Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

SOCIETE (règles générales)

Com., 24 janvier 2024, n° 22-11.768, (B), FRH

Rejet

Administrateur provisoire – Désignation – Ordonnance – Rétractation – Portée – Rémunération de l'administrateur – Rétroactivité (non)

En dépit de l'effet rétroactif attaché à la rétractation de l'ordonnance ayant désigné, sur requête, un administrateur provisoire, celui-ci est bien fondé à solliciter une rémunération pour ses diligences.

Administrateur provisoire – Rémunération – Demande – Ordonnance sur requête

La demande de rémunération formée par un administrateur provisoire sur le fondement de l'article R. 814-27 du code de commerce n'obéit pas au régime des ordonnances sur requête prévues aux articles 493 à 498 du code de procédure civile.

Administrateur provisoire – Désignation – Ordonnance – Rétractation – Portée – Rémunération de l'administrateur – Rétroactivité (non) – Honoraires à la charge de la société

En cas de désignation d'un administrateur provisoire d'une société, ses honoraires sont à la charge de celle-ci, même si l'ordonnance le désignant est ensuite rétractée.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 24 janvier 2022), et les productions, le capital de la société New Plv était, à la suite du décès de [U] [R], détenu par les héritiers de ce dernier, en indivision, à concurrence de 49,5 %, par Mme [X], sa veuve, à concurrence de 14,9 %, par M. [O] à concurrence de 28,2 % et par plusieurs autres associés à concurrence de 7,4 %.

2. Par une ordonnance du 19 septembre 2018, rendue sur requête de M. [O], rectifiée par une ordonnance du 8 novembre 2018, le président d'un tribunal de commerce a désigné la société [K] [N] en qualité d'administrateur provisoire de la société New Plv.

La mission de l'administrateur provisoire a été prorogée jusqu'au 19 mai 2020 par ordonnances des 19 mars et 9 octobre 2019.

3. Par un arrêt du 11 décembre 2019, une cour d'appel a rétracté l'ordonnance du 19 septembre 2018.

4. Le 26 juin 2020, M. [N], agissant au nom de la société [K] [N], aux droits de laquelle est venue la société Arva administrateurs judiciaires associés, a déposé, auprès du président d'un tribunal de commerce, une requête aux fins de constater l'exécution de sa mission d'administrateur provisoire, d'y mettre fin et de fixer ses honoraires.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en ses première et quatrième branches

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société New Plv fait grief à l'ordonnance du premier président de rejeter sa demande d'annulation de l'ordonnance du 6 août 2020, de fixer la rémunération de M. [N] sur la période du 19 septembre 2018 au 11 décembre 2019 à une certaine somme, de dire que cette rémunération est à sa charge et de rejeter ses demandes, notamment de dommages et intérêts, alors « que la rétractation de l'ordonnance sur requête entraîne l'annulation des mesures exécutées sur le fondement de celle-ci ; qu'en l'espèce, pour écarter le moyen soulevé selon lequel la mission de l'administrateur ayant été annulée, elle est réputée n'avoir jamais été accomplie, le premier président a jugé que « l'arrêt du 11 décembre 2019 a rétracté, et non annulé, l'ordonnance ayant désigné l'administrateur provisoire et en conséquence simplement mis fin à la mission d'administration provisoire de la société New Plv par la Selarl [K] [N]. Ce faisant, tirant les conséquences de la fiction qu'entraîne la rétractation, la cour a estimé que cette mission avait bien été, au moins partiellement, réalisée, comme le reconnaît d'ailleurs la société New Plv en employant le terme 'réputé'.

L'ordonnance du 19 septembre 2018 était, de droit, exécutoire par provision, ce qu'une mention de son dispositif a même pris soin de rappeler. M. [N] était donc tenu d'exécuter la mission qui lui était judiciairement confiée, dans les délais qui lui étaient impartis.

Les prorogations judiciairement accordées ont ensuite validé cette exécution jusqu'au prononcé de l'arrêt du 11 décembre 2019, antérieur à la dernière échéance fixée au 19 mai 2020, même si les ordonnances de prorogation ont ensuite été elles aussi rétractées.

La Cour de cassation a admis pour un expert judiciaire (Soc., 15 mai 2013, pourvoi n° 11-24.218, Bull. 2013, V, n° 125) que le coût de l'expertise dont l'annulation a été prononcée soit supporté par celui auquel il incombe en considérant, d'une part, que, tenu de respecter un délai qui court de sa désignation, pour exécuter la mesure d'expertise, l'expert ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la juridiction de recours se soit prononcée sur la décision rejetant une demande d'annulation du recours à un expert, et alors, d'autre part, que l'expert ne dispose d'aucune possibilité effective de recouvrement de sa rémunération par ailleurs.

En l'espèce, la rétractation de l'ordonnance du 19 septembre 2018 l'ayant désigné prive également M. [N] de tout titre lui permettant de percevoir une rémunération de son travail effectif. Dès lors, c'est sans méconnaître les conséquences de cette rétractation que le président du tribunal de commerce de Bobigny a estimé pouvoir émettre un nouveau titre à cette fin » ; qu'en statuant ainsi, le premier président s'est mépris sur les conséquences de la rétractation de l'ordonnance sur requête ayant nommé un administrateur provisoire, dont il résultait que les actes effectués en exécution de la décision rétractée étaient annulés et réputés n'avoir jamais existé et que la requête en fixation d'honoraires était donc privée de toute base légale, et a violé l'article 496 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. En dépit de l'effet rétroactif attaché à la rétractation de l'ordonnance ayant désigné, sur requête, un administrateur provisoire, celui-ci est bien fondé à solliciter une rémunération pour ses diligences.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. La société New Plv fait le même grief à l'ordonnance du premier président, alors « que la requête en fixation d'honoraires doit être motivée à peine d'irrecevabilité ; qu'en l'espèce, elle faisait valoir que la requête n'était pas motivée et ne comportait l'indication d'aucune pièce jointe, puisqu'elle sollicitait le paiement d'honoraires sans justifier de l'accomplissement d'une mission ou de diligences quelconques par le requérant, et en déduisait que le président du tribunal de commerce avait été irrégulièrement saisi et que son ordonnance était donc nulle ; que le premier président a rejeté le moyen aux motifs que : « Sur le premier moyen, il y a lieu de rappeler que le défaut de motivation suffisante de la requête n'est pas sanctionné par une nullité aux termes de l'article 494 du code de procédure civile, à supposer ce texte applicable à la demande de fixation de la rémunération d'un administrateur provisoire. De même, les autres textes sur lesquels la Sas New Plv fonde sa tentative de démonstration d'une irrégularité de l'acte ayant saisi le président du tribunal de commerce de Bobigny ne prévoit pas davantage cette sanction, et guident seulement l'appréciation du bien-fondé de la demande.Sur le second moyen, il sera effectivement constaté que l'ordonnance frappée de recours est motivée au regard du rapport de M. [N] sur l'exécution de sa mission alors qu'il n'est pas contesté que, comme le relèvent la Sas New Plv et M. [O], le rapport de fin de mission n'était pas joint à la requête en fixation d'honoraires. Cependant, si cette circonstance fragilise la motivation de la décision, elle ne saurait avoir porté atteinte au principe de la contradiction dans une procédure qui, en première instance, n'est pas contradictoire. Ainsi, les moyens développés par la Sas New Plv ne sont pas de nature à entraîner l'annulation sollicitée de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Bobigny du 6 août 2020 » ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la requête n'était pas motivée et ne comportait l'indication d'aucune pièce jointe la justifiant, ce dont il se déduisait qu'elle était irrecevable, le premier président a violé les articles 16 et 494 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article R. 814-27 du code de commerce, la rémunération des administrateurs judiciaires au titre des mandats qui leur sont confiés en matière civile est fixée sur justification de l'accomplissement de leur mission par le président de la juridiction les ayant désignés. Cette décision est susceptible de recours selon les règles des articles 714 à 718 du code de procédure civile.

11. Selon l'article 714 du code de procédure civile, l'ordonnance de taxe rendue par le président d'une juridiction de première instance peut être frappée par tout intéressé d'un recours devant le premier président de la cour d'appel, le délai de recours étant d'un mois, courant à compter de la notification de l'ordonnance.

12. Selon l'article 496 du même code, s'il n'est pas fait droit à la requête déposée sur le fondement de l'article 493, appel peut être interjeté à moins que l'ordonnance n'émane du premier président de la cour d'appel.

Le délai d'appel est de quinze jours, courant à compter du jour du prononcé de l'ordonnance ou de la date à laquelle le requérant en a eu connaissance.

L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse. S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

13. Il découle de la comparaison entre ces textes que la demande de rémunération formée par un administrateur provisoire sur le fondement de l'article R. 814-27 du code de commerce n'obéit pas au régime des ordonnances sur requête prévues aux articles 493 à 498 du code de procédure civile.

14. Le moyen, qui invoque une violation de l'article 494 du code de procédure civile, est donc inopérant.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

15. La société New Plv fait le même grief à l'ordonnance du premier président, alors :

« 2°/ que le requérant, qui conserve la qualité de demandeur dans l'instance en référé-rétractation, succombe lorsque l'ordonnance sur requête est rétractée et doit donc assumer la charge tant des conséquences de la rétraction de la décision dont il a poursuivi l'exécution provisoire à ses risques et périls, que des conséquences de l'annulation qui en résulte des mesures prises en exécution de celle-ci, à commencer par la rémunération de l'auxiliaire de justice illégalement désigné, peu important que les diligences de ce dernier aient profité à la société administrée ; qu'en l'espèce l'ordonnance de désignation d'un administrateur provisoire a été rétractée, après que la cour d'appel de Paris a jugé que, contrairement à ce qu'avait prétendu le requérant, d'une part, rien ne justifiait qu'il soit dérogé à la contradiction et, d'autre part, que le débat contradictoire avait permis de constater qu'aucune des conditions requises pour la désignation d'un administrateur provisoire n'était remplie et, notamment, que la requête qui arguait fallacieusement d'un blocage de la société avait en réalité été déposée la veille de l'assemblée réunie pour désigner un nouveau président et que c'était à l'initiative du requérant que la désignation de l'organe dirigeant n'avait pas eu lieu, de sorte que la requête était non seulement irrecevable, mais également abusive ; que pour néanmoins juger que la rémunération de l'administrateur provisoire devait être payée par la société New Plv et non par le requérant, M. [O], le premier président a retenu que, « outre que, par principe, la désignation d'un administrateur provisoire intervient dans l'intérêt de la société, ce qui justifie que la rémunération de l'administrateur soit mise à sa charge, en l'espèce, nonobstant l'argument de la société New Plv qui compare le montant réclamé par la Selarl Arva à la perte de 306 628,98 euros enregistrée à la fin de l'exercice clos le 31 décembre 2017, il y a lieu de relever, à la suite de M. [O], que l'intervention de l'administrateur provisoire a notamment conduit au versement par M. [P] [R], avocat et frère de [U] [R], le gérant décédé de la société New Plv, de la somme de 650 000 euros qui avait été déposée sur son compte Carpa sans que la cause de ce dépôt ait été explicitée, et au versement par Mme [W] [R] d'une somme de 520 000 euros correspondant à des fonds de la société. Pour le surplus, si les investigations réalisées sous la supervision de l'administrateur provisoire ont pu être utilisées dans une procédure pénale, il n'en demeure pas moins qu'elles avaient vocation à permettre de faire valoir les droits de la société face à des soupçons de détournements. Rien ne justifie alors qu'il soit fait exception au principe et que la rémunération de l'administrateur provisoire soit mise à la charge de l'associé minoritaire qui a sollicité sa désignation, le caractère non contradictoire de la procédure en première instance, qui découle des textes applicables, ne pouvant lui être reproché.

La jurisprudence dont se prévaut la société New Plv, qui a ouvert la possibilité de mettre ces frais à la charge du gérant d'une société en raison de sa mauvaise gestion, ou d'un associé en raison de son comportement, ne saurait être transposée en l'espèce à défaut de preuve que les difficultés rencontrées par la société New Plv, au demeurant contestées par celle-ci, seraient imputables à l'action de M. [O]. Ajoutant à l'ordonnance frappée de recours, la présente décision mettra donc la rémunération de M. [N] en qualité d'administrateur provisoire de la Sas New Plv à la charge de cette société » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants pris de ce que l'administrateur provisoire aurait agi dans l'intérêt de la société, de l'absence de caractère fautif de l'absence de contradiction en première instance et de l'absence de lien de causalité entre les difficultés de l'entreprise et le comportement de M. [O], quand ce dernier avait mis en oeuvre une ordonnance illicite à ses risques et périls et devait en assumer les conséquences, le premier président a violé les articles 720 et 721 du code de procédure civile, ensemble l'article 496 du code de procédure civile, l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en statuant ainsi, sans rechercher concrètement si M. [O] n'avait pas sollicité abusivement, en l'état des éléments d'information dont il disposait à la date de la requête, la désignation d'un administrateur provisoire, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles 720 et 721 du code de procédure civile, ensemble l'article 496 du code de procédure civile, l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

16. En cas de désignation d'un administrateur provisoire d'une société, ses honoraires sont à la charge de celle-ci, même si l'ordonnance le désignant est ensuite rétractée.

17. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Gury et Maitre ; SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix -

Textes visés :

Article 496 du code de procédure civile ; article R. 814-27 du code de commerce ; articles 493 à 498 du code de procédure civile.

Com., 24 janvier 2024, n° 22-12.340, (B), FRH

Rejet

Commissaire aux comptes – Relèvement – Conditions – Empêchement – Applications diverses – Introduction d'une action en responsabilité (non)

La seule introduction d'une action en responsabilité contre un commissaire aux comptes par l'entité au sein de laquelle il exerce sa mission ne constitue pas un empêchement justifiant son relèvement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2021), M. [W] et la société cabinet RG sont les commissaires aux comptes de, respectivement, la société Chestone France, ayant pour président M. [E], et la société Immobilière FDN, ayant pour président M. [T].

2. Soutenant que des fraudes dont elles avaient été victimes n'avaient pu être commises qu'en raison de manquements de leurs commissaires aux comptes dans l'exercice de leur mission, les sociétés Chestone France et Immobilière FDN les ont assignés aux fins de voir prononcer leur relèvement.

3. Parallèlement à cette instance, neuf sociétés du groupe Massena, auquel appartiennent les sociétés Chestone France et Immobilière FDN, ont assigné M. [W] et la société cabinet RG en responsabilité professionnelle.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

4. Les sociétés Chestone France et Immobilière FDN font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en relèvement, alors :

« 1°/ que les commissaires aux comptes peuvent, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, être relevés de leurs fonctions avant l'expiration normale de celles-ci, sur décision de justice, en cas de faute ou d'empêchement ; que ni le texte de l'article L 823-7 du code de commerce, ni la jurisprudence rendue en la matière ne subordonnent le prononcé de la décision de relèvement au caractère récent des fautes commises ; qu'en affirmant cependant, pour rejeter les demandes, que « des griefs trop anciens sont impropres à motiver une demande de relèvement », la cour d'appel, qui a ajouté au texte de loi une condition qu'il ne comporte pas, a violé l'article L 823-7 du code de commerce ;

2°/ que, dans leurs conclusions, MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN rappelaient, et le fait n'était pas contesté, qu'après la découverte, en juillet 2016, par une salariée du cabinet d'expertise comptable, d'un détournement de fonds opéré au moyen d'une fausse facture, ce n'était qu'après enquête et remise d'un rapport, le 3 octobre 2017, actualisé le 14 février 2019, par le cabinet d'expertise comptable Sorgem que l'ampleur, la durée et le caractère récurrent des détournements de fonds commis au préjudice des sociétés Chestone France et Immobilière FDN notamment, avaient été révélés, partant, que les manquements des commissaires aux comptes dans leurs fonctions étaient apparus ; qu'en se bornant, pour écarter la demande formée par MM. [E] et [T] tendant au relèvement du cabinet RG de ses fonctions de commissaire aux comptes de la société Immobilière FDN, à affirmer, par pure pétition, que « le cabinet RG a été reconduit comme commissaire aux comptes lors de l'assemblée générale du 12 juin 2017, soit postérieurement de onze mois à la découverte des détournements opérés, soit à une date où l'ampleur de ceux-ci avait donc pu être sinon établie de façon précise, tout du moins circonscrite dans leur ampleur », de sorte qu' « à cette date, en pleine connaissance de l'ampleur des malversations opérées, les associés n'ont pas estimé que la poursuite de la collaboration avec le cabinet RG était impossible », sans indiquer sur quels éléments elle se fondait pour retenir la connaissance de l'ampleur des détournements de fonds commis au préjudice de la société Immobilière FDN, à la date du 12 juin 2017, alors qu'à cette date les dirigeants de la société n'avaient pas encore reçu le premier rapport du cabinet Sorgem, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que, dans leurs conclusions, MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN rappelaient, et le fait n'était pas contesté, qu'après la découverte, en 2016, par une salariée du cabinet d'expertise comptable, de quelques détournements de fonds, ce n'était qu'après enquête et remise d'un rapport, le 3 octobre 2017, actualisé le 14 février 2019, par le cabinet d'expertise comptable Sorgem que l'ampleur, la durée et le caractère récurrent des détournements de fonds commis au préjudice des sociétés Chestone France et Immobilière FDN notamment, avaient été révélés, partant, que les manquements des commissaires aux comptes dans leurs fonctions étaient apparus ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter la demande formée par M. [E], tendant au relèvement de M. [W] de ses fonctions de commissaire aux comptes de la société Chestone France, que « le dirigeant de la société Chestone France, informé de l'existence des détournements depuis 2016, n'avait pas jugé utile de solliciter le relèvement des fonctions du commissaire aux comptes pendant plus de quatre ans, démontrant par là même qu'il continuait à faire confiance à celui-ci dans le cadre de la mission qui lui était confiée », sans rechercher ni constater la date à laquelle le dirigeant de la société avait été informé de l'ampleur, de la durée et du caractère récurrent des détournements de fonds commis au préjudice de la sociétés Chestone France, la cour d'appel a encore privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 823-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. L'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'affirmation selon laquelle les commissaires aux comptes n'ont pas procédé à une analyse des risques est inexacte et qu'il ne peut pas être déduit de la circonstance qu'ils n'ont pas analysé comme un risque de fraude le détachement depuis plusieurs années de M. [O], comptable salarié du cabinet d'experts comptables Diligencia, auprès des sociétés du groupe Massena, qu'ils ont commis une faute justifiant leur relèvement. Il retient également que les commissaires aux comptes ont procédé à une analyse des risques de fraude et ont conclu, conformément à la norme d'exercice professionnelle 630, qu'ils pouvaient s'appuyer sur les travaux de la société d'expertise comptable Diligencia pour considérer exactes les écritures enregistrées par M. [O], de sorte qu'ils n'ont pas estimé nécessaire de mettre en ?uvre la procédure de circularisation des tiers fournisseurs. Il ajoute qu'eu égard à l'activité des sociétés Chestone et Immobilière FDN, les commissaires aux comptes ont orienté leurs contrôles sur la comptabilisation des actifs financiers de ces sociétés. Il en déduit que la preuve n'est pas rapportée qu'ils ont commis des fautes suffisamment graves pour fonder les demandes de relèvement de leur fonctions, de sorte que celles-ci doivent être rejetées.

6. Par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié le rejet des demandes des sociétés Chestone France et Immobilière FDN tendant au relèvement de M. [W] et de la société cabinet RG de leurs fonctions.

7. Le moyen, qui critique des motifs surabondants, est donc inopérant.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

8. Les sociétés Chestone et Immobilière FDN font le même grief à l'arrêt, alors « que les commissaires aux comptes peuvent, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, être relevés de leurs fonctions avant l'expiration normale de celles-ci, sur décision de justice, en cas de faute ou d'empêchement ; que constitue une situation d'empêchement l'existence d'un litige en cours, opposant une société à son commissaire aux comptes, à raison des fautes reprochées à ce dernier, l'antagonisme d'intérêts privant la relation contractuelle de l'impartialité et de la confiance nécessaires à l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes ; que, dans leurs conclusions [d'appel], [MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN] faisaient valoir qu'indépendamment de toute faute, « l'action en responsabilité professionnelle engagée notamment par les sociétés à l'encontre des commissaires aux comptes, actuellement pendante devant le tribunal judiciaire de Lille, engendre un inévitable antagonisme d'intérêts qui conduit les commissaires aux comptes à ne plus être en mesure de garantir à l'égard des sociétés Chestone France et Immobilière FDN le respect du secret professionnel que leur impose l'article 9 de leur code de déontologie » et que la cour « devra également relever les commissaires aux comptes de leurs fonctions eu égard au risque actuel de conflit d'intérêts entre les commissaires aux comptes » ; qu'en se bornant, pour débouter [MM. [E] et [T] et les sociétés Chestone et Immobilière FDN] de leurs demandes de relèvement de leurs fonctions des commissaires aux comptes des sociétés Chestone France et Immobilière FDN, à relever la tardiveté des demandes au regard de la date des fautes alléguées, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'action en responsabilité engagée le 3 mai 2019 par les sociétés à l'encontre de leurs commissaire aux comptes respectifs et, en conséquence, le litige en cours, n'étaient pas incompatibles avec l'exercice, par les commissaires aux comptes, de leurs fonctions, de sorte que ces derniers se trouvaient en situation d'empêchement, la cour d'appel a également privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 823-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

9. La seule introduction d'une action en responsabilité contre un commissaire aux comptes par l'entité au sein de laquelle il exerce sa mission ne constitue pas un empêchement justifiant son relèvement.

10. Les sociétés Chestone France et Immobilière FDN s'étant bornées à soutenir, dans leurs écritures d'appel, que l'action en responsabilité professionnelle engagée notamment par elles à l'encontre de leurs commissaires aux comptes devant un tribunal judiciaire engendrait un inévitable antagonisme d'intérêts conduisant ces derniers à ne plus être en mesure de garantir le respect du secret professionnel que leur impose l'article 9 de leur code de déontologie, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à de simples allégations, dépourvues d'offres de preuve.

11. Le moyen doit donc être rejeté.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 823-7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009.

Com., 24 janvier 2024, n° 20-13.755, (B), FRH

Cassation partielle

Parts sociales – Cession – Solidarité – Solidarité active – Exclusion – Cas – Pluralité de cédants – Cessionnaire ayant acquis des parts d'un seul cédant

Encourt la cassation l'arrêt qui, pour condamner solidairement quatre cédants à verser une certaine somme à deux cessionnaires « pris ensemble » au titre d'une garantie de passif prévue dans chacun des cinq actes de cession, retient que le caractère commercial de l'opération est indiscutable, alors que l'un des cessionnaires n'avait acquis ses parts que de l'un des cédants, de sorte que la solidarité dont bénéficiait le second envers celui-ci et les trois autres pour avoir acquis des parts auprès de chacun d'eux ne pouvait produire d'effet à son égard.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 décembre 2019), par quatre actes distincts du 4 juillet 2011, MM. [R] et [F] [V] et Mmes [H] et [D] [V] (les consorts [V]), qui détenaient ensemble la totalité des 7 000 parts de la société LNX, ont cédé, respectivement, 1 605 parts, 1 958 parts, 1 692 parts et 1 675 parts à la société Saws And Tools International (la société Sati).

Par un cinquième acte du même jour, M. [R] [V] a cédé 70 parts de la société LNX à M. [R] [C], dirigeant de la société Sati.

2. Chaque acte de cession prévoyait une garantie de passif.

3. La société Sati et M. [C] ont assigné les consorts [V] aux fins de voir mettre en oeuvre cette garantie.

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

6. Aux termes de ce texte, la solidarité ne se présume pas ; il faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.

7. Pour condamner solidairement les consorts [V] à verser une certaine somme à la société Sati et à M. [C] « pris ensemble », à charge pour ces derniers de se la répartir au prorata des parts sociales de la société LNX acquises, au titre de la garantie de passif résultant des actes de cession, l'arrêt retient que le caractère commercial de l'opération est indiscutable, ce dont il déduit que la solidarité est présumée. Il retient encore que si la preuve contraire peut être rapportée par ceux qui la contestent, les consorts [V] ne rapportent pas une telle preuve, la cession, même acquise par la conclusion de cinq actes distincts par lesquels chacun des associés initiaux de la société LNX a consenti à la vente de ses droits sociaux propres, ayant conduit à une prise de contrôle total de cette société par les deux cessionnaires. Il relève que la clause de garantie insérée dans chacun des actes ne limite pas la charge d'un passif antérieur révélé postérieurement à la cession à la proportion des droits sociaux cédés.

8. En statuant ainsi, alors que M. [C] n'a acquis des parts de la société LNX que de M. [R] [V], de sorte que la solidarité dont bénéficie la société Sati envers l'ensemble des consorts [V] ne peut produire d'effet à son égard, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il condamne solidairement M. [F] [V], Mme [H] [V], M. [R] [V] et Mme [D] [V] à verser à la société de droit espagnol Saws And Tools International (Sati) et à M. [C] « pris ensemble », à charge pour eux de se les répartir au prorata des parts sociales de la société LNX acquises, la somme totale de 107 403,44 euros (98 694,22 euros en principal + 8 709,22 euros de frais) au titre de la garantie de passif résultant des actes de cession signés le 4 juillet 2011 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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