Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

SOCIETE D'AMENAGEMENT FONCIER ET D'ETABLISSEMENT RURAL (SAFER)

3e Civ., 18 janvier 2023, n° 21-14.496, (B), FS

Rejet

Préemption – Conditions d'exercice – Notification – Notification de la décision de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) à l'acquéreur évincé – Délai – Portée

L'article R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime, qui fixe le délai maximal dans lequel la décision de préemption de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) doit être notifiée à l'acquéreur évincé, n'impose pas que cette notification soit effectuée postérieurement à celle faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation. (1er moyen).

Préemption – Exercice – Qualité – Mandat du conseil d'administration – Faculté de subdélégation – Fin – Exclusion – Condition

La délégation pour une durée indéterminée, par le conseil d'administration d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) constituée en société anonyme, du droit de préempter que cette société a été autorisée à exercer par décret ne prend pas fin au terme de la durée de cette autorisation, dès lors qu'elle a été renouvelée. (2e moyen).

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 4 février 2021, RG 19/01601), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 6 juin 2019, pourvoi n° 18-14.070), et les productions, par jugement du 7 février 2011, M. [C] a été déclaré adjudicataire de parcelles de terre.

2. La société anonyme d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Rhône-Alpes, aux droits de laquelle est venue la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Auvergne Rhône-Alpes, ayant décidé d'exercer son droit de préemption, M. [C] l'a assignée en annulation de cette décision.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [C] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en annulation de la décision de préemption, alors « que la décision de préemption ne peut être notifiée par la SAFER à l'adjudicataire évincé qu'à compter de la notification faite au greffier de la juridiction d'adjudication ; que la date de la notification par voie postale est, à l'égard de celui qui y procède, celle de l'expédition ; qu'en se fondant sur la date de réception de la notification de la décision de préemption de la SAFER par l'adjudicataire évincé, soit le 4 mars 2011, pour la déclarer régulière quand ce courrier recommandé avait été expédié le 28 février 2011, avant que, le 2 mars suivant, la juridiction d'adjudication en ait eu connaissance, la cour d'appel a violé les articles R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime dans sa version issue du décret n° 92-1290 du 11 décembre 1992 et 668 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles L. 143-3 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime que la décision de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) qui exerce le droit de préemption est notifiée, à peine de nullité, à l'acquéreur évincé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la notification faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation.

6. Cette notification à l'acquéreur évincé a pour objet de lui délivrer une information personnelle garantissant l'effectivité de son droit au recours.

7. Le second des textes précités, qui fixe le délai maximal dans lequel la décision de préemption doit être notifiée à l'acquéreur évincé, n'impose pas que cette notification soit effectuée postérieurement à celle faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation.

8. La cour d'appel a constaté que la décision de préemption a été signifiée au greffe du tribunal par acte du 2 mars 2011 et notifiée à M. [C] par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 4 mars suivant.

9. Il en résulte que cette notification est régulière.

10. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, conformément à l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le délégataire ne peut déléguer plus de pouvoir qu'il n'en a lui-même reçu, tandis que la SAFER est autorisée pour cinq ans par décret à exercer un droit de préemption sur certaines catégories de biens immobiliers, de sorte que la délégation de pouvoirs autorisant le cadre d'une SAFER à préempter des biens immobiliers pour son compte ne peut excéder la durée prévue par le décret l'habilitant à exercer son droit ; qu'en déclarant, que sur la période considérée, les décrets avaient autorisé la SAFER à préempter, puis en ajoutant que, n'étant pas limitée dans le temps et se fondant de manière générique sur le décret attributif en vigueur, la délégation de pouvoirs donnée par le conseil d'administration de la SAFER à M. [H] le 8 avril 2004 n'était pas périmée lorsque, le 28 février 2011, le délégataire avait exercé le droit de préemption sur les parcelles adjugées à l'exposant, la cour d'appel a violé les articles R. 143-1 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ainsi que les articles L. 225-35 et L. 225-56 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

12. Selon l'article L. 143-7, alinéa 2, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, dans les zones où se justifie l'octroi d'un droit de préemption et sur demande de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural intéressée, un décret autorise l'exercice de ce droit et en fixe la durée.

13. Selon l'article R. 143-6 du même code, la décision de préemption est signée par le président de son conseil d'administration ou par toute personne régulièrement habilitée à cet effet.

14. Selon l'article L. 225-56, II, du code de commerce, en accord avec le directeur général, le conseil d'administration d'une société anonyme détermine l'étendue et la durée des pouvoirs conférés aux directeurs généraux délégués.

15. Aux termes de l'article 2003 du code civil, le mandat finit par la révocation du mandataire, par la renonciation de celui-ci au mandat, ou par la mort, la tutelle des majeurs ou la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire.

16. Il résulte de ces textes, que le conseil d'administration d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural, constituée en société anonyme, peut déléguer pour une durée indéterminée, s'achevant de l'une des manières prévues pour le mandat, le droit de préempter que cette société a été autorisée à exercer par décret.

17. Cette délégation ne prend pas fin au terme de la durée de l'autorisation de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural à préempter, dès lors que celle-ci a été renouvelée.

18. La cour d'appel a relevé que la SAFER s'était vu conférer le droit de préempter pour une durée de cinq ans par un décret du 3 juillet 2003, puis par un décret du 30 juin 2008 prenant effet à compter de l'expiration de l'autorisation précédemment accordée et qu'il en résultait que sur la période comprise entre le 7 avril 2004, date de la délégation de pouvoir, et le 28 février 2011, date de la décision de préemption, cette société avait toujours eu, sans aucune interruption, le pouvoir d'exercer le droit de préemption.

19. Elle a constaté que la délégation de pouvoir du 7 avril 2004 n'était pas limitée dans le temps et ne se référait pas au décret du 3 juillet 2003, mais au décret attributif en vigueur.

20. Elle en a exactement déduit que la nullité de la décision de préemption n'était pas encourue de ce chef.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

22. M. [C] fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que dans leur mission d'amélioration des structures foncières par l'installation ou le maintien d'exploitants agricoles ou forestiers, les SAFER peuvent préempter soit pour elles-mêmes puis rétrocéder leurs terrains aux agriculteurs choisis par leurs soins, soit au profit de départements ou d'agences de l'eau, qui sont ensuite libres de disposer des terrains pour satisfaire les objectifs qui sont les leurs ; qu'en déclarant que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs légaux en faire valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux, quand cette structure n'avait pas le pouvoir de préempter des terrains au profit d'une communauté d'agglomération et de lui laisser la charge de remplir à sa place les objectifs légaux qui lui étaient assignés, la cour d'appel a violé l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

23. Selon l'article R. 142-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-821 du 7 juillet 2006, les biens sont attribués par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural aux candidats, personnes physiques ou morales, capables d'en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation, compte tenu notamment de leur situation familiale, de leur capacité financière d'acquérir le bien et de le gérer, de l'existence de revenus non agricoles, de leurs compétences professionnelles et de leurs qualités personnelles, ainsi que de l'intérêt économique, social ou environnemental de l'opération.

Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural peuvent céder ces biens à des personnes qui s'engagent à les louer, par bail rural ou par conventions visées à l'article L. 481-1 du même code, à des preneurs, personnes physiques ou morales, répondant à ces critères et ayant reçu l'agrément de la société, à condition que l'opération permette, compte tenu notamment de son intérêt économique, social ou environnemental, l'installation d'agriculteurs ou le maintien de ceux-ci sur leur exploitation ou l'amélioration des exploitations elles-mêmes.

24. La cour d'appel a constaté qu'eu égard à la nature agricole des terrains préemptés, à leurs caractéristiques et à leur destination actuelle après rétrocession à la communauté d'agglomération du pays voironnais, il apparaissait que la SAFER avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs prévus aux 1° et 2° de l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime, en faire-valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux.

25. Elle a pu en déduire que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et que la demande d'annulation de la décision de préemption devait être rejetée.

26. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Schmitt - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ; articles L. 143-7, alinéa 2, et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ; article L. 225-56, II, du code de commerce.

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