Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

Com., 10 janvier 2024, n° 22-20.466, (B) (R), FS

Cassation partielle

Interdépendance – Contrats interdépendants – Qualification – Contrats concomitants ou successifs s'inscrivant dans une opération incluant une location financière – Effets – Clauses inconciliables avec cette interdépendance réputées non écrites

Selon l'article 1186, alinéas 2 et 3, du code civil, lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie, la caducité n'intervenant toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble.

Les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière étant interdépendants, il en résulte que l'exécution de chacun de ces contrats est une condition déterminante du consentement des parties, de sorte que, lorsque l'un d'eux disparaît, les autres contrats sont caducs si le contractant contre lequel cette caducité est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.

Dans les contrats formant une opération incluant une location financière, sont réputées non écrites les clauses inconciliables avec cette interdépendance.

Interdépendance – Contrats interdépendants – Qualification – Contrats concomitants ou successifs s'inscrivant dans une opération incluant une location financière – Disparition de l'un des contrats – Caducité – Conditions – Connaissance de l'opération d'ensemble au moment du consentement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 juin 2022) et les productions, le 27 octobre 2016, la société Leasecom a conclu avec l'association Aide et action (l'association) un contrat de location d'une durée de 21 trimestres portant sur un copieur acquis par la société Leasecom auprès de la société SMRJ.

Le même jour, l'association a conclu avec la société SMRJ un contrat de maintenance.

Le redressement judiciaire de la société SMRJ a été converti en liquidation judiciaire le 12 septembre 2018.

2. Le 11 octobre 2018, l'association, alléguant divers dysfonctionnements, a notifié au liquidateur judiciaire la résiliation du contrat de maintenance et déclaré une créance de 67 956,72 euros.

Le 24 octobre 2018, se prévalant de l'interdépendance des contrats, elle a notifié à la société Leasecom la caducité du contrat de location financière.

Par courriel du 28 janvier 2019, le liquidateur judiciaire a indiqué à l'association que le contrat de maintenance n'était pas poursuivi et que le juge-commissaire avait autorisé le 2 novembre 2018 la cession du fichier de clients de la société SMRJ au profit d'une société tierce « officiellement autorisée à se présenter auprès de la clientèle pour proposer un nouveau contrat de maintenance. »

3. Le 22 mars 2019, la société Leasecom a assigné l'association en résiliation du contrat de location financière, restitution du matériel et paiement des loyers et de l'indemnité de résiliation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'association fait grief à l'arrêt de constater la résiliation de plein droit du contrat de location conclu le 27 octobre 2016 à ses torts, de la condamner à payer à la société Leasecom la somme de 105 638,40 euros avec intérêts au taux conventionnel égal à trois fois le taux d'intérêts légal en vigueur à compter du 1er janvier 2019, à compter du 7 mars 2019 et capitalisation des intérêts aux conditions de l'article 1343-2 du code civil et de la débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors « que les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans le cadre d'une opération incluant une location financière sont interdépendants ; que doivent être réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ; qu'en jugeant que, du fait de ses stipulations, le contrat de location du matériel ne s'inscrivait pas dans une relation d'interdépendance avec le contrat de maintenance du même matériel, après avoir relevé que les deux contrats en cause étaient concomitants et incluaient une location financière, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1186 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1186, alinéas 2 et 3, du code civil :

5. Selon ce texte, lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie, la caducité n'intervenant toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble.

6. Les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière étant interdépendants, il en résulte que l'exécution de chacun de ces contrats est une condition déterminante du consentement des parties, de sorte que, lorsque l'un d'eux disparaît, les autres contrats sont caducs si le contractant contre lequel cette caducité est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.

7. Dans les contrats formant une opération incluant une location financière, sont réputées non écrites les clauses inconciliables avec cette interdépendance.

8. Pour constater la résiliation de plein droit du contrat de location conclu le 27 octobre 2016 aux torts de l'association, la condamner à payer diverses sommes à la société Leasecom et rejeter ses demandes de dommages-intérêts, l'arrêt retient que l'article 5 du contrat de location stipule que le locataire assume à ses frais pendant la durée de la location la charge de l'entretien et de la maintenance de l'équipement, qu'aux termes de l'article 6, à défaut d'exécution du contrat de maintenance ou de prestation de services conclu avec un tiers par le locataire, celui-ci s'engage à faire assurer sans délai la maintenance ou les prestations par un autre prestataire et qu'en cas d'anéantissement d'un contrat de maintenance ou de prestation de services affectant le contrat de location, celui-ci ne peut qu'être résilié, le locataire étant redevable d'une indemnité de résiliation. Il ajoute que si les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants, il n'existe, en l'espèce, une interdépendance qu'entre le contrat de fourniture du matériel et le contrat de financement portant sur le matériel acquis par la société Leasecom, l'article 5 du contrat de location confirmant que celle-ci n'inclut pas le contrat de maintenance qui relève de la seule responsabilité du locataire et que si l'association n'était pas tenue de conclure un nouveau contrat de maintenance avec la société cessionnaire du fichier de clientèle de la société SMRJ, il lui appartenait d'en conclure un nouveau avec la société de son choix, de sorte que l'association n'était pas exposée à la situation d'anéantissement du contrat de maintenance qui sous-entend une impossibilité d'assurer une quelconque maintenance. Il ajoute enfin que la faculté dont disposait l'association de conclure un nouveau contrat de maintenance ne lui permettait pas d'invoquer une disparition rendant impossible la maintenance au sens de l'article 1186 du code civil.

9. En statuant ainsi, alors que les contrats en cause, dont celui de maintenance, concomitants et incluant une location financière, étaient interdépendants, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

10. L'association fait le même grief à l'arrêt, alors « que les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans le cadre d'une opération incluant une location financière sont interdépendants, de sorte que l'anéantissement de l'un quelconque de ces contrats entraîne, par voie de conséquence, la caducité des autres si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement ; qu'en se fondant, pour refuser de prononcer la caducité du contrat de location financière, sur la circonstance inopérante que la société bailleresse n'avait pas été « sollicitée » lorsque le contrat de maintenance avait été signé le 27 octobre 2016 entre l'association Aide et action et la société Allburotic, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si, dès lors que le contrat de location emportait obligation pour le locataire de souscrire un contrat de maintenance et qu'un tel contrat avait été conclu le même jour que le contrat de location, la société Leasecom n'avait pas eu connaissance, au jour où elle s'était engagée, de « l'opération d'ensemble », la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1186 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1186, alinéa 3, du code civil :

11. Selon ce texte, la caducité par voie de conséquence de la disparition de l'un des contrats nécessaires à la réalisation d'une même opération n'intervient que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.

12. Pour statuer comme il a fait, l'arrêt retient encore que la société Leasecom n'a pas été sollicitée lorsque le contrat de maintenance a été signé le 27 octobre 2016.

13. En statuant ainsi, alors que le contrat étant inclus dans une opération comportant une location financière, la société Leasecom avait nécessairement connaissance de l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'elle avait donné son consentement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les conclusions signifiées par l'association Aide et action le 7 mars 2022, l'arrêt rendu le 20 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Boucard-Maman -

Textes visés :

Article 1186, alinéas 2 et 3, du code civil.

Rapprochement(s) :

Ch. mixte, 17 mai 2013, pourvoi n° 11-22.768, Bull. 2013, Ch. mixte, n° 1 (rejet).

Com., 24 janvier 2024, n° 20-13.755, (B), FRH

Cassation partielle

Obligations solidaires – Solidarité entre créanciers – Exclusion – Cas – Pluralité de cédants – Cessionnaire ayant acquis des parts d'un seul cédant

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 décembre 2019), par quatre actes distincts du 4 juillet 2011, MM. [R] et [F] [V] et Mmes [H] et [D] [V] (les consorts [V]), qui détenaient ensemble la totalité des 7 000 parts de la société LNX, ont cédé, respectivement, 1 605 parts, 1 958 parts, 1 692 parts et 1 675 parts à la société Saws And Tools International (la société Sati).

Par un cinquième acte du même jour, M. [R] [V] a cédé 70 parts de la société LNX à M. [R] [C], dirigeant de la société Sati.

2. Chaque acte de cession prévoyait une garantie de passif.

3. La société Sati et M. [C] ont assigné les consorts [V] aux fins de voir mettre en oeuvre cette garantie.

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

6. Aux termes de ce texte, la solidarité ne se présume pas ; il faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.

7. Pour condamner solidairement les consorts [V] à verser une certaine somme à la société Sati et à M. [C] « pris ensemble », à charge pour ces derniers de se la répartir au prorata des parts sociales de la société LNX acquises, au titre de la garantie de passif résultant des actes de cession, l'arrêt retient que le caractère commercial de l'opération est indiscutable, ce dont il déduit que la solidarité est présumée. Il retient encore que si la preuve contraire peut être rapportée par ceux qui la contestent, les consorts [V] ne rapportent pas une telle preuve, la cession, même acquise par la conclusion de cinq actes distincts par lesquels chacun des associés initiaux de la société LNX a consenti à la vente de ses droits sociaux propres, ayant conduit à une prise de contrôle total de cette société par les deux cessionnaires. Il relève que la clause de garantie insérée dans chacun des actes ne limite pas la charge d'un passif antérieur révélé postérieurement à la cession à la proportion des droits sociaux cédés.

8. En statuant ainsi, alors que M. [C] n'a acquis des parts de la société LNX que de M. [R] [V], de sorte que la solidarité dont bénéficie la société Sati envers l'ensemble des consorts [V] ne peut produire d'effet à son égard, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il condamne solidairement M. [F] [V], Mme [H] [V], M. [R] [V] et Mme [D] [V] à verser à la société de droit espagnol Saws And Tools International (Sati) et à M. [C] « pris ensemble », à charge pour eux de se les répartir au prorata des parts sociales de la société LNX acquises, la somme totale de 107 403,44 euros (98 694,22 euros en principal + 8 709,22 euros de frais) au titre de la garantie de passif résultant des actes de cession signés le 4 juillet 2011 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

1re Civ., 31 janvier 2024, n° 21-23.233, (B), FRH

Rejet

Résiliation – Résiliation conventionnelle – Résiliation unilatérale – Contrat d'enseignement – Clause prévoyant une faculté de résiliation – Motif légitime et impérieux – Appréciation par la direction de l'école – Contrôle du juge

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de proximité d'Haguenau, 9 septembre 2021), rendu en dernier ressort, le 12 juin 2020, Mme [R], alors âgée de 17 ans, assistée de son père (les consorts [R]), ont conclu avec la société [3] (l'école) un contrat d'enseignement pour un cycle de deux ans devant débuter en septembre 2020 moyennant des frais de scolarité de 4 900 euros par an et acquitté les sommes de 950 euros à l'inscription et 700 euros en septembre 2020.

Le contrat prévoyait la possibilité pour l'étudiant de solliciter la résiliation de son contrat à titre exceptionnel s'il justifiait d'un cas de force majeure ou d'un motif légitime et impérieux et précisait que cette demande, impérativement étayée par des documents, ferait l'objet d'un examen par la direction de l'école qui apprécierait l'existence avérée du cas de force majeure ou du motif légitime et impérieux invoqué par l'étudiant.

2. Par lettre du 28 septembre 2020, les consorts [R] ont sollicité la résiliation du contrat.

L'école, s'y étant opposée, a obtenu une ordonnance d'injonction de payer la somme de 3 250 euros en principal au titre du solde des frais de scolarité.

3. Les consorts [R] ont formé opposition.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'école fait grief au jugement de déclarer recevable et bien fondée l'opposition à injonction de payer et de rejeter sa demande en paiement, alors « que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; que le contrat litigieux prévoyait que à titre exceptionnel, si l'étudiant justifie d'un cas de force majeure, ou d'un motif légitime et impérieux, il pourra solliciter de l'école [3] la résiliation de son contrat. Cette demande, étayée par des documents, fera l'objet d'un examen par la direction de l'école [3] qui appréciera l'existence avérée du cas de force majeure ou du motif légitime et impérieux invoqué par l'étudiant » ; que le tribunal, après avoir écarté le moyen tiré du caractère prétendument abusif de la clause sus rappelée au motif qu'elle « ne crée pas un déséquilibre significatif entre les parties quand bien même ce motif serait laissé à l'appréciation de la direction de l'école », devait l'appliquer ; qu'en substituant pourtant son appréciation du motif invoqué par l'étudiant à celle de l'école, le tribunal a violé l'article 1103 du code civil ;

Réponse de la Cour

5. L'application par les parties de la clause d'un contrat d'enseignement, prévoyant une faculté de résiliation dans le cas d'un motif légitime et impérieux invoqué par l'étudiant et apprécié uniquement par la direction de l'école, n'échappe pas, en cas de litige, au contrôle du juge et c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis que le tribunal a estimé qu'était caractérisée l'existence d'un motif légitime et impérieux justifiant la résiliation du contrat.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Kerner-Menay - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 1103 du code civil.

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