Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

SERVITUDE

3e Civ., 18 janvier 2023, n° 22-10.019, (B), FS

Cassation partielle

Constitution – Destination du père de famille – Domaine d'application – Servitudes discontinues – Conditions – Appréciation souveraine

Les juges du fonds apprécient souverainement si une clause d'un acte de division constitue une stipulation contraire au maintien d'une servitude discontinue par destination du père de famille.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 2 novembre 2021), MM. [R], [N] et [S] [D] et Mme [H] [D] (les consorts [D]), propriétaires indivis de parcelles cadastrées [Cadastre 4] et [Cadastre 5], et le syndicat des copropriétaires du domaine [Adresse 15] (le syndicat des copropriétaires), dont dépend la parcelle [Cadastre 6], ont assigné la société civile immobilière Jump (la SCI) en rétablissement du passage situé sur la parcelle [Cadastre 7] lui appartenant, invoquant une servitude par destination du père de famille et, subsidiairement, l'existence d'un chemin d'exploitation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de reconnaissance d'une servitude par destination du père de famille grevant la parcelle cadastrée [Cadastre 7] au profit de la parcelle cadastrée [Cadastre 6], alors :

« 1°/ qu'une servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que la reconnaissance d'une servitude de passage par destination du père de famille ne nécessite pas la preuve de l'intention de l'auteur commun d'établir un service foncier d'un fonds au profit d'un autre ; qu'ayant constaté qu'au jour de la division de la parcelle [Cadastre 10] [lire « [Cadastre 9] »], par l'acte d'échange du 3 septembre 2004, le chemin sur la parcelle devenue [Cadastre 7] permettait d'accéder au parking devenu [Cadastre 6] et que cet aménagement avait été réalisé pour le compte du propriétaire, la cour d'appel qui, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant [Cadastre 6] sur le fonds servant [Cadastre 7], a retenu que la chronologie de cet aménagement établissait que la SCI du Domaine de [Adresse 15] n'avait pas eu l'intention, avant la division de la parcelle [Cadastre 10] [lire « [Cadastre 9] »], d'aménager le chemin litigieux pour servir ou profiter au lieu de stationnement créé en 1981 devenu [Cadastre 6], a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, en violation de l'article 693 du code civil ;

2°/ qu'une servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que l'assujettissement du fonds servant, dès son origine, pour les besoins du fonds dominant, n'est pas une condition indispensable de l'établissement d'une servitude par destination du père de famille ; qu'après avoir constaté qu'au jour de la division de la parcelle [Cadastre 10] [lire « [Cadastre 9] »] par l'acte d'échange du 3 septembre 2004, le chemin sur la parcelle devenue [Cadastre 7] permettait d'accéder au parking devenu [Cadastre 6] et que cet aménagement avait été réalisé pour le compte du propriétaire, la cour d'appel a, pour exclure l'existence d'une servitude par destination du père de famille en faveur du fonds dominant [Cadastre 6] sur le fonds servant [Cadastre 7], déduit de la circonstance que le chemin litigieux ayant existé antérieurement à la création du parking, il n'avait pas été aménagé pour en permettre l'accès ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, et violé l'article 693 du code civil ;

3°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'absence de mention dans l'acte de division de la servitude ne constitue pas une stipulation contraire à son maintien ; qu'en énonçant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant [Cadastre 6] sur le fonds servant [Cadastre 7], que les parties à l'acte de division, spécialement la SCI du Domaine de [Adresse 15], avaient clairement manifesté l'absence de servitude passive ou active sur les parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7], la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;

4°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que la clause de style, aux termes de laquelle l'ancien propriétaire du fonds servant n'a créé ni laissé acquérir aucune servitude et qu'à sa connaissance, il n'en existe aucune, ne constitue pas une stipulation contraire au maintien de la servitude résultant de l'aménagement établi par ce propriétaire ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant [Cadastre 6], propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur la stipulation de l'acte d'échange du 3 septembre 2004, ayant notamment transféré la propriété de la parcelle [Cadastre 6] à la copropriété, par laquelle les parties avaient déclaré qu'elles n'avaient personnellement conféré aucune servitude sur les immeubles cédés et qu'à leur connaissance il n'en existait aucune, quand une telle stipulation constituait une clause de style, qui ne pouvait s'analyser en une stipulation contraire au maintien de la servitude litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;

5°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de toute autre convention ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur l'acte de vente du 13 mars 2007 entre la SCI du Domaine de [Adresse 15] et la SCI Jump, notamment, d'une parcelle contiguë à la parcelle [Cadastre 7], en ce qu'il ne faisait pas mention de la servitude alléguée, et sur l'acte notarié du 22 décembre 2007 dénommé « constitution de servitudes », en ce qu'il ne faisait nul état d'une servitude de droit de passage sur la parcelle [Cadastre 7], notamment au profit de la parcelle [Cadastre 6] et qu'il instituait une servitude de droit de passage grevant la parcelle AH [Cadastre 3] de la SCI Jump au profit de parcelle [Cadastre 4] des consorts [D], la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;

6°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de tout autre document ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur une résolution d'assemblée générale du 24 juin 2007 de la copropriété et sur une lettre du syndic au maire de la commune du 19 juin 2010, aux termes desquelles il était projeté de réaliser des travaux pour un accès direct aux parkings par la cour de la copropriété, la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;

7°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude conventionnelle qui ne recouvre pas toute l'étendue de la servitude par destination du père de famille revendiquée n'en exclut pas l'existence ; qu'en retenant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, que l'acte de constitution de servitudes du 22 décembre 2007 avait institué une servitude de droit de passage pour cause d'enclave au profit de la parcelle [Cadastre 4] des consorts [D] sur les parcelles [Cadastre 8] et [Cadastre 6] de la copropriété, grevant la parcelle [Cadastre 3] de la SCI Jump, s'exerçant depuis le chemin rural [Adresse 16] au [Localité 14], et qu'à cet endroit, ce chemin n'était précisément pas le passage litigieux [Cadastre 7] de la SCI Jump, quand l'existence de la servitude par destination du père de famille revendiquée ne pouvait être exclue du fait de l'existence d'une telle servitude conventionnelle, qui n'en recouvrait pas toute l'étendue, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation des articles 693 et 694 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. C'est, d'abord, à bon droit que la cour d'appel a retenu que la destination du père de famille ne vaut titre à l'égard des servitudes discontinues, en présence de signes apparents de la servitude lors de la division d'un fonds, que si l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.

4. Ayant, ensuite, constaté que l'acte d'échange du 3 septembre 2004 prévoyait expressément l'absence de servitude sur les parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7] issues de la division de l'ancienne parcelle [Cadastre 10], réalisée à cette occasion par la société du Domaine de [Adresse 15] qui en était propriétaire, elle en a souverainement déduit que cette stipulation ne constituait pas une simple clause de style et était contraire au maintien d'une servitude de passage par destination du père de famille.

5. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. Les consorts [D] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes au titre de la servitude par destination du père de famille grevant la parcelle [Cadastre 7] au profit des parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 5], alors « qu'il y a destination du père de famille lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que la qualité de propriétaire unique doit s'apprécier à la date de la division des fonds à l'égard desquels la servitude par destination du père de famille est revendiquée ; qu'en retenant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 5], qu'au jour de la division du 3 septembre 2004, de la parcelle [Cadastre 9], en deux parcelles cadastrées [Cadastre 6] et [Cadastre 7], les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 5], ayant été attribuées aux consorts [D] selon acte du 4 octobre 2002, ne faisaient déjà plus partie du fonds de la SCI du Domaine de [Adresse 15], quand elle devait se placer à la date de la division de ce fonds au profit des consorts [D], le 4 octobre 2002, la cour d'appel a violé l'article 693 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 693 et 694 du code civil :

7. Aux termes du premier de ces textes, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.

8. Selon le second, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division d'un fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.

9. Pour rejeter les demandes des consorts [D] au titre de la servitude par destination du père de famille, l'arrêt retient que ceux-ci sont devenus propriétaires de leurs parcelles par acte du 4 octobre 2002, lesquelles ne faisaient donc déjà plus partie du fonds au jour de sa division le 3 septembre 2004.

10. En statuant ainsi, au regard de la division intervenue le 3 septembre 2004, après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que l'acte du 4 octobre 2002 avait procédé à une première division du fonds dont la société du Domaine de [Adresse 15] était propriétaire, les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 5] qui en étaient issues ayant été attribuées aux consorts [D] à l'occasion de leur retrait de la société, alors que les conditions d'existence d'une servitude par destination du père de famille doivent s'apprécier au jour de la division des fonds concernés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur les troisième et quatrième moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

11. Le syndicat des copropriétaires et les consorts [D] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à faire reconnaître l'existence d'un chemin d'exploitation situé sur la parcelle [Cadastre 7] et desservant leurs parcelles respectives, alors « que les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation ; que la circonstance que le chemin litigieux rejoigne un chemin rural dont ni le cours ni le débouché ne sont connus n'exclut pas la qualification de chemin d'exploitation ; qu'en retenant, pour dire que le passage édifié sur la parcelle [Cadastre 7] ne constituait pas un chemin d'exploitation, que ni le cours ni le débouché final du [Adresse 16], que le passage édifié sur la parcelle [Cadastre 7] permettait de rattraper, n'étaient connus en totalité, de sorte que la preuve que le passage litigieux assurait la desserte ou la communication exclusive de divers fonds n'était pas rapportée, quand l'incertitude sur le débouché du chemin rural, que le passage aménagé sur la parcelle [Cadastre 7] permettait de rejoindre, n'excluait pas la qualification de ce dernier en chemin d'exploitation, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime :

12. Selon ce texte, les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation.

13. Pour rejeter les demandes tendant à faire reconnaître l'existence d'un chemin d'exploitation sur la parcelle [Cadastre 7], l'arrêt retient que le cours et le débouché final du chemin rural auquel accède la portion de chemin établie sur cette parcelle ne sont pas connus en totalité, de sorte qu'il n'est pas prouvé que le passage qui y est situé assure la desserte exclusive des divers fonds.

14. En statuant ainsi, après avoir constaté que la voie traversant la parcelle [Cadastre 7] était comprise dans un sentier permettant de rejoindre les fonds des parties avant d'accéder au chemin rural, par des motifs impropres à exclure les caractéristiques d'un chemin d'exploitation pour la portion située sur cette parcelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande du syndicat des copropriétaires du [Adresse 15] en reconnaissance d'une servitude par destination du père de famille grevant la parcelle cadastrée [Cadastre 7] au profit de la parcelle cadastrée [Cadastre 6], l'arrêt rendu le 2 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jessel - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles 693 et 694 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 23 mars 2022, pourvoi n° 21-11.986, Bull., (cassation), et l'arrêt cité.

3e Civ., 18 janvier 2023, n° 22-10.700, (B), FS

Rejet

Servitude conventionnelle – Passage – Assiette – Déplacement – Conditions – Détermination

La modification de l'assiette d'une servitude de passage, sans l'accord du propriétaire du fonds dominant et sans autorisation judiciaire, n'interdit pas au propriétaire du fonds servant, lorsqu'il a rétabli l'assiette d'origine du passage, d'invoquer les dispositions de l'article 701, alinéa 3, du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 26 octobre 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ.,10 septembre 2020, pourvoi n° 19-11.590), M. et Mme [A], se prévalant d'une servitude conventionnelle de passage, ont assigné Mme [N], propriétaire du fonds servant, en rétablissement de la servitude qui, selon eux, avait été unilatéralement modifiée, sans leur autorisation.

2. En exécution du jugement l'y condamnant, Mme [N] a procédé à la remise en état de l'assiette primitive de la servitude.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et cinquième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [A] font grief à l'arrêt de modifier l'assiette de la servitude de passage, alors :

« 2°/ que le propriétaire d'un fonds servant qui, en méconnaissance de l'article 701, alinéa 3, du code civil, a unilatéralement et sans l'accord préalable du propriétaire du fonds dominant et sans l'autorisation préalable d'un juge, déplacé l'assiette d'une servitude de passage conventionnelle et a en conséquence été condamné par décision de justice exécutoire à la remise en état de l'assiette de la servitude de passage primitive, ne saurait se prévaloir de cette remise en état et de l'exécution de la décision exécutoire par provision pour solliciter à nouveau au visa des mêmes dispositions, dans la même procédure mais devant le juge d'appel, la possibilité d'opérer à nouveau ce déplacement de la servitude de passage ; qu'en déclarant que Mme [N] ayant exécuté le jugement de première instance l'ayant condamnée à la remise en état de l'assiette de la servitude de passage primitive après qu'elle a modifié unilatéralement sans l'accord des époux [A] et sans autorisation préalable du juge cette assiette, pouvait solliciter du juge d'appel le déplacement de l'assiette de la servitude et que le moyen fondé sur la modification unilatérale et sans accord du fonds servant ou autorisation préalable du juge était inopérant en l'état de la remise en état intervenue, la modification illégale de l'assiette n'interdisant pas définitivement aux propriétaires du fonds servant d'invoquer l'article 701, alinéa 3, du code civil si les propriétaires du fonds dominant peuvent à nouveau utiliser le passage d'origine, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

3°/ que si le propriétaire du fonds servant peut proposer au propriétaire du fonds dominant le déplacement de l'assiette de la servitude de passage que celui-ci ne peut refuser, c'est à la double condition que l'assignation primitive de la servitude soit devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti et qu'il puisse offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, le caractère plus onéreux de la servitude supposant une nécessité de modifier l'assiette primitive de la servitude pour répondre à l'utilité réelle du fonds servant et le changement demandé devant répondre à cette utilité réelle et non à la seule commodité personnelle de son propriétaire ; qu'en retenant qu'était établi le caractère plus contraignant de la servitude de passage causé par la modification de la destination du fonds dominant, en ce que les passages des véhicules et des piétons locataires de la maison, qui avaient lieu entre le printemps et la fin de l'été, s'étaient intensifiés et avaient majoré les inconvénients de l'assiette actuelle de la servitude et l'avait rendue plus onéreuse, sans relever de restriction quant à la destination, l'usage ou les modalités d'exercice de l'utilisation du chemin de passage d'origine ni expliquer en quoi cet usage plus intensif compromettait l'utilité réelle du fonds de Mme [N], la cour d'appel, qui a exclusivement relevé « les désagréments causés par la fréquentation accrue du passage », le fait que les locataires saisonniers sollicitaient souvent Mme [N] à leur arrivée pour trouver la maison louée et que les « nuisances » évoquées par Mme [N] étaient « certaines », a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701, alinéa 3, du code civil ;

4°/ que si le propriétaire du fonds servant peut proposer au propriétaire du fonds dominant le déplacement de l'assiette de la servitude de passage que celui-ci ne peut refuser, c'est à la double condition que l'assignation primitive de la servitude soit devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti et qu'il puisse offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits ; que pour considérer que l'assiette du passage proposée par Mme [N] était aussi commode que l'assiette primitive, la cour d'appel a retenu malgré « deux passages à angle droit » dans le nouveau tracé de la servitude, un conducteur normalement attentif pouvait « sans problème » utiliser le nouveau passage, que la largeur du passage était suffisante pour le passage de véhicules légers et que les véhicules plus longs, comme un fourgon, ne pouvaient en tout état de cause pas emprunter le passage initial, que le portail d'entrée initial d'une largeur de 3,39 mètres limitait déjà le gabarit des véhicules pouvant emprunter le passage, le nouveau portail en bois d'une largeur supérieure de 3,75 mètres étant à cet égard plus commode, et que la nouvelle pente à 15 % du nouveau tracé de la servitude était sans incidence sur le caractère commode ou non du nouveau passage sur lequel on ne pouvait stationner ; qu'en statuant ainsi après avoir constaté que Mme [N] reconnaissait elle-même que les engins de travaux publics pouvaient emprunter le passage initial et sans rechercher si le fait que le nouveau passage revendiqué par Mme [N] cumule tout à la fois une pente de 15 % et une configuration étroite et accidentée ne rendait pas nécessairement l'accès des époux [A] à leur maison plus incommode, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701, alinéa 3, du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a, d'abord, énoncé à bon droit, que la modification, sans accord des propriétaires du fonds dominant et sans autorisation judiciaire, de l'assiette d'une servitude de passage n'interdisait pas aux propriétaires du fonds servant d'invoquer les dispositions de l'article 701, alinéa 3, du code civil, dès lors que l'assiette d'origine du passage avait été rétablie.

6. Procédant à la recherche prétendument omise, par une comparaison des tracés des deux passages discutés pour en dégager les avantages et contraintes respectifs, elle en a, ensuite, souverainement déduit qu'ils présentaient une commodité équivalente pour les propriétaires du fonds dominant.

7. Enfin, ayant souverainement retenu, qu'en raison du changement de destination du fonds dominant, la servitude était devenue plus onéreuse pour Mme [N], du fait de la proximité du chemin avec son habitation, de l'augmentation des passages et des sollicitations fréquentes dont elle était l'objet, faisant ainsi ressortir l'existence d'une gêne substantielle liée à l'assiette primitive de la servitude, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. M. et Mme [A] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages et intérêts, alors « que pour rejeter cette demande en réparation de leur préjudice de jouissance, la cour d'appel a retenu que, si le tribunal y avait fait droit au regard de leurs difficultés pour emprunter le nouveau passage, il résultait des constatations de l'arrêt que le nouveau passage était aussi commode que l'ancien, de sorte que les époux [A] ne subissaient pas de préjudice de jouissance pour avoir été contraints de l'emprunter ; qu'il résulte cependant des critiques du premier moyen de cassation que Mme [N] ne pouvait plus, a posteriori, demander judiciairement le déplacement de l'assiette de la servitude de passage auquel elle avait préalablement procédé unilatéralement sans l'autorisation des époux [A], et que ce nouveau passage n'était en toute hypothèse pas aussi commode que l'ancien ; que par voie de conséquence et par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de ces critiques devra entraîner la cassation de l'arrêt en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts. »

Réponse de la Cour

9. Le rejet du premier moyen rend sans portée le second moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Baraké - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 701, alinéa 3, du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-15.763, Bull. 2009, III, n° 177 (cassation).

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