Numéro 10 - Octobre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2018

AVOCAT

1re Civ., 24 octobre 2018, n° 17-26.166, (P)

Rejet

Conseil de l'ordre – Délibération ou décision – Décision – Recours devant la cour d'appel – Exercice – Membre du barreau – Conditions – Lésion de ses intérêts professionnels personnels – Intérêt professionnel – Définition – Intérêts d'ordre privé tant moraux qu'économiques

Les intérêts professionnels visés par les dispositions des articles 19, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et 15 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 incluent les intérêts d'ordre privé tant moraux qu'économiques.

Barreau – Règlement intérieur – Robe professionnelle – Port d'insignes de distinction – Principe d'égalité entre avocats – Atteinte – Defaut – Cas

Le principe d'égalité ne s'oppose pas à l'existence de décorations décernées en récompense des mérites éminents ou distingués au service de la Nation, de sorte qu'aucune rupture d'égalité entre les avocats n'est constituée, non plus qu'aucune violation des principes essentiels de la profession, lorsqu'un avocat porte sur sa robe professionnelle les insignes des distinctions qu'il a reçues.

Barreau – Règlement intérieur – Robe professionnelle – Port d'insignes de distinction – Principes essentiels de la profession – Violation – Défaut – Cas

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 13 juillet 2017), que, suivant délibération du 5 décembre 2016, le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Toulouse (le conseil de l'ordre) a adopté une modification de l'article 2 de son règlement intérieur intitulé « attitude aux audiences », prohibant le port des décorations sur la robe des avocats ; que, suivant délibération du 6 janvier 2017, le conseil de l'ordre a rejeté la réclamation formée par M. X..., avocat audit barreau (l'avocat), lequel a saisi la cour d'appel en application de l'article 15 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;

Sur la recevabilité du pourvoi principal formé par l'ordre des avocats au barreau de Toulouse examinée d'office, après avis donné aux parties, en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu les articles 609 et 611 du code de procédure civile ;

Attendu que nul ne peut se pourvoir en cassation contre une décision à laquelle il n'a pas été partie, à moins qu'elle n'ait prononcé une condamnation à son encontre ;

Que le pourvoi, en ce qu'il est formé par l'ordre des avocats au barreau de Toulouse, qui n'est pas partie à l'arrêt attaqué et à l'encontre duquel aucune condamnation n'a été prononcée, n'est pas recevable ;

Sur la recevabilité du pourvoi incident, examinée d'office, après avis donné aux parties, en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Attendu que l'avocat ne justifie d'aucun intérêt à la cassation d'une décision qui lui a donné satisfaction en annulant la délibération en cause ; que le pourvoi n'est pas recevable ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que le conseil de l'ordre fait grief à l'arrêt de déclarer recevable le recours de M. X... et d'annuler la mention de l'article 2 du règlement intérieur de ce barreau, prévu par la délibération du conseil de l'ordre du 5 décembre 2016, interdisant le port de décorations sur la robe d'audience de l'avocat, alors, selon le moyen, que, saisie d'un recours dirigé contre une délibération prise par un conseil de l'ordre d'avocats, la cour d'appel statue après avoir invité le bâtonnier, garant, élu par ses pairs, du respect des règles de la profession, à présenter ses observations ; qu'à défaut d'avoir invité le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Toulouse à présenter ses observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

Mais attendu qu'il ressort des productions que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 13 mars 2017, le bâtonnier a été convoqué, en cette qualité, à présenter ses observations à l'audience du 29 juin suivant, conformément aux dispositions de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 ; que le moyen manque en fait ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi :

Attendu que le conseil de l'ordre fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que peuvent être déférées à la cour d'appel, à la requête de l'intéressé, les délibérations ou décisions du conseil de l'ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat ; que l'interdiction du port de décorations sur le costume d'audience ne lèse pas les intérêts professionnels d'un avocat, fût-il lui-même décoré de la Légion d'honneur ou de l'ordre national du Mérite ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Mais attendu que les intérêts professionnels visés par les dispositions des articles 19, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et 15 du décret du 27 novembre 1991 incluent les intérêts d'ordre privé tant moraux qu'économiques ; qu'ayant relevé que l'avocat était décoré des insignes de l'ordre national du Mérite et de l'ordre national de la Légion d'honneur, la cour d'appel en a justement déduit que le recours par lui formé était recevable ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen du même pourvoi :

Attendu que le conseil de l'ordre fait grief à l'arrêt d'annuler la mention de l'article 2 du règlement intérieur du barreau de Toulouse, prévu par la délibération du conseil de l'ordre du 5 décembre 2016, interdisant le port de décorations sur la robe d'audience de l'avocat, alors, selon le moyen :

1°/ que toute délibération ou décision du conseil de l'ordre étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires est annulée par la cour d'appel, sur les réquisitions du procureur général ou à la requête de l'avocat intéressé ; qu'en annulant la délibération interdisant le port de décoration sur la robe d'avocat après avoir retenu qu'il entrait dans les attributions du conseil de l'ordre de définir les modalités de port du costume d'audience et sans indiquer à quelle disposition législative ou réglementaire cette mesure contrevenait, la cour d'appel a violé l'article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

2°/ que le port des insignes de la Légion d'honneur n'est obligatoire, pour les civils, que sur la grande tenue du costume officiel ; que, dès lors, à supposer que la cour d'appel ait considéré que la délibération faisant interdiction à l'avocat de porter une décoration sur sa robe contrevenait à l'obligation de porter les insignes de la Légion d'honneur, elle a alors violé les articles R. 66 et R. 69 du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire ;

3°/ que l'obligation faite à l'avocat, lorsqu'il se présente devant une juridiction, de revêtir un costume uniforme, concourt à assurer l'égalité des justiciables ; que, dès lors, en considérant que la décision du conseil de l'ordre des avocats au barreau de Toulouse d'interdire le port des décorations sur la robe d'avocat était dépourvu de fondement légitime, la cour d'appel a violé l'article 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que, d'abord, la cour d'appel s'est fondée sur les articles R. 66 et R. 69 du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire, auxquels renvoie l'article 27 du décret n° 63-1196 du 31 décembre 1963 portant création d'un ordre national du Mérite, textes dont elle a justement déduit le droit pour le décoré de porter les insignes que confère l'attribution d'une décoration française ; qu'ensuite, après avoir énoncé, à bon droit, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à l'existence de décorations décernées en récompense des mérites éminents ou distingués au service de la Nation, elle a pu retenir que, lorsqu'un avocat porte sur sa robe professionnelle les insignes des distinctions qu'il a reçues, aucune rupture d'égalité entre les avocats n'est constituée, non plus qu'aucune violation des principes essentiels de la profession ; qu'enfin, le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les justiciables n'a pas été invoqué devant la cour d'appel ; que le moyen, irrecevable en sa troisième branche qui est nouvelle et mélangée de fait, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

DÉCLARE irrecevables le pourvoi principal en ce qu'il est formé par l'ordre des avocats au barreau de Toulouse et le pourvoi incident ;

REJETTE le pourvoi principal en ce qu'il est formé par le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Toulouse.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Teiller - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article 19, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; article 15 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ; articles R. 66 et R. 69 du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire ; article 27 du décret n° 93-1196 du 31 décembre 1963 portant création d'un ordre national du Mérite.

Rapprochement(s) :

Sur la définition des intérêts professionnels pour la défense desquels l'avocat justifie d'un intérêt à agir, à rapprocher : 1re Civ., 7 avril 1987, pourvoi n° 85-17.768, Bull. 1987, I, n° 122 (cassation) ; 1re Civ., 15 mai 2015, pourvoi n° 14-15.878, Bull. 2015, I, n° 115 (2) (cassation partielle).

2e Civ., 4 octobre 2018, n° 17-20.508, (P)

Rejet

Honoraires – Recouvrement – Action en paiement – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Portée

Le point de départ du délai de prescription biennale de l'action en fixation des honoraires d'avocat se situe au jour de la fin du mandat et non à celui, indifférent, de l'établissement de la facture.

Honoraires – Recouvrement – Action en paiement – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Date d'établissement de la facture – Absence d'influence

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 25 avril 2017), que M. et Mme X... ont confié à la société Alerion (l'avocat) la défense de leurs intérêts dans quatre affaires ; qu'à la suite d'un différend sur le paiement de ses honoraires, l'avocat a saisi le bâtonnier de son ordre d'une demande en fixation de ceux-ci ;

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'ordonnance de les débouter de leur fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en négligeant de répondre au moyen péremptoire tiré de ce que si la prescription de l'action des avocats pour le paiement de leurs honoraires court à compter de la date à laquelle leur mandat a pris fin, c'est à la condition que la facture litigieuse n'ait pas été émise avant le dessaisissement, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le point de départ du délai de prescription biennale de l'action en paiement d'une facture se situe au jour de son établissement ; qu'en considérant que la demande en paiement de factures émises avant le 18 juillet 2012 n'aurait pas été prescrite le 18 juillet 2014, date à laquelle l'avocat a saisi le bâtonnier, le premier président de la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation et 2224 du code civil ;

Mais attendu que le point de départ du délai de prescription biennale de l'action en fixation des honoraires d'avocat se situe au jour de la fin du mandat et non à celui, indifférent, de l'établissement de la facture ;

Qu'ayant retenu, d'une part, que le mandat de l'avocat s'était poursuivi au moins jusqu'en décembre 2013 dans l'affaire pénale et qu'il avait pris fin en mars 2014 dans les trois autres affaires, d'autre part, que l'avocat avait saisi par lettre du 18 juillet 2014 le bâtonnier de son ordre d'une demande en fixation de ses honoraires, le premier président, qui n'avait pas à répondre au moyen visé à la première branche que ses constatations rendaient inopérant, en a exactement déduit que la demande de l'avocat n'était pas prescrite ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi principal, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Isola - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation ; article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 26 octobre 2017, pourvoi n° 16-23.599, Bull. 2017, II, n° 206 (cassation).

3e Civ., 25 octobre 2018, n° 17-16.828, (P)

Cassation partielle

Responsabilité – Faute – Rédaction d'actes – Assignation – Assignation en résiliation d'un bail commercial – Communication d'un état des inscriptions sur fonds de commerce émanant du greffe du tribunal du lieu d'exploitation – Absence de vérification

Il incombe à l'avocat, qui représente les bailleurs dans une instance en résiliation du bail dont il a rédigé l'acte introductif, de veiller à ce que l'état des inscriptions sur le fonds de commerce émane du greffe du tribunal du lieu d'exploitation.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 24 février 2017), qu'une ordonnance de référé du 6 décembre 2005 a constaté l'acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat de bail commercial conclu entre M. et Mme Y... et la société Lunamod ; que, l'assignation délivrée par M. et Mme Y... ne lui ayant pas été dénoncée, la société Gelied, créancière de la locataire et titulaire d'un nantissement inscrit sur le fonds de commerce, a assigné en réparation de son préjudice les bailleurs, qui ont appelé en garantie M. A..., huissier de justice, et M. B..., avocat ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen du pourvoi principal :

Vu l'article L. 143-2 du code de commerce, ensemble les articles 4 et 1382, devenu 1240, du code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'indemnisation de la société Gelied, l'arrêt retient que le préjudice de cette société, qui consiste en une perte de chance de se faire payer sa créance sur le prix de vente du fonds de commerce, n'existe que si le fonds avait une valeur patrimoniale et que celle-ci ne justifie pas d'une valeur du fonds au 4 novembre 2005, date de l'assignation en résiliation du bail ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que, si l'assignation en résiliation du bail lui avait été dénoncée, la société Gelied aurait pu payer l'arriéré de loyers à la date du commandement de payer et aurait ainsi pu préserver le droit au bail et, par voie de conséquence, le fonds de commerce de la société Lunamod, lequel constituait son gage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que l'avocat, investi d'un devoir de compétence, est tenu d'accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client ;

Attendu que, pour rejeter la demande en garantie formée par les bailleurs à l'encontre de l'avocat, l'arrêt retient que la mission confiée à celui-ci ne consistait qu'à rédiger l'assignation en vue de la résiliation du bail et que l'huissier de justice, à qui incombait de signifier l'assignation aux créanciers inscrits, doit être tenu pour responsable de l'erreur ayant consisté à requérir un état des inscriptions sur le fonds de la société Lunamod auprès du tribunal de grande instance du lieu du siège de la société et non auprès de celui du lieu d'exploitation du fonds de commerce ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombe à l'avocat, qui représente les bailleurs lors de l'instance en résiliation du bail dont il a rédigé l'acte introductif, de veiller à ce que l'état des inscriptions sur le fonds de commerce émane du greffe du tribunal du lieu d'exploitation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Gelied, en réparation du préjudice causé par la perte de chance de réaliser son gage, à l'encontre de M. et Mme Y... et en ce qu'il rejette la demande de garantie formée par M. et Mme Y... à l'encontre de M. B..., l'arrêt rendu le 24 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP L. Poulet-Odent ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 143-2 du code de commerce ; articles 4 et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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