Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

PREUVE

Soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474, (B), FRH

Rejet

Règles générales – Moyen de preuve – Administration – Moyen illicite ou déloyal – Conflit avec d'autres droits et libertés – Admission – Conditions – Production indispensable et proportionnée au but poursuivi – Détermination – Portée

Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Dès lors, justifie légalement sa décision d'écarter des débats un enregistrement clandestin d'une réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) la cour d'appel qui a, d'une part relevé que le médecin du travail et l'inspecteur du travail avaient été associés à l'enquête menée par le CHSCT et que le constat établi par le CHSCT dans son rapport d'enquête du 2 juin 2017 avait été fait en présence de l'inspecteur du travail et du médecin du travail, d'autre part retenu, après avoir analysé les autres éléments de preuve produits par le salarié, que ces éléments laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, faisant ainsi ressortir que la production de l'enregistrement clandestin des membres du CHSCT n'était pas indispensable au soutien des demandes du salarié.

Règles générales – Moyen de preuve – Administration – Moyen illicite ou déloyal – Conflit avec d'autres droits et libertés – Admission – Cas – Enregistrement clandestin par le salarié d'une réunion du CHSCT

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 8 avril 2022), M. [U] a été engagé par la société Nutrition et santé (la société) selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 janvier 2010. Il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable commercial de secteur P2.

2. Le 26 mai 2017, il a saisi la juridiction prud'homale à titre principal aux fins de résiliation de son contrat de travail, en invoquant un harcèlement moral de son employeur dans le contexte du licenciement de son supérieur hiérarchique.

3. Déclaré inapte à son poste de travail le 8 octobre 2018, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 20 décembre 2018.

4. Devant la cour d'appel, il a demandé que sa pièce QQQ, correspondant à la retranscription de l'entretien du salarié avec les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société (le CHSCT) désignés pour réaliser une enquête sur l'existence d'un harcèlement moral de l'employeur, soit déclarée recevable, que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail, subsidiairement, que soit prononcée la nullité de son licenciement comme étant consécutif à un harcèlement moral, très subsidiairement, qu'il soit reconnu sans cause réelle et sérieuse et que l'employeur soit condamné à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt d'écarter la pièce QQQ de sa communication, alors « qu' il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ; qu'en se bornant à affirmer que la production de l'enregistrement par M. [U] de son entretien avec des membres du CHSCT désignés pour réaliser l'enquête était disproportionné au but poursuivi dans le cadre du procès civil, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette production n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué et proportionnée au but poursuivi, soit la protection de la santé de l'intéressée sur son lieu de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

7. Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

8. En l'espèce, la cour d'appel qui a, d'une part relevé que le médecin du travail et l'inspecteur du travail avaient été associés à l'enquête menée par le CHSCT et que le constat établi par le CHSCT dans son rapport d'enquête du 2 juin 2017 avait été fait en présence de l'inspecteur du travail et du médecin du travail, d'autre part retenu, après avoir analysé les autres éléments de preuve produits par le salarié, que ces éléments laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, faisant ainsi ressortir que la production de l'enregistrement clandestin des membres du CHSCT n'était pas indispensable au soutien des demandes du salarié, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat(s) : SCP Gouz-Fitoussi ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.