Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

SERVITUDE

3e Civ., 25 janvier 2024, n° 22-16.920, (B), FS

Cassation

Servitude conventionnelle – Passage – Assiette – Déplacement – Conditions – Commodité égale pour le propriétaire du fond dominant – Méconnaissance des prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles (non)

Si le propriétaire du fonds assujetti entend transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée, il ne peut, en vertu de l'article 701, alinéa 3, du code civil, proposer comme nouvelle assiette qu'un endroit aussi commode et ne peut donc méconnaître les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles prévu par l'article L. 562-1 du code de l'environnement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 9 février 2022), MM. [R], [T], [V], Mme [G] et les sociétés civiles immobilières Vista Piana, Altu Sole et Abricor (les SCI), se prévalant d'une servitude conventionnelle de passage, ont assigné M. [Z], propriétaire du fonds servant, en rétablissement de la servitude, dont celui-ci avait déplacé l'assiette.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

2. MM. [R] et les SCI Vista Piana et Altu Sole font grief à l'arrêt de rejeter leur demande, alors « que le plan de prévention des risques naturels prévisibles « incendies de forêt » de la commune de Lumio limite la pente en long à 20 % en zone rouge ; qu'en considérant, pour rejeter la demande tendant à voir condamner M. [Z] à la remise en état et à l'ouverture de la servitude conventionnelle primitive, que l'assiette originelle de cette servitude n'avait pas été mise en conformité avec le plan de prévention des risques naturels prévisibles « incendies de forêt » de la commune de Lumio par les propriétaires des fonds dominants auxquels cette charge s'imposait au titre de leur obligation d'entretien et que la production des pages concernant les projets nouveaux de construction ne justifiait pas l'applicabilité dudit plan à une servitude ancienne existant antérieurement au mois de décembre 2014, après pourtant avoir constaté que la nouvelle assiette de la servitude litigieuse datant de 2017 comporte une pente de plus de 20 % et qu'elle n'est donc pas conforme, la cour d'appel a violé l'arrêté n° 2272015 du 11 août 2015 portant approbation du plan de prévention des risques naturels « incendies de forêt » sur le territoire de la commune de Lumio, ensemble l'article 1er du titre 3 du règlement de ce plan. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 701, alinéa 3, du code civil :

3. Selon ce texte, si l'assignation primitive de la servitude est devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêche d'y faire des réparations avantageuses, il peut offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne peut le refuser.

4. Pour rejeter la demande de MM. [R], [T], [V], Mme [G] et des SCI, l'arrêt relève que, si la nouvelle assiette comporte une pente de plus de 20 %, en méconnaissance des prescriptions du plan de prévention des risques naturels « incendie de forêt » de la commune de Lumio, ni la nouvelle, ni l'ancienne assiette ne sont conformes à ce plan en ce qui concerne la largeur du passage.

5. En statuant ainsi, alors que si le propriétaire entend transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée, il ne peut proposer comme nouvelle assiette qu'un endroit aussi commode et ne peut donc méconnaître les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Pons - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 701, alinéa 3, du code civil ; article L. 562-1 du code de l'environnement.

3e Civ., 25 janvier 2024, n° 22-14.081, (B), FS

Cassation

Servitudes légales – Obligation de débroussaillement – Domaine d'application – Conditions – Détermination

En vertu de l'article L. 134-8 du code forestier, un propriétaire ne peut être soumis à l'obligation de débroussaillement et de maintien en état débroussaillé de son terrain, au titre des 3° et 4° de l'article L. 134-6 de ce code, que lorsque le fonds en question se trouve en zone urbaine.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 février 2022), le 16 août 2013, un feu de broussailles déclaré sur un terrain non bâti appartenant à la société civile immobilière Provençale du Delta (la SCI) s'est propagé sur la propriété de M. et Mme [Y], entraînant la destruction de leur maison d'habitation.

2. La société Swisslife assurances de biens (la société Swisslife), assureur de M. et Mme [Y], a exercé une action subrogatoire en paiement contre la société Aréas dommages, assureur de la SCI.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. La société Aréas dommages fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande de la société Swisslife, alors « que suivant l'article L. 134-8, 2°, du code forestier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012, les travaux de débroussaillages mentionnés aux 3° et 4° de l'article L. 134-6, c'est-à-dire pour les terrains situés en zone urbaine, sont à la charge de leurs propriétaires ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans relever que le terrain appartenant à la SCI La Provençale du Delta aurait été situé en zone urbaine, la cour d'appel a violé les articles L. 134-6, 3° et 4°, et L. 134-8, 2°, du code forestier. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 134-6 et L. 134-8 du code forestier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012 :

4. Selon le premier de ces textes, l'obligation de débroussaillement et de maintien en état débroussaillé, pour les terrains situés à moins de deux cents mètres des bois et forêts, s'applique notamment, en vertu de ses 1° et 2°, aux abords de constructions, chantiers et installations de toute nature sur une profondeur de cinquante mètres ainsi que des voies privées y donnant accès sur une profondeur fixée par le préfet dans une limite maximale de dix mètres, et en vertu de ses 3° et 4°, aux terrains situés dans les zones urbaines des communes, qu'elles soient ou non dotées d'un plan local d'urbanisme ou d'un document en tenant lieu.

5. Selon le second, les travaux mentionnés à l'article L. 134-6 sont à la charge, dans les cas mentionnés aux 1° et 2° de cet article, du propriétaire des constructions, chantiers et installations de toute nature, pour la protection desquels la servitude de débroussaillement est établie, et dans les cas mentionnés aux 3° et 4° de cet article, du propriétaire du terrain.

6. Il en résulte qu'un propriétaire ne peut être soumis à une obligation de débroussaillement de son terrain, au titre des 3° et 4° de l'article L. 134-6 du code forestier, que lorsque celui-ci se trouve en zone urbaine.

7. Pour condamner la société Aréas dommages à garantir la société Swisslife des sommes versées en réparation du sinistre subi par M. et Mme [Y], l'arrêt retient que la SCI a manqué à l'obligation de débroussaillement à laquelle elle était tenue en sa qualité de propriétaire d'un terrain non bâti.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le terrain de la SCI était situé en zone urbaine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Pons - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Poupet et Kacenelenbogen -

Textes visés :

Articles L. 134-6 et L. 134-8 du code forestier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.