Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

PRESCRIPTION CIVILE

Soc., 10 janvier 2024, n° 22-20.366, (B), FS

Cassation partielle

Prescription biennale – Article L. 1471-1 du code du travail – Dispositions transitoires – Domaine d'application – Exclusion – Condition – Saisine de la juridiction plus de deux années suivant le 16 juin 2013 – Détermination – Portée

Il résulte de la combinaison des articles L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, et 21, V, de cette même loi, qu'à défaut de saisine de la juridiction prud'homale dans les deux années suivant le 16 juin 2013, les dispositions transitoires ne sont pas applicables en sorte que l'action portant sur l'exécution ou sur la rupture du contrat de travail, qui a eu lieu exclusivement sous l'empire de la loi ancienne, se trouve prescrite.

Prescription biennale – Article L. 1471-1 du code du travail – Délai – Computation – Modalités – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 juin 2022), Mme [U] a été engagée en qualité de secrétaire/agent administratif par l'Association pour adultes et jeunes handicapés du [Localité 3] suivant plusieurs contrats à durée déterminée à temps partiel, au cours de la période du 6 février 2007 au 14 mars 2012.

La relation de travail s'est poursuivie à l'échéance du dernier contrat.

2. Le 25 avril 2012, la salariée a été licenciée.

3. Elle a saisi la juridiction prud'homale, le 24 février 2016, afin d'obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps complet ainsi que la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens réunis

Enoncé des moyens

4. Par son troisième moyen, la salariée fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande en requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, en raison de la prescription et de ses demandes subséquentes, alors « qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que par ailleurs, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour ou celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que dans le cadre d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, en cas de vice de forme, le délai biennal court à compter de la conclusion du contrat et en cas de contestation des conditions de recours au contrat à durée déterminée, le délai de prescription court à compter du dernier contrat à durée déterminée ; qu'en déclarant l'action en requalification prescrite, en faisant partir le délai de prescription de la date de rupture du dernier contrat de travail, et non pas à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017. »

5. Par son quatrième moyen, la salariée fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande en contestation de son licenciement et de ses demandes subséquentes, alors « qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que par ailleurs, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour ou celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; qu'en déclarant l'action en contestation du licenciement de la salariée prescrite, en faisant partir le délai de prescription de la date de rupture du contrat de travail, et non pas à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

7. Selon l'article 21, V, de ladite loi, les dispositions réduisant à deux ans le délai de prescription de l'action portant sur l'exécution ou sur la rupture du contrat de travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

8. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'à défaut de saisine de la juridiction prud'homale dans les deux années suivant cette date, les dispositions transitoires ne sont pas applicables en sorte que l'action portant sur l'exécution ou sur la rupture du contrat de travail, qui a eu lieu exclusivement sous l'empire de la loi ancienne, se trouve prescrite.

9. L'arrêt relève que la salariée, qui a été licenciée le 25 avril 2012, a saisi la juridiction prud'homale le 24 février 2016 de demandes en requalification de contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et en contestation de son licenciement.

10. Il en résulte que ses actions, formées plus de deux ans après le 16 juin 2013, sont prescrites.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve, sur ces chefs de demande, légalement justifiée.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. La salariée fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande en raison de la prescription, alors « qu'aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la demande pouvant porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ; que selon l'article 21, V, de ladite loi, les dispositions réduisant à trois ans le délai de prescription de l'action en paiement de salaire s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que la cour d'appel a jugé qu'en application de ces textes, la prescription triennale des créances de nature salariale avait commencé à courir au plus tard à la date de son licenciement, le 25 avril 2012, de sorte que son action en paiement des créances de nature salariale, engagée plus de trois ans après la rupture du contrat, le 24 février 2016, était prescrite ; qu'en statuant ainsi, quand l'action en paiement des créances de nature salariale engagée le 24 février 2016, qui était soumise à la prescription quinquennale, réduite à trois ans par la loi du 14 juin 2013, n'était pas acquise au jour de l'entrée en vigueur de cette loi, de sorte que l'action se trouvait soumise à une prescription triennale qui, sauf à rétroagir, ne pouvait commencer à courir avant le 16 juin 2013, pour produire son effet extinctif au plus tôt le 16 juin 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, et 21, V, de cette même loi :

13. Aux termes du premier de ces textes, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

14. Selon le second, les dispositions du nouvel article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

15. Pour déclarer la salariée irrecevable en ses demandes en paiement d'un rappel de salaire sur classification, d'une indemnité de sujétion spéciale, de la majoration pour travail le dimanche, de l'indemnité compensatrice sur congés payés, de rappels de salaire pour heures supplémentaires ou heures complémentaires et en requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, l'arrêt retient que la salariée a saisi le conseil de prud'hommes plus de trois ans après son licenciement.

16. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la salariée avait saisi la juridiction prud'homale le 24 février 2016, ce dont elle aurait dû déduire que les demandes en paiement de rappels de salaire postérieurs au 24 février 2011 n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

17. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à la condamnation de l'employeur à lui verser une somme à titre d'indemnité pour travail dissimulé, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, l'annulation du chef de l'arrêt relatif au travail dissimulé, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, en application de l'article 624 du code de procédure civile »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

18. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif déboutant la salariée de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation prononcée sur le premier moyen est sans incidence sur les chefs de dispositif de l'arrêt déboutant la salariée de ses demandes en requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et en contestation de son licenciement ainsi que de ses demandes subséquentes, qui ne s'y rattachent pas par un lien d'indivisibilité ni de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare Mme [U] irrecevable en ses demandes en requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, en paiement de rappels de salaire de base, pour heures supplémentaires, pour heures complémentaires, pour les heures travaillées le dimanche et les jours fériés, des indemnités compensatrices de congés payés sur ces sommes, d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, et 21, V, de cette loi.

Rapprochement(s) :

Sur l'application des dispositions transitoires de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, à rapprocher : Soc, 15 mars 2023, pourvoi n° 21-16.057, Bull., (cassation partielle).

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