Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

SUCCESSION

1re Civ., 17 janvier 2024, n° 21-20.520, (B), FRH

Cassation

Conjoint successible – Droits légaux de succession – Détermination – Imputation des libéralités

En application de l'article 758-6 du code civil, les droits successoraux du conjoint survivant se déterminent d'abord en imputant en intégralité les libéralités qui lui ont été consenties par le défunt sur les droits qu'il tient des articles 757 et 757-1 du même code.

Conjoint successible – Droits légaux de succession – Imputation des libéralités – Cas – Libéralités en pleine propriété et en usufruit – Applications diverses

Pour imputer des libéralités consenties, l'une en pleine propriété, l'autre en usufruit, au conjoint survivant sur une vocation légale de la propriété du quart des biens, il y a lieu de calculer la valeur totale de ces libéralités, en ajoutant à la valeur des droits transmis en propriété, celle, convertie en capital, des droits transmis en usufruit, et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l'article 758-5 du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juin 2021), [S] [N] est décédé le 6 juin 2010, en laissant pour lui succéder Mme [M], son épouse, leurs deux enfants, [J] et [T], et un fils né d'un premier mariage, [X], et en l'état d'un testament olographe daté du 17 janvier 2010, instituant Mme [M] légataire de la pleine propriété de ses liquidités et valeurs et de l'usufruit de tous les biens meubles et immeubles qui composeraient sa succession.

2. La succession a été partagée par acte du 1er décembre 2020, établi par M. [F] (le notaire), membre de la société Montré-Cartier-L'Herminier-Bouton-Hugues-[F], devenue société Montré-Cartier-L'Herminier-Bouton-Hugues (la société notariale).

3. Estimant avoir été lésé lors de la liquidation de la succession, M. [X] [N] a assigné en responsabilité et indemnisation le notaire, la société notariale et la société MMA IARD, Assurances Mutuelles (la société MMA).

4. Un arrêt du 10 décembre 2019 a dit que le notaire avait manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de M. [X] [N], au motif qu'il n'avait pas informé celui-ci de ce qu'aurait été le partage s'il avait été fait une stricte application des dispositions testamentaires, et a ordonné la réouverture des débats afin de recueillir les observations des parties sur le préjudice tenant à la perte de chance de négocier un partage plus avantageux et le lien de causalité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [X] [N] fait grief à l'arrêt de le dire mal fondé en son action en responsabilité, alors « que s'agissant des successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 ayant réintroduit la règle de l'imputation en insérant un article 758-6 dans le code civil, le conjoint survivant ne peut plus bénéficier du cumul des droits successoraux prévus aux articles 757, 757-1 et 757-2 du code civil avec une ou des libéralités consenties en application de l'article 1094 ou de l'article 1094-1 du même code ; qu'en jugeant au contraire que Mme [M] pouvait recevoir, outre la pleine propriété d'une part de la succession de son époux, l'usufruit sur le reste par l'effet du testament du 17 janvier 2010, quand le cumul de ces droits légaux et testamentaires dépassait la quotité disponible spéciale du conjoint survivant en présence d'un enfant d'un premier lit et portait atteinte à la réserve de ce dernier, la cour d'appel a violé les articles 757, 758-6, 913 et 1094-1 du code civil.»

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Le notaire, la société notariale et la société MMA contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau et mélangé de fait.

7. Cependant, dans ses conclusions, M. [N] soutenait que l'acte de partage ne respectait pas la règle du non cumul par le conjoint des droits successoraux prévus aux articles 757, 757-1 et 757-2 du code civil avec une ou des libéralités consenties en application de l'article 1094 ou de l'article 1094-1 du même code.

8. Le moyen, qui n'est donc pas nouveau, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 757 et 758-6 du code civil :

9. Aux termes du premier de ces textes, si l'époux pré-décédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux.

10. Le second dispose :

« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1. »

11. Pour dire M. [N] mal fondé en son action en responsabilité, l'arrêt retient que les droits successoraux de Mme [M] se cumulent avec les libéralités qu'[S] [N] lui a consenties selon les dispositions de l'article 758-6 du code civil et que, par application combinée des articles 757 et 1094-1 du même code, celle-ci bénéficie, outre du quart en pleine propriété de la succession, de l'usufruit des trois quarts, au titre de la quotité disponible spéciale au profit du conjoint survivant. Il en déduit que les droits de M. [N] dans la succession de son père étaient de la nue-propriété du quart et qu'ayant reçu du partage des droits d'une valeur supérieure, celui-ci ne justifie d'aucune perte de chance de refuser le partage proposé et de négocier un partage plus avantageux.

12. En statuant ainsi, alors que pour la détermination des droits successoraux du conjoint survivant, en vue de faire une exacte appréciation de l'existence de la perte de chance, les legs consentis à Mme [M] devaient d'abord, non pas se cumuler, mais s'imputer en intégralité sur les droits légaux de celle-ci, de sorte qu'il y avait lieu de calculer la valeur totale de ces legs, en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit, et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l'article 758-5 du code civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Dard - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 757, 757-1 et 758-6 du code civil ; article 758-5 du code civil.

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