Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 24 janvier 2024, n° 22-20.926, (B), FRH

Cassation partielle

Clause de non-concurrence – Violation – Effets – Privation de la contrepartie financière de la clause – Etendue – Bénéfice de la contrepartie financière après cessation de la violation – Possibilité (non) – Portée

La violation de la clause de non-concurrence ne permet plus au salarié de prétendre au bénéfice de la contrepartie financière de cette clause, même après la cessation de sa violation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 24 juin 2022), M. [E] a été engagé en qualité de cadre technico-commercial le 10 mars 2006 par la société TP Plus.

Le contrat de travail comportait une clause de non-concurrence.

2. Le salarié a démissionné le 11 janvier 2018.

3. Se prévalant d'une violation de la clause de non-concurrence au regard de la nouvelle activité du salarié auprès de la société Dumortier TP Location, l'employeur a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'interdire au salarié de lui faire concurrence et d'obtenir le paiement de diverses sommes en application de la clause de non-concurrence.

Le salarié a sollicité le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié des sommes au titre d'un solde d'indemnité de non-concurrence et d'indemnité de congés payés afférente et de le débouter de sa demande reconventionnelle tendant à la restitution des sommes versées à M. [E] en contrepartie de la clause de non-concurrence, alors :

« 1°/ que le salarié qui viole son obligation de non-concurrence dès la rupture de son contrat de travail ou peu après celle-ci perd son droit à indemnités de non-concurrence définitivement, même si la violation de l'interdiction de concurrence n'a été que temporaire et que le salarié a cessé par la suite l'activité concurrente ; que la cour d'appel a jugé la clause de non-concurrence valide, a retenu sa violation par M. [E] et a rappelé qu'elle prévoyait que « toute violation de l'interdiction de concurrence libèrerait l'employeur du versement de la contrepartie » ; qu'elle a cependant jugé que « l'activité concurrentielle n'a duré que six mois, alors que la société TP Plus ne prouve, ni même n'allègue, qu'il aurait ensuite poursuivi une activité concurrente », et que « la contrepartie de l'obligation de nonconcurrence prévue par la clause doit donc s'appliquer sur la base d'une période de dix-huit mois, correspondant aux vingt-quatre mois initialement prévus, déduction faite des six mois au service de la société Dumortier TP Location, ce qui correspond à une indemnité totale de 23 985 » ; qu'elle en a conclu que la société TP Plus devait payer cette somme à M. [E], minorée du montant déjà versé au titre de l'indemnité de non-concurrence ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle avait préalablement constaté que M. [E] avait violé sa clause de non-concurrence peu après son départ effectif de la société TP Plus, ce dont elle aurait dû déduire qu'il avait définitivement perdu son droit à indemnité de non-concurrence, non seulement pour la durée de cette violation mais aussi pour l'avenir, la cour d'appel a violé l'article 1104 du code civil ;

2°/ que la violation de la clause de non-concurrence par le salarié dès la rupture du contrat de travail ou peu après celle-ci l'oblige à rembourser à son employeur la contrepartie financière de cette clause, indûment perçue ; qu'après avoir constaté que M. [E] avait violé son obligation de non-concurrence peu après son départ effectif de la société TP Plus le 11 janvier 2018, en s'engageant aux mêmes fonctions le 5 février suivant auprès de la société concurrente Dumortier TP Location et en y travaillant jusqu'au 31 août 2018, la cour d'appel, qui a rappelé que la clause de non-concurrence prévoyait que « toute violation de l'interdiction de concurrence [...] rendrait le salarié redevable envers lui du remboursement de ce qu'il aurait pu percevoir à ce titre », a pourtant énoncé, « sur les conséquences financières de la situation », que « l'activité concurrentielle n'a duré que six mois, alors que la société TP Plus ne prouve, ni même n'allègue, qu'il aurait ensuite poursuivi une activité concurrente », pour en déduire que la société TP Plus devait être déboutée de sa demande de remboursement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1104 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1121-1 du code du travail et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

5. La violation de la clause de non-concurrence ne permet plus au salarié de prétendre au bénéfice de la contrepartie financière de cette clause même après la cessation de sa violation.

6. Pour condamner l'employeur à payer au salarié des sommes à titre de solde d'indemnité de non-concurrence et d'indemnité de congés payés afférente et le débouter de sa demande reconventionnelle, l'arrêt, après avoir retenu que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a estimé que le salarié n'avait pas violé la clause de non-concurrence, relève que le contrat de travail conclu le 5 février 2018 avec la société Dumortier TP Location avait pris effet le 1er mars 2018 pour se terminer le 31 août 2018, que l'activité concurrentielle n'avait duré que six mois, et que l'employeur ne prouvait, ni même n'alléguait, que le salarié aurait ensuite poursuivi une activité concurrente.

7. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que le salarié avait violé la clause de non-concurrence, ce dont il résultait qu'il ne pouvait plus prétendre au bénéfice de la contrepartie financière de cette clause même après la cessation de sa violation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur à payer au salarié des sommes à titre de solde d'indemnité de non-concurrence et d'indemnité de congés payés afférente et le déboutant de sa demande reconventionnelle entraîne la cassation du chef de dispositif ordonnant la compensation entre les créances réciproques des parties qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société TP Plus à payer à M. [E] 17 766,67 euros de solde d'indemnité de non-concurrence et 1 776,67 euros d'indemnité de congés payés afférente, déboute la société TP Plus de sa demande reconventionnelle en restitution des sommes déjà versées en contrepartie de la clause de non-concurrence, ordonne la compensation entre les créances réciproques des parties, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Chiron - Avocat général : M. Juan - Avocat(s) : SCP Duhamel ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail ; article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la privation de la contrepartie financière en cas de violation de la clause de non-concurrence, à rapprocher : Soc., 31 mars 1993, pourvoi n° 88-43.820, Bull. 1993, V, n° 107 (rejet) ; Soc., 5 mai 2004, pourvoi n° 01-46.261, Bull., 2004, V, n° 124 (rejet), et les arrêts cités.

Soc., 10 janvier 2024, n° 22-19.165, (B), FS

Cassation partielle

Rupture conventionnelle – Forme – Convention signée par les parties – Objet – Indemnité spécifique – Montant minimal – Calcul – Assiette – Etendue – Applications diverses – Convention collective nationale des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952 – Avenant n° 3 du 16 juin 1955 relatif aux ingénieurs et cadres – Article 14.3 – Salaire du mois précédant la signature de la convention de rupture

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 2 juin 2022), M. [W] a été engagé le 1er octobre 1999 par la société Aluminium Pechiney aux droits de laquelle vient la société Trimet France. Il exerçait en dernier lieu les fonctions de « ceinture noire d'amélioration continue ».

2. L'entreprise applique la convention collective des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952.

3. Le 12 octobre 2017, les parties ont signé une convention de rupture du contrat de travail et la rupture a pris effet le 19 novembre suivant.

Examen des moyens

Sur le second moyen,

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une somme à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle, alors « que la convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 et suivants du code du travail fixe la date de la rupture du contrat qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation ; que selon l'article 14-3 de l'avenant n° 3 à la convention collective des industries chimiques, la base de calcul de l'indemnité de licenciement est la rémunération totale mensuelle gagnée par le cadre pendant le mois précédant le préavis de licenciement ; qu'il en résulte qu'en cas de rupture conventionnelle, la base de calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement est la rémunération du mois précédant la date de la rupture fixée par la convention de rupture ; qu'en l'espèce, la société Trimet soutenait que la convention de rupture du contrat conclue le 12 octobre 2017 fixait au 19 novembre 2017 la rupture du contrat, de sorte que le mois précédant la rupture était le mois d'octobre 2017 et non celui de septembre 2017 ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir le salaire du mois de septembre 2017 comme base de calcul de l'indemnité de licenciement, qu'« en l'absence de préavis de congédiement, les parties prennent en compte le salaire du mois précédant le congédiement sans préavis » et que le salaire de référence retenu par l'employeur n'inclut pas l'intéressement et la participation versés en septembre 2017, cependant qu'elle avait constaté que la rupture avait pris effet le 19 novembre 2017, la cour d'appel a violé les articles 14-3 de l'avenant n° 3 de la convention collective des industries chimiques du 30 décembre 1952 et l'article L. 1237-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'avenant du 18 mai 2009 à l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle prévue par l'article L. 1237-13 du code du travail ne peut pas être d'un montant inférieur à celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement, lorsque celle-ci est supérieure à l'indemnité légale de licenciement.

7. L'article 14-3 de l'avenant n° 3 du 16 juin 1955 à la convention collective nationale des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952, relatif aux ingénieurs et cadres, prévoit que la base de calcul de l'indemnité de licenciement est la rémunération totale mensuelle gagnée par le cadre pendant le mois précédant le préavis de congédiement et qu'elle ne saurait être inférieure à la moyenne des rémunérations mensuelles des douze mois précédant le congédiement.

8. La cour d'appel a exactement décidé qu'en l'absence de licenciement et d'exécution de préavis, il convenait de prendre en compte le salaire du mois précédant la signature de la convention de rupture.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que selon l'article 14 de l'avenant du 16 juin 1955 à la convention collective nationale des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952, la base de calcul de l'indemnité de licenciement est la rémunération totale mensuelle gagnée par le cadre pendant le mois précédant le préavis de licenciement, sans pouvoir être inférieure à la moyenne des rémunérations mensuelles des 12 mois précédant le préavis de congédiement, étant précisé que pour le calcul de cette rémunération entrent en ligne de compte, outre les appointements de base, les majorations relatives à la durée du travail, les avantages en nature, les primes de toute nature, y compris les primes à la productivité, les participations au chiffre d'affaires ou aux résultats, les indemnités n'ayant pas le caractère d'un remboursement de frais, les gratifications diverses ayant le caractère contractuel ou de fait d'un complément de rémunération annuelle, à l'exclusion des gratifications exceptionnelles ; qu'il en résulte qu'à défaut d'autre disposition de la convention collective, celles des primes, participations au chiffre d'affaires ou aux résultats et gratifications versées au cours du mois de référence, et dont la périodicité est supérieure à un mois, ne peuvent être prises en compte que pour la part venant en rémunération de ce mois ; qu'en retenant néanmoins, comme assiette de calcul de l'indemnité conventionnelle de congédiement, la rémunération totale perçue par le salarié au cours du mois de septembre 2017 incluant, sans proratisation, les primes annuelles d'intéressement et de participation versées au cours de ce mois pour l'année écoulée, la cour d'appel a violé le texte conventionnel précité. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 14-3 de l'avenant n° 3 du 16 juin 1955 à la convention collective nationale des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952, relatif aux ingénieurs et cadres :

10. Selon ce texte, pour le calcul de l'indemnité de licenciement, entrent en ligne de compte, outre les appointements de base, les majorations relatives à la durée du travail, les avantages en nature, les primes de toute nature y compris les primes à la productivité, les participations au chiffre d'affaires ou aux résultats, les indemnités n'ayant pas le caractère d'un remboursement de frais, les gratifications diverses ayant le caractère contractuel ou de fait d'un complément de rémunération annuelle, à l'exclusion des gratifications exceptionnelles notamment celles résultant de l'application de l'article 17.

11. Il en résulte qu'à défaut d'autre disposition de la convention collective, celles des primes et gratifications versées au cours du mois de référence, et dont la périodicité est supérieure à un mois, ne peuvent être prises en compte que pour la part venant en rémunération de ce mois.

12. Pour condamner l'employeur au paiement d'une certaine somme à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle, l'arrêt retient que les dispositions conventionnelles visent la rémunération totale gagnée pendant le mois précédant le préavis de congédiement sans qu'aucune disposition ne stipule expressément une proratisation des primes ni une moyenne de rémunération mensuelle.

13. La cour d'appel en a déduit que le salarié était fondé à solliciter un complément d'indemnité calculé sur la base de la rémunération totale perçue en septembre 2017.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte précité.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation du chef de dispositif condamnant la société à verser au salarié une certaine somme à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle n'emporte pas cassation des chefs de dispositif condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Trimet France à payer à M. [W] la somme de 64 243,28 euros à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle, l'arrêt rendu le 2 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Salomon - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

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