'ouverture, faisait l'objet d'une instance en cours au jour de l'ouverture du redressement judiciaire, de sorte que la cour d'appel, qui devait, une fois cette créance déclarée au passif de la société débitrice et les formalités de reprise d'instance accomplies, en fixer le montant au passif du redressement judiciaire pour la somme qu'elle retenait, sans pouvoir prononcer une condamnation en paiement contre l'association débitrice, a violé les textes susvisés ;

Et vu les articles 627 du code de procédure civile et L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, après avertissement délivré aux parties ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'association Centre médico-chirurgical des jockeys de Chantilly à verser à la société L'Atelier d'architecture hospitalière Alain Z... une somme de 350 000 euros TTC, l'arrêt rendu le 28 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Fixe la créance de la société L'Atelier d'architecture hospitalière Alain Z... au passif de l'association Centre médico-chirurgical des jockeys de Chantilly à la somme de 350 000 euros TTC.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Vaissette - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Boulloche ; SARL Cabinet Briard ; SCP Capron -

Textes visés :

Article 1799-1 du code civil ; articles L. 622-13, I et L. 631-14 du code de commerce.

3e Civ., 18 octobre 2018, n° 17-23.741, (P)

Rejet

Responsabilité de l'entrepreneur – Assurance – Assurance responsabilité du constructeur – Garantie obligatoire – Domaine d'application – Secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 avril 2017), que M. X... et la société Euroconstruction ont conclu un contrat de construction de maison individuelle ; que, le constructeur ayant abandonné le chantier courant décembre 2003, M. X... l'a assigné en réparation des désordres et inexécutions ; qu'un précédent jugement a fixé la réception judiciaire de l'ouvrage au 14 juin 2005 et a reconnu l'entière responsabilité de la société Euroconstruction dans les désordres affectant l'immeuble ; que, se plaignant de nouveaux désordres, M. X... a, après expertise, assigné la société MMA, assureur de la société Euroconstruction, en paiement de sommes ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que tout contrat d'assurance souscrit par une personne assujettie à l'obligation d'assurance est, nonobstant toute clause contraire, réputé comporter des garanties au moins équivalentes à celles figurant dans les clauses types prévues par l'article A. 243-1 du code des assurances ; que si la garantie convenue ne peut s'appliquer qu'à l'activité déclarée par l'assuré, celle-ci doit être appréciée indépendamment de la forme du contrat conclu avec le maître de l'ouvrage ; qu'en écartant la garantie de la compagnie MMA au motif inopérant que l'activité de construction de maison individuelle n'avait pas été déclarée par la société Euroconstruction, quand il importait seulement de rechercher si les désordres invoqués se rapportaient à l'une des activités de construction déclarées par cette société dans le contrat d'assurance, la cour d'appel a violé l'article L. 241-1 du code des assurances ;

2°/ qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si, nonobstant l'absence de mention « construction de maisons individuelles » dans la police litigieuse, l'ensemble des activités déclarées par la société Euroconstruction ne correspondait pas manifestement à une telle activité, et ce d'autant plus que la nomenclature commune aux assureurs des activités de BTP pour les attestations d'assurance des constructeurs, établie par la Fédération française des sociétés d'assurances, ne référençait pas l'activité de construction de maisons individuelles, mais seulement les activités par lots techniques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard articles L. 241-1 du code des assurances et 1134 devenu 1103 du code civil ;

3°/ que l'obligation d'assurance dépend de l'analyse de la police souscrite et non pas de la comparaison de celle-ci avec d'autres polices proposées par l'assureur ; qu'en retenant que M. X... n'avait pas souscrit le contrat particulier proposé par l'assureur en matière de construction de maisons individuelles, la cour d'appel s'est prononcée par un motif impropre à écarter l'obligation d'assurance de la société MMA au regard des obligations résultant du contrat d'assurance souscrit par la société Euroconstruction, et a violé l'article L. 241-1 du code des assurances ;

4°/ qu'en laissant sans aucune réponse les conclusions d'appel de M. X... soutenant que la société MMA avait, en cours d'instance, admis que le contrat d'assurance s'appliquait aux travaux de construction de la maison de M. X... puisque, aux termes d'un courrier du 26 mars 2015 et d'un quitus du 4 avril 2015, elle l'avait indemnisé dans le cadre d'un recours amiable pour des désordres dont elle avait reconnu la nature décennale sur le mur de clôture, lequel faisait partie des travaux effectués par l'entreprise Euroconstruction au titre de l'exécution du contrat de construction litigieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la société Euroconstruction avait souscrit un contrat d'assurance garantissant uniquement les travaux de techniques courantes correspondant aux activités déclarées de gros oeuvre, plâtrerie - cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couverture- zinguerie, plomberie - installation sanitaire, menuiserie - PVC et que M. X... avait conclu avec la société Euroconstruction un contrat de construction de maison individuelle, garage, piscine, mur de clôture et restauration d'un cabanon en pierre, la cour d'appel en a déduit à bon droit que, l'activité construction de maison individuelle n'ayant pas été déclarée, les demandes en garantie formées par M. X... devaient être rejetées, et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Pronier - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article L. 241-1 du code des assurances ; article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la limitation de la garantie obligatoire aux travaux relevant de l'activité déclarée à l'assureur, à rapprocher : 3e Civ., 28 septembre 2005, pourvoi n° 04-14.472, Bull. 2005, III, n° 174 (rejet), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 21 janvier 2015, pourvoi n° 13-25.268, Bull. 2015, III, n° 5 (cassation partielle).

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