Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2024

ASSURANCE (règles générales)

2e Civ., 25 janvier 2024, n° 22-16.966, (B), FRH

Rejet

Action de la victime – Opposabilité des exceptions par l'assureur – Avis à la victime et au Fonds de garantie – Obligation – Conditions – Détermination

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société MAIF du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [G].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 29 mars 2022), M. [E] a été grièvement blessé dans un accident de la circulation survenu le 5 septembre 2016 en Belgique, impliquant un véhicule automobile immatriculé en France, dans lequel il avait pris place comme passager arrière et où se trouvait également M. [G].

3. La société Filia MAIF, devenue la société MAIF (l'assureur), auprès de laquelle le véhicule avait été assuré, a refusé de prendre en charge les conséquences dommageables de l'accident, au motif que le véhicule avait été cédé le 4 mars 2016 et qu'elle avait procédé, à effet du 23 juin 2016, à la suppression des garanties souscrites, ce dont elle avait informé son ancienne assurée par lettre du 25 juillet 2016.

4. M. [E] a assigné devant un tribunal de grande instance M. [G] et l'assureur, à fin d'indemnisation, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 5].

5. Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO), à qui l'assignation a été dénoncée, est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur les premier, troisième et quatrième moyens

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son exception de non-assurance, d'ordonner une expertise médicale, de le condamner à payer à M. [E] une somme de 150 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel, de juger qu'il est tenu de réparer entièrement les conséquences préjudiciables pour M. [E] de l'accident du 5 septembre 2016 et de le condamner à payer à ce dernier une provision complémentaire de 120 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, et à la caisse une somme de 370 890 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation devant lui revenir au titre de ses débours, ainsi qu'une autre somme de 1 066 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de mettre le FGAO hors de cause et de débouter les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, alors :

« 1°/ que les règles de double notification prévues par l'article R. 421-5 du code des assurances s'appliquent aux accidents survenus en France métropolitaine, dans les départements d'outre-mer et à Mayotte ; que s'agissant des accidents survenus à l'étranger, l'assureur est seulement tenu de notifier son exception au fonds de garantie, conformément à l'article R. 421-68 du même code ; qu'en opposant, pour écarter l'application de cette dernière disposition, que l'article R. 421-70 du code des assurances renvoyait à la section I du chapitre Ier du titre II du livre IV de la partie réglementaire du code des assurances contenant « l'article 425-1 » [R. 421-5], quand ce renvoi n'est opéré au texte qu'à titre supplétif, sous l'expresse réserve des dispositions de la section contenant l'article R. 421-68, la cour d'appel a violé les articles R. 421-5 du code des assurances, par fausse application, et R. 421-68 du même code, par refus d'application ;

2°/ que contrairement à l'article R. 421-5 du code des assurances, qui impose à l'assureur de notifier concomitamment et par lettre recommandée son refus de garantie au fonds de garantie et à la victime, l'article R. 421-68 ne lui impose de notifier ce refus, même par lettre simple, qu'au fonds de garantie ; qu'en affirmant néanmoins que les dispositions de l'article R. 421-68 du code des assurances ne dérogeaient pas à celles de l'article R. 421-5 du même code, la cour d'appel a violé ensemble les articles R. 421-5 et R. 421-68 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article L. 421-11 du code des assurances, le FGAO prend en charge l'indemnisation des victimes d'accidents causés par des véhicules soumis à l'assurance obligatoire de responsabilité civile qui ont leur stationnement habituel en France lorsque l'accident survient, notamment, dans un État de l'Union européenne, à condition que le responsable du dommage ne soit pas assuré et que l'indemnisation de la victime soit effectuée dans les conditions prévues par la législation nationale de l'État sur le territoire duquel s'est produit l'accident.

9. L'article R. 421-64 du même code prévoit que, pour l'application de l'article L. 421-11 susmentionné, le FGAO rembourse au bureau central français les sommes qu'il aura dû verser au bureau national d'assurance étranger, qui a indemnisé la victime de l'accident survenu sur son territoire.

10. Par ailleurs, selon l'article R. 421-70 du code des assurances, l'article R. 421-5 du même code est applicable aux accidents survenus à l'étranger, sous réserve de l'application des dispositions des articles R. 421-64 à R. 421-71.

11. Il en résulte que ce n'est que lorsque la victime a bénéficié d'une indemnisation par un bureau national d'assurance étranger que sont applicables les dispositions de l'article R. 421-68 du code des assurances, qui prévoit que l'assureur qui invoque une exception pour refuser sa garantie ou en réduire l'étendue ne doit la déclarer qu'au FGAO, et non également à la victime.

12. En dehors de cette hypothèse, les dispositions de l'article R. 421-5 du code des assurances, qui imposent à l'assureur d'en informer tant le FGAO que la victime, s'appliquent.

13. C'est, donc, par une exacte application de ces dispositions que la cour d'appel a retenu, en l'absence d'indemnisation de la victime par le bureau national d'assurance belge, que les dispositions de l'article R. 421-5, alinéa 1, du code des assurances devaient s'appliquer.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Cabinet Briard ; SARL Delvolvé et Trichet ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles R. 421-5, alinéa 1 et R. 421-68 du code des assurances.

2e Civ., 25 janvier 2024, n° 22-14.739, (B), FRH

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Défaut – Pertes d'exploitation COVID-19

Une clause d'exclusion n'est pas formelle au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

Une clause excluant de la garantie des pertes d'exploitation :

« - la fermeture consécutive à une fermeture collective d'établissements dans une même région ou sur le plan national,

 - lorsque la fermeture est la conséquence d'une violation volontaire à la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession », rendue ambiguë par l'usage de la conjonction de subordination « lorsque », n'est pas formelle et ne peut recevoir application.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 avril 2022), la société Helen traiteur (l'assurée), exerçant l'activité de traiteur organisateur de réceptions, a souscrit auprès de la société Axa France IARD (l'assureur), un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » incluant une garantie « perte d'exploitation », à effet au 1er janvier 2020.

2. Un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, a notamment édicté, pour les établissements relevant de certaines catégories, l'interdiction d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020.

3. Soutenant avoir subi des pertes d'exploitation du fait de cette interdiction, l'assurée a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée.

4. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en se prévalant notamment de la clause d'exclusion de garantie stipulant que « demeure toutefois exclue :

 - la fermeture consécutive à une fermeture collective d'établissements dans une même région ou sur le plan national,

 - lorsque la fermeture est la conséquence d'une violation volontaire à la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession ».

5. La société Helen traiteur a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'assurée fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à mobilisation des garanties stipulées au contrat d'assurance multirisque professionnel souscrit auprès de l'assureur et de la débouter de toutes ses demandes, alors « que le juge est tenu d'appliquer le contrat conclu par les parties, qui leur tient lieu de loi ; qu'en l'espèce, en sa qualité de traiteur organisateur de réception, l'assuré réalisait ses prestations dans des établissements variés destinés à recevoir du public comme notamment, ainsi que l'établissait l'attestation de son expert-comptable, le [9] ou le [10] à [Localité 5], le [7] à [Localité 3], le [11] à [Localité 6], ou encore le stade [4] à [Localité 8], qui comptent soit parmi les clients contractants avec la société Helen Traiteur, soit parmi les tiers fournisseurs de la prestation d'accueil de la réception pour des clients de la société Helen Traiteur, faute de définition restrictive dans le contrat des notions de clientèle et de fournisseur et qui tous avaient été fermés à compter des différentes mesures d'interdictions réglementaires adoptées pour lutter contre la propagation du virus covid-19, la fermeture des établissements relevant notamment des catégories dites L, N, P, T, X ou CTS ayant été prononcée par l'article 1er de l'arrêté du 14 mars 2020 en sorte que ces éléments établissaient, le cas échéant, la réalité d'une carence de la clientèle ou des fournisseurs ; qu'en déboutant l'assurée de sa demande d'indemnisation aux motifs inopérants que les lieux où elle exercerait son activité consistaient en des celliers, hôtels, palais, châteaux, domaines et salles notamment, en sorte qu'ils « pourraient relever » des catégories d'établissements L, N, P, T, X ou CTS, quand ces différentes catégories étaient toutes visées par les mesures réglementaires de fermeture, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1103 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2015-131 du 10 février 2016, pris ensemble l'article 1er de l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1103 du code civil :

7. Aux termes de ce texte, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

8. Pour rejeter la demande de garantie des pertes d'exploitation présentée par l'assurée, l'arrêt énonce, en premier lieu, qu'il n'est pas soutenu que le commerce de l'assurée aurait directement fait l'objet d'une des mesures restrictives d'exercice édictées à compter du 14 mars 2020, et que c'est par la garantie « carence de la clientèle » et « carence des fournisseurs » qu'elle entend se voir indemniser. Il retient, ensuite, qu'en application du contrat d'assurance, le sinistre à l'origine de l'interruption d'activité de l'assurée doit être survenu dans les locaux des fournisseurs ou de la clientèle de l'assurée, mais aussi correspondre à l'un des événements garantis, et plus précisément à la fermeture de ces établissements. Il constate, encore, que l'assurée exerce son activité dans une série de lieux privés ou publics, tels que celliers, hôtels, palais, châteaux, domaines et salles.

9. L'arrêt rappelle, en second lieu, que les arrêtés et décrets adoptés successivement à compter du 14 mars 2020 relativement à la propagation du virus Covid-19 ont emporté des mesures restrictives à l'exercice de multiples activités différenciées par catégories, et constate que les lieux cités comme ceux des clients ou fournisseurs de l'assurée où celle-ci exercerait son activité et qui auraient été affectés par ces mesures pourraient relever de certaines de ces catégories.

10. Il en déduit que l'assurée ne démontre pas l'effectivité de la fermeture des établissements clients ou fournisseurs auxquels elle a recours pour son activité, du fait des décisions réglementaires intervenues, de sorte que leur carence n'est pas établie.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les clients et fournisseurs de l'assurée relevaient des catégories visées par les mesures d'interdiction d'accueil du public, ce dont il résultait qu'ils avaient fait l'objet d'une fermeture sur ordre des autorités caractérisant leur carence au sens du contrat, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. L'assurée fait le même grief à l'arrêt, alors « que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elle doivent être interprétées ; qu'à supposer même que ni l'emploi du singulier pour conjuguer le verbe « demeurer » ni l'usage de la conjonction de coordination « lorsque » n'aient pu établir clairement le caractère cumulatif des deux propositions mentionnées dans la clause d'exclusion, il en résultait à tout le moins que la formule employée au contrat suggérait un doute, la lecture cumulative ou alternative des deux propositions composant la clause d'exclusion étant incertaine, ce qui démontrait par là même qu'elle devait être interprétée pour être mise en oeuvre et, partant, qu'elle n'était pas formelle et limitée ; qu'en jugeant cependant que la clause était formelle et limitée, aux motifs inopérants que les deux situations visées étaient de nature très différentes et que la clause était mentionnée en caractères gras avec une police lisible et aérée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

13. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

14. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

15. Pour dire opposable à l'assurée la clause d'exclusion de garantie litigieuse, l'arrêt retient, d'abord, que l'absence de la conjonction de coordination « et » entre les deux cas d'exclusion démontre qu'elles ne sont pas cumulatives, correspondant à des situations par nature très différentes, et que le seul usage du singulier pour conjuguer le verbe « demeure » ne permet pas de dire que la clause n'est pas formelle quand il peut logiquement procéder de l'examen distinct de chacune de ces deux situations.

16. En statuant ainsi, alors que la clause d'exclusion précitée, rendue ambiguë par l'usage de la conjonction de subordination « lorsque », nécessitait interprétation, de sorte qu'elle n'était pas formelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Helen traiteur au titre de la garantie « tous dommages sauf » et confirme le jugement en ce qu'il a reçu l'intervention de la société Axa assurances IARD mutuelle à titre accessoire et s'est déclaré compétent pour juger le litige, l'arrêt rendu le 6 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 113-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-19.341, Bull. (cassation partielle).

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