Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

2e Civ., 18 janvier 2024, n° 21-25.236, (B), FS

Rejet

Article 6, § 1 – Droit d'accès au juge – Formalisme – Compatibilité – Article 907

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 8 novembre 2021) et les productions, par ordonnance du 21 septembre 2020, le juge-commissaire d'un tribunal de commerce a ordonné la vente par voie de saisie immobilière d'un immeuble dépendant de la liquidation judiciaire ouverte à l'égard de M. [J].

2. Le 13 janvier 2021, M. [J] a relevé appel de cette ordonnance.

L'affaire a été orientée à bref délai.

3. Saisi par conclusions du 31 mars 2021 de Mme [E], liquidateur judiciaire de M. [J], d'un incident d'irrecevabilité de l'appel, le président de la chambre désignée, après avoir mentionné qu'un avis du greffe avait invité l'appelant à présenter ses observations avant le 30 avril 2021, et mentionné l'absence d'observations, a déclaré l'appel tardif, par ordonnance du 26 mai 2021, que l'appelant a déférée à la cour d'appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [J] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à l'annulation de l'ordonnance querellée, alors :

« 1°/ que les ordonnances du président ou du magistrat désigné par le premier président de la chambre saisie statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application du présent article et de l'article 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal ; qu'aucune disposition applicable à la procédure d'appel à représentation obligatoire à bref délai n'impose de produire des conclusions sur incident tiré de l'irrecevabilité de l'appel « spécialement destinées au président de la chambre » ; qu'en refusant d'annuler l'ordonnance en date du 26 mai 2021 qui avait été prise au visa de l'« absence d'observation » de l'exposant au motif que la présidente de la chambre n'était pas tenue d'y répondre dès lors qu'elles avaient été transmises sur RPVA à l'attention de la cour et non à l'attention du président de chambre, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 905-2 du code de procédure civile ;

2°/ que méconnaît le droit d'accéder à un tribunal au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'excès de formalisme empêchant, effectivement, l'examen au fond du recours exercé par l'intéressé ; qu'en refusant d'annuler l'ordonnance du 26 mai 2021 qui avait statué en passant outre les observations de l'exposant en date du 22 avril 2022 portant sur un incident susceptible de mettre fin à l'instance et aboutissant à la mise aux enchères publiques du bien immobilier aux motifs que ces observations étaient adressées à la « cour » et non au « président de chambre », la cour d'appel a, par un excès de formalisme, privé l'exposant de pouvoir accéder à un tribunal et a ainsi méconnu le principe du droit à un procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

5. Aucune disposition de la procédure à bref délai ne prévoit la désignation d'un conseiller de la mise en état qu'exclut l'application de l'article 907 du code de procédure civile.

6. Dans cette procédure à bref délai, le président de chambre est compétent selon des règles spécifiques définies aux articles 905 et suivants du même code pour connaître des incidents relatifs à l'irrecevabilité de l'appel, à la caducité de celui-ci, ou à l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure, dans les conditions prévues à l'article 905-2 du code de procédure civile.

7. L'arrêt retient à bon droit, qu'en application des articles 905 et suivants, le président de chambre est compétent pour connaître des incidents liés à l'irrecevabilité ou à la caducité de l'appel interjeté, et constate que l'affaire a été orientée à bref délai, que le président de la chambre désignée ayant rendu l'ordonnance déférée a été saisi par Mme [E] et que les écritures de l'appelant du 22 avril 2021 ont été adressées à la cour d'appel et non au président de chambre.

8. La cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'il ne pouvait être reproché au président de chambre de ne pas avoir visé ces conclusions et de ne pas les avoir prises en considération.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. M. [J] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la signification doit être faite à personne ; qu'en retenant que l'acte de signification en date du 31 décembre 2020 avait valablement pu être remise à personne au sens de l'article 654 du code de procédure civile, tandis qu'il s'en évince que l'huissier de justice se trouverait « où étant et parlant comme il est dit en fin d'acte » : [Adresse 4] et dans le même temps que l'exposant a été « rencontré sur RDV à Total [Adresse 2] », la Cour d'appel a méconnu la portée légale de ses propres constatations en méconnaissance de la disposition susvisée ;

2°/ que la signification doit être faite à personne ; qu'en se bornant à relever que l'acte de signification à personne portait la date du 31 décembre 2020 à la suite d'un « RDV à Total [Adresse 2] » sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'acte n'avait pas été retiré par l'exposant à l'étude le 13 janvier 2021, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 653 et suivants du code de procédure civile ;

3°/ que la signification doit être faite à personne ; qu'en se bornant à constater l'existence d'une seconde signification à personne en date du 1er février 2021 sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'existence de cette seconde signification ne constituait pas l'aveu de Maître [E] de l'irrégularité de la signification litigieuse portant date du 31 décembre 2020, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 654 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. Ce moyen, qui s'attaque à des motifs qui ne sont pas le soutien du chef de dispositif critiqué, est inopérant.

12. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Caillard - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Articles 905, 905-2 et 907 du code de procédure civile ; Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474, (B), FRH

Rejet

Article 6, § 1 – Equité – Egalité des armes – Violation – Défaut – Cas – Droit à la preuve – Conflit avec d'autres droits et libertés – Production en justice d'un moyen illicite ou déloyal – Office du juge – Exercice – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 8 avril 2022), M. [U] a été engagé par la société Nutrition et santé (la société) selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 janvier 2010. Il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable commercial de secteur P2.

2. Le 26 mai 2017, il a saisi la juridiction prud'homale à titre principal aux fins de résiliation de son contrat de travail, en invoquant un harcèlement moral de son employeur dans le contexte du licenciement de son supérieur hiérarchique.

3. Déclaré inapte à son poste de travail le 8 octobre 2018, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 20 décembre 2018.

4. Devant la cour d'appel, il a demandé que sa pièce QQQ, correspondant à la retranscription de l'entretien du salarié avec les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société (le CHSCT) désignés pour réaliser une enquête sur l'existence d'un harcèlement moral de l'employeur, soit déclarée recevable, que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail, subsidiairement, que soit prononcée la nullité de son licenciement comme étant consécutif à un harcèlement moral, très subsidiairement, qu'il soit reconnu sans cause réelle et sérieuse et que l'employeur soit condamné à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt d'écarter la pièce QQQ de sa communication, alors « qu' il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ; qu'en se bornant à affirmer que la production de l'enregistrement par M. [U] de son entretien avec des membres du CHSCT désignés pour réaliser l'enquête était disproportionné au but poursuivi dans le cadre du procès civil, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette production n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué et proportionnée au but poursuivi, soit la protection de la santé de l'intéressée sur son lieu de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

7. Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

8. En l'espèce, la cour d'appel qui a, d'une part relevé que le médecin du travail et l'inspecteur du travail avaient été associés à l'enquête menée par le CHSCT et que le constat établi par le CHSCT dans son rapport d'enquête du 2 juin 2017 avait été fait en présence de l'inspecteur du travail et du médecin du travail, d'autre part retenu, après avoir analysé les autres éléments de preuve produits par le salarié, que ces éléments laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, faisant ainsi ressortir que la production de l'enregistrement clandestin des membres du CHSCT n'était pas indispensable au soutien des demandes du salarié, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat(s) : SCP Gouz-Fitoussi ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Com., 31 janvier 2024, n° 22-16.616, (B), FS

Cassation

Article 6, § 1 – Procès équitable – Violation – Exclusion – Cas – Décision de l'Autorité de la concurrence – Voie de recours

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 avril 2022), le 20 octobre 2016, la société Subsonic, qui produit et commercialise des manettes destinées aux consoles de jeux PlayStation 4, commercialisées depuis 2013 par le groupe Sony, a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) de plusieurs pratiques anticoncurrentielles visant à entraver l'accès à ce marché, qui auraient été mises en oeuvre par le groupe Sony.

2. Le 17 octobre 2019, le rapporteur général de l'Autorité a adressé aux sociétés Sony Interactive Entertainment France et Sony Interactive Entertainment Europe Limited (les sociétés Sony) une note d'évaluation préliminaire faisant état de préoccupations de concurrence, susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles, et leur accordant un délai d'un mois pour formaliser une proposition d'engagements de nature à y mettre un terme.

3. Le 18 novembre 2019, les sociétés Sony ont formulé une première proposition d'engagements, laquelle a été communiquée à la société saisissante ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, et a fait l'objet d'une publication sur le site internet de l'Autorité, pour permettre aux tiers intéressés de formuler leurs observations au titre de la phase dite de test de marché.

4. Le 23 juin 2020, les sociétés Sony ont transmis à l'Autorité une deuxième proposition d'engagements, en réponse aux observations formulées à l'issue de cette phase. Cette deuxième proposition a fait l'objet d'un examen par le collège de l'Autorité au mois de juillet 2020.

La séance a été suspendue à deux reprises pour permettre aux sociétés Sony de modifier leur proposition. Ces sociétés ont ensuite adressé à l'Autorité deux nouvelles propositions, le 30 juillet puis le 7 septembre 2020.

5. Estimant que la dernière proposition d'engagements ne répondait toujours pas aux préoccupations de concurrence identifiées, le collège de l'Autorité, par une décision n° 20-S-01 du 23 octobre 2020 « relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des consoles statiques de jeux vidéo de huitième génération et des accessoires de contrôle compatibles avec la console PlayStation 4 », a mis fin à la procédure d'engagements et renvoyé le dossier à l'instruction.

6. Après le rejet de leur recours pour excès de pouvoir par le Conseil d'Etat, lequel s'est déclaré incompétent pour connaître de la décision de l'Autorité (CE, 1er juillet 2022, n° 448061), les sociétés Sony ont introduit devant la cour d'appel de Paris un recours aux fins d'annulation de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Les sociétés Sony font grief à l'arrêt de déclarer leur recours irrecevable, alors « qu'en édictant les dispositions de l'article L. 464-2 du code de commerce, le législateur a porté atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, d'une part, en méconnaissant les exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, à savoir les principes d'indépendance et d'impartialité ainsi que le principe des droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, et d'autre part, en méconnaissant sa compétence dans des conditions affectant ces mêmes droits et libertés ; que consécutivement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué, en ce qu'il a déclaré le recours formé par les sociétés Sony irrecevable au motif que la décision attaquée ne serait pas susceptible de recours, se trouvera privé de base légale. »

Réponse de la Cour

9. La Cour de cassation a, par un arrêt n° 781 du 7 décembre 2022, renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la seconde phrase de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, présentée par les sociétés Sony.

10. Par décision n° 2022-1035 QPC du 10 février 2023, le Conseil constitutionnel a décidé que ce texte était conforme à la Constitution.

11. Le moyen est donc sans portée.

Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

12. Les sociétés Sony font le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que les décisions de l'Autorité fondées sur l'article L. 464-2 du code de commerce peuvent faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris ; qu'en retenant que la décision par laquelle l'Autorité a refusé d'accepter les engagements proposés par les sociétés Sony n'était pas susceptible de recours, après avoir admis que celle-ci était fondée sur cet article, la cour d'appel a violé les articles L. 464-8 et L. 464-2 du code de commerce ;

4°/ que les limitations portées au droit d'accès à un tribunal ne peuvent avoir pour effet de porter atteinte à la substance même de ce droit ; qu'en retenant que les circonstances que la décision par laquelle l'Autorité a refusé d'accepter les engagements proposés par les sociétés Sony aurait été de nature à porter atteinte à leurs droits n'était nullement de nature à ouvrir droit à un recours immédiat contre cette décision et qu'elles ne seraient pas privées de leur droit à une protection juridictionnelle effective dès lors qu'elles disposeraient d'un droit de recours contre la décision au fond, la cour d'appel de Paris a méconnu le droit d'accès à un tribunal et, partant, violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 464-2, I, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, L. 464-8, dans sa version issue de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, et R. 464-8, I, 4°, dans sa version issue du décret n° 2017-483 du 6 avril 2017, du code de commerce, et l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

13. Il résulte du premier de ces textes que l'Autorité peut accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes, de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 du code de commerce.

14. Selon le deuxième, les décisions prises par l'Autorité, sur le fondement de l'article L. 464-2 du code de commerce, sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'économie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris.

15. Il résulte du troisième que les décisions de l'Autorité prises en application de l'article L. 464-2 du code de commerce, sont notifiées aux personnes destinataires de la notification de griefs ou du rapport ainsi qu'aux entreprises ou organismes ayant souscrit des engagements et au ministre chargé de l'économie.

16. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès à un tribunal, tel que protégé par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention), ne trouve à s'appliquer, sous son volet civil, que s'il existe une « contestation » sur un « droit » que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention. Ces dispositions n'assurent, en revanche, aux « droits et obligations de caractère civil », aucun contenu matériel déterminé dans l'ordre juridique des États contractants et ne sauraient justifier la création d'un droit matériel n'ayant aucune base légale dans l'État concerné. Dès lors, si le droit national, sans reconnaître un droit subjectif à un individu, lui confère seulement le droit à une procédure d'examen de sa demande, appelant le juge compétent à statuer sur des moyens tels que l'arbitraire, le détournement de pouvoir ou encore les vices de procédure, l'article 6 § 1 de la Convention trouve à s'appliquer dans la limite du droit ainsi consacré par la législation interne et à condition que l'avantage ou le privilège, une fois accordé, crée un droit civil (Regner c. République tchèque [GC], n° 35289/11, §§ 102-105, 19 septembre 2017 ; Károly Nagy c. Hongrie, n° 56665/09, §§ 60-63, 14 septembre 2017 ; Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], n° 76943/11, § 100, 29 novembre 2016 ; Boulois c. Luxembourg [GC], n° 37575/04, §§ 90-94, CEDH 2012 ; Roche c. Royaume-Uni [GC], n° 32555/96, §§ 116-121,19 octobre 2005).

17. Si la Cour de cassation juge que l'Autorité dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour accepter les propositions d'engagements, de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence et que le collège de l'Autorité n'a pas à formaliser ni à motiver la décision par laquelle elle refuse d'ouvrir une procédure d'engagements, les entreprises ou organismes concernés ne bénéficiant pas d'un droit aux engagements (Com., 2 septembre 2020, pourvoi n° 18-18.501, 18-19.933, 18-18.582), les dispositions des articles susvisés n'excluent pas l'existence d'un recours immédiat en légalité à l'encontre d'une décision refusant une proposition d'engagements et mettant fin à toute discussion à ce titre avec une entreprise ou un organisme à qui avait été adressée une évaluation préliminaire. Ce recours a seulement pour objet de faire contrôler, par la cour d'appel de Paris, dans les limites résultant de l'existence du pouvoir discrétionnaire de l'Autorité, que l'entreprise ou organisme concerné a bien été en mesure de présenter, dans les délais et conditions prévus par les dispositions légales et réglementaires applicables, une proposition d'engagements de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence préalablement identifiées par l'Autorité et, à défaut, d'annuler la décision et de renvoyer l'examen de l'affaire devant les services de l'Autorité pour remédier au vice ainsi retenu.

18. Pour déclarer irrecevable le recours introduit par les sociétés Sony contre la décision de l'Autorité refusant leur proposition d'engagements et mettant un terme à cette procédure, l'arrêt retient qu'il résulte du libellé des articles L. 464-8 et L. 464-2, I, du code de commerce que le recours en annulation ou en réformation des décisions de l'Autorité n'est ouvert qu'à l'encontre des décisions qui y sont limitativement énumérées, de sorte que seules les décisions d'acceptation des engagements proposés par les entreprises sont susceptibles de faire l'objet d'un recours, à l'exclusion de celles portant refus de tels engagements, lesquelles sont prises au titre de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de l'Autorité.

L'arrêt en déduit l'absence de recours immédiat à l'encontre de ces décisions.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Regis - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Duhamel -

Textes visés :

Articles L. 464-2, I, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, L. 464-8, dans sa version issue de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, et R. 464-8, I, 4°, dans sa version issue du décret n° 2017-483 du 6 avril 2017, du code de commerce ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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